W-E cinéma italien 2024-Primadonna de Marta Savina

« Mariage réparateur » ! ? Quel étrange formule oxymorique, quel cynisme juridique, quelle étrange liaison de l’amour ou de ce qui devrait être son prolongement et son accomplissement personnels et institutionnels, le mariage, et du judiciaire ? Réparation de quoi et pour qui d’ailleurs que cette coutume archaïque, mise en scène sobrement, sans pathos ni didactisme, par Marta Savina dans Primadonna, ce mariage forcé, cette union imposée à une jeune femme violée pour éviter le délit d’honneur, la honte familiale et …le procès au violeur qui deviendra ainsi un « respectable » mari ? Réparation pour la société sicilienne hypocrite et corsetée des années 1960, confite en dévotion, en code de l’honneur, de la réputation et apparences sociales et l’homme qui s’en tire à si bon compte ? Ou gâchis pour une jeune femme non consentante dont la vie sera malheureuse, la vérité intime mise sous le boisseau, le bonheur saccagé ?

Thème et nœud dramatiques par excellence, le « mariage réparateur », aux termes des articles 544 et 587 du Code pénal abolis en 1981 par la loi italienne, offre ici à Marta Savina la matière d’un film sobre et puissant, qui pose et tisse au fil d’un scénario charpenté et haletant, et grâce à une interprétation à la fois pudique et énergique de la jeune fille, Rosalia Crima, dite Lia, et de ses parents, les questions essentielles de l’amour et du bonheur, du désir et du consentement, de la morale et de la religion, des pauvres et des puissants, du sentiment et de l’institution de la justice supposément réparatrice, de la condition féminine enfin à l’heure de Meetoo, des viols, des féminicides et des violences faites aux femmes révélées chaque jour dans les media. Film d’une brûlante actualité s’il en est, qui développe et actualise pleinement le programme du court métrage de 15 mn de fin d’études, Viola, Franca, réalisé en 2017, en Californie, par Marta Savina : l’histoire bien réelle de Franca Viola, âgée aujourd’hui de 76 ans, violée par un jeune homme et contrainte par sa belle-famille et ses propres parents de l’épouser… Comme Lia, l’héroïne de Primadonna, elle osa, la première femme à le faire, d’où le titre parodique du film, porter plainte contre son agresseur, le traîner en somme en justice et obtint sa condamnation : dans notre film, Lorenzo Musica (joué par Dario Aita), transposition de Melodia, le personnage réel, écope de 11 ans de prison.

Lia se comporte moins en première cantatrice, qui connait la musique ou jouirait d’une grande expérience de la vie, qu’en jeune femme à la fois timide et farouche, proche de ses parents (elle travaille la terre avec son père au grand dam de sa mère) et désireuse de s’émanciper, ce qu’elle va faire en résistant de toutes ses forces à la rumeur, à la pression sociale et cléricale, en osant enfin parler au tribunal de son viol au prix de sa pudeur, de sa dignité, de son intimité livrée ainsi en pâture au juge et aux jurés : on frémit ainsi de la question insidieuse et perverse posée par le brillant avocat de l’accusé, stipendié par la belle-famille : « êtes-vous sûre que vous n’avez pas éprouvé du plaisir ? ». Sous-entendu lors du viol : car comment appeler autrement l’enlèvement de la jeune fille, sous les yeux de ses parents, avec son petit frère, bientôt relâché, et sa séquestration dans une maison, une cabane isolée où Lia (jouée par une remarquable Claudia Gusmano, tout en finesse et énergie, en audace et pusillanimité) doit céder aux instances de Lorenzo, séducteur pour ainsi dire caricatural, latine lover sûr de sa beauté et bardé de son arrogance sociale de fils de riche propriétaire mafieux ?

L’histoire d’amour n’avait pourtant pas si mal commencé entre eux et Lia semblait plutôt amoureuse du jeune homme, en tout cas attirée par lui, déjà, avant son départ pour l’Allemagne. A son retour, il la poursuit de ses assiduités, lors d’une procession (la pourtant pieuse Lia ne pourra jamais incarner la Vierge ; elle est appelée à un rôle plus humain et plus tragique encore), la retrouve derrière l’église, contre un mur où la jeune femme semble prête à s’abandonner, ou devise avec elle dans le champ paternel, insistant sur son amour et son intention de l’épouser, tandis que la jeune femme semble de plus en plus hésitante, réticente même, détachée de ce garçon décidément trop sûr de lui, trop entiché de ce statut social qui lui donne la certitude que rien ni personne ne peut, ni ne doit surtout lui résister…

Alors, oui, ce film pose la question du consentement à l’amour et à l’acte sexuel, dont certains mettent parfois en doute la clarté, la formulation, la sincérité, sinon pour justifier, en tout cas pour excuser ou tout au moins expliquer le viol… Les sentiments de Lia peuvent ne pas sembler clairs au début mais il est évident que ses sentiments évoluent, s’atténuent et que son désir se délite : le consentement ne fait donc pas défaut simplement au moment du viol mais bien avant, en amont de cet acte criminel quand l’amour n’est, déjà, plus là…C’est ce que Lorenzo n’a pas su, pas voulu voir, ce qu’il n’a pas accepté – aggravant son cas par ce repas familial de mariage imposé où les parents de Lia se voient obligés par le parrain du village, futur « beau-père », de trinquer au bonheur des jeunes gens, ou plutôt se verraient obligés si la jeune femme n’osait dire NON !

Scandale pour les puissants, pour le village, qui rejette Lia et sa famille, son père si digne et obstiné (qui avait bien subodoré l’arrogance et la violence de Lorenzo enlevant bientôt la jeune femme avec ses amis à moto selon la pratique ancestrale de la fuitina), scandale pour ce prêtre infâme, qui n’est que la voix des puissants, qui interdit à Lia l’entrée de l’église le jour du Vendredi saint, qui organise clandestinement des combats de coq et empêche la prostituée, amie de Lia, et familière de…Lorenzo, de témoigner contre le jeune homme lors du procès en lançant contre elle un coq qui va la défigurer… : curieuse coïncidence, cet homme d’Eglise, don Zaina, est joué par Paolo Pierobon, qui incarnait le pape dans L’Enlèvement de Marco Bellochio. Scandale dans cette Sicile d’un autre âge où la mauvaise réputation poursuit l’ancien maire, avocat « grillé » par ses échecs et qui va pourtant, le grand avocat pressenti s’étant défaussé et laissé acheter par les puissants, accepter de défendre Lia, et, contre toute attente, gagner son procès, leur procès…N’est-il pas secrètement amoureux de Lia ? Mais c’est une autre histoire…

Scandale que cette victoire pour une fois des faibles contre les puissants qui ne peuvent plus contempler et dominer de leur superbe la procession et le village entier défilant sous leur balcon, mais qui n’éteint pas la réprobation publique sur les affaires de mœurs, comme si l’amour se réduisait au sexe ou à un acte sexuel, scandale contre lequel Lia osera encore lutter en restant au pays, dans ces âpres reliefs près du mont Nebrodi et de Messine, alors que son père, loin de se griser du triomphe du droit et de la liberté féminine, demeure pessimiste : « Je suis fier de toi, s’écrie-t-il, mais nous n’aurons pas gagné tant que la société, les mentalités et la loi ne changeront pas. Ils gagnent toujours… »

Il est pourtant des victoires, si fragiles soient-elles, qui nous revigorent, des lendemains qui ne déchantent pas toujours, des happy ends de cinéma qui n’ont rien d’artificiel ou de lénifiant…

Claude

W-E Italien 2024- La bella estate de Laura Luchetti

« Ne me fais pas mal », supplie dans un mélange de frayeur et de ravissement Ginia (Yile Yara Vianelle) s’abandonnant enfin à Guido qui lui offre sa première fois dans une scène d’une infinie tendresse et d’une sensualité haletante où le spectateur épouse avec empathie, sans voyeurisme, la montée tremblante du désir, la respiration oppressée de la jeune femme à mesure que le jeune peintre la dévêt avec une sûre lenteur pour s’unir bientôt à elle : à son regard chaviré on peut se demander si elle a vraiment éprouvé du plaisir ou si elle n’exprime pas le vague dépit d’une défloration sinon un peu rude, tout au moins rapide de la part de Guido trop empressé… »Une virginité qui se défend » – explique Laura Luchetti, réalisatrice du superbe « La bella estate » (2023), inspirée du roman de Cesare Pavese qui, selon la cinéaste, « parle si bien de sa jeunesse, de cet âge où tout est possible, et tout est effrayant. » Cette nuit d’amour, la discussion étonnée qui suit la rencontre n’en couronnent pas moins une attente diffuse, et, grâce à l’autre, une découverte de soi jusqu’ici cantonnée au reflet dans un miroir, au bain prolongé – une attente impatiente, exaspérée parfois aussi dans les questions à une amie : « comment fait-on l’amour ? quand ferai-je enfin l’amour ? » « Cela viendra en son temps » – lui répond-on.

C’est peut-être une autre scène qui est la plus touchante et qu’on ne peut s’empêcher de mettre en regard de la première : la scène de danse entre Ginia, cette jeune couturière blonde dont nous suivons à Turin en 1938 les émois amoureux et la confection experte d’une robe mordorée et Amelia (Deva Cassel), ravissante brune, Muse et modèle des peintres, qui pose nue, multiplie sans doute les liaisons et fascine Ginia, ouvrière et laborieuse artisane en lui ouvrant le monde de l’art et de la bohème, après lui avoir insufflé la libération du corps dans un plongeon lacustre en petite tenue, devant des étudiants mi-ravis, mi-choqués, lors d’une partie de campagne, d’un déjeuner sur l’herbe dignes de Renoir ou Monet. Les deux femmes dansent ensemble sous la caméra caressante de Diego Romero Suarez Llanos, bercées par la chanson de Sophie Hunger « Walzer fûr Niemand » : la petite frêle Ginia, dont la timidité, la peur d’aimer, l’errance sentimentale et sexuelle nous bouleversent, s’approche d’Amelia, l’étreint puis, au lieu du baiser attendu, se love contre sa poitrine. Union rassurante quoiqu’inaboutie – tendresse amicale ou pulsion homosexuelle, qu’importe ! – on comprend où va la préférence de Ginia qui avait pourtant connu l’union charnelle avec Guido.

Au-delà du désir intemporel d’être vu et représenté, qui trouverait selon Laura Luchetti un écho moderne dans les réseaux sociaux, le film épouse cette alchimie du désir, cette valse-hésitation du cœur et du corps que condenserait bien la scène où Ginia pose enfin nue pour l’ami peintre d’Amelia, observée de dos par un autre artiste et éprouvant la honte de voir surgir aussi Amelia. Elle est allée jusqu’au bout de sa démarche mais elle a négligé son travail, est arrivée en retard, s’est fait renvoyer : elle retrouvera toutefois une place auprès de sa patronne compatissante mais exigeante après lui avoir écrit une longue lettre d’excuses et d’explications sur son attitude mais devra, pour prix de sa légèreté, recommencer à zéro, travailler à la buanderie avant de redevenir l’habile couturière qu’elle était.

Dans cette chronique sociale en pointillé d’un couple émouvant, la fratrie, Ginia et son frère Severino, étudiant désenchanté, apprenti écrivain – tous deux venus de la campagne pour réussir à la ville, partageant une glace comme la pauvreté, s’épaulant, s’inquiétant d’un retard, d’une absence, d’une dérive possible de l’autre sans pourtant juger, Luchetti a également dessiné un arrière-plan historique : l’Italie de 1938, les chemises brunes – devant lesquelles tout le monde s’écarte dans le tramway, les bustes de guerriers, ce bâtiment monumental avec ses longs couloirs, ses grandes pièces, qui abrite l’atelier de couture : on songe à Vincere, de Marco Bellochio. La beauté du film tient sans doute au contraste entre ce cadre froid, dictatorial, prémonitoire de la guerre, et la mélancolie de cette histoire d’amour, la douceur de la nature, la beauté des couleurs – on songe aux superbes costumes de Maria Cristina La Parola.

La nature y est aussi un personnage à part entière, qui encadre l’histoire, au début et à la fin, avec ces échappées impressionnistes, ces plans rapprochés ou gros plans sur les personnages, un visage au bord de l’eau, ses inserts sur une abeille, un écureuil, un tapis de mousse. Et pourtant la mort rôde, avec la syphilis qui témoigne, s’il en était besoin, de la fragilité d’Amelia, la femme épanouie qui aura révélé à elle-même Ginia, qui lui aura appris à aimer, à s’aimer surtout et dont la silhouette, à moins que ce ne soit le fantôme (se dirigeant vers la gauche, comme le remarquait Marie-No lors du débat), apparaît dans la promenade finale au bord de l’étang. (Ces scènes ont été tournées près des lacs d’Avigliana et de Carignano, et la lumière du chef opérateur Diego Romero Suarez Llanos est superbe).

Valse ultime, procession mortuaire (Pavese ne s’est-il pas donné la mort un 27 août 1950 ?), ou parenthèse enchantée d’un « bel été » ?

Claude

W-E Italien 2024- Parthénope de Paolo Sorrentino

Avec les belles images et la photographie somptueuse, ce qui rachète un peu à mes yeux un film par ailleurs d’un intérêt limité, c’est la volonté manifeste du cinéaste de montrer tous les aspects de sa ville natale – des perspectives marines magnifiques jusqu’aux bas-fonds de la Spaccanapoli visités en compagnie d’un chef de la Camorra nouvellement sorti de prison – en un hommage aigre-doux où les éléments baroques sur lesquels insistait M. Mirabella se trouvent souvent au service de la caricature.  Dans ce contexte, je voudrais partager une idée qui m’est venue après coup à propos de la scène si étrange où l’on voit monté en spectacle public l’accouplement de deux jeunes personnes.  Et si cette scène était la caricature du « mariage réparatoire » que nous avons vu dans « Primadonna » ?  Ce qui m’a suggéré la comparaison, c’est la phrase « union de deux familles » qui est commune aux deux cérémonies.  On pourrait penser plutôt à une caricature du mariage à l’italienne en général, tel que nous l’avons vu au printemps, satirisé là aussi, dans « Il reste encore demain ».  Mais on pourrait voir plus précisément dans la réticence des deux jeunes à passer à l’acte la contrepartie ironique de la supposition, vraie ou fausse, dans le cas des enlèvements et des fugues, que ce serait déjà un fait accompli, d’où la nécessité d’une « réparation ». Il y a le même genre de renversement ironique dans le fait que la Parthénope de la mythologie était « la sirène à la voix vierge » (de PARTHENOS, « vierge » et ORIS « bouche »), alors que la fille du film est tout sauf vierge.  Et si Naples n’est pas la Sicile, ils partagent néanmoins une certaine mentalité méridionale commune, y compris cette notion de « l’honneur » qu’il s’agit de sauver.  Cette lecture de la scène pourrait en expliquer un certain nombre de bizarreries : toute une salle d’adultes en robes longues et tenue sombre assis comme au spectacle ; la mère qui dit à son fils « fais comme je t’ai appris », ce qui suggère un préalable entraînement incestueux, et qui lui tape sur les fesses pour l’encourager ; les applaudissements une fois l’exploit accompli.  Ce seraient autant d’éléments de charge caricaturale.  Evidemment, je n’aurais pas pensé à un tel rapprochement si je n’avais pas vu l’autre film juste auparavant, mais connaissant mieux que nous la culture de leur pays, le publique italien auquel le film était destiné en priorité aurait peut-être pu le faire sans ce catalyseur fortuit.  Et cela donnerait un sens à une scène bizarre, extravagante, baroque, amusante si l’on veut… mais autrement gratuite.

Don Monson 

MICHEL BLANC: la mort sur un malentendu

« Qu’est-ce que tu nous fais, Michel? » s’est écrié ton pote Jugnot. Il nous a ôté les mots de la bouche car c’est vrai qu’on a eu du mal à réaliser et on a cru, Jean-Claude, que c’était encore une de vos Splendid blagues.

Qu’est-ce qu’elle a foutu La Mort, elle s’est trompée de client, il y a eu « un malentendu », c’est pas possible autrement !  A moins qu’elle se soit présentée sous les traits d’une jolie roumaine et vous ait trouvé très beau : aviez-vous mis votre Tenue de Soirée ce jour-là ? Certainement! Avez-vous cru que là-bas vous alliez bronzer et peut-être même faire du ski ? Non, M. Blanc, on est dans le noir tout le temps là-bas, comme seul sur un télésiège la nuit, on a froid malgré une combinaison jaune canari et on ne peut plus chanter. On ne peut que Marcher à l’ombre, et si on ne maîtrise pas La Meilleure Façon de marcher, on attrape « des entorses qui s’infectent ». Vous avez été victime d’une arnaque suite à une Grosse fatigue ou à une Mauvaise Passe que vous n’avez pas pu gérer, il ne peut en être autrement. On vous a menti et vous, vous avez cru au PèreNoël ! et pourtant Gérard vous l’avait bien dit : Le Père Noël est  une ordure ! C’est pour ça que là, vous les avez lâchés vos Splendid compères. Tout comme il vous avait dit, Gérard, que le télésiège allait bientôt fermer : comment avez-vous pu être naïf à ce point ? Pourquoi ne pas l’avoir écouté ?

Cependant, en prenant de l’âge, vous avez senti qu’on commençait à vous prendre au sérieux : même si, toujours loser car manipulé et naïf, ce Monsieur Hire vous a tout de même ouvert une porte sur L’exercice de l’État. Plus tard Les Témoins vous ont vus aller chez une copine qui n’était pas la vôtre… Tout de même Monsieur le juge, reconnaissez que Marie-Line vous a permis de renouer avec un amour de jeunesse, un vrai : on ne peut pas vous reprocher d’avoir embrassé qui vous vouliez.

Enfin tout ça pour dire que vous nous avez fait éprouver beaucoup d’émotions : le rire, la compassion, les larmes aussi, en nous montrant ce dont vous étiez capable,  toutes les facettes de ces personnages que vous avez su incarner en vous dépouillant du costume étriqué de Jean-Claude Dusse, (dont certains vous croyaient vêtu à jamais) pour en endosser d’autres bien plus mystérieux et insaisissables, troublants et émouvants.

Au milieu de toutes vos Petites Victoires  on va tout de même vous faire un reproche : celui d’avoir conclu trop vite malgré le malentendu évident dont vous avez été une fois de plus victime, alors que le chemin aurait dû être encore long : M. Blanc, on vous en veut de nous avoir fait fausse route malgré vos satanées « entorses infectées » mais sans doute grâce aux « comprimés contre les renards. »

Chantal

TATAMI, Guy NATTIV & Zar Amir EBRAHIMI

Quand un réalisateur israélien et une actrice iranienne décident de s’unir pour réaliser un film ensemble ça donne Tatami, film magistral et courageux d’un bout à l’autre. Choisissant délibérément le noir et blanc assorti d’un format carré, ce film nous bouleverse par son énergie dans la façon de filmer, l’énergie de la jusqu’au-boutiste Leïla (Arienne Mandi) en passant par les hésitations et revirements de Maryam (Zar Amir Ebrahimi), coach de Leïla, énergique elle aussi puisque son admiration pour cette dernière lui permettra aussi de se libérer elle-même.

Dans un pays où la femme est privée d’une liberté qui nous parait minimale, à savoir découvrir sa chevelure et désobéir à un homme, qu’il soit père, frère, époux, quand ce n’est pas le guide suprême en personne, ce film nous montre par le biais d’un sport, le judo, que la vie d’une femme iranienne est un combat de tous les instants, que les décisions qu’elle prend malgré les interdictions et les menaces, font d’elle une femme d’exception, une héroïne, une vraie ! L’interdiction ici, en plus de l’obligation pour une femme d’être voilée, est celui de combattre contre un ennemi juré : une athlète israélienne.         

Le choix du noir et blanc donne au film une note particulière d’expressionnisme : les athlètes filmées dans des sous-sols glauques, des vestiaires sinistres, des couloirs et des escaliers qui n’en finissent pas, tous ces plans d’enfermement, ces espaces labyrinthiques où on étouffe et est à l’étroit, d’où on ne peut s’échapper si ce n’est par un long couloir qui mène à la lumière, au ring de boxe que devient le tatami sur lequel Leïla se bat sans relâche, avec courage et détermination, dans un espace inondé de lumière. En parallèle aux séquences de combat, on se retrouve dans l’appartement de Leïla où toute sa famille suit avec un enthousiasme grandissant les exploits de cette dernière qui est là pour remporter une médaille d’or, elle qui veut être la fierté de sa famille et de son pays. Cette famille qui la soutient sans discuter, son mari, Nader (Ash Goldeh), époux moderne qui laisse partir sa femme, ne lui mettant aucune entrave et la poussant dans ses choix ; Leïla met-elle en danger son mari et son fils ?  Il s’enfuit avec le petit garçon, sans le moindre reproche à sa femme, une femme forte qu’il aime, admire et respecte.  

Autour du tatami, le public se devine par ses cris, de même le journaliste sportif qui commente les actions des athlètes est quasi invisible. Seuls les responsables de l’organisation de cette coupe du monde le sont un peu plus notamment Stacy puis les agents de sécurité, mais on remarque surtout les plans en plongée, de l’étage où sont regroupés les officiels du régime, ceux qui téléphonent sans cesse à Maryam pour qu’elle obtienne l’abandon de Leïla ; ceux qui utilisent le chantage pour faire plier Leïla en lui envoyant une vidéo de son père déjà arrêté par la police. Toutes les intimidations viennent de ces hommes et de leur regard de haut, écrasant les héroïnes sous le poids de la culpabilité, des sonneries incessantes des portables de Maryam et Leïla, la peur et l’angoisse se lisant sur le visage de la première, la peur mais aussi la rage et la détermination plus fortes que tout sur le visage de la seconde. Les deux femmes ont une trajectoire parallèle : la première, Maryam, des années plus tôt, n’a pas su ou pu résister aux injonctions des hommes puissants qui l’ont forcée à mentir sur une soi-disant blessure pour qu’elle renonce à affronter l’ennemi juré ; Maryam par le biais des pressions faites sur Leïla, revit cet épisode peu glorieux de sa vie d’athlète, et ressent sans doute une forme de honte pour elle-même mêlée à son admiration d’autant plus forte pour Leïla faisant un chemin inverse fait de résistance et de désobéissance, Leïla qui n’en démord pas, qui ne renoncera pas quel que soit le prix à payer, malgré les menaces, ou le chantage. Leïla dit NON.

La scène finale où le piège est sur le point de se refermer sur Maryam qui, dans une réaction de survie et de courage insuflé par Leïla, échappe dans une course effrénée à ceux qui veulent lui faire payer son incapacité à faire fléchir celle qu’elle entraîne, est un moment haletant qui m’a rappelé Rudolph Noureev et sa course dans l’aéroport du Bourget en juin 1961 pour échapper à la surveillance des hommes du KGB chargés de le faire monter dans un avion pour le ramener en URSS après une tournée en France.

Maryam se retrouve à bout de souffle dans les bureaux du comité d’organisation du championnat auprès de Stacy et Jean Claire où Leïla a elle aussi déjà trouvé refuge.

Les visages expriment à eux seuls la lutte, la tension, la résistance, la douleur. Leïla arrache le voile qui l’étouffe littéralement lors du combat ; Maryam retouche toujours son voile, s’assurant qu’aucune mèche ne dépasse mais montrant peut-être aussi à quel point il est encombrant, et surtout emprisonnant ; ce voile est une chaîne dont elle finira par se débarrasser.

On ressort admiratifs et émus de ce film haletant à la portée politique incontestable, résonnant fortement dans le contexte politique mondial qui est le nôtre aujourd’hui.   

Chantal

Quand Vient l’automne-François Ozon

Autorisez-moi quelques notes sibyllines sur ce bon film que je ne veux pas risquer de divulgâcher, mais qui parleront à ceux qui l’on vu.

Dans cette belle histoire de vie, celle de deux vieilles dames, chargée d’un passé un peu lourd, inutilement mais efficacement culpabilisant, et d’un présent porteur d’une belle et solide amitié (Hélène Vincent, Josiane Balasco), de générosité quotidienne et de petits bonheurs simples, surviennent des événements parfois cruels, involontairement cruels, telle cette fille (Ludivine Sagnier) qui a tant (et symboliquement) besoin d’argent, et parmi ces choses de la l’a vie, l’une interroge davantage encore…

Rencontrant des fidèles de l’Alticiné, elles me demandent, vous avez vu ce film d’Ozon, alors que je répondais oui, elles me demandent : Alors l’a-t-il fait ou non ?

Chacun peut y aller de sa supposition.

Mais s’il avait été reconnu qu’il l’avait fait, que serait-il advenu ? Nous connaissons la réponse, au lieu de quoi, nul ne sait, et la vie continue. C’est ainsi qu’un jeune homme en difficulté (le remarquable Pierre Lottin) nous apparait gentil, toujours prêt à rendre service, bien inséré dans la vie de son village… Ce que ne lui aurait été aucunement permis s’il avait été reconnu qu’il l’avait fait. Ozon s’attaque sans en avoir l’air, en toute simplicité, à l’un des piliers de notre société, si bien analysé par le philosophe Michel Foucault.

On s’amuse aussi des vicissitudes de la mémoire d’enfance, qui décidément est une invention utilitaire au jour le jour (on a la mémoire dont on a besoin ici et maintenant). On suit les évocations douloureuses et chargées de ressentiments de la fille… jusqu’à l’épisode des champignons et un peu au delà..Et vers la fin du film on jubile d’entendre Lucas, le petit fils (Paul Beaurepaire) dire qu’il a toujours aimé les champignons.

Si vous avez eu la patience de lire ces lignes, ce qui est méritoire, allez voir ce film modeste qui l’air de rien fait son oeuvre.

Georges

PS : 3/11, Maintenant que ce film est passé, je me sens un peu plus libre pour en parler, j’ai aimé dans ce film les différentes possibilités de lecture qu’il offrait aux spectateurs. Il y a des sortes de fourches (chiasmes?) dans le récit alors, vous prenez une route ou l’autre. Michelle ramasse des champignons, Marie-Claude lui fait remarquer qu’elle en a ramassé un qui n’était pas comestible, elle continue sa cueillette…Prépare ses champignons que seule sa fille aime, et empoisonne sa fille… qui en réchappe ! Volontaire ou involontaire ? le spectateur a le choix. S’il considère que l’acte est volontaire, il se dit que cette grand-mère veut son petit fils pour elle seule et ou que sa fille qui la juge mal et lui demande de l’argent sans cesse, lui est insupportable. Mais on peut aussi estimer que c’est un accident et continuer, d’ailleurs, c’est le plus probable. Mais survient une seconde fourche, Vincent (fils de Marie-Claude) se rend chez Valérie (la fille de Michelle), elle va sur le balcon, elle monte sur un tabouret pour prendre des cigarettes, cachées là… et elle tombe par la fenêtre. Là encore, le spectateur peut choisir, accident ou meurtre ! De sorte qu’il y a autant de film que de spectateurs, les A-B , les ni A ni B, les A et non B, les B et non A …et s’il y a meurtre, il n’est pas puni. Et ici, qu’il ne le soit pas rend la vie de tous, tellement plus belle…

Langue étrangère de Claire Burger


Native de Lorraine, proche de la frontière franco-allemande, la réalisatrice de – Langue étrangère exprime avoir un rapport particulier à la double culture.
Elle souhaitait en écrivant le film en période Covid, période o combien perturbante pour tous, que – Langue étrangère incarne l’Europe qu’elle voit comme la promesse d’un avenir. Elle voit le passage d’un pays à l’autre comme un pont vers l’Europe espérée.
La montée de l’extrême droite, qui vient bousculer cette construction lui a donné l’idée de ce film comme une métaphore des amitiés franco-allemandes en mettant en avant les différences de vision des deux côtés et le poids de l’histoire. Les parents, les grands parents apportent ainsi leurs pierres à l’édifice dans leurs propres histoires, leurs origines et leur passé. On sent que tous sont déstabilisés, un peu perdus et regardent vivre leurs ados sans parfois trop comprendre ce qui les animent et semblent impuissants à les aider.

Claire Burger, en observant cette jeune génération a pu constater les difficultés de beaucoup d’adolescents, de jeunes adultes. L’anxiété, l’angoisse, la peur du devenir influent ainsi sur des comportements allant parfois jusqu’au pathologique. Léna la jeune allemande le dit dans le film : j’ai peur de tout…. Vieillir, le fascisme, que rien ne change…
Toutefois la réalisatrice souhaitait amener de l’émotion dans toutes ces choses théoriques. L’histoire d’amour qui nait entre les deux filles apporte douceur et humanité.
La rencontre entre les deux correspondantes ne se fait pas simplement. Très vite, Fanny la jeune française l’exprime par cette jolie phrase : « Ma correspondante ne me correspond pas « mettant ainsi en relief ce que représente ces échanges linguistiques et culturels.
Finalement, elles finiront par se correspondre et s’accorder autour de ce qui les rapproche. Ainsi pour s’accorder à Léna, Fanny franchit le pont jusqu’à inventer une sœur rebelle, une sensibilité politique pas forcément naturelle pour elle. On la sent fragile dans ses opinions, guettant toujours l’assentiment de sa correspondante, moins ferme dans ses convictions et très seule. Il lui est certainement plus facile de mentir pour s’adapter à l’autre que de se dévoiler. On apprend que le mensonge est chez elle une façon d’être, qu’elle invente et on ne sait plus trop parfois qu’elle est la part de vérité et de leurres.
Les deux comédiennes tout en subtilité nous font vivre la rencontre, l’évolution de la relation, les difficultés familiales, la vie des adolescents d’aujourd’hui, pas si différente de notre propre adolescence. Les aspirations restant proches avec toutefois moins de légèreté peut être. Comme moins de promesses à venir …
La chute du mur, les événements la précédant à Leipzig et l’histoire de la seconde guerre mondiale évoque les difficultés à construire toute relation. L’histoire entre les deux jeunes filles peut être vue comme une métaphore de ce que l’Europe peine à mettre en place de façon solide.

Toutefois la fin, qui on le ressent installera chez les deux ados quelque chose de nouveau nous laisse sur une note positive. La rencontre, l’alliance a bien eu lieu.
Quant à son devenir ? tout reste à dessiner. Tout comme notre propre histoire dans la grande à venir.

Sylvie






Dahomey-Mati Diop

A quoi fait penser le mot Dahomey ? Pour les plus anciens, à une ancienne colonie française de l’AOF, mais parmi les plus jeunes, un certain nombre d’entre eux ne sait pas que depuis le 30 novembre 1975, république du Bénin est le nom donné à la république du Dahomey.

Le film Dahomey, ours d’or de la dernière Berlinale, réalisé par la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop, née en 1982 à Paris d’un père musicien sénégalais et d’une mère française photographe, est un film hybride mêlant fiction fantastique et documentaire.

A travers la voix sortie des limbes de l’un de ses artefacts royaux, le film nous plonge dans un voyage saisissant, dont la charge politique est amplifiée par cette atmosphère fantastique très puissante, identique à celle qui parcourait le film Atlantique en 2019.

Ce film est construit à partir de la restitution, par la France le 10 novembre 2021, à l’issue d’un processus long de plusieurs années, de 26 trésors royaux au Bénin, colonie française jusqu’en 1960. Ces 26 œuvres ont été volées en 1892, sous le règne du roi Béhanzin, lors du sac d’Abomey par les troupes du colonel Dodds, lui-même métis originaire de St. Louis du Sénégal et ont été remises au musée d’ethnographie du Trocadéro. Une première demande de restitution a été formulée pendant la présidence de François Hollande qui l’a refusée. Celle-ci a été renouvelée par Patrice Talon , élu président de la République du Bénin en 2016, et acceptée par Emmanuel Macron.

Cette restitution est certes la première et a pris du temps. Il a fallu voter une loi au Parlement car ces œuvres étaient la propriété inaliénable de la république française.

Pour Mati Diop, il était important de donner un point de vue aux œuvres, qu’elles soient actrices ou narratrices de leur épopée. Ce parti pris a structuré la manière d’approcher ces séquences au quai Branly et pour tout le parcours à suivre.

Elle voyait le conservateur qui avait été missionné depuis le quai Branly pour accompagner le retour des œuvres jusqu’au Bénin comme un gardien garant des œuvres qu’il accompagnait d’un monde à l’autre, qu’il partageait un langage secret avec elles et que nous avions l’impression d’assister à un rite funéraire.

Il était important de faire parler toute cette communauté d’âmes à la première personne, à travers l’expérience d’un homme exilé qui rentre au pays.

Je tenais, dit-elle, à ce que la voix des trésors, en langue fon, soit écrite par une écrivaine ou écrivain haïtien. En effet, Haïti est peuplé de descendants d’esclaves qui ont été déportés du golfe du Bénin. Le royaume du Dahomey est le berceau de la spiritualité du vaudou qui a traversé l’Atlantique jusqu’en Haïti.

Dans la deuxième partie du film, Mati Diop interroge sur la façon dont les jeunes de l’université d’Abomey Calavi ont perçu cette restitution. Elle redonne à ce débat toute sa complexité et saisit l’opportunité de laisser s’exprimer une jeunesse qui n’avait jamais été entendue sur la question.

Elle-même, en tant qu’afrodescendante, opère, depuis 2008, un processus de retour vers ses origines africaines qui s’apparente à un processus de désoccidentalisation. Pour elle, il faut, en premier lieu, décoloniser nos imaginaires.

Puis-je vous faire une confidence : pour moi ce film est une pépite, même si je ne suis pas sûre d’être objective !

Marie-Christine

Le Journal de Dominique-Prades 2024 (4)

            Sur mon portable, un sms : « Info trafic : Votre train 877658 du 25/07 (départ 12h 14) est impacté en raison de contraintes de production. En conséquence la gare de  n’est plus desservie ». On pourrait savoir de quelle gare il s’agit ?

            (A mon retour à Montargis, un mél m’en apprendra un peu plus : « Bonjour, Nous vous informons que la circulation de votre train 877658 du 25/07 à destination de  PERPIGNAN est perturbée en raison de contraintes de production. En conséquence la gare de  PRADES – MOLITG-LES-BAINS n’est plus desservie. Nous vous invitons à vous rendre sur les canaux habituels pour avoir plus d’informations sur la possibilité de suivre votre voyage ». Il était temps de me prévenir, le message datant du 27, soit le lendemain de notre voyage présumé)

            Heureusement que nous avions annulé les billets… 

            (2004. « Irène est en tournée avec « Sale Affaire », un One Woman Show, dans le nord de la France. Elle rencontre Dries, un porteur de géants… C’est le début d’une histoire d’amour ! Histoire d’amour, qui a d’étranges résonances avec le spectacle qu’Irène joue sur scène[1]… »)

            … que Yolande Moreau a co-réalisé avec Gilles Porte, son directeur de la photographie. Elle pensait que le film passerait sur Arte à minuit mais il reçoit deux César (meilleur premier film et meilleure actrice) ainsi que le prix Louis Delluc. Il bénéficie du bouche à oreille → bien qu’elle n’aime pas les biopics, possibilité de faire Séraphine (Elle est attirée par ce qui est borderline +, à l’âge de 17 ans, a fait de la peinture parce qu’elle était interdite de sortie -voir plus bas-. Elle aime l’écriture cinématographique, proche de la peinture).

            Film qui traite de la solitude des acteurs pendant leurs tournées. Quand elle jouait Sale Affaire, Yolande Moreau était parfois seule, parfois avec son mari. Elle se souvient de la vieille DS dans laquelle il lui arrivait de dormir.

            Le titre fait référence…

            (« Quand la mer monte / J’ai honte j’ai honte / Quand elle descend / Je l’attends / A marée basse / Elle est partie hélas / A marée haute / Avec un au autre »)

             … à la chanson de Raoul de Godewarsvelde.

            Dans les dunes, les nattes qui s’envolent sont soulevées par un fil à pêche.

            10h 45. Salle Jean Cocteau, rencontre avec Yolande Moreau.

            Vient d’une famille de trois enfants avec pas beaucoup d’argent. En boulle avec ses parents qui posaient beaucoup d’interdits quand elle voulait vivre. Fulminait de ne pouvoir sortir avec des garçons.

            A l’âge de 21 ans, se sépare du père de ses deux enfants en bas âge qu’il s’agit de faire vivre.

            Prend des cours de diction.

            Commence par faire des spectacles pour enfants.

            A un déclic en voyant un spectacle de Zouc.

            Fait une école de clown à Paris. Son prof lui dit, Tu dois écrire. C’est flatteur et  déterminant.

            Vit de petits boulots et d’impros dans les cafés bruxellois (pas de hiérarchie comme à Paris) où elle passe, masquée, cinq minutes entre deux autres, essaie des choses devant les gens, encouragée par un ami magicien qui la pousse, Tu penses pas à l’avance, tu vas sur scène. Se souvient que la première fois elle est restée sans rien dire, au bout d’un moment elle a tapoté le micro, ça a fait rire, alors elle l’a retapoté. Mais ensuite il faut bien trouver autre chose.

            Repérée à Avignon par Agnès Varda qui l’engage pour son court métrage 7 p., cuis., s. de b., … à saisir et lui dit, A bientôt pour un long. Ce sera Sans toit ni loi. Agnès Varda : la femme la plus surprenante et anti-conventionnelle qui soit. Ses scénarios tiennent sur deux pages, elle écrit ses dialogues sur le capot d’une voiture. Travaille avec une équipe soudée, On se revoit.

            Rejoint en 1989 la troupe de Jérôme Deschamps et Macha Makeieff. Interprète Lapin chasseur et C‘est magnifique dont des extraits nous sont projetés. Confiance envers les toutes petites choses. Pendant douze ans (1993-2002) : fait partie de Les Deschiens sur Canal +, aux côtés (entre autres) de François Morel et Philippe Duquenne. C’est avec ce dernier qu’elle teste sa popularité en se rendant très lentement aux toilettes d’un café pour voir si les autres consommateurs les reconnaissent (ne nous dit pas si ce fut le cas, je gage que non).

            Difficile de faire autre chose (il faut une autorisation de sortie) quand on fait partie de la troupe Deschamps. Joue, contre son avis, dans le film, pas très bon, Tout doit disparaître, ce qui lui vaut un tsss désapprobateur quand elle le revoit.

            Fait une apparition dans Le Hussard sur le toit

            Parcours marginal : théâtre, cinéma à plus de 50 ans → syndrome d’imposture.

            Dix ans ce sont passés entre chacun des films qu’elle a réalisés, Si je fais le prochain… En 2016, a néanmoins tourné, en trois semaines, un documentaire pour Arte, Nulle part en France, sur la jungle de Calais, C’était agressant de venir filmer là, dit-elle. Raconte le camp à travers l’histoire d’un jeune. Il y a peu de femmes, ce n’est pas évident pour elles. Poèmes de Laurent Gaudé sur la distance, le vent.

            14h. Je fais l’impasse sur The Queen de Stephen Frears…

(Mais comme j’assiste à la projection du septième épisode de State of the union, je bénéficie de la présentation que N. T. Binh fait du film, à savoir que :

            S. Frears est un peintre ironique de la société britannique mais il échappe aux étiquettes.

            Il a été surpris de la réception chaleureuse qu’a reçue le film en France et en Espagne.

            C’est la suite d’un téléfilm, The Deal, qui a pour sujet la rivalité entre Tony Blair et son concurrent Gordon Brown.

            Le scénariste a ensuite écrit la série The Crown.

            Stephen Frears vient de terminer un tournage épuisant. Il est réconforté par l’accueil que lui fait Prades. Richesse des échanges avec le public, inconcevable en Grande Bretagne)

…revu il y a peu, pour aller à l’Espace Martin Vivès où sont exposées des marines du peintre pradois, il était temps qu’on le retrouve en lieu et place des photos de films qu’on y voyait depuis plusieurs années en cette époque.

            Au passage, je découvre le rideau métallique baissé…

(Il était temps, une dame arrive pour ouvrir la boutique -une librairie-, Ça vous plaît ? Oui)

… peint de lecteurs à minces corps rouges et grosses têtes vertes (des grenouilles ?) affublées de lunettes. A côté, sur le mur d’une étroite galerie, une jeune femme assise dans une barque (La Justinette, nom d’une boulangerie-pâtisserie) tient sous son bras gauche une baguette tandis qu’au dessus de sa main droite se tient, entouré d’un halo de lumière quasi divine (ce qui n’a pas empêché la boutique de fermer), un gâteau crémeux aux fraises.

17h. L’Amour du monde

(Suisse, 2023. « Sur les rives du lac Léman, la douce Margaux, 14 ans, rencontre Juliette, une enfant rebelle de 7 ans placée dans un foyer, et Joël, un pêcheur récemment rentré d’Indonésie suite au décès de sa mère. Trois âmes solitaires qui cherchent leur place dans la vie et qui, dans la moiteur fiévreuse de l’été, se soutiennent mutuellement pendant un bref moment. Un port de pêche idyllique devient leur lieu de retraite, le lac et la nature leurs alliés, jusqu’à ce que la réalité fasse à nouveau éclater ce trio[2] »)

… de Jenna Hasse. Encore un truc d’adolescents. Quatre films sur les six en compétition pour le prix Solveig Anspach ont pour sujets des teenagers ou des jeunes adultes à comportement d’ados. Y’en a marre !

21h. Les Vœux

(2008. « Une jeune femme fait deux promesses. Ainsi débute le conte amoureux de Bjorn le tailleur et de Colbrune la brodeuse[3] ».

Bien que l’héroïne promette son corps et non son âme -quoique-, il s’agit d’un pacte avec le diable dont elle se tire grâce à la ténacité de son amoureux)

… court métrage de Lucie Borleteau est suivi de

A mon seul désir

(2023. « Vous n’avez jamais été dans un club de strip-tease ? Mais vous en avez déjà eu envie … au moins une fois… vous n’avez pas osé, c’est tout. Ce film raconte l’histoire de quelqu’un qui a osé[4] »)

… de la même.

Regard féminin sur le strip-tease.

Intérêt pour l’ailleurs.

Le film aborde aussi la vie sentimentale (compliquée du fait de leur activité) de ses deux protagonistes principales et leurs aspirations artistiques (être actrice) plus « sérieuses ».

 La réalisatrice, qui devait être là ce soir, a été retenue à Montpellier par le tournage d’une série. On ira la chercher demain.

            Je zappe la séance de 9h. Pas envie de revoir Chanson douce (Lucie Borleteau, 2019) vu avec JC parce qu’il aimait bien Karin Viard, mais le sujet… Et un peu de repos ne me fera pas de mal.

            Je  me  pointe  au  restaurant   vers 12h 15.  La  table  habituelle  des  Cramés  est  vide

d’occupants → j’attends dans le canapé du palier. A 12h 25, personne n’est arrivé. Je retourne

dans la salle de resto et c’est là que je les aperçois, à une autre table, en compagnie de Stephen Frears et de N. T. Binh ! Toutes les chaises sont occupées. Constatant mon embarras, la dame qui prend les tickets me trouve une place avec le jury jeune.

Bientôt, Annie vient me trouver. Elle me dit que le cinéaste et le critique, voyant deux places libres, leur ont demandé s’ils pouvaient déjeuner avec eux : il n’était of course pas question de dire, Non, nous attendons Dominique Bonnet (qui ça ?). Mais ce qui me fait marronner, c’est qu’elle m’apprend qu’ils ont pris des photos avec eux. Merde alors !

Pendant que je mange mon poisson plein d’arêtes en essayant de ne pas en avaler  m’étrangler avec pour finir à l’hosto comme le grand Def, je cogite sec cerveau en ébullition. Et après avoir attendu la fin du dessert (une sorte de brazo de gitano bourré de crème), je prends mon courage à deux mains : je me lève, me dirige d’un pas ferme vers la table et, m’adressant à Stephen Frears, je dis…

(Quand je rapporterai ma phrase à mon amie Annick, je ne m’appliquerai pas à bien prononcer et elle s’en amusera, Oh, l’accent ! -Du pur Maurice Chevalier-)

… avec mon meilleur anglais sorti du fin fond de ma mémoire : I am a Cramée de la bobine like all the people (excepté le barbudo mais je ne le dénonce pas) around the table. I heard they took a photo with you. Could I have one too ?

Inutiles efforts linguistiques puisque le bruit de la salle couvre ma voix, seul m’entend N. T. Binh qui répète ma demande au cinéaste, lequel acquiesce tandis que très élégamment (ah merci merci) le critique se lève, me laissant sa place près de Stephen Frears et s’offrant à prendre le (les, sur les premières je suis un peu crispée mais la quatrième est la bonne) cliché(s) du siècle. Et quand les autres ont une photo de groupe (j’en prendrai ensuite une, superbe, de tous les deux), j’ai Mr Frears pour moi toute seule. Na na nè reu !

Après quoi je regagne ma table vidée de ses occupantes (le jury jeune : rien que des filles, mais où sont les garçons ?) et, lassée de ma solitude, vais me rasseoir dans le canapé du palier quand, dans le fauteuil d’à côté, j’avise un monsieur aux yeux fermés derrière ses lunettes, on dirait bien… Stephen Frears, cependant les lunettes… Mais quand le barbudo lui apporte un café, qu’il ôte ses verres et dit avec un délicieux petit accent anglais, Le sommeil… mais oui, c’est bien lui, ce sont les lunettes (première fois que je le vois en porter) qui m’ont perturbée ! Alors, discrète telle Shéhérazade, je m’éclipse afin de le laisser se reposer et qu’il ne croie pas que je le harcèle…

Ce soir, N. T. Binh annoncera qu’à la demande de son assistante le cinéaste était censé rentrer à Londres hier. Obliger un vieux monsieur de 83 ans à prendre l’avion en fin de journée après son intervention sur The Queen ! L’Inhumaine ! Mais il s’est doucement  rebellé (thank you Mr Frears), Vous voulez que je reste, Oui, Eh bien je reste. Et c’est cet après-midi seulement, après sa courte sieste dans le fauteuil susmentionné, qu’on l’a emmené à Blagnac, là où les avions sont plus beaux.

14h. Nievaliachka – La Poupée qui ne tombe pas, court métrage documentaire (2003) de Lucie Borleteau, pas très clair pour moi. Elle accompagne dans sa famille en Russie une amie dont je ne comprends pas très bien qui elle est : elle dit que sa mère, qui avait quitté son pays pour la France, lui envoyait des cadeaux pour Noël (et encore pas tous les Noël) alors qu’elle-même semble vivre aussi en France (elle parle un français comme vous et moi). Les deux n’ont-elles pas vécu ensemble ? Bref soit je suis idiote (ou fatiguée) soit le film n’est pas maîtrisé, (me fait l’effet d’un brouillon). Il est suivi de

Fidélio, l’Odyssée d’Alice

(2014. « Alice, 30 ans, est marin. Elle laisse Félix, son homme, sur la terre ferme et embarque comme mécanicienne sur un vieux cargo, le Fidelio. A bord, elle apprend qu’elle est là pour remplacer un homme qui vient de mourir et découvre que Gaël, son premier grand amour, commande le navire[5] ». Sexe et désir, déjà)

… premier long métrage (romanesque et intime à la fois ; femme seule au milieu d’hommes) de Lucie Borleteau (elle a fait l‘expérience du voyage sur un porte-container), que j’ai plaisir à revoir et qui est, à mon avis, son meilleur.

Emotion quand un personnage se met à chanter quelques vers de Mémère.

17h. Je n’assiste pas à la projection de 1996 ou les malheurs de Solveig de Lucie Borleteau. Pas plus qu’à la rencontre qui suit avec elle, tant pis, besoin de prendre un peu le large pour me préparer, ce soir à

21h 15, à la soirée de clôture et la remise des prix.

Coup de cœur du jury jeunes : Séraphine. Parfait.

Mention spéciale : Emilia Pérez. Bravo.

Prix du court métrage : Maman t’avait dit

(France, 2023. « Dans la peau d’une femme qui rentre tard chez elle après une soirée… sous la forme d’un jeu vidéo[6] »)

… de Cécile Cournelle. Très bien.

Prix Solveig Anspach : Young hearts. Bof… De toute façon, pour mon goût aucun ne méritait le prix, alors pourquoi pas celui-là, au moins il est bien réalisé.

Le film qui met fin à ces belles rencontres : En fanfare

(France, 2024. « Thibaut est un chef d’orchestre de renommée internationale qui parcourt le monde. Lorsqu’il apprend qu’il a été́ adopté, il découvre l’existence d’un frère, Jimmy, employé́ de cantine scolaire et qui joue du trombone dans une fanfare du nord de la France. En apparence tout les sépare, sauf l’amour de la musique. Détectant les capacités musicales exceptionnelles de son frère, Thibaut se donne pour mission de réparer l’injustice du destin. Jimmy se prend alors à rêver d’une autre vie[7]… »)

… d’Emmanuel Courcol.

Comédie d’auteur portée par les comédiens (Benjamin Lavernhe, Pierre Lottin).

« Attention les trompettes, je voudrais qu’on attaque ensemble ». Et je pense à l’orchestre d’amateurs dans lequel la maman de JC jouait du violon et à la remarque du chef, Là, vous êtes censés terminer tous ensemble… Ça me fera toujours rire.


[

            DansL’Indépendantdu jour, interview de Stephen Frears. Il y déclare avoir appris un mot qui lui était inconnu : laïcité. Qu’un homme cultivé comme lui, au courant de faits de société, n’en ait jamais entendu parler en dit long sur le multiculturalisme d’Etat britannique. Un sujet de film ?

1] https://www.lacid.org/fr/films-et-cineastes/films/quand-la-mer-monte

[2] https://www.youtube.com/watch?v=rPPhahZPaBQ

[3] https://www.unifrance.org/film/29718/les-voeux-histoire-de-colbrune-et-bjorn

[4] http://distrib.pyramidefilms.com/pyramide-distribution-a-l-affiche/a-mon-seul-desir.html

[5] https://store.potemkine.fr/dvd/3760129730475-fidelio-l-odyssee-d-alice-lucie-borleteau/

[6] Catalogue des Ciné-Rencontres

[7] https://diaphana.fr/film/en-fanfare/

À son image-Thierry de Peretti

Tous les amateurs du cinéma de Thierry de Peretti attendaient ce film, le voici, en ce moment même à l’ALTICINE, il est inspiré du roman éponyme de Jérome Ferrari, c’est une histoire à la fois fragmentaire et très construite, qui laisse le spectateur tisser ses propres liens.

Tous ceux qui ont vu la remarquable tragédie  « une vie violente » seront plus à l’aise avec cette histoire Corse fin de siècle, toile de fond de ce dernier film qui est avant tout une brève histoire de femme.

Nous sommes dans cette sanglante période Corse avec  ses revendications indépendantistes, ses combats contre le pouvoir central français, (I Francesi Fora) ces luttes intestines où se retrouvent et s’affrontent diverses tendances, où se mêlent fatalement, barbouzes et gangsters opportunistes divers. Pendant ce temps, en Europe, c’est la guerre  dans l’ex-Yougoslavie.

Bref, pour Antonia, il s’agit de vivre et devenir dans cet univers tourmenté et dangereux. Depuis toujours elle aimait la photographie, (enfant, son parrain, un prêtre lui avait offert un appareil photo), jeune femme, elle a eu la chance d’être embauchée  par Corse-Matin. Elle rencontre également Pascal son premier et unique amour. Or Pascal est un indépendantiste, et c’est souvent comme ça, il va largement  déterminer l’univers relationnel d’Antonia. Mais ce  Pascal est avant tout un activiste et une  belle partie de sa vie se passe en prison. Leur relation se distend, Antonia part pour Belgrade.

À son image, est  un film de mouvement et d’action,   mais c’est aussi une réflexion sur la violence, (De Peretti est un lecteur avisé de Léonardo Sciascia), sur l’image et ses limites*, et le plus important sur la vie d’Antonia 24 ans, jeune femme de son temps,  quelque part à Ajaccio, Corse, dans ces années là.

Georges

*À son image est un titre qui exprime divers signifiants.