« Seule sur la plage la nuit » de Hong Sang-soo

Ours d’Argent de la Meilleure actrice

Du 22 au 27 février 2018

Soirée débat mardi 27 février à 20h30

Film coréen (vostf, janvier 2018, 1h41) de Sang-soo Hong avec Min-Hee Kim, Young-hwa Seo et Hae-hyo Kwon

Distributeur : Capricci Films / Les Bookmakers

Dossier de presse *** Bande annonce ***Présenté par Françoise Fouillé

Synopsis : Quelque part en Europe. Younghee a tout laissé derrière elle : son travail, ses amis et son histoire d’amour avec un homme marié. Seule sur la plage, elle pense à lui : elle se demande s’il la rejoindra. Gangneung, Corée du Sud. Quelques amis trinquent : ils s’amusent de Younghee qui, ivre, se montre cruelle à leur égard. Seule sur la plage, son coeur divague : elle se demande combien l’amour peut compter dans une vie. 

 

« le cinéma, c’est mieux que la vie » François Truffaut

La fiction c’est mieux que la réalité, mieux qu’une réalité imposée, mieux que la vie. « Seule sur la plage la nuit » en est une illustration.
Illustration à la Hong Sang-soo, c’est un film mais aussi son histoire, donc bien compliquée dans de très belles images bien limpides, zoomées souvent. C’est clair comme de l’eau de roche sauf que quand les images commencent à s’ajouter, à s’empiler, on serre bien fort le fil conducteur et on finit cramponné pour être sûr de ne pas le lâcher. Et comprenne qui peut, qui veut.

D’abord il y a Schubert. Pourvu que le pianiste soit européen… ouf ! il l’est ! J’ose dire dans ce blog assez confidentiel que, autant j’admire la virtuosité technique des musiciens du soleil levant autant je trouve que pour interpréter les pièces classiques de notre vieille Europe, il faut en avoir reçu l’âme en héritage. Ca fait la différence. A coup sûr.
Hong Sang-Soo est de mon avis (ça fait drôle d’écrire ça !)
Une seule et unique phrase du Quintet en ut majeur de Schubert revient en leitmotiv encercler son héroïne Young-hee, toute à l’écoute de son enfermement.

1ère partie
Hamburg, Bratwurst, nature, extérieur et courtoisie. Et plage.
Young-hee (on ignore tout d’abord qu’elle est actrice) et l’homme marié adoré (on ignore tout d’abord qu’il est (son) réalisateur) se sont quittés et la jeune femme cherche à trouver la sérénité, à se débarrasser de ce poids sur le cœur. Elle explique sa détermination à son amie. Peut-être viendra-t-il par le vol de 06h30 … Elle est arrivée par ce vol. Elle dit qu’elle va le rejoindre. Il est peut-être déjà là. Peut-être sont-ils arrivés ensemble ?   Dans une salutation au soleil impromptue sur le petit pont de bois, elle en fait le serment : elle va vivre sa vie. Sa vie à elle. Quitte à être seule. Elle est jeune, les hommes la regardent, l’un d’eux, l’aborde dans le parc où elles se promènent pour lui demander l’heure, en coréen. Lui rappeler que le temps passe, que l’horloge tourne. Mais elle ne veut pas le voir, fuit quand elle l’aperçoit, au loin. A Hamburg, elle se régénère, mange, parle beaucoup de nourriture. Ca commence par une Bratwurst (miam, miam), déplore l’absence de soupe aux légumes pour cause de fermeture du petit restaurant  « de contes de fées »(!) et reprend de la pasta al sugo chez l’ami de son amie. A Hamburg Young-hee  est belle, elle a faim, elle marche. Arrivée sur la plage elle s’éloigne, enlevée par l’inconnu du parc, sans connaissance, pliée sur son épaule. Extérieur jour.

2ème partie
Gyeongju, soju, bière, béton, intérieurs et colère. Et plage.
Young-hee retrouve ses « amis » enfin ceux qu ‘elle connaissait avant  et ne reconnaît pas. Comme cet ami plus âgé revu à la sortie du cinéma, où on la voit d’abord seule, dans la salle peuplée de sièges vides, fixant un point, l’écran, de ses yeux rougis. Ces gens ordinaires vivent leurs petites vies étriquées alors qu’elle … Elle a rencontré l’Amour. Elle chante son air de reine de la nuit à elle debout devant le restaurant d’un autre ami où son amour à lui, lui  fait trier des haricots. Ils ne peuvent pas comprendre. Elle les exècre, images de vies qu’elle rejette absolument. Elle se fane, boit, assise, a « le soju mauvais »et s’emporte. Elle n’est plus en marche vers ailleurs, elle tourne en rond. Dans l’apparthotel avec vue sur la plage et le bleu de l’océan, de l’autre coté de la bow-window, il est là, l’inconnu. Il frotte la surface vitrée, tente de lui ouvrir les yeux, gesticule mais elle ne le remarque pas. Les autres ne peuvent pas le voir pas : il n’est visible que d’elle seule. Il s’immobilise enfin, comme scotché à la vitre, la fixe, Schubert, est venu la re-cueillir et l’éloigne, encore. C’est un moment fort. Non, le commun des mortels ne peut pas la comprendre. C’était le Grand Amour, retourné à son mariage, à son enfant. Elle l’a dit à son amie à Hamburg « Il a même un enfant ! et contre ça je ne peux rien ». Seule sur la plage, dans un sommeil glacé, elle revoit en rêve les déclarations d’amour de cet homme encensé … Il pleure. Et là, c’était comment ? « Très émouvant » s’accordent à lui répondre les stagiaires et autres assistante et scripte qui tiennent à garder leur job. On est où, là ?
Seule sur la plage, l’inconnu, hors champ, la sort de ce sommeil glacé, la remet debout. Plantant là l’inconnu, l’ange gardien, un bel homme supposé de sa vie à venir. Resté hors champ. Elle s’éloigne, seule sur la plage, extérieur jour.

Ce film m’a happée. C’est compliqué. Sûrement. On a eu bien froid en Corée le jour …  Il nous en dit beaucoup Hong Sang-soo sur l’amour,  les blessures de l’amour, les mirages de l’amour et finalement nous laisse imaginer Young-hee seule sur la plage la nuit.
Réveillée.

A revoir (- de 79 fois)

Marie-No

 

 

« 3 Billboards, Les Panneaux de la vengeance » de Martin McDonagh

 

 

Durée 115 mn

.Nationalité : Grande-Bretagne – Etats-Unis

Avec Frances Mac Dormand (Mildred Hayes) , Woody Harrelson  (Bill Willoughby) , Sam Rockwell…

Genre Drame

Nationalités : Britannique, Américain
Synopsis : Après des mois sans que l’enquête sur la mort de sa fille ait avancé, Mildred Hayes prend les choses en main, affichant un message controversé visant le très respecté chef de la police sur trois grands panneaux à l’entrée de leur ville.

 

Après avoir fait sensation au BAFTA en ne remportant pas moins de quatre prix, je ne voudrais pas que Three Billboards Outside Ebbing, Missouri, renommé en français Les panneaux de la vengeance, échappe à un article sur le blog des Cramés de la Bobine, je veux dire un vrai article, un plein article. Un article où lui seul a la vedette. Car il le mérite.

Ce film nous présente les trajets de vie de trois personnages d’Edding, une petite ville du Missouri, essayant tant bien que mal de trouver des réponses et un sens aux éventements traumatiques qui les a touchés. Le scénario se cristallise autour de trois panneaux dont le rouge va faire saigner cette petite route déserte du centre des États-Unis, panneaux dont la violence va trancher avec la tranquillité des paysages brumeux et impassibles, panneaux incriminant la police, et notamment son chef, de ne pas avoir arrêté le bourreau d’ Angela Hayes, violée et assassinée sept mois auparavant.

Dans un film classique, les personnages de la petite ville se demanderaient : « Mais qui a bien pu poser ces panneaux ??? », une enquête serait menée et à la fin du film, on trouverait le coupable. Mais pour son réalisateur, Martin McDonagh, la question n’est pas de savoir qui est coupable, ni pour les panneaux, ni pour le meurtre, mais comment on survit au traumatisme.

Et en effet, pas la peine de se demander qui a commandé cet affichage funèbre, puisque la réponse est évidente, la police, les élèves du lycée, les médias qui viennent l’interroger le savent, seule la mère d’Angela, Mildred Hayes est capable d’un tel passage à l’acte. Et même elle, lorsqu’elle est interrogée ne s’en cache, elle veut faire avancer l’enquête, que le criminel soit enfin trouvé, arrêté et jugé et pour se faire, l’omniprésence médiatique est sa seule arme pour que l’affaire ne sombre pas dans l’oubli.

Cette femme, dont l’interprétation de Frances McDormand est absolument remarquable – on a eu la chance pendant le week-end de rétrospective des frères Cohen de la voir dans des films déjantés tels que Sang pour Sang et Burn After Reading, elle livre ici une prestation subtile et dramatique – a une révélation en empruntant sa route quotidienne, celle où sa fille a été violée pendant son agonie avant de mourir. Utiliser les vieux panneaux publicitaires abandonnés quand cette route a arrêté d’être fréquentée et mettre en valeur pour y inscrire les messages : « RAPED WHILE DYING », « AND STILL NO ARRESTS » et « HOW COME, CHIEF WILLOUGHBY? » (« VIOLÉE PENDANT SON AGONIE », « TOUJOURS AUCUNE ARRESTATION » et « POURQUOI, CHEF WILLOUGHBY ? ». Elle va donc faire une offre que le publicitaire propriétaire des panneaux ne peut refuser (pour l’argent mais aussi par empathie, cette histoire a vraisemblablement marqué douloureusement toute la ville).

C’est comme ça qu’elle se lance dans ce qu’on pourrait appeler la BillboardsGate, sans vraiment réaliser la souffrance qu’elle va occasionner, ou pire, en la faisant passé au second plan. Au second plan de sa douleur, de son désir de justice, de son besoin de savoir qu’on n’oublie pas.

Car, certes les policiers incriminés vont en souffrir, la ville va la détester, mais c’est sur les amis de Mildred, le publicitaire, et surtout son fils que ça va retomber.

Son fils, qui fait face à la mort de sa sœur, explique ainsi au révérend qui vient faire la morale à sa mère, que la journée a été difficile au lycée, que les élèves sont choqués du comportement de sa génitrice et lui font payer à lui. Mais là n’est pas le plus important, il souffre lui-même de ces panneaux. Il explique dans une magnifique scène de huis clos forcé par les trajets en voiture sur cette fameuse route, que leur présence, plusieurs fois par jour, le ramène aux conditions horribles dans laquelle sa sœur a été tuée, détails qu’il aurait préféré ne pas connaître. Sa souffrance est immense, mais contrairement à sa mère qui explose de violence, il se replie dans sa coquille et essaye de ne pas faire de vagues qui dévoileraient sa colère. Pour éclairer les rapports entre lui, sa mère et sa sœur une scène de flash-back nous donne à voir ce qui s’est passé juste avant le meurtre. Ce qui aurait pu être une scène de dispute banale avec l’éclairage que nous connaissons de la fin qu’elle va prendre, devient terrible. Difficile pour la mère de ne pas culpabiliser quand elle a laissé partir sa fille à pied en lui disant « J’espère aussi que tu te feras violer. » Cette phrase résonne. Pour le spectateur, pour cette mère, mais aussi pour son fils qui l’a entendu, qui sait, et qui sait aussi que la dernière chose que lui a dite sa petite sœur c’est « Pourquoi n’es-tu jamais de mon côté ? ».

Mais le réalisateur n’en rajoute pas, il laisse juste cette brèche ouverte. La violence de cette famille est autrement plus compliquée. Notamment par le père des enfants, un policier violent, qui a visiblement tâché de se racheter une conduite en s’amourachant d’une gamine et en convainquant sa fille de venir vivre avec lui. Et ces panneaux vont inévitablement le toucher et le ramener dans la vie de Mildred, ce qu’elle avait cru pouvoir éviter…

Pourtant, si des plaintes sont posées et que tous lui en veulent, elle n’est étonnamment pas inquiétée par le chef de la police qu’elle cite pourtant nominativement sur un panneau. Et c’est là, la grande force du film : ne pas tomber dans les clichés, jamais. Les choses sont toujours radicalement différentes de ce qu’on connaît, et de ce qu’on s’imagine, comme dans la vie. Et si c’est souvent une grande force, c’est malheureusement aussi de ce côté que le film pêche un peu. Certains lui ont trouvé des lourdeurs, je préfère penser que le film a un problème de rythme. Que trop de choses sont amenées et que le réalisateur aurait pu arrêter le film avant. Mais en étant tout à fait honnête, oui, on doit pouvoir appeler cette démesure lourdeur… À chaque rebondissement je priais pour que le film s’arrête tellement on avait atteint une justesse qui inévitablement retombera comme un soufflet si on continue à souffler sur les braises de cette tragédie déjà trop développée. Et pourtant, à chaque fois Martin McDonagh arrive à nous faire découvrir une réelle subtilité amenée précisément par cette démesure. C’est fort. Très fort.

Alors même si je n’ai pas été toujours d’accord avec l’ajout d’un événement, finalement, en comprenant la possibilité sous-jacente qu’il implique, je ne peux que m’incliner.

Et pour l’expliquer, il ne me reste qu’à développer les deux autres personnages principaux.

Face à ce personnage de Mildred Hayes, il y a donc la police, et plus particulièrement deux hommes : le chef de la police : Willoughby, respecté de tous et mourant, et le policier américain lambda (non ce n’est pas à souhaiter) : violent, raciste et alcoolisé : Dixon. On a donc le bon policier et le mauvais policier… – Ça aurait pu être un sketch des inconnus, le bon policier, bon il mène son enquête et il boit, alors que le mauvais policier, il fait son enquête et bon, il boit !

Mais non, aucune caricature. Il faut s’enfoncer dans le film pour comprendre les subtilités des rapports entre ces deux-là.

Le film s’attarde d’abord sur le personnage de Willoughby, le chef de brigade, celui qui est responsable de l’enquête qui n’aboutit pas. Mildred cite son nom sur les affiches sans pourtant sembler avoir vraiment quelque chose à lui reprocher. Alors, il va venir la voir, lui expliquer une fois de plus qu’il n’y a pas d’élément et que dans ces conditions, l’enquête ne peut aboutir. Il est à l’écoute, presque réconfortant. Il finit par lui dire qu’il est mourant, espérant ainsi trouver chez elle l’empathie qui lui fera enlever ces panneaux. Qu’il puisse mourir en paix, sans ombre au tableau, en tout cas publiquement parce qu’il aurait vraiment aimé résoudre cette enquête. Mais alors là, elle lui rit au nez en lui répondant que toute la ville le sait, et que ce n’est pas ça qui va l’arrêter.

Alors, pour que sa famille ne le voie pas décliner, il décide de mettre fin à ses jours, finir dignement, dans la joie d’une belle journée arrosée et en famille. Et dans un rebondissement génial, il explique dans une lettre à Mildred qu’il a payé pour que les panneaux continuent à afficher son inaptitude à boucler l’affaire. Il dit le faire avec beaucoup d’humour pour que tout le monde la pense coupable de son suicide, mais on sent bien qu’il l’a fait à la fois pour se racheter de son impuissance et parce qu’il a entendu la démarche de Mildred. Cette affaire lui tient à cœur, et plus elle fera parler, plus la police aura une chance de coffrer le meurtrier. Ce sera son dernier geste dans l’affaire, comme un coup de pouce posthume. Et en effet, par deux fois, titillé par la médiatisation, un odieux personnage va se mettre dans la peau du tueur pour titiller son ego et se faire mousser. C’est lui le vrai méchant de l’histoire.

Et non pas cet horrible policier, réputé pour avoir tabassé des noirs parce qu’ils étaient noirs – comme quoi, Détroit, bien que film historique résonne toujours fort dans l’actualité du pays. Mais petit à petit, la personnalité de ce Dixon s’affiche dans ses failles et ses faiblesses. On le pardonnerait presque d’être violent et raciste aux vues de cette mère castratrice, violente (c’est elle qui lui souffle presque toutes ses mauvaises idées) et elle aussi alcoolique. Les chiens ne font pas des chats…

À l’annonce du suicide de son chef, qui on le comprend, est plus qu’un simple patron mais un véritable mentor qui le tient et le maintient à son poste pour ne pas qu’il plonge définitivement, il décide d’agir, de prendre les choses en main, «d’être un bon flic, d’aider les gens.». Et là. À l’écran, chose géniale qui ne se passe que trop rarement, la voix off est totalement opposée à ce qui se passe sur l’écran. Le personnage explique qu’il va être honorable, et on le voit dans un débordement de violence défenestrer le propriétaire des panneaux. Il n’a pas besoin de le chercher bien loin puisque son bureau est en face du sien. Il est fier de son acte, il explique même à sa victime «Tu vois, j’ai des problèmes avec les blancs aussi…». Ensuite, en effet, ça déborde de tous les côtés, il est viré, quelqu’un brûle les fameux panneaux, et Dixon se retrouve dans le commissariat alors que Mildred y met le feu.

Mais, comme je le disais, cette lourdeur n’est pas totalement veine, parce qu’il lit la lettre que son feu mentor lui a écrite pour lui dire qu’il pouvait devenir un bon flic, et qu’il avait besoin qu’enfin quelqu’un lui fasse confiance. Et à partir de là il va se donner totalement pour améliorer les choses. Pour commencer, il sauve le dossier (en effet bien maigre pour un homicide sur une adolescente) des flammes. Ça aurait pu être niaiseux, plein de bon sentiment, mais non, quand Mildred le voit, le visage et le corps brûlé, et découvre qu’il a sauvé le document, on comprend, sans le moindre mot, sans le moindre regard, qu’elle lui pardonne. Le film aurait pu (dû ?) s’arrêter là. Mais non, il se retrouve dans la même chambre que celui qu’il a lui-même défenestré, et il s’excuse. Mais genre sincèrement. Et on a envie de le croire tant on a l’espoir que sa vie a basculé entre ces deux instants. Mais l’autre ne pardonne pas. Pourtant, en bon samaritain, sans le moindre mot, avec un mépris tellement compréhensible, il lui offre un verre de jus d’orange.

J’ai envie de m’arrêter là dessus, sur cette sublime faculté de l’auteur à faire évoluer ses personnages, à les rendre plus humains qu’il ne l’était au début, de nous surprendre aussi en toute subtilité, alors qu’il déployait précédemment la grosse artillerie.

Mais ce serait oublier l’humour… Les touches d’humour dans cet univers tragique sont incroyablement succulentes. La rupture avec le drame est finement mise en œuvre pour nous faire sortir de tout le pathos qui se joue à l’écran. Et immanquablement, on suit. Ça tient surtout à deux personnages, James, Peter Dinklage qu’on adore dans Game of Thrones et qui manie l’autodérision de manière sublime, mais surtout, surtout, par la magie de celle qui joue Pénélope, Samara Weaving, la nouvelle petite amie de l’ex-mari de Mildred (tout est devenu tellement compliqué depuis que le divorce s’est démocratisé…). Cette fille a une capacité à capter l’attention pour déblatérer des absurdités déconcertantes avec une aisance absolument fabuleuse. Même si son petit ami étrangle son ancienne femme, lui-même menacé par son fils avec un couteau, elle arrive avec ses histoires de zoo et de chevaux pour handicapés, et on rit. Espérons la revoir dans d’autres rôles car sa prestation est incroyablement prometteuse.

Bref, Trhee Billboards nous plonge dans un drame d’une puissance dévastatrice et le réalisateur arrive à nous surprendre par sa justesse et son sens de l’humour qui rompent avec une certaine démesure narrative, le tout est brillamment interprété. Martin McDonagh nous offre un regard complexe sur la violence qui entache les États-Unis et sur la manière dont chacun gère personnellement le problème.

 

« I am not a witch » de Rungano Nyoni

Nominé à la Quinzaine des Réalisateurs
Du 8 au 13 février 2018
Soirée débat mardi 13 février à 20h30
Film franco-anglo-zambien (vostf, décembre 2017, 1h34) de Rungano Nyoni
Avec Margaret Mulubwa, Henry B.J. Phiri et Nancy Mulilo

Distributeur : Pyramide

Présenté par Jean-Pierre Robert

Synopsis : Shula, 9 ans, est accusée de sorcellerie par les habitants de son village et envoyée dans un camp de sorcières. Entourée de femmes bienveillantes, condamnées comme elle par la superstition des hommes, la fillette se croit frappée d’un sortilège : si elle s’enfuit, elle sera maudite et se transformera en chèvre… Mais la petite Shula préfèrera-t-elle vivre prisonnière comme une sorcière ou libre comme une chèvre ? 

Rungano Nyoni à TV5 Monde *** Article de Jean-Pierre *** Dossier de presse *** Bande annonce ***Horaires
 

Jean-Pierre n’a pas manqué de signaler le côté original, curieux, inattendu, poétique et parfois drôle de ce film dramatique. Qui en effet a déjà vu quelque chose qui s’en rapproche ? « Je ne suis pas une sorcière » est un conte, celui de Shula, une petite fille venue de nulle part et désignée comme sorcière, promise à vivre comme telle, et ainsi stigmatisée, parmi elles. Du coup je vous livre une brève  et arbitraire incursion sur internet et dans mes souvenirs brumeux  autour de cette question.

Dans « médecins et sorciers »(1), Tobie Nathan et Isabelle Stengers ont écrit un essai sur cette question dont voici la 4ème de couverture : « Nous croyons savoir ce que font les guérisseurs : ils s’appuient sur les croyances (irrationnelles) des patients et agissent de manière « symbolique » ; s’ils obtiennent des résultats, c’est grâce à leur capacité d’écoute. Nous croyons aussi savoir ce qu’est la médecine moderne : une médecine très technique, rationnelle, mais trop peu à l’écoute des patients. Dans ce livre, Tobie Nathan et Isabelle Stengers montrent que cette opposition est trompeuse. Selon Tobie Nathan, les guérisseurs sont intéressants justement parce qu’ils n’écoutent pas les patients : les techniques de « divination » s’opposent à celles du « diagnostic ». En interrogeant l’invisible, en identifiant ses intentions, ceux-ci construisent de véritables stratégies thérapeutiques dont les guérisseurs africains sont des virtuoses. La médecine moderne se caractérise, elle, par son empirisme et non pas par sa rationalité. Le thème de la rationalité sert à combattre les autres techniques de soin ». 

S’il y a de bons guérisseurs il y a aussi de mauvaises sorcières (comme le souligne Marie-Annick, c’est son féminin) :

Le même Tobie Nathan, dans « L’Étranger ou le pari de l’autre »,(2) paru aux éditions Autrement, revient sur le phénomène des enfants sorciers apparu il y a moins d’une trentaine d’années. Faisant partie intégrante des sociétés africaines, la sorcellerie, qui vise aussi bien les albinos que les jumeaux, les enfants ou les handicapés, reste un élément indissociable du pouvoir ». Ça c’est pour le côté bon sorcier. Je crois me souvenir que dans un article, Tobie Nathan a ajouté que les accusations   portées aux enfants de sexe féminin d’être des sorcières apparaissait de manière nouvelle dans les familles recomposées immigrées africaines, souvent évangélistes. Ce serait un moyen, dans une situation économique donnée, de se débarrasser sans trop pêcher, des pièces rajoutées en les renvoyant dans leur pays d’origine. Il y aurait en quelque sorte un bon usage de la sorcellerie enfantine.

On voit bien que cette petite Shula est une figure du bouc émissaire, c’est une petite fille errante de 9 ans , au regard pénétrant, ce qui la désigne, dans la circonstance où elle se trouve. On attachera une importance au sexe de l’enfant. (idem Marie-Annick). La circonstance particulière, l’identification de la sorcière se produit dans une communauté pauvre, qui ne doit pas voir d’un bon œil une bouche à nourrir. La circonstance plus générale c’est aussi des institutions et leurs représentants véreux,  qui sont disposés à « accréditer » des sorcières pour des besoins divers, économico-touristiques.

Mais au fait,  qu’en est-il de la sorcellerie en Europe ?

« Des chasses aux sorciers ont eu lieu en Europe avec des hauts et des bas jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, principalement entre 1580 et 1630, faisant au total à travers les siècles un nombre considérable de victimes, qui reste cependant très difficile à estimer puisqu’on a peu de traces écrites des lynchages spontanés. Certains historiens l’évaluent entre 40 000 et 100 000. Ce qui représente en moyenne quelques individus par an, dans un pays comme la France, avec des flambées temporaires en Lorraine ou dans le Bordelais vers 1600 ».(3)

« À Bournel en France une femme accusée de sorcellerie fut brûlée par des paysans en 1826 et une autre sorcière jetée dans un four en 1856 à Camalès canton de Vic-en-Bigorre ».(4)

En 1977, (hier!) Jeanne Favret Saada  publie « les mots, la mort, les sorts ». (5) Jeanne Favret-Saada, ethnologue de culture psychanalytique, enquête sur les sorciers et les jeteurs de sort du bocage mayennais. « L’idée du sortilège s’impose quand le malheur se répète : « vache qui meurt, fausse couche, pain qui ne lève pas… Aucune interprétation raisonnable ne peut alors prétendre résoudre l’énigme de la série qui n’appelle qu’une seule question : qui a jeté le sort ? Les vecteurs des sortilèges sont les mots. La parole maléfique doit être renvoyée à l’expéditeur pour qu’il en meure ».

Proche de nous, dans la profusion des romans sur la sorcellerie certains ont aimé ceux  drôles, étranges, superbes  de Marie NDiaye (6),  «Loirétaine de naissance » par surcroît.

Tout ça pour dire que dans notre confort civilisé, la pensée magique et la sorcellerie (comme le furet qui coure de la chanson) ne sont jamais bien loin. Hier chez-nous, et curieusement aujourd’hui juste à côté de chez nous.

…Et dans la profusion des films sur la sorcellerie, demeure ce film qui comme l’a indiqué Jean-Pierre  est original,   beau, et profond. Et cette petite Shula est magnifique.

 

(1) Tobie Nathan et Isabelle Stengers « Médecins et sorciers » la découverte 2012

(2) Tobie Nathan, »l’étranger ou le pari de l’autre » Autrement 2014

(3)www. Wikipédia chasse aux sorcières

(4)www.lacauselitteraire.fr 

(5) Jeanne Favret Saada,  les mots la mort et les sorts Gallimard 1977

(6)Marie  Ndiaye, plaçons- nous dans les brumes « d’un temps de saison » par exemple, continuons par le suivant, « la sorcière » etc.

 

 

 

 

 

 

 

« Les Bienheureux » de Sofia Djama

réalisation et scénario : Sofia Djama

Image : Pierre Aïm

Montage : Sophie Brunet

Interprétation : Sami Bouajila (Samir), Nadia Kaci (Amel), Amine Lansari (Fahim), Lyna Khoudri (Feriel), Adam Bessa (Reda)…

Distributeur : Bac Films Date de sortie : 13 décembre 2017 Durée : 1h42

Synopsis : Alger, quelques années après la guerre civile. Amal et Samir ont décidé de fêter leur vingtième anniversaire de mariage au restaurant. Pendant leur trajet, tous deux évoquent leur Algérie : Amal, à travers la perte des illusions, Samir par la nécessité de s’en accommoder. Au même moment, Fahim, leur fils, et ses amis, Feriel et Reda, errent dans une Alger qui se referme peu à peu sur elle-même.

 

Alger éblouit encore. On y passe quelques heures, une fin d’après-midi, une soirée, store relevé par Samir sur l’air devenu moins chaud, plus respirable, une nuit d’errances et de menaces.
Le matin revenu, Amal face à Alger fera coulisser le store à deux mains vers le bas, définitivement. Rideau.
La jeune réalisatrice, Sofia Djama nous présente ses personnages avec le brio qui caractérise les films choral limpides et instille par petites touches l’inquiétude. On ressent la peur installée saturant progressivement l’air ambiant. Ca poisse. L’espérance a depuis longtemps commencé sa fuite en arrière et enserre tour à tour dans ses filets ses derniers fidèles qui renoncent à lutter et se laissent emporter ou s’éjectent par une maille lâche pas encore réparée dans l’ailleurs, amputés.
Ce qui m’a frappée aussi c’est la maîtrise étonnante de la direction d’acteur dont fait preuve Sofia Djama. C’est un premier film !
Samir/Sami Bouajila est fatigué, fragile mais continue à donner le change, souriant, la tête haute.
Amal/Nadia Kaci, très belle, est magnifique en mater dolorosa, forte de sa détermination, de son obstination. Sa vie à elle ne compte plus depuis longtemps. Morte à petit feu avec les massacrés qu’elle n’a pas même pas eu le droit d’accompagner au cimetière, devenue fantôme, elle a posé les armes et ne rassemble les forces qui lui restent que pour « sauver » son fils. Malgré lui.
Feriel/Lyna Khoudri (prix d’interprétation à Venise dans la section Orizzonti et pré-sélectionnée aux Césars pour la révélation féminine 2018), est l’incarnation d’une génération en sursis. Elle doit négocier en permanence, batailler pour exister en tant qu’être humain à part entière, jeune fille encore libre de sortir, d’étudier, de courir, de conduire, de tomber amoureuse, de dire qu’un tapis, c’est un objet. Les règles changent et sa liberté devient conditionnelle. Elle sait bien que la lutte a commencé.
Le flic, personnage flou, flouté par l’Histoire, et Feriel ont un lien ambigu. Il a perdu ses femme et fille dans le même massacre qui les a, elles, tuées et a laissé pour morte Karima, la mère de Feriel. Karima, qui a choisi de succomber juste après, de se défenestrer, ne pouvant vivre avec la torture gravée dans sa chair. Ce flic qui n’a pas pu sauver sa famille, a-t-il sauvé Feriel, rescapée de l’horreur mais marquée à la gorge par les mêmes sauvages qui ont laissé sa mère morte-vivante ? Feriel condamnée à passer sa vie à essayer de combler des vides, à cacher des traces. bientôt déclarée responsable de ces marques qui dégoûtent ! Feriel se rend chez ce flic, elle a les clés, et ils peuvent vivre leurs douleurs ensemble dans la quiétude de l’appartement. « – je m’ennuie mais j’aime bien comment tu m’ennuies – moi aussi, j’aime bien m’ennuyer avec toi » . Il y a une douceur autour d’eux jusqu’au jour où il la serre trop fort. Ayant eu recours à lui pour secourir Fahim, ils se retrouvent dans la rue. Il l’invite à boire un café, dans un lieu public. Elle marche, cinq pas derrière. Déjà.
Et Fahim, Reda, Amine … rôles travaillés, personnages, tous, intéressants.
Toutes les scènes composent et tissent ce film intense, si beau.

Alger, 2008, sans voile, montrant ses blessures.

Marie-No

« Western » Valeska Grisebach

Du 1er au 6 février 2018
Soirée débat mardi 6 février à 20h30

Film allemand (vostf, novembre 2017, 2h01) de Valeska Grisebach avec Meinhard Neumann, Reinhardt Wetrek et Syuleyman Alilov LetifovDistributeur : Shellac
Présenté par Maïté Noël
Synopsis : Un groupe de travailleurs allemands débute un travail difficile de construction sur un site de la campagne bulgare. Cette terre étrangère éveille le sens de l’aventure de ces hommes, confrontés à leurs préjugés et à la méfiance des locaux à cause de la barrière de la langue et des différences culturelles. Les hommes vont alors tout faire pour tenter de gagner la confiance des habitants.
Dossier de presse *** Bande annonce *** Horaires

 

Voici un film qui présentait le double avantage  d’avoir un sujet original et d’être présenté par Maïté, elle nous a fait  bénéficier d’une brève histoire du Western, jusqu’au « spaghetti », harmonica compris… ce qui n’est pas si fréquent.

Western donc, comme s’appelait Western un sympathique film de Manuel Poirier, vu en 1997 avec Sergi Lopez, et dont l’action se déroulait en ..Bretagne. Ici, vous avez lu le synopsis, il s’agit des travailleurs détachés allemands en Bulgarie, il n’y a pas que préjugés et méfiance, il y a aussi la barrière de la langue et de la culture…

Il y a ce jeu de la sympathie et de l’antipathie, des malentendus et des connivences. Il y a quelques bagarres et une sorte de duel entre le chef de chantier et Meinhard un ouvrier, un cheval, quelques paysages en plans larges, quelques gros plans…Bref, des ingrédients du Western.

Meinhard c’est le nom du personnage, du rôle principal et premier film de l’acteur  Meinhard Neuman. Un personnage singulier, un ancien légionnaire, solitaire, revenu de tout, sans attache et sans toit. Il est allemand parce qu’on est toujours de quelque part, et qu’on en parle la langue. Légionnaire là-bas, travailleur mercenaire ici… Meinhard est étranger à tous, y compris à ses collègues, et il s’efforce de s’insérer parmi les gens de ce village bulgare, vivre, partager, quelque chose avec eux, qui ne serait pas simplement de circonstance. Et il semble y réussir parce qu’il est tenace et qu’il commence à compter pour eux. Une histoire simple celle d’un  double cheminement, celui d’une communauté, et celui d’un homme.

Et à la fois  western et anti-western puisque le héros  ne part pas à la fin, mais cherche au contraire à demeurer.

 

Ciné d’ailleurs, vu par Marie

LA DOULEUR

Mélanie Thierry livre une remarquable interprétation de l’incarnation de la douleur qu’est cette femme (Marguerite Duras) attendant le retour de son mari arrêté par le Gestapo.

Douleur de l’attente dans l’interrogation de revoir l’homme qu’elle aime ; douleur d’imaginer ses souffrances ou sa mort. Douleur devant l’ambiguïté de ses sentiments alors qu’elle se donne à un autre homme ; qu’elle en séduit un autre qu’elle utilise.

C’est la douleur qui lui permet d’exister durant ces longs mois d’attente. Mais la plus poignante douleur n’est-elle pas celle qui la submerge en découvrant que celui qui revient n’est plus celui qu’elle a tant attendu ?

 

STRONGER

Victime de l’attentat du marathon de Boston, Jeffrey est amputé des deux jambes, traité en héros par la foule qui l’ovationne. Ce que ne perçoit pas cette foule, c’est le regard empreint d’un insondable désespoir de ce héros bien malgré lui.

On se prend à exécrer la mère, alcoolique, tellement fière d’être la mère de ce héros, qu’elle reste indifférente aux réels besoins de ce fils sévèrement handicapé au point de se transformer en manager des relations publiques plutôt qu’être à l’écoute de la souffrance de Jeffrey.

Il n’y en a qu’une pour lui apporter l’aide véritable qui lui permet de gagner le combat : Erin, sa compagne, pleinement consciente qu’un « héros » mutilé est avant tout un homme à reconstruire.

Très beau film où l’interprète de Jeffrey (Jake Gyllenhall) est bouleversant d’humanité.

3 BILLBOARDS

Un film dur, le personnage principal en est une femme obsédée par la volonté que soit retrouvé l’assassin de sa fille. Parmi ceux qui l’entourent, deux policiers, de personnalité très différente, alimentent l’intrigue.

Le film ouvre la réflexion sur le désir de vengeance, ses ressorts inavoués, ses aveuglements et ses outrances ; sur son inanité aussi ; sentiment, profondément humain, auquel nous risquons tous d’être confrontés.

Frances McDormand est exceptionnelle de vérité dans ce rôle de femme implacable.

PENTAGON PAPERS

En 1960, aux USA, le poids du pouvoir exécutif sur la liberté de la presse sous forme de thriller haletant et passionnant. S’y ajoute la place accordée aux femmes ! Meryl Streep, qui incarne la présidente du Washington Post, révèle en finesse les doutes, les hésitations que lui imposent son statut de femme dans ce monde éminemment masculin. Les pressions et les tentatives d’influence dont elle est l’objet font douter jusqu’à la fin de sa décision… maintenant ainsi le suspense.

 

 

« Les Bienheureux » de Sofia Djama

Un premier film ample d’une maîtrise époustouflante

Alger filmée comme jamais …            

l’ Algérie de 20 ans après la guerre civile racontée comme jamais.

Des acteurs magnifiques    

A voir, croyez-nous (Annie et moi), en priorité !

Pour notre WE Jeunes Réalisateurs, il aurait été top

Marie-No

« La Villa » de Robert Guediguian (3)

 

Dans le cadre du Festival Télérama
Du 25 au 30 janvier 2018
Soirée débat mardi 30 janvier à 20h30

Présenté par Laurence Guyon
Film français (novembre 2017, 1h47) de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Anaïs Demoustier, Robinson Stevenin et Yann Tregouët

Distributeur : Diaphana Distribution

Présenté par Laurence Guyon

Nous sommes toujours plus exigeants avec ceux que nous aimons et c’est parfois injuste.
Effectivement. Rassembler dans une même œuvre la fin d’un monde et le refus du nouveau, la fuite après la noyade d’un enfant et le retour après une longue absence, les dissensions au sein d’une fratrie, la mort prochaine d’un vieillard, la perte d’un bien ou sa reconversion inexorable, l’ascension sociale d’une jeunesse avec des projets différents et incompris, des histoires d’amour naissantes…
Cela n’est pas raisonnable. Je parle bien sûr de La Cerisaie d’Anton Tchékhov, cette pièce de théâtre qui a eu la destinée que l’on sait.
Robert Guédiguian a pourtant su rendre tout cela magistralement dans son dernier film en choisissant cette petite calanque comme scène de théâtre, en filmant les magnifiques lumières des matins et des soirs d’hiver, le port éclairé, ses fidèles acteurs qui se comprennent d’un regard. La mort est pourtant partout présente : celle de Maurice, prochaine, celle de Martin et Suzanne qui l’ont choisie, celle de ce quartier populaire destiné aux promoteurs et aux touristes, celle des idéaux de gauche. Mais Guédiguian, contrairement au bruit des haches de Tchékov qui abattaient les arbres de la cerisaie a choisi les cris d’enfants réfugiés qui jouent avec l’écho du nom de leur petit frère. La Cerisaie était un crépuscule, La Villa est une aurore porteuse d’espoir.