Les premiers, les Derniers, de Bouli Lanners

 

Les premiers, les derniers,  décors et paysages.

Dès les premières images, on est saisi par ce paysage de rase campagne, de « morne plaine » qui semble imaginaire. Pourtant, nous sommes bien dans le Loiret près d’Orléans. On aperçoit ce paysage de la départementale 2020, vers Saran et Artenay puis au delà de l’A19. On voit d’abord des rails en béton sur pilotis de l’aérotrain qui parcourt insolite sur plus de 20 km, plaines et bois. « C’est l’invention de l’ingénieur Jean Bertin  Polytechnicien qui, de 1963 à 1974, qui s’est consacré à la conception et aux essais de l’Aérotrain projet d’abord soutenu par les pouvoirs publics mais qui est finalement abandonné par l’État le 17 juillet 1974, il aurait dû relier Paris à Orléans en moins de vingt minutes, contre une heure aujourd’hui encore ».

C’est la Beauce pouilleuse que parcourt cette voie de béton, elle est ainsi nommée parce qu’elle est calcaire et sèche. Voici un florilège des termes des critiques pour exprimer le paysage de ce film : « Ruralité froide, un territoire monotone, la Beauce plate et gelée, une étendue vaste et glacée, un grand ciel où se déploie un horizon sans fin, des plans vides à perte de vue, infinis, Un monde à l’agonie, balayé de vents glaciaux…et à la verticale, des entrepôts et pavillons usés, silos à grain et gares céréalières, abandonnés ».

Ajoutons, que paradoxalement, lorsqu’on a vu chemin faisant, l’urbanisation des bords de la départementale 2020 entre Saran et Artenay, on éprouve un réel réconfort en apercevant ce décor de fin du monde !

C’est d’une manière fortuite que Bouli Lanners a découvert le lieu du tournage. Il nous dit qu’à l’occasion d’un voyage à Toulouse, par peur phobique de monter en avion, il a pris le train et aperçu ce rail. Après repérage, c’est décidé, il y fera son film et le paysage va dicter le scénario. Il sera vite écrit. Mais pourquoi ce paysage plutôt qu’un autre ?

Bouli Lanners est belge et il aime la Belgique, celle Jacques Brel. Mais cette Belgique de Brel, du plat pays, n’existe plus. « Plus de plaines sans ronds-points. Partout…des ronds points. » nous dit-il.

Or, Bouli Lanners est peintre de formation, ses préférences vont à la peinture flamande, pas difficile d’imaginer que Bosch et Bruegel doivent compter pour lui. Tous deux témoignent de l’attente apocalyptique. Hieronymus Bosch avec Le jugement dernier ou de Pieter Bruegel  avec Le triomphe de la mort. Tout autant, il aime Constable le peintre Anglais, pour ses paysages, ses horizons. Donc il compose les paysages qu’il filme comme on peindrait des tableaux, avec des lignes d’horizon basses, (encore que pour ce que j’ai observé, la ligne d’horizon est souvent à 50% de l’image),  et il parle des couleurs comme un peintre de sa palette :   bleu, brun, terre de sienne, et du bleu outre-mer… … et pour la verticalité il utilise des silos, gares, et hangars désaffectés. La désolation des lieux donne une idée de fin du monde.

Bouli Lanners aime aussi les Westerns, avant de tourner Les premiers, les derniers, il a revu une centaine de westerns, son gout remonte à l’enfance, il est sans exclusive, il en connaît les genres, les codes, les décors. C’est la forme de cinéma qui a nourri son enfance, il prétend connaître le Montana sans y être jamais allé. On a tendance à le croire. Comme réalisateur, il a plaisir à filmer des plans extérieurs infinis et des intérieurs de western, bistrot aménagé comme un saloon, maison de Clara ressemblant à un Ranch.

Sa préférence pour les grandes largeurs façonne sa technique. Son format c’est le scope dont il loue la beauté, il n’aime pas les images carrées. Il aime l’alternance des plans larges et serrés. Durant le tournage il recherche toujours la liberté de mouvement des caméras. Dans ce décor, ses caméras peuvent tourner à 360°, sans contrainte.

 Au point où nous en sommes, on en sait déjà beaucoup, il est Belge, peintre, il a un gout prononcé pour les westerns, il recherche la liberté de mouvement pour ses personnages. Son choix esthétique tout comme celui du scenario nous dit quelque chose de ses gouts, de ce qui l’a nourrit, mais aussi de l’état du monde, de l’humanité et de l’existence ; la sienne, la notre.

On a souvent dit de ce film qu’il est aussi un road-movie, mais dans ce cas, si les personnages se déplacent d’un point à un autre, ils ne savent pas toujours exactement où ils vont, ni ce qu’ils cherchent. Esther et Willie vont voir la fille d’Esther sans trop savoir où elle est, ni son âge. Gilou et Cochise cherchent un téléphone un peu comme des chasseurs un gibier au gré des signes. Quant à Jésus, il sait où il va ! Normal, il doit être providentiel, mais tout de même ses déplacements sont inattendus, faits de retour en arrière et de chemins latéraux (les voies du seigneur !) Comme dans tous les films de Bouli Lanners, c’est davantage l’errance qui caractérise les personnages. Leur chemin se fait en marchant. Errer n’est pas se tromper nous dit-on…errer est une démarche réfléchie et spirituelle, une quête.

 Le paysage, avec son esthétique de la fin du monde annoncée, lieu d’errance aux formes inquiétantes, aux teintes sombres, fait écho au questionnement existentiel angoissé des personnages, et plus loin de Bouli Lanners lui même, encore plus loin, du « reste du monde ».

En ce qui concerne le reste du monde, Bouli Lanners aime passer des heures dans les bistrots à écouter parler les gens, il rapporte que les sujets sur la fin des temps sont courants. Avec les guerres à forme religieuse, la cop 21, « nous sommes loin de l’optimisme d’il y a 50 ans » nous dit-il. Sans doute, la peinture flamande qu’il a tant étudiée l’aide à percevoir dans la population ce surgissement de l’apocalypse.

Il n’est pas rare de voir un décor nous parler comme un personnage et parfois mieux que les personnages eux mêmes. Quand tout va mieux, les cieux s’éclaircissent, les arbres prennent des feuilles, etc. Ici encore, lieu et situation se répondent et se justifient mutuellement, ils forment un parfait agencement. Agencement qui fourmille de craintes obscures, de tensions et de désirs…mais ce n’est pas la fin du monde, nous sommes dans le « comme si », il ne faut pas s’y méprendre,  « le téléphone fonctionne, et ça prouve que la société fonctionne » nous fait remarquer Bouli Lanners.

En voyant Les premiers, les derniers, on comprend pourquoi à l’occasion d’une interview Bouli Lanners s’est déclaré chrétien et… animiste. Par ce dernier terme, il reconnaît sa dette  au paysage, source d’inspiration poètique pour le scénario et l’image , et dans le film, il montre que le paysage n’est pas seulement autour des personnages, il les contient,  il est en eux, il les façonne ,  il porte une part de leur devenir.

Georges

 

45 ans

                     45 ANS
Ours d’Argent du Meilleur acteur pour Tom Courtenay et de la Meilleure actrice pour Charlotte Rampling
 

Article de Claude- 27.03.2016

« 45 ans » d’Andrew Haich est une belle histoire d’amour, de jalousie rétrospective, de fantasme aussi de séparation ou d’échec par quoi parfois l’on doute sans raison véritable, l’on ajoute de la souffrance inutile aux simples intermittences du cœur, au calme étale d’une vie de couple, où l’on croit voir à tort le signe d’un malaise, l’amorce d’un désamour. Et de la suspicion à la conviction, il n’y a qu’un pas, qu’une femme aimante, exclusive, Kate, finit par franchir, se persuadant comme d’un poison subtil que sa vie ne serait que faux-semblant, illusion, voire mensonge – comme si Geoff n’avait pas le droit d’avoir aimé une autre femme avant elle, que la succession de deux relations n’eût été que substitution, imprégnation zolienne, et non expérience pleinement nouvelle et authentique…
Et comme la souffrance se nourrit d’elle-même, sirène insidieuse, serpent de mer, « héautontimorouménos » baudelairien ou « bourreau de soi-même », que l’imagination se nourrit par définition d’images si possibles concrètes, avant d’être fantasmées, Kate monte au grenier : ce réservoir des souvenirs, ce jardin secret de l’enfance, ce témoin familier et poussiéreux du passé se transforme alors en jardin des supplices et en théâtre d’ombres maléfiques. En un beau plan – une belle idée de mise en scène – la caméra unit le visage ravagé de Kate tourné vers l’écran et le défilement d’images floues, pour nous inversées, pour elle incertaines, de Katia, bel amour de jeunesse perdu dans une avalanche, et dont le cadavre surgit sans prévenir tant d’années après ! Katia, double tant aimé, trop aimé, seul aimé ? dont le nom même semble ironiquement mimer, absorber celui de l’épouse de 45 ans, mais en plus sonore, en plus charnel, en plus vrai…
Pourtant, tout reste pudique, secret, comme feutré – avec cette politesse toute british du désespoir ou du désarroi, qui n’est pas ici humour mais implique de la part du spectateur un regard souriant, indulgent devant une telle quête d’amour absolu et la conscience amère et lucide de la relativité des choses, de la tendresse quotidienne, d’une vérité à construire modestement et progressivement. Non, l’autre ne nous appartient pas : oui, on peut chaque jour apprendre à l’aimer et le fruit de ce long travail, au fil des sourires, des chansons qui nous accompagnent, des rapports physiques parfois malaisés, n’est rien moins qu’illusion ou mensonge…

Il y a dans ce film une mélancolie souveraine, souvent bouleversante, liée au jeu subtil de Charlotte Rampling, tout de mystère et d’évidence, à la vulnérabilité aussi de Tom Courtenay. On pense au superbe film de James Ivory, à l’ambiance comparable, feutrée et suraiguë, de « Remains of the day » (« Vestiges du jour »), où la force de l’amour secret s’alliait à une terrible incommunicabilité pour Anthony Hopkins.
On pourrait s’interroger sans fin sur le dernier geste de Kate – la main de Geoff lâchée lors du discours – et le regard à la fois intense et perdu (dans ses pensées ou un profond désarroi ?) de cette femme : a-t-elle relativisé et pardonné au poids de son entêtante devancière ? ou quelque chose, si ténu soit-il, est-il désormais invinciblement brisé ?
Plus fort à mon sens est le discours du mari qui, après les douloureuses explications dans la voiture ou au restaurant, dans les huis-clos tragiques de ce drame intime à peine apaisé par la beauté de la campagne ou d’un manoir anglais, rend, bouleversé et en pleurs, un vibrant hommage public à son épouse : ce moment d’émotion intense est-il le summum de l’artifice, une rhétorique de banquet, où, le vin et l’émotivité aidant, le personnage surjoue ses sentiments ou la pointe sublime de l’amour vrai, sous le regard des amis et le surgissement des souvenirs ?
Comme si la sincérité était aussi aussi bien jouée que réelle, l’intimité paradoxalement affaire de médiation, de regard d’autrui – comme si l’amour n’existait vraiment, pleinement, uniment que dans la fulgurance d’un aveu, la brûlure d’une parole…

Claude

A Propos du Week-End des Jeunes Réalisateurs

Parlons-en….  

Pour cette 5ème édition, nous avons été choyés. Dans les précédentes, il y avait des pépites, pour celle-ci aussi, mais j’ai l’impression que le niveau d’ensemble était encore meilleur que précédemment. Les spectateurs ne s’y sont pas trompés qui en dépit des autres activités culturelles du montargois, du printemps qui s’annonce, sont venus nombreux.

Comme chaque année, Alain Riou était avec nous pour présenter les films et animer les débats. Alain Riou, c’est le Nouvel Observateur, le Masque et la Plume et bien d’autres choses encore.

D’Alain Riou, on aime la verve, la capacité inouïe à mobiliser mille références par film et de  prendre parti. Mais ce qui me plait aussi, c’est l’atmosphère conviviale qu’il créé, on est à l’aise avec lui.  Du coup, il y a une discussion qui pour être souriante, tolérante et créative demeure un débat contradictoire, pour le plaisir de tous.

Dans ce public, celui des habitués de ces journées, et des autres, ceux juste venus pour le simple plaisir d’aller au ciné voir un bon film, il a toujours de bonnes interventions … et il y a des débats dans notre for intérieur… non moins bons, mais tus…

Je vous propose donc un petit jeu, le documentaire « Je suis le Peuple », mis de côté, voici 6 films notez ceux que vous avez vus de 1 à 10… commentez si le cœur vous en dit :

Préjudice, Keeper, La fille du Patron,Rosalie Blum, Gaz de France, La marcheuse

A vos claviers !

Georges

PS : Qu’avez-vous pensé de  « je suis le peuple »?

 

 

JE VOUS SOUHAITE D’ÊTRE FOLLEMENT AIMÉE

Article de  Claude Sabatier
Film français (janvier 2016, 1h40) de Ounie Lecomte avec Céline Sallette, Anne Benoit et Elyes Aguis

JE VOUS SOUHAITE D’ÊTRE FOLLEMENT AIMÉE

« Ma toute petite enfant qui n’avez que huit mois, qui souriez toujours, qui êtes faite à la fois comme le corail et la perle, vous saurez alors que tout hasard a été rigoureusement exclu de votre venue, que celle-ci s’est produite à l’heure même où elle devait se produire, ni plus tôt ni plus tard et qu’aucune ombre ne vous attendait au-dessus de votre berceau d’osier (…)  “Avec quoi on pense, on souffre ?  Comment on a su son nom au soleil ? D’où ça vient la nuit ?ˮ  (…)  Je vous souhaite d’être follement aimée ». Cette lettre propitiatoire d’André Breton à sa fille bébé, pour ses 16 ans, slamée par Grand Corps Malade, qui donne son titre au dernier film d’Ounie Lecomte, cinéaste d’origine sud-coréenne elle-même abandonnée par son père et adoptée à l’âge de 9 ans, traduit bien la réflexion sur l’identité, la recherche des origines, la rencontre fortuite ̵ devenue destin, nécessité ̵ d’Élisa avec Annette, sa mère biologique.

Pré-générique : Élisa (Céline Sallette) est reçue à Dunkerque par une conseillère du service enfance et famille du conseil général qui lui explique que certes, on a retrouvé la trace de sa mère biologique mais que celle-ci, ayant accouché sous X, est protégée par la loi et nullement tenue de décliner son identité ou de donner des indications sur le père, les raisons ou les circonstances de l’abandon. Il s’agit bien en effet d’un abandon encadré, de pratique immémoriale ˗ du tour dans la porte des églises (où Claude Frollo recueille Quasimodo dans Notre-Dame de Paris) au bureau ouvert institué en 1904 : après une naissance non désirée, des violences conjugales ou une pression familiale, une femme peut, aidée par l’État et après un délai de réflexion de deux mois, accoucher clandestinement dans un établissement de santé. Depuis 2002 et la mise en place par Ségolène Royal, alors ministre de la Famille, du Conseil National d’Accès aux Origines Personnelles ˗ lieu et lien neutres pour des retrouvailles ˗ le droit des enfants ne cesse pourtant d’être réaffirmé et des actions judiciaires menées, par des enfants perdus, des pères lésés, des grands-parents privés de descendance ˗ au point que le Conseil Constitutionnel a dû réaffirmer le droit irréfragable des mères au silence.

Retour à Dunkerque six mois après : Élisa est bien décidée, contre vents et marées, à retrouver la trace de sa mère. Ce qui pourrait n’être qu’une chronique sociale ou le récit documentaire de recherches administratives devient une douloureuse quête de l’identité – moins celle de l’état-civil que de sa vérité intérieure, tant Elisa se trouve prise dans une tourmente : elle se détache de son compagnon, qui semble pourtant l’aimer encore et multiplie les signaux d’écoute et les preuves d’amour ; son fils Noé, en pleine révolte, affecte une appartenance musulmane, qui, de pose provocatrice à la cantine ou à l’école, s’avèrera intuition de ses origines – un grand-père ouvrier algérien des chantiers navals, amour vrai de rencontre rejeté comme scandaleux par les parents d’Élisa ; celle-ci ne croit plus trop à l’amour, fait l’amour sans amour, s’offrant à un bellâtre qui lui a susurré « Élisa » de Gainsbourg mais la quitte un petit matin blême de cuisine en lui payant son bécot dans le cou…

De l’autre côté, la mère, Annette (Anne Benoît) que l’on découvre d’emblée sur son vélomoteur, dans un crépuscule rougeâtre, femme empâtée par la vie, le remords de l’abandon, un milieu modeste de cabaretiers au mieux conventionnels, au pire racistes, comme ployée par la soumission à sa mère tyrannique, par la solitude vouée aux chiens du refuge, aux enfants de la cantine qui la surnomment de l’antiphrase « Pitbull », tant elle est chahutée, sauf de ce Noé dont elle se prend curieusement d’affection − bon sang ne saurait mentir…

Oui, bien sûr, l’identité de la mère est révélée dès les premières images et l’on sait dès lors, comme dans un film policier, que tout l’intérêt de l’histoire résidera non dans la découverte d’une identité de papier mais dans relation qui se tissera, fortuitement, progressivement puis nécessairement, entre les deux femmes – du premier rendez-vous d’Annette chez la kinésithérapeute (qui n’est autre que sa fille) à l’explication, franche et terrible, suivie d’une étonnante réconciliation dans le même plan séquence, par-delà un cut, des deux femmes dans le café fraternel, si l’on ose dire. Une explication qui sera moins révélation d’une vérité depuis longtemps éventée que révélation à soi-même, pour Annette autant que pour Élisa : la mère, qui avait dû abandonner sa fille sous la pression de ses parents, s’affirmera enfin, revendiquant cet amour de jeunesse dans sa profondeur vraie, si passager ait-il été, son « histoire à elle », quand bien même on l’en aurait dépossédée.

Genèse d’une naissance, Je vous souhaite d’être follement aimée est aussi l’histoire d’une renaissance, ou d’une naissance à soi-même − à l’image de ce corps maternel massé par la fille en un accouchement inversé et rédempteur − par quoi ce film au scénario ténu, parfois peu vraisemblable, mais aux strates subtiles, aux obsessions têtues, nous attache et nous emporte, par-delà sa dispersion apparente, dans le tourbillon d’une identité blessée, en mal d’amour, d’une vie brisée.

Et quand Élisa et Annette s’abandonnent enfin au pur plaisir d’une conversation complice dans la paix retrouvée d’un jardin public, on ne sait plus si le hasard s’est fait nécessité ou si le destin retors, jamais perdu, n’attendait pas de se nouer avec le sourire facétieux de la fortune.

 

Claude

 

 

 

 

 

45 ans

 

45 ANS
Ours d’Argent du Meilleur acteur pour Tom Courtenay et de la Meilleure actrice pour Charlotte Rampling
 

 

Article de Gérard Jonval-16.03-2016  

Comme l’a dit Martine Paroux., la fin du film est « ouverte ».

On peut imaginer beaucoup de choses et notamment que Kate va faire sa valise. Pourquoi?

C’est à cette question qu’on peut essayer de répondre en reprenant la chronologie des faits.

Il y a plus de 50 ans, Geoff a connu une histoire qui a duré 3 ou 4 années et qui s’est achevée par la disparition de sa compagne.

On apprend cette tragédie dès le début du film.

Lorsque Geoff a rencontré Kate, il n’a pas jugé utile de revenir sur un passé douloureux. Quand bien-même il l’aurait fait, j’imagine que Kate n’aurait pu faire que compatir.

Geoff avait tourné la page pour commencer une nouvelle histoire qui semble, pour avoir passé 45 années communes, avoir été faite avec plus de hauts que de bas, sinon comment expliquer cette longévité du couple.

Il faut souligner aussi qu’ils se préparent à fêter leurs 45 ans d’union, faute d’avoir pu fêter les 40 ans en raison de la maladie de Geoff. Cet évènement (différé) suppose une certaine complicité.

D’ailleurs, dans son petit discours, Geoff exprime de façon maladroite et touchante, l’amour qu’il continue de porter à Kate.

Alors, est-ce que c’est cette nouvelle, faisant ressurgir un lointain passé, qui bouleverse la vie du couple, ou plus précisément la vie de Kate (car comme cela a été dit le film tel qu’il est tourné montre le regard de Kate sur son mari et sur le passé et non l’inverse)?

Je pense que non. Oui Geoff se serait marié avec son amour du passé. Il y a 50 ans. Kate ne faisait pas partie de sa vie. On ne peut même pas dire qu’il y a prescription puisqu’il n’y a pas eu trahison.

Alors où est le problème? D’où vient cette douleur exprimée dans le regard de Kate (à cet égard le choix de Charlotte Rampling s’imposait pour le rôle).

C’est peut être à cet instant qu’on est tenté de porter un regard sur soi-même. L’interrogation de l’âge, du vieillissement qui vient trop vite, de l’avenir incertain (sauf l’issue!).

J’ai retenu deux images qui montrent le désarroi de Kate et qui lui font prendre conscience de la réalité.

La première est celle de la salle de bain, le spectacle d’un homme physiquement vieilli, affublé d’un slip qui ne soigne pas la mise en valeur.

La seconde où Kate inspecte son visage, image filmée directement dans le miroir, volontairement terne ou en demi-teintes, regard triste et douloureux.

J’en reviens à la question initiale, pourquoi? Pour quoi faire? Rejoindre un autre homme qui n’existe pas? Se consacrer aux enfants et petits enfants qu’elle n’a pas?

Ce qui la rend malheureuse, ce ne sont pas les 45 années passées, mais c’est la prise de conscience qu’il faut continuer avec le vieillissement du corps et de l’esprit, les accidents de la vie et l’échéance inexorable.

S’il faut donner une suite à la fin « ouverte » du film, ce n’est pas forcément une image d’espoir. Mais on pourrait suggérer à Kate de faire sienne la parole de Jacques Salomé qui disait que « vieillir ensemble ce n’est pas ajouter des années à la vie, mais de la vie aux années ».

Gérard Jonval

Merci Patron

 

Le documentaire du mois de mars

Avec la participation de Pierre Imbert journaliste au Monde Diplomatique documentaire français (février 2016, 1h30) de      François Ruffin

 

Quelle chance d’avoir vu Merci Patron. Certes ce n’est pas le genre de film à donner espoir aux millions de sans emplois, mais c’est un film qui donne à voir quelque chose de la société du spectacle. La manière facétieuse et l’empathie dont François Ruffin traite ce sujet tragique du chômage et des sinistres qui l’accompagnent a quelque chose de réjouissant. Et puis le côté Robin des bois du film assure le succès, c’est un film qui fait plaisir à voir.

Pour ce qui me concerne,   ce plaisir est mitigé, ce n’est pas mon propos d’engager une discussion politique, mais de remarquer derrière l’humour, la condescendance involontaire avec laquelle les gens de la famille K sont regardés et la manière dont on   leur fait produire de l’humour.

Leur façon de s’exprimer, leur accent, leur désavantage linguistique entre dans une combinaison qui produit de l’effet comique, du drôle. Le décor de la maison, la pesanteur de la caméra sur la « peau tannée» du vieux chien, les objets piégés contenant caméra et système d’écoute contenus dans une poupée folklorique, un faux chat sur son coussin, la petite maison dans la prairie, le cadeau à Monsieur Bernard Arnaud etc. autant d’objets qui expriment des goûts subalternes …Tout cela rappelle « l’affaire des nains de jardin ». Le monde des objets vu par Ruffin l’est d’une manière dominante. Leur exposition chez les K, témoigne de leurs codes de classe dominée sur lequel Ruffin ironise gentiment.

L’autre bémol, consiste à donner à penser que Bernard Arnaud a été informé et a suivi cette affaire et qu’il est donc facile à gruger, c’est confondre un peu vite le cercle de la sécurité des affaires avec celui des affaires.

En dépit de mes réserves très subjectives, je le reconnais volontiers, j’apprécie d’une part, que dans ce jeu, ces gens retrouvent leur dignité, et d’autre part, qu’un film à petit budget, indépendant, qui a un contenu social sensible puisse exister, être vu au delà des espérances de leurs créateurs.

Georges

 

AU DELÀ DES MONTAGNES

AU DELÀ DES MONTAGNES

8 nominations au Festival de cannes 2015 (vo, décembre 2015, 2h06) de Zhang-ke Jia avec Zhao Tao, Zhang Yi et Jing Dong Lian

 

Cher(e)s Cramé(e)s de la bobine,

Après cette belle projection et ce bon débat, ce chef d’œuvre vous inspire encore…  vous souhaitez  commenter, soulever des questions. N’hésitez pas. Ce blog est à vous.

Bienvenu(e)s et au plaisir de vous lire

G

LA CHEVAUCHÉE FANTASTIQUE

Cinéculte
LA CHEVAUCHÉE FANTASTIQUE
Présenté par Delphine Kunkler
Film américain (vo, mai 1939, 1h37) de John Ford avec John Wayne, Claire Trevor, Thomas Mitchell, John Carradine et Tim Holt

Pour notre documentation, Delphine nous communique un  extrait de la Critique du dictionnaire des films de Jean Tulard   :

« Le point de départ : une diligence, conduite par un gros bavard et un honnête shérif, dont les passagers, par leurs manières de vivre ou par leurs attitudes envers les victimes des préjugés, forment un groupe peu respectable. Le voyage qu’ils entreprennent va devenir périlleux à cause de Géronimo qui fait tout pour défendre ses terres. Au fur et à mesure que la tension grandit, les voyageurs montrent ce qu’ils sont réellement. Ford montre plein de compassion pour ces victimes de la société et donne à chacun d’eux et à ceux qui les méprisent, une chance de sortir de leur condition. Dallas et Ringo en sont les porte-parole et la femme enceinte, un digne exemple.

Sur la forme : récit captivant, traité avec vivacité et précision, mise en scène rigoureuse, ambiance finement observée, sens du détail qui donne beaucoup de relief et de diversité aux personnages, tout cela colore un film placé sous le signe de l’action. »