Quel portraitiste que San Antonio/Frédéric Dard ! Si j’étais prof. de français, je donnerais en exemple celui qu’il fait de la vieille dame au début de son roman.
Cette fois, c’est du film qu’en a fait L. Heynemann qu’il est question et, pour une fois, je n’ai pas été dépaysée en y entrant car j’ai rarement vu une mise en image aussi fidèle au texte. Et quel texte !!! Oreilles chastes, s’abstenir ; esprits coincés, aller voir ailleurs. Quelle truculence ! Quelle jubilation devant cette vieille nymphomane-escroque à l’allure pourtant très distinguée mais dont la bouche est capable de proférer les pires grossièretés. Jeanne Moreau y est hilarante, accompagnée de son vieux complice en escroqueries et vols divers, campé par un Michel Serrault en grande forme. Les insultes, gratinées, dites sur un ton de confidence ne sont jamais vulgaires, les sobriquets non plus et ils sont plus qu’inventifs.
N’oublions pas pour autant l’intrigue pseudo-policière à laquelle le couple associe un jeune gigolo dont la nymphomane de 80 balais tombe amoureuse… cela vaudra une trahison dont le vieux complice ne se remettra pas – moment où le rire nous quitte. Ajoutons qu’il est parfois teinté d’une tendre compassion pour cette vieille femme qui pourrait être pathétique sans sa verve provocatrice et son énergie à toute épreuve.
Quand le film de Stanley Kubrick est sorti en 1975, j’avais dit que je n’irai pas le voir. Pourquoi ? Parce que j’avais lu le roman qui m’avait profondément ennuyée.
Seulement parfois on se laisse piéger par un/une ami/e qui vous y traîne, vous assurant que c’est génial, beau, sublime, que l’esthétique du film est irréprochable, bref que c’est un chef d’œuvre et que, qui dit chef d’œuvre dit obligation d’avoir vu !
Alors j’y suis allée, dans cette belle salle obscure des Champs Elysées qui n’était pas éclairée à la bougie mais remplie comme un œuf ̶ je ne vous raconte pas la queue sur le trottoir ̶ salle remplie donc, de spectateurs avertis, ou non d’ailleurs… J’étais assise dans les cinq premiers rangs et j’allais en avoir plein les yeux.
Alors, oui c’est beau, les costumes, les décors, les éclairages (lumière naturelle et bougies), la musique (merci messieurs Bach, Haendel, Vivaldi, Mozart, Schubert, j’en oublie sans doute)…
Mais quel ennui ! Une histoire qui était la même que celle du roman de Thackeray ! Fidèle adaptation donc.
J’avais dû lire le roman en 3ème année de licence, mais le pire était à venir, peu de temps après, je recommence pour un concours, que je n’ai pas eu, la faute à Barry the rogue, à coup sûr !
Désolée chers amis, je sais, la critique a adoré, et vous aussi je suppose. Mais on a le droit de détester un film que tout le monde aime et inversement, non ?
Il n’y aura pas de rétrospective Kubrick aux cramés : tant mieux, Barry Lyndon y aurait figuré en bonne place : j’aurais boudé la séance.
Comédie sortie en 1953, qui a connu trois versions. Durée 1h28
Tati est un humaniste drôle, une personne bienveillante, qui veut nous faire rire, mais n’est jamais cynique ou méprisant. C’est un artiste qui croit en l’Homme ( forte dimension sociale dans son œuvre). Le film est en noir et blanc.
Pourquoi penser aux « Vacances de Mr Hulot » comme l’un de ses films préférés ?
La réponse est en partie dans le titre du film.
Le premier mot « vacances « tout un symbole pour nous.
C’est l’été, il fait beau, et ce sont des vacances à la mer, plus exactement près de St Nazaire sur la plage de Saint –Marc – sur – Mer. La plage dans notre imaginaire ouvre immédiatement plein d’images, d’odeurs, ( l’ambre solaire ) de bruits ( les vagues, les enfants, le vent) de souvenirs, plus ou moins lointains ( l’enfance , l’adolescence ). C’est un moment à la fois intime, la vie amoureuse, les copains, copines, et collectif ( le mois d’août tout s’arrête) .
Le deuxième terme « Mr Hulot » ce personnage unique, le double de l’auteur, mutique, il prononce peu de mots et quand il parle on ne comprend pas ce qu’il dit ( voir la scène où il arrive à l’hôtel et doit prononcer son nom, avec la pipe dans la bouche ! oulo, ulo, il doit s’y reprendre à je ne sais combien de fois pour que l’hôtelier le comprenne. C’est un monsieur au visage assez ingrat, qu’on ne voit pas vraiment en très gros plan ( mais on voit sa pipe ) dont le corps longiligne et maladroit traverse tous les plans du film .
Il n’est pas comme les autres vacanciers, c’est une sorte d’exclu, il marche vite, à grandes enjambées, le corps incliné, la pipe au bec.
Il est amoureux de la jolie vacancière qui habite en face de l’hôtel ( Martine ) mais toutes ses tentatives amoureuses échouent et quand il arrive à danser avec elle, c’est lors d’ un bal masqué ( son déguisement le protège).
Les lieux sont presque uniques : l’hôtel et la plage.
Le temps : un mois, le temps des vacances .
Les gags à la base du film. Il y en a plein, ils sont fondés sur la répétition le plus souvent tournés en plan séquences et requièrent la participation du spectateur. ( comique burlesque inspiré du muet avec des bruits).
Les personnages
Ils sont bien cernés, ce sont les vacanciers ; qui reviennent tous les étés à l’hôtel, se connaissent. Ce qui permet au réalisateur de critiquer une certaine mentalité petite bourgeoise, la vie est ritualisée et hiérarchisée. La cloche sonne l’heure des repas, ces derniers sont pris dans la salle à manger, elle aussi rythmée par les regroupements de table, les vêtements choisis par les vacanciers, les occupations diverses ( cartes, lectures, coups de fil répétés à Mr Smutte qui suit tous les jours les cours de la bourse).
Certains personnages sont assez antipathiques, tel le commandant empêtré dans ses souvenirs de guerre, Mr Smutte le financier.
D’autres sont sympathiques, surtout la dame anglaise qui aime bien Hulot ( elle aime sa fantaisie ).
Dans cet ensemble bien réglé, Hulot vient tout désorganiser ..il déboule comme un dingue dans l’hôtel, salit le sol, réveille tout le monde la nuit avec le feu d’artifice, a une voiture qui pétarade .
Il dérange l’ordre et le calme des vacanciers, et il ne fait rien comme tout le monde ( ne fait que des bêtises comme les enfants).
Justement, on peut beaucoup aimer ce film par la présence des enfants, leurs cris, jeux ( à la plage avec une loupe qui grille la peau d’un touriste endormi).
Leur innocence, leur poésie ( ce petit garçon qui monte les escaliers avec une glace dans chaque main est une merveille).
Et ces enfants qui jouent, s’interpellent, leurs babils forment l’un des atouts et charmes essentiels du film : la bande sonore.
Il y a peu, très peu de dialogues dans ce film, ce sont les bruits et la musique qui forment l’essentiel de la bande – son et de la texture du film. Tati disait qu’il préférait le bruit aux paroles..
La musique est d’Alain Roman ( ?) elle est célèbre et nous pouvons l’écouter sur France Culture tous les jours dans l’émission « Les chemins de la philosophie » d’Adèle Van Reeth.
Musique, enivrante, joyeuse, dynamique, poétique, tout à l’image de ce merveilleux film.
Je vous signale une séance unique en streaming et accès libre du film Les Héritiers avec Ariane Ascaride, dimanche 26 avril à 17h sur le site du Mémorial de la Shoah http://www.memorialdelashoah.org/ À bientôt Sylvie
La crise que nous vivons actuellement est certes historique, elle ne donnera cependant peut-être pas de grands films. Notre grande épopée, notre dramatique aventure nous poussant à nous isoler, rester seuls sans pouvoir quitter la maison, il est difficile d’imaginer que ce huis clos puisse se transformer en un long métrage palpitant et riche.
Pourtant, elle n’en est pas moins cinématographique tant elle renvoie par certains aspect à des images vues sur petit ou grand écran. Je vous propose un (très) petit tour du cinéma imaginaire que cet inédit à ouvert en moi.
L’ambiance générale, d’abord, fait toucher celle particulière de Mauvais sang. Dans une moiteur semblant préparer l’apocalypse, Paris est ravagée par une nouvelle maladie.
Pas d’amour sans amour, le virus se répand sans qu’on ne comprenne encore comment, faisant planer le doutes sur les sentiments et sur les raisons qui poussent aux rapprochements. Il faut aller vite, être le premier à trouver le vaccin quitte à dérober le germe du virus au laboratoire concurrent. Pour Alex (magnifiquement interprété par Denis Lavant) et son incroyable dextérité, cette course internationale sera son salut. Vite, avant que la mélancolie n’emporte tout. Courir imaginairement dans les rues vides avec l’amour moderne de David Bowie, le confinement est une belle occasion de replonger dans la belle version restaurée du film de Leos Carax et surtout dans sa bande sonore, aussi originale que sublime.
Dans sa dimension internationale, cette crise n’est pas sans rappeler le road trip de Brad Pitt pour comprendre avec le spectre de chaque pays la terrible épidémie de … zombies ! Dans World War Z.
Les gestes barrières et notamment la distanciation sociale évoquent les images de la Servante Écarlate.
Jamais plus de deux, un mètre de distance, des balades contrôlées et la nécessité de laisser passer, non pas pour lutter contre un virus, mais contre la propagation de la liberté dans une société totalitaire où la femme privé de tout droit devient un outil de procréation (je signale sur le sujet le très intéressant documentaire : Tu seras mère ma fille, qui retrace 100 ans de réappropriation de la femme de son corps et plus particulièrement de son ventre -à voir en replay sur France 5-).
L’effondrement, cette série qui lorsque nous l’avons regardée me paraissait absolument improbable voire impossible malgré le réalisme sordide auquel il nous confronte raconte comment la société s’écroule après une brutale pénurie de pétrole. Ces ambiances apocalyptiques que je ne pensais jamais vivre deviennent palpables, presque réelles.
Se rendre au supermarché est devenu aussi romanesque qu’un épisode d’Indiana Jones, la ferme autosuffisante un Éden à envier et les maisons de retraites, un mouroir infernal abandonné (cet épisode est presque prophétique de scènes rapportées par les journaux espagnols).
Pourtant, n’affectionnant pas le genre apocalyptique, j’ai le regret d’avoir épuisé toutes mes références cinématographiques.
Il restait ainsi un grand vide, un vide à combler par l’imaginaire. Quoi de mieux pour cela que les dessins animés. Rattrapant notre retard, nous nous sommes lancés dans un visionnage des pépites de l’animation que nous avions manquées. Mais bien loin de Disney, dans les dessins animés aussi, une centaine noirceur règne.
Another day of life, d’après le témoignage dans le livre éponyme du journaliste Ryszard Kapuscinski nous plonge au cœur du confusao de l’Angola de 1975 entre image d’archives, interviews contemporaines des victimes et acteurs principaux du conflit et images animées. Le style graphique se mêle étonnamment bien avec les images d’archives, ainsi que les images filmées contemporaines, il suggère sans trop de réalisme l’essence des personnages que l’on découvre avec intensité dans les rares photographies et vidéos tournées à l’époque. On suit au plus près de la pensée du journalisme, la guerre civile (qui se révèle n’avoir rien de civile tant elle est instrumentalisée par les deux blocs de la guerre froide) qui ravage le pays, l’évolution des situations, et cet européen qui a grandi dans une Pologne déchirée par la seconde guerre mondiale. Laissant progressivement son devoir de neutralité, il accepte difficilement d’avoir un impact sur la situation, de devoir agir, quitte à cacher une partie des informations à son éditeur. Ce point crucial le fait chavirer, il était parti journaliste, il reviendra en Pologne pour devenir écrivain. La force du film tient certes à l’aspect historique de cette guerre oubliée pour une indépendance fantasmée, mais aussi à son animation qui permet à la fois de synthétiser et de toucher au plus près du réel la situation, comblant les intervalles vides des scènes d’archives, avec une vision très personnelle : les images, doublée par un discours à la première personne, se défont, se détruisent, explosent, épousant la pensée du protagoniste. Le dessin prend alors une expressivité filmique rare. Une force qu’on lui connaissais notamment grâce à la magnifique Valse avec Bachir. Mais cet objet cinématographique est atypique par le mélange de sources et de styles d’image, ce qui lui confère une intensité et une puissance impressionnante.
Dans un style très différent, mais rejoignant la volonté biographique et le maillage entre image animée et images documentaires filmées, le long métrage Buñuel après l’âge d’or nous permet fictivement de suivre le cinéaste surréaliste et sa (petite) équipe en el laberinto de las tortugas – titre en espagnol. Ce labyrinthe de carapaces métaphorise les hameaux aux rues serrées perdus dans les Hurdes, région très défavorisée au nord d’Estrémadure en Espagne. C’est là que Buñuel a tourné son incroyable documentaire Terre sans pain en 1932. C’est ce tournage improbable que retrace le film d’animation, le documentaire étant à plusieurs reprises donné à voir montrant ce que filme la caméra d’Éli Lotar. On découvre le cinéaste espagnol, tiraillé entre la volonté de répondre au mythe du génie surréaliste et celle de voir et donner à voir une misère sociale insupportable dans l’espoir de changer les choses. La mort rode dans ce film d’animation, tout comme l’onirisme cauchemardesque, tous deux s’invitent sans crier gare au détour d’une image, d’une libre association d’idées, des personnages rencontrés ou du film terres sans pain lui même. Plus qu’un making off du film, on se retrouve dans la tête de Buñuel, partageant autant son imaginaire, les rouages de création des images surréalistes pourtant presque inconscientes, sa phobie des poules, mais aussi et surtout, son besoin de reconnaissance artistique notamment aux yeux de son père (Dali étant en miroir de cette relation, comme une figure tutélaire à admirer et à tuer pour la dépasser, montrant toute l’ambiguïté de cette amitié.)
Le surréalisme n’est pas complètement absent du très beau J’ai perdu mon corps. Comment ça, ma transition serait tirée par les cheveux ? Une main s’y balade, d’abord accompagné d’un œil bientôt crevé (comme dans Le chien Andalou ?), à la recherche du reste de sa chair, tantôt attaqué par des fourmis (si avec ça, on ne pense pas à Dali…), tantôt dans un nid avec des œufs (toujours pas ?), avant de tordre le coup au pigeon maman venant protéger ses oisillons à naître. Pourtant, malgré ce début étrange et inquiétant, cette main sans corps ne fait jamais virer le film dans le genre de l’horreur ou de l’angoisse. En effet, le caractère très poétique du film rendent ces scènes très émouvantes et cette main seule va devenir véritablement le personnage central de l’histoire pour qui va naître une véritable empathie et offrir des scènes d’une réelle beauté (notamment la scène du briquet, celle où la main vole seule attaché à un parapluie, ou celle où elle s’accroche au grillage rappelant l’iconographie forte de l’enfermement). Une chorégraphe belge fait elle aussi de la main un objet expressif et un personnage de danse à part entière, Michelle Anne de May, qui signe avec le réalisateur Jaco Van Dormael une série de pièces incroyables, dont voici un extrait du premier opus : Kiss and Cry.
Comme dans ces pièces, très vite, dans le film d’animation de Jérémy Clapin, la narration se centre sur la main, mais pas seulement la main coupée, celle aussi d’avant. On pourrait presque dire qu’on voit à travers les yeux d’une main. Celle de Naoufel, d’abord enfant à qui le père explique que pour attraper une mouche, il faut viser là où elle n’est pas, et non là où elle est. Puis ses mains sur un piano, ceux sur un magnétophone pour tout enregistrer, jusqu’au plus dramatique, puis ceux sur un interphone (le son est aussi particulièrement important dans le film, tant par la bande musicale que sonore : mettre ses deux mains sur les oreilles et se balancer jusqu’à entendre ses pas marcher dans la neige) d’une pizza livrée avec trop de retard et trop accidentée pour être acceptée. Puis les mains sur un téléphone pour composer le numéro de celle à qui il a parlé lors de cette livraison si spéciale pour la retrouver, et faire vriller le destin qui promettait à Naoufel un avenir aussi raté que cette première rencontre. Comme avec la mouche, il s’agit de le piéger. Suivre son destin comme si de rien n’était, continuer à marcher droit devant, et quand il ne se doute de rien, prendre la tangente, un mouvement improbable, imprévisible. Et se dérober. Se cacher pour ne pas qu’il nous retrouve. C’est ce que Naoufel fait en suivant cette voix de l’interphone, qui le conduira à devenir menuisier, construire l’igloo rêvé et tout avouer avant d’avoir la main coupée.Cette main coupée est le signe du destin qui l’a rattrapé ? Peut-être. Mais peut-être est-ce aussi une nouvelle tangente à saisir pour enfin effacer les regrets. C’est finalement une sublime leçon de vie que ce film livre à ceux qui le laissent les bouleverser.
C’est un tout autre destin que nous offre L’extraordinaire voyage de Marona d’Anca Damian, celui d’une petite chienne, neuvième d’une fratrie, tâche d’encre noir sur fond blanc. Je n’aime pas particulièrement les films sur les animaux, surtout sur les chiens et les chevaux, il faut bien l’avouer. Alors le pitch de Marona qui à l’heure de sa mort va revivre son histoire et raconter ses différents humains, c’était loin de m’enthousiasmer. Mais Thierry Chèze m’avait heureusement prévenu dans La dispute du 17 janvier (il était temps de se lancer) : « Cette histoire qui pourrait être mièvre, larmoyante au possible devient par son côté visuel quelque chose d’extrêmement ludique, d’extrêmement joyeux, d’extrêmement ambitieux ». Et en effet, l’animation de ce film est juste incroyable. La ligne, toujours grandement colorée, n’est jamais illustrative, certes expressive, mais surtout mouvante, vibrante… Vivante. L’architecture de la ville de Paris grouillante de vie dans chaque partie de l’image se transforme à l’image des œuvres de Poliakoff, Miro, Mondrian, Bosch, Matisse, Picasso (les références sont aussi omniprésentes que finement citées), nous plongeant dans un tableau moderne et dynamique. Les personnages imaginés par le bédéaste Brecht Evens, que l’on reconnaît à son style mêlant encre et acrylique dans des dessins très graphiques et colorés, se forment et se déforment, emportant avec eux les lignes de leurs visages, de leurs corps et de leurs vies (les rayures de l’acrobate – rappelant les sculptures en fil de fer de Calder et son cirque – tournoient, zigzaguent, ondulent et sinuent avec lui, les rides d’une vielle dame affiche ses rêves alors qu’elle assoupie…). Et chaque personnage emporte avec lui son style graphique et sa technique, ainsi que son univers pictural. Le rendu est absolument fabuleux.Mais en plus de cette richesse dans l’animation, le scénario est lui aussi très subtilement mené. L’écriture d’une grande finesse nous chahute d’une émotion à l’autre, les abandons de Marona sont certes très durs, mais ils ne sont jamais dramatisés. La tristesse est tout de suite contrebalancée par beaucoup d’amour et de bonheur et la tendresse générale qui en découle donne à ce long métrage une narration très sensible, à l’image de son personnage principal. Marona ne s’apitoie jamais sur son sort, cherchant toujours à rebondir (comme la balle qu’elle court chercher au plus vite pour faire plaisir à son humain et voir son visage se remplir de joie quand elle lui ramène) et inscrit dans sa boîte à mémoire toutes les joies aussi intenses qu’éphémères : avoir un nom rien qu’à elle, un humain à veiller pendant qu’il dort, un petit coin pour dormir. Car, cette chienne est aussi la narratrice et sa lucidité est un régale : «Chez les chiens, le bonheur est l’inverse de celui chez les hommes. Nous voulons que les choses restent exactement comme elles sont, les humains eux, ils veulent toujours autre chose que ce qu’ils ont. Ils appellent ça rêver. Moi j’appelle ça ne pas savoir être heureux.» Un film qui donne envie d’aimer sans retenue ses proches mais aussi tous les instants intenses de nos vies, même les plus subtiles et intimes. C’est très certainement le film d’animation le plus audacieux qu’il m’a été donné de voir, un véritable régale visuel, sonore et sensible.
Vous souvenez-vous de ce film, The Go-Between? Joseph Losey, Palme d’Or 1971 à Cannes.
Adapté d’un roman de L. P. Hartley publié en 1953, The Go-Between raconte l’histoire de Leo, jeune garçon de famille modeste, qui est invité par Marcus Maudsley à passer l’été dans la somptueuse maison du Norfolk de cette famille d’aristocrates. Ce sera pour Leo l’occasion de découvrir deux mondes qui lui sont étrangers et dont il ne connaît pas les codes : celui de l’aristocratie et celui des adultes. Leo va faire la connaissance de la belle Marian, sœur de Leo, qui va l’utiliser à des fins que ce dernier ne soupçonne pas.
Le film est basé sur un retour en arrière : Leo adulte se remémore l’été chaud de ses 13 ans qu’il passa dans le Norfolk, été des découvertes et des déceptions, de l’illusion et de la désillusion, de l’humiliation, du mensonge, qui le firent brutalement basculer de l’enfance à l’adolescence. Été d’apprentissage…
Losey filme du point de vue de Leo, et montre cet apprentissage cruel qui marquera Leo à jamais. L’aristocratie britannique du début du XXème siècle est reconstituée avec grand raffinement, la différence sociale est accentuée par des mouvements de caméra allant sans cesse du haut vers le bas, les Maudsley regardant Leo avec mépris, et jouant de sa naïveté, se moquant de ses manières frustes.
Voilà un film est très British ; les acteurs sont tous dans la justesse, Julie Christie (Marian) et Alan Bates (Ted Burgess) sont inoubliables, quant au jeune Dominic Guard, âgé de 14 ans à l’époque, il fait merveille. La musique de Michel Legrand ‘court’ tout le long du film, à l’instar de Leo qui, tel Mercure, messager des dieux ̶ on le surnomme ainsi, court apporter les lettres de Marian à Ted Burgess, régisseur du domaine et amant de celle-ci.
J’ai vu ce film dès qu’il est sorti, à l’époque je n’ai pas tout compris, et dans la foulée en cet été 1971, j’ai acheté et lu le roman : sublime!
Il fut adapté à l’écran mais aussi au théâtre. Certes le film est magnifique et si vous l’avez aimé, revoyez-le et lisez le roman qui commence par cette phrase reprise au début du film, « Le passé est une terre étrangère : ce que l’on fait là-bas est différent. » (“The past is a foreign country: they do things differently there.”)
Hiver 1998. Je sors de la projection de « Festen », film réalisé par le danois Thomas Vinterberg. Je suis abasourdie, muette, taraudée par une angoisse sournoise. Les critiques en parlaient comme d’une bombe cinématographique ; je viens de me prendre la bombe en plein visage ; elle diffuse son malaise brutal et tenace. Incapable de dire une phrase qui exprime ce que je ressens vraiment, je me contente de me demander si j’ai bien compris, si j’ai bien vu, si j’ai bien compris ce que j’ai vu. J’ai le sentiment d’avoir été l’un des invités témoins de cette fête de famille . « Festen », la fête, à laquelle la famille et les amis du patriarche Helge, ont été conviés pour ses soixante ans. La fête familiale s’est transformée sous mes yeux en festin théâtral dénonçant l’appétit sexuel de l’ogre patriarche, amateur d’enfants, les siens, ses deux aînés , Christian et sa sœur Linda.
Voilà la réalité inconcevable que mon cerveau a du mal à admettre. Je suis dans le déni, comme les invités de Helge. Ce n’est pas possible. Ce père débonnaire ne peut pas être le prédateur et le bourreau de ses propres enfants et qui plus est, sous le regard complice de la mère qui nie farouchement les faits. Mais en même temps, la détermination farouche du fils aîné Christian, de révéler les abus dont lui-même et sa sœur ont été victimes, s’impose tel un bulldozer. Sa force d’inertie a laminé les apparences bien lissées d’une famille bourgeoise propre sur elle, bien blanche, parfaitement idéalisée, pour révéler avec volonté et cruauté, les non-dits et les secrets bien gardés d’une famille qui se veut irréprochable.
Voilà la réalité inacceptable : voir le masque de la famille modèle être enlevé, pour ouvrir les portes du cauchemar et des révélations sordides. Linda a fini par se suicider, Christian qui a pu fuir, garde des séquelles qui impactent sa vie d’homme.
Réalité inacceptable ! Christian est forcément fou ! Il faut l’excuser. Mais il insiste. Il faut le faire taire à tout prix. A n’importe quel prix. Le bâillonner, l’éloigner, le déstabiliser, le culpabiliser, l’empêcher, lui casser la figure, le ligoter…
Il y a maintenant vingt-deux ans que j’ai vu « Festen », mais je peux encore ressentir cette sidération, ce silence obstiné qui nous a envahis, mon compagnon et moi à la sortie de la salle de cinéma.
Dans ce film coup de poing, il y a de la critique sociale au vitriol et de la crudité sans fard et l’intrigue se déroule en moins de vingt-quatre heures à un rythme effréné. Tout de suite, on perçoit le côté sombre et la violence des rapports entre les protagonistes. La fête va se déliter implacablement, sous les révélations, d’abord mesurées puis de plus en plus affirmées de l’aîné Christian, sommé par le père, de prononcer un discours. La tablée est venue pour s’amuser, s’empiffrer et picoler. Ils ne sont pas venus pour s’entendre dire que leur père, leur mari, leur frère, leur ami a été un père incestueux sous le regard faussement aveugle de sa femme. Mais peu à peu, les masques tombent, le spectateur assiste, médusé, à un étalage d’hypocrisie poisseuse, le film frôle le surréalisme et la violence des protagonistes crève l’écran pour mettre le spectateur K.O.
Partagée, encore aujourd’hui, entre attraction et répulsion, je ne sais pas si j’aurais envie de le revoir. Pourtant, j’y vois cinq bonnes raisons.
1- le récit est d’une intensité dramatique extraordinaire par la cruauté et les failles psychologiques qui animent les personnages.
2- Conçu dans le respect des règles du Dogme 95, rédigé par Lars Von Trier et Thomas Vinterberg lui-même, « Festen » a été tourné dans des décors et lumières naturels, caméra à l’épaule, son en prise directe, sans musique additionnelle.
La mise en scène qui se tient au plus près des personnages permet au spectateur de comprendre et ressentir le mal-être exprimé.
3- Le sujet brut, la pédophilie, est traitée sans voyeurisme. Le film ne tourne pas autour du pot mais les abus du père sur ses deux enfants sont seulement suggérés, jamais mis en images. C’est un film qui constate des choses, rend compte de comportements humains sans donner de réponse.
4- Magnifiquement interprété par des acteurs à fleur de peau, le film est porté par la force de leur présence et de leur interprétation. Chacun à sa place évolue, change, se heurte, se confronte dans un théâtre des sentiments.
5- Enfin, le film a été multi récompensé :
Prix du jury au festival de Cannes en 1998
César du meilleur film étranger
Meilleur film en langue étrangère au Golden Globe
Thomas Vinterberg a déclaré avoir eu envie de faire ce film quand une amie lui a raconté l’histoire vraie d’un homme qui, le jour des soixante ans de son père, a mis les crimes du patriarche sur la table. Le sujet n’est pas à la mode, à l’époque, et son producteur lui suggère de le remplacer par le sida, beaucoup plus porteur, selon lui. Mais le réalisateur persiste. Non seulement il tournera un film sur la pédophilie mais il le fera en vidéo avec une caméra de piètre qualité et selon les règles du Dogme 95, aux antipodes des productions en studio. Un dogme jeté aux oubliettes par leurs concepteurs-mêmes.
Un film à revoir, c’est sûr, d’autant qu’il a été restauré en 2018.
Marie-Annick
Merci et à Mercredi pour un nouveau « souvenir de Bobine »
film documentaire d’Otar Iosseliani
France / 1988 / 56:28
Des moines, des villageois, leurs vies, leurs chants.
Hier encore j’ignorais l’existence même du cinéaste Otar Iosseliani, auteur d’une quinzaine de films souvent primés.
Otar Iosseliani est né en 1934 à Tbilissi, Géorgie et s’est installé en France en 1982.
Grâce à www.cinematheque.fr/henri, aujourd’hui est un autre jour.
En 1988, Otar Iosseliani a une cinquantaine d’années quand il réalise pour la télévision ce documentaire sur Castenuovo dell’Abate, province de Sienne.
Il le conclue par ce texte : « Ici se termine la première partie de ce film, la suite sera tournée dans une vingtaine d’années en ce même lieu et avec les mêmes personnages, si tout va bien »
Tout n’a pas bien été.
Le monastère Sant’Antimo est devenu un hôtel de luxe et le village, Castelnuovo dell’Abate, un domaine Airbnb.
Plus de moines, plus ces villageois-là.
Raison de plus pour se plonger avec ce documentaire dans un monde et un temps disparus.
Si le film commence au monastère avec les cinq frères augustins français, au rythme des offices, il nous conduit vite au village et ses habitants et à ce qui les fait vivre : les champs, la vigne, les animaux, les oliviers.
On pénètre dans un village et sa diversité, l’église San Sebastiano où les plus nantis se montrent à la messe du dimanche, en fourrure, les souliers impeccables quand les plus humbles communient chez les moines, la différence de classe allant se nicher là aussi.
Le repas partagé et le bal populaires, la valse musette sans lâcher la clope, la marche aux flambeaux, le châtelain, le miséreux, le café peuplé d’hommes, le chianti, bien sûr, partagé parfois avec un moine (au physique de jeune premier !), ce même moine qu’on voit plus tard remonter quatre à quatre à sa cellule chercher son livre de prières oublié !
Les femmes aux champs, au lavoir, au repassage, à la cuisine. Les femmes partout et invisibles même de ce moine venant récupérer son habit immaculé et n’ayant pas un regard, pas un mot pour la vieille femme, tenant le fer, à son service.
Sans nostalgie pour ça !
Et toujours ce petit paysan, maniant la faux et la faucille, transporté par son chant et dont j’espère me souvenir longtemps.
Un condamné à mort s’est échappé n’est pas mon film préféré, c’est un film que j’aime particulièrement, je l’ai vu jeune, il m’a fortement impressionné, je l’ai revu plusieurs fois par la suite. Quelque chose me fascine dans ce film. Il y a une ambiance d’oppression et de suspens qui s’en dégage du début à la fin. Tout y participe, cette histoire, le son et l’image.
Bresson disait « il faut que l’image et le son s’entre-tiennent de loin et de près. Pas d’images pas de sons indépendants ». Dans un condamné à Mort s’est échappé, c’est une partition où les rares silences inquiètent davantage. C’est parfois le silence avant l’ouverture d’une porte…Avant le bruit des pas vers la cour, avant le crépitement de la mitraillette qui « exécute ».
De l’image, Gilles Deleuze observait : Bresson filme des petits morceaux d’espaces disjoints, parois, portes, que rien ne semble relier …Et ce qui relie ces espaces entre eux c’est la main du prisonnier dans sa cellule étroite. Stéphane Lépine, un critique canadien observait : « Les personnages sont toujours en mouvement, jusqu’à ce qu’on les arrête ».
D’abord, on voit un homme qui vient d’être arrêté, qu’on conduit en voiture, c’est le lieutenant Fontaine. D’une manière instinctive, comme un animal pris au piège, au premier arrêt, il tente de s’échapper en sautant de la voiture, vainement, il est aussitôt repris…
On est impressionné par cet instinct de résistance. Il risque d’être abattu, il le sait, mais ce qui compte pour lui ce n’est pas tant la vie que de se libérer. Maintenant qu’il est en prison, tous sens en éveil, sans cesse, il va chercher encore à s’échapper. Cette fois d’une manière posée, ingénieuse et méthodique, ce sera le corps du film.
Notable ce climat morne, léthargique, hérissé de sons de la prison. Les prisonniers marchent en rang, comme des automates, vers la cour pour vider leur seau où faire une toilette sommaire. On observe aussi qu’ils forment un tout quasi organique, l’un commence une phrase, l’autre la poursuit, comme si elle n’appartenait qu’à une seule pensée. Chacun sait qu’il faut économiser les mots, ils sont dangereux. Et quand un prisonnier est extrait de sa cellule ou séparé du groupe, la salle d’interrogatoire ou le lieu d’exécution n’est jamais bien loin.
J’imagine qu’il y a quelque chose qui tient de l’énergie du désespoir là-dedans, il faut sans doute se dire : « je suis déjà mort, qu’est-ce que je risque de plus ? » Seul compte la tension vers le but… Se libérer, même si ça doit s’arrêter : « je lutte contre les murs, contre moi, contre la porte » dit-il à un autre détenu. Les bruits nous inquiètent ou nous rassurent, tel ce geôlier qui fait tinter sa clé contre les barreaux, et le bruit de ses clés qui s’éloigne, nous l’écoutons s’éteindre… Il faudra un mois de travail au Lieutenant Fontaine. Vers la fin des travaux, l’administration collaboratrice faisant les choses dans les règles, le conduit chez le juge qui lui annonce qu’il est condamné à mort et qu’il va être fusillé.
Au retour, il ne sait pas s’il est en route vers le peloton ou la prison. Ce sera la prison. Répis. Quelque temps après arrive dans sa cellule François Jost, un gamin déboussolé de 16 ans embarqué dans une histoire puérile de collaboration qui a tourné en mauvaise rixe. Il n’apparaît ni fiable, ni résolu, pourtant ils vont s’évader ensemble.
Dernières images, la délivrance. La prison, ce monstre en digestion, dort. S’évader s’est faire et contrôler des cliquetis, jouer des ombres et de la lumière. Et au bout, cette fois-ci, entre mille, iI a gagné, il a reconquis sa liberté. Quant au jeune homme François qui l’accompagnait dans cette fuite, sans doute rarement aussi fier de lui – même qu’à ce moment précis, il lâche soulagé et heureux : « Si ma mère me voyait ! ». L’air doit être frais, ils marchent vite, le jour va bientôt se lever. Fin
Cette image de libération je l’ai retrouvée dans bien d’autres films ensuite, et il en a de sublimes, mais longtemps, c’est celle-là à laquelle je pensais.
Georges
Note :Cette histoire est authentique, tournée en 1956, elle se déroule en 1943. C’est celle d’André Devigny, un résistant, qui est le seul à avoir réussi l’évasion de la prison de Montluc à Lyon. Après avoir été arrêté, il y a été enfermé, interrogé et torturé par Klaus Barbie puis jugé puis détenu dans le quartier des condamnés à mort. On peut lire son histoire dans Wikipédia, on peut aussi s’attarder sur l’histoire de cette prison de Montluc où ont été détenus, condamnés à mort, fusillés ou guillotinés, hommes et femmes de la résistance, de la guerre de 39 à celle du FLN en 60 et 61.
C’est ça aussi un film préféré : un film précieux qu’on protège, qu’on garde au chaud, intact et dont on préserve le souvenir. Dieu sait que la musique de Maurice Jarre vous a saoulés et puisque vous lisez ces lignes ça y est Un jour, Lara … c’est reparti ! Moi, cette musique, c’est magique, m’emportera toujours au pays de mes premières salles obscures.
Docteur Jivago (1965) de David Lean est un de mes films préférés. Vu une seule fois, il y a une cinquantaine d’années et jamais oublié. Je me souviens de tout. Jamais je ne l’oublierai ni ne le reverrai, le risque d’une deuxième fois étant beaucoup trop élevé et ce serait même peut-être fatal ! Film d’amour, d’aventure et film géographique et historique. Ce film m’a impressionnée, émue, fait rêver, m’a transportée, dépaysée, m’a fait pleurer. Le bonheur ! Je frissonne encore devant une photo d’Omar Sharif époque 60/70, l’affiche me met en transe, Youri est un prénom que j’adore et le couple Lara/Julie Christie-Youri/Omar Sharif est pour moi, à jamais, un des plus beaux couples de cinéma. Là, en y repensant, pour cette rubrique du blog, j’ai à nouveau 15 ans … Je l’ai mangé ce film, tout cru et sans rien laisser. D’où l’importance de l’âge et des circonstances pour voir un film.
Tiens, je me la remets.
Marie-No
Merci et à vendredi pour un nouveau « souvenir de Bobine »