Un condamné à mort s’est échappé n’est pas mon film préféré, c’est un film que j’aime particulièrement, je l’ai vu jeune, il m’a fortement impressionné, je l’ai revu plusieurs fois par la suite. Quelque chose me fascine dans ce film. Il y a une ambiance d’oppression et de suspens qui s’en dégage du début à la fin. Tout y participe, cette histoire, le son et l’image.
Bresson disait « il faut que l’image et le son s’entre-tiennent de loin et de près. Pas d’images pas de sons indépendants ». Dans un condamné à Mort s’est échappé, c’est une partition où les rares silences inquiètent davantage. C’est parfois le silence avant l’ouverture d’une porte…Avant le bruit des pas vers la cour, avant le crépitement de la mitraillette qui « exécute ».
De l’image, Gilles Deleuze observait : Bresson filme des petits morceaux d’espaces disjoints, parois, portes, que rien ne semble relier …Et ce qui relie ces espaces entre eux c’est la main du prisonnier dans sa cellule étroite. Stéphane Lépine, un critique canadien observait : « Les personnages sont toujours en mouvement, jusqu’à ce qu’on les arrête ».
D’abord, on voit un homme qui vient d’être arrêté, qu’on conduit en voiture, c’est le lieutenant Fontaine. D’une manière instinctive, comme un animal pris au piège, au premier arrêt, il tente de s’échapper en sautant de la voiture, vainement, il est aussitôt repris…
On est impressionné par cet instinct de résistance. Il risque d’être abattu, il le sait, mais ce qui compte pour lui ce n’est pas tant la vie que de se libérer. Maintenant qu’il est en prison, tous sens en éveil, sans cesse, il va chercher encore à s’échapper. Cette fois d’une manière posée, ingénieuse et méthodique, ce sera le corps du film.
Notable ce climat morne, léthargique, hérissé de sons de la prison. Les prisonniers marchent en rang, comme des automates, vers la cour pour vider leur seau où faire une toilette sommaire. On observe aussi qu’ils forment un tout quasi organique, l’un commence une phrase, l’autre la poursuit, comme si elle n’appartenait qu’à une seule pensée. Chacun sait qu’il faut économiser les mots, ils sont dangereux. Et quand un prisonnier est extrait de sa cellule ou séparé du groupe, la salle d’interrogatoire ou le lieu d’exécution n’est jamais bien loin.
J’imagine qu’il y a quelque chose qui tient de l’énergie du désespoir là-dedans, il faut sans doute se dire : « je suis déjà mort, qu’est-ce que je risque de plus ? » Seul compte la tension vers le but… Se libérer, même si ça doit s’arrêter : « je lutte contre les murs, contre moi, contre la porte » dit-il à un autre détenu. Les bruits nous inquiètent ou nous rassurent, tel ce geôlier qui fait tinter sa clé contre les barreaux, et le bruit de ses clés qui s’éloigne, nous l’écoutons s’éteindre… Il faudra un mois de travail au Lieutenant Fontaine. Vers la fin des travaux, l’administration collaboratrice faisant les choses dans les règles, le conduit chez le juge qui lui annonce qu’il est condamné à mort et qu’il va être fusillé.
Au retour, il ne sait pas s’il est en route vers le peloton ou la prison. Ce sera la prison. Répis. Quelque temps après arrive dans sa cellule François Jost, un gamin déboussolé de 16 ans embarqué dans une histoire puérile de collaboration qui a tourné en mauvaise rixe. Il n’apparaît ni fiable, ni résolu, pourtant ils vont s’évader ensemble.
Dernières images, la délivrance. La prison, ce monstre en digestion, dort. S’évader s’est faire et contrôler des cliquetis, jouer des ombres et de la lumière. Et au bout, cette fois-ci, entre mille, iI a gagné, il a reconquis sa liberté. Quant au jeune homme François qui l’accompagnait dans cette fuite, sans doute rarement aussi fier de lui – même qu’à ce moment précis, il lâche soulagé et heureux : « Si ma mère me voyait ! ». L’air doit être frais, ils marchent vite, le jour va bientôt se lever. Fin
Cette image de libération je l’ai retrouvée dans bien d’autres films ensuite, et il en a de sublimes, mais longtemps, c’est celle-là à laquelle je pensais.
Georges
Note : Cette histoire est authentique, tournée en 1956, elle se déroule en 1943. C’est celle d’André Devigny, un résistant, qui est le seul à avoir réussi l’évasion de la prison de Montluc à Lyon. Après avoir été arrêté, il y a été enfermé, interrogé et torturé par Klaus Barbie puis jugé puis détenu dans le quartier des condamnés à mort. On peut lire son histoire dans Wikipédia, on peut aussi s’attarder sur l’histoire de cette prison de Montluc où ont été détenus, condamnés à mort, fusillés ou guillotinés, hommes et femmes de la résistance, de la guerre de 39 à celle du FLN en 60 et 61.