Yurt- Nehir Tuna (2)

                                                         

Yurt, le premier long-métrage du réalisateur turc, Nehir Tuna, raconte une histoire d’adolescence qui a la particularité, comme l’indique une note à l’écran, de se dérouler dans les années 1990-2000. Durant cette période, les tensions entre les laïcs et les religieux sont exacerbées. Le réalisateur a beaucoup puisé dans son histoire personnelle pour raconter celle d’Ahmet, lycéen de quatorze ans, merveilleusement interprété par le jeune acteur débutant, Döga Karakas, récompensé par le prix d’interprétation masculine au festival de Marrakech.

    Le jour, Ahmet fréquente un lycée laïc et nationaliste qui glorifie la Turquie et celui qui lui a donné son indépendance, Mustafa Kémal, dit Atatürk, le père de la Turquie. Le soir, il rejoint le « yurt » dans lequel son père, pris d’une ferveur religieuse toute nouvelle et espérant une rédemption pour des fautes passées, l’oblige à suivre un enseignement coranique.

    Les yurt sont des pensionnats religieux destinés initialement aux enfants pauvres. Peu à peu ils sont devenus des lieux garantissant un enseignement de haut niveau et ont pu prospérer au fur et à mesure de la mise en place de mesures législatives et administratives favorables à l’Islam.

    D’emblée et sans explication, le réalisateur montre alternativement, un adolescent soucieux et peu attentif dans son lycée puis anxieux et mal à l’aise dans son établissement religieux qui a tout d’un univers carcéral et où il constate le vol de ses vêtements. Peu à peu, le spectateur comprend qu’Ahmet vit sous une pression insupportable. Le jour il doit absolument cacher qu’il se rend à l’école coranique ; le soir il doit oublier son univers familier, son confort bourgeois et faire oublier qu’il est d’origine favorisée. Il doit subir une discipline de fer et la vie commune dans un dortoir surpeuplé et inconfortable, et même recevoir d’un partisan laïc, la haine que lui inspirent les religieux. Ahmet s’enfuit du pensionnat, se fracture même le poignet volontairement pour échapper à son supplice. En pure perte car son père reste implacable.

    Confiant malgré tout en son père, n’ayant rien d’un enfant rebelle, condamné tantôt à le cacher, tantôt à montrer, qu’il est un bon musulman, Ahmet, grâce à Hakan un pensionnaire plus âgé, va tenter de concilier l’inconciliable. Dans ce lieu carcéral où les barreaux, l’obéissance aveugle, les interdits, les obligations, les sévices corporels et les humiliations sont là pour casser toute tentative d’expression personnelle, le jeune homme tente de trouver la lumière qui fera de lui un musulman touché par la grâce, avec pour objectif d’être admis dans «  le cercle », privilège réservé aux élus de Dieu pour leur conduite exemplaire.

    Nehir Tuna ne lésine pas sur l’utilisation des symboles : le feu (de l’enfer) , la lumière venant du dehors à travers les fenêtres hautes et du luminaire central de la salle d’étude ou encore le cercle , celui auquel il veut accéder mais qui représente aussi celui dans lequel il est enfermé.

    Le réalisateur aborde également la sexualité refoulée, le désir qui suinte çà et là par le biais de scènes furtives : deux jeunes garçons qui sortent en même temps des mêmes toilettes, des photos de femmes nues, un doigt caressant que le surveillant Yakup passe sur la joue de Hakan quand ils se croient seuls et qui laisse à penser lors du départ de Yakup chassé pour malveillance et mensonge, que Hakan était son objet sexuel. La tension maintenue tout au long du film semble s’ajuster aux pulsions sexuelles qu’Ahmet sent monter et grandir en lui à partir de l’instant où arrive dans son lycée une nouvelle élève qui lui fait vivre ses premiers émois amoureux.

    Dans cet espace de contrainte qu’est le yurt, Ahmet cherche un espace de liberté : dans l’écoute de la musique de Vivaldi que la belle Sevinç aime tant, dans des rêves érotiques, dans le refuge d’un lieu secret connu de Hakan où ils peuvent tous deux parler librement.

    Le « noir et blanc » du directeur de la photographie sert à merveille le thème du contraste et de la fracture comme celui des apparences masquant ce qui est caché : fracture entre les deux camps opposés, chacun voyant en lui-même la voie de la vérité et dans l’autre le mauvais chemin. Fracture entre les riches et les pauvres, fracture entre le principe d’exemplarité exigé et la réalité des faits commis, fracture entre les rêves, les aspirations et la vie qui est imposée. Fracture aussi entre l’innocence d’Ahmet et les petites combines et les petits arrangements. Le père n’entend pas seulement acheter sa rédemption grâce à son fils, il l’achète aussi financièrement en donnant de l’argent pour la construction du futur yurt.

    Après le départ de Yakup ce hodja surveillant tyrannique et pervers, Ahmet intègre enfin le fameux « cercle » des vertueux musulmans. Lors d’un repas chez lui et alors qu’il sert son père et le directeur du pensionnat, Ahmet comprend que son apprentissage coranique ne s’arrêtera pas là. Toute la violence réprimée en lui va voler en éclat, tout comme la coupe d’argent et cristal offerte au père avec l’envie de tuer. S’inscrit alors en lui, à nouveau, le désir d’échapper à toutes ces choses qu’il ne comprend pas, d’avouer que » Dieu ne lui parle pas ». C’est à Hakan, substitut du père, ami et confident, être à aimer qu’il va donner sa confiance et avec lui qu’il va vivre une fugue libératrice au cours de laquelle le réalisateur délaisse le noir et blanc pour passer à la couleur et donne à entendre une musique qui traduit parfaitement cette euphorie de l’aventure et de la liberté. Le spectateur est heureux d’être le témoin de cette exultation mais sait que la fin sera moins joyeuse. La fin c’est l’échec de la chasse au trésor prévue par Ahmet et la trahison de Hakan qui dégrise et comprend qu’il a tout perdu, pauvre parmi les plus pauvres et que le yurt sauvait de la rue. Gagné par la haine il avoue qu’il est l’auteur du vol de ses vêtements, accuse Ahmet de l’avoir manipulé pour se venger de son père et se bat contre lui dans un corps à corps teinté d’un désir sexuel que n’éprouve pas Ahmet. La prise de conscience des différences de classes et de la complexité des relations humaines est un dur apprentissage qu’il va devoir traverser seul.

    Dans un final qui a tout du chant du désespoir, Nehir Tuna filme alternativement des lycéens glorifiant Atatürk puis des religieux prêchant d’élever les enfants dans la crainte de Dieu comme pour dire que ce n’est pas terminé. La dernière image, en montrant la pose des premières pierres qui édifieront le futur yurt, donne clairement les gagnants de cette guerre sans nom qui a déchiré la Turquie et pris en otages des enfants incapables d’en comprendre les enjeux.

Marie-Annick

Agra, une famille indienne (2024) de Kanu Behl

A Agra, nord de l’Inde, dont le célèbre Taj Mahal, ne sera jamais à l’image, il s’agit d’entrer dans la maison et dans la tête du personnage principal, Guru en éclairant la face cachée de la structure patriarcale rythmée par les frustrations et répressions, dont sexuelles.
Le réalisateur nous met en face du quotidien étouffant de Guru (1er rôle au cinéma pour Mohit Agarwal, acteur de théâtre), asphyxié par le manque d’espace qui lui est réservé et par la multitude de tabous qui le harponnent et attisent sa colère. Sa situation le rend tout bonnement « fou ».
Cantonné au rez-de-chaussée de la maison avec sa mère, il rêve de récupérer, au premier étage, où vit son père avec sa nouvelle compagne, l’espace « terrasse » pour en faire son appartement et pouvoir s’installer. Plus précisément avoir une chambre avec un lit et Mala dedans.
Il en rêve nuit et jour. Et quand il apprend que, de cette terrasse, sa cousine va faire un cabinet dentaire, son projet tombe à l’eau et il perd espoir.
Sans lieu de vie à soi, il est exclu de pouvoir se marier.

Le jour Guru, employé d’un centre d’appels, dans sa tête malade de solitude, serre contre lui , et très intimement, sa collègue Mala qui ignore tout d’une quelconque position de « fiancée » car, de fait, Guru, dans la réalité, ne peut que la « manger des yeux ».
Le soir et dès qu’il a un moment de libre, sur son portable, Guru est branché sur des chats de « rencontres » où il tente d’apprivoiser sinon calmer sa libido exacerbée de jeune homme de 24 ans. Il se montre très agile de sa main droite sur le clavier et sa main gauche a aussi une grande dextérité ! (alors, comme ça, quand il le veut vraiment, un homme pourrait être multi tâches ? 😉)

Guru a peut-être un problème à la base mais si cette situation d’enfermement et de frustration perdure, c’est l’hôpital psychiatrique qui l’attend !
(En Inde, Agra est la ville où se situe le plus grand hôpital psychiatrique du pays)

Heureusement, il va faire une rencontre inattendue, décisive et salvatrice : Priti
Au moins pour un temps, avant que démons et hallucinations ne le reprennent comme le dernier plan le laisse entrevoir. Dans sa tête, jamais guérie, il voit LA belle jeune femme, celle d’avant, Mala, qui lui dit qu’elle est là, qu’elle l’attendait.
Malgré une activité sexuelle très soutenue avec Priti, c’est reparti … (syndrome de l’homme viscéralement insatisfait, éternellement en chasse ?)

Kanu Behl place au centre de son film les répressions sexuelles dont la jeunesse indienne est victime, un thème très important qu’il voulait mettre en avant pour chercher à comprendre les frustrations qui génèrent colère et violence et provoquent un chaos à rendre fou.
Un film aux formes multiples qui, comme c’était le cas de Joyland film pakistanais de Saim Sadik, a le mérite d’alerter sur la position des femmes mais aussi sur celle des hommes dans la société indienne (pakistanaise pour Joyland) et où l’entraide, parfois surprenante, occupe un rôle prépondérant.

Après Titli en 2015, Kanu Behl signe avec Agra, une famille indienne, son fulgurant 2ème long métrage (en hindi), un très beau film d’auteur qui n’a pas manqué de susciter des réactions après sa projection lors de notre Week-end Cinéma indien des 25 et 26 mai 2024 accompagné par Vaiju Naravane qui nous a fait le grand plaisir de l’animer.

Marie-No

L’Empire de Bruno Dumont

Après avoir eu beaucoup de mal à entrer dans L’Empire et à la 25ème minute, avoir été à deux doigts de quitter la séance, j’ai été comme rattrapée par le Bien, question d’éducation sans doute, et c’est dans le film que je suis partie. En auditrice libre.
Le Bien m’aurait-il retourné la tête ? Pas longtemps.
Je vois vite Dumont qui dirige ses acteurs, pro ou pas, à l’oreillette, leur soufflant des répliques débiles « je me bronze le cul » « y fait chaud » « ben, on continue, y faut bien »
Dumont semble s’être donné pour mission d’exhiber un petit monde peuplé de blancs, moches et demeurés. Incapables de faire une phrase, incapables de répéter la phrase entendue dans l’oreillette. Ils le font bien rire tous ces gugusses ! et nous exhorte à en rire avec lui.
De fait, que convient-il d’en faire de ces misérables ? Les éduquer ? même avec ceux ralliés au Bien, aux « 1 », ça va être compliqué, de toute évidence, ça ne marche pas. Exemple Rudy que Jane s’obstine à former …
A part décapiter … pas bon à grand-chose, le Rudy.

Comme Line qui soulève à tout va sa jupette pour montrer son « joli petit cul », si on soulève un peu le voile qui floute L’Empire et ses magnifiques paysages de la côte d’Opale -mais Dumont ne les a pas inventés-, on voit un film d’un racisme sexiste et social crade.
Les filles jeunes y sont « bonnes », évoluant nues ou quasi, dans l’attente de se faire culbuter dans un champ par Jony, le héros toujours prêt, lui aussi. Il suffit qu’il plaque la main de la fille sur son pantalon renfermant son sexe turgescent, pour la faire se pâmer et, en sotte qu’elle devient aussitôt, se bercer d’illusions, aveuglée par le mirage de l’ « Amour », bientôt jalouse comme une tigresse, classique.
Le mâle, lui, ne montre rien, s’active, « referme sa braguette et repart …» sans se retourner, vers sa destinée, chevauchant son Boulonnais, « colosse de marbre blanc »

Le salut par l’Amour ? Tu parles ! Un sacerdoce oui, et sans retour. « Tu ne sens pas ton âme, là qui te dit qu’entre nous … »
Où ça ? De quoi ?
Ronsard le clamait déjà « Regrettant mon amour et votre fier dédain, Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain : Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie » Sacré manipulateur, le Pierre !
Au final, de toute façon, c’est plié : des ménagères attardées, aux corps sans formes, imbaisables, voilà la destinée des nymphettes. Alors, dépêchons, dépêchons …
Jane et Jony … comme dans Tarzan ! Moi John (Weissmüller), toi Jane
Vu par un autre bout de la lorgnette (1+ 0 = 1) l’accouplement de Jane et Jony pourrait laisser espérer que vienne un(e) enfant « 1 » salvat-eur(trice) qui sera brun(ne) et regardera à gauche. L’inverse de Freddy, le Margat, l’enfant 0, angelot, blond aux yeux bleus, dodu et tourné vers la droite.
A l’origine, la reine 1 devait être interprétée par Virginie Effira, Jane par Adèle Haenel et Line par Lily-Rose Depp.
Mais il y a eu du vent dans les voiles et après quelques turbulences c’est Camille Cottin qui joue la Reine-« Maire », Annamaria Vartolomei celui de Jane et Lyna Khoudri celui de Line

Reste que les deux jeunes actrices, Annamaria Vartolomei et Lyna Khoudri sont vraiment excellentes

Reste que, dans le rôle de Jony, Brandon Vlieghe, mécanicien né dans une famille de forains, a une présence qui crève l’écran. Un acteur est en marche. Puisse-t-il aller voir ailleurs et y planter son regard.
Camille Cottin, quant à elle semble distante, Luchini absent.

Reste que les vaisseaux spatiaux constitués de morceaux de la cathédrale d’Amiens, c’est vraiment une bonne idée. Le « Ciel » va bien finir par nous tomber sur la tête.

Reste que je ressens de la colère à m’être laissée (un peu) manipuler, à avoir (un peu) marché dans la combine … à avoir souri de cette misère. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa. Dumont entend forcément ce latin.

Reste que j’ai lâché le goupillon.

Marie-No

Blackbird, blackberry (2)

Film géorgien de Elene Naveriani

Ça commence par le bouillonnement des eaux du Rioni.
On est au cœur d’un village de Géorgie où il ne se passe rien.
Pour Ethero les jours jusque-là se suivaient et se ressemblaient. Se lever, se coucher, dans l’appartement vide rempli de l’absence de ses père et frère morts, ses persécuteurs qui continuent à venir régulièrement lui rendre visite, à s’asseoir à la table et exiger qu’elle les serve, comme avant l’accident.
Selon les convenances leurs photos sont accrochées au mur à côté de celle de sa mère, femme magnifique, jeune pour toujours, celle qui lui a donné la vie en échange de sa mort, il y a presque cinquante ans. Les photos de son père et de son frère, elles les tournent à l’envers en arrivant le soir ou dès qu’une voisine vient fouiner dans sa vie, et les retournent à l’endroit en partant le matin tant la vue de leurs visages lui est insupportable. La nuit, seule la photo de sa mère la regarde.
Ça commence par le bruit de l’eau et le chant d’un merle dont l’envol soudain surprend Ethero en pleine gourmandise, dégustant une de ces petites baies noires mûries au bord du chemin qui longe la falaise. Le jus de la mûre lui coule dans la gorge quand elle perd pied, glisse, glisse … mais se rattrape, se cramponne, hisse son grand corps lourd, remonte.
Ethero est écorchée mais vivante, à l’image de sa vie.
Grâce au merle, ce jour-là elle a la chance de se voir morte là, en bas, 20 mètres plus bas, couchée contre la terre. Cette vision -partagée avec nous- agit, en silence, comme un électrochoc qui va donner le sens du reste de sa vie.
De retour dans son commerce, une épicerie/droguerie, elle commence par s’autoriser enfin à goûter la peau de Mourmane, le livreur, à s’enivrer de son odeur. A 48 ans, Ethéro découvre l’amour physique.


Elene Naveriani sait montrer l’attraction fusionnelle de ces deux corps fatigués qui dans l’amour se délestent du poids des ans et s’émerveillent comme tous les amoureux, de tous les âges.
Leur lit de carton dans l’arrière-boutique devient le plus beau lit du monde par la magie du plaisir partagé qu’ils retrouveront avec le même bonheur, ensuite, dans d’autres lieux, à l’abri des regards, dans une clairière, une chambre d’hôtel, ailleurs, là et ici aussi, encore …
Ethero a enfin accepté d’exister et de ressentir. Sur elle, les sarcasmes des commères ses voisines ne font plus d’effet. Le sortilège est rompu.
C’est le grain de folie de ces deux personnages qui finit par compléter la saveur de ce film. Ethero devient ce qu’elle est, une personne unique, sensible et forte, douce et aimante, pudique et tendre. Comme Mourmane, prêt à lui décrocher la lune dans un poème.

Un vrai conte de fées … euh, sauf qu’un certain nombre de critères sont un peu chamboulés : ils ne sont pas jeunes, ne se marieront pas (Mourmane l’est déjà), ne vivront pas ensemble, ils n’auront pas beaucoup d’enfants (Mourmane en a déjà) …

On reprend
Un vrai conte, le sien : Ethero a décidé de rester libre, elle ne se mariera jamais, elle est désormais capable de vivre heureuse et elle aura (peut-être) un enfant. Toute seule.
Sortie du chemin qu’on avait tracé pour elle, elle n’a pas peur de tomber. La photo de sa mère sera désormais retournée à l’envers, elle aussi, et le restera, dans le tiroir, avec celles de son père et de son frère. Et voilà !

Blackbird, Blackberry troisième long métrage de Elene Naveriani est un hymne à la vie, une belle histoire d’amour, avec Eka Chavleishvili, magnifique comédienne, déjà rencontrée en Neli dans Wet Sand (non distribué en France mais vu aux Ciné Rencontres de Prades 2022) deuxième long métrage, inoubliable, de cette jeune réalisatrice qui s’impose comme véritable auteur qui dit : «J’adore les comédies romantiques, et je voulais jouer avec les codes du genre. Et quand j’ai lu le roman de Tamta Melashvili « Blackbird, blackbird, blackberry », je me suis dit qu’il fallait que je traduise le personnage d’Etéri dans le langage du cinéma, car il est très proche de ce que je cherche, à savoir quelque chose de physique, mais aussi d’assez théorique : la manière dont l’histoire, le temps, s’impriment dans le corps »

De ce livre est née Ethero et un film magnifique

Marie-No

Le Grand Chariot de Philippe Garrel

Le Grand Chariot, connu au Canada francophone sous le nom de Grand Chaudron, est un ensemble de sept étoiles particulièrement brillantes, les sept plus brillantes de la Constellation de La Grande Ourse. 
Ce n’est pas rien et, Le Grand Chariot, c’est le nom que le grand-père a choisi pour son théâtre de marionnettes repris par son fils qui va le transmettre à ses enfants. Un fardeau dont il va s’agir de se défaire, ou tenter de se défaire. Le théâtre en l’état ne peut plus fonctionner assez bien pour faire vivre toute la famille dans la grande maison de leur enfance. 
L’époque a changé et même si un enfant d’aujourd’hui se plonge bien sûr aussitôt tout entier dans les aventures de guignol, polichinelle, la princesse, le gendarme, le brigand avec la même ferveur, pas sûr qu’autour de cet enfant qui a le loisir de  crier « il est là, là, il est là ! » pas sûr que beaucoup d’autres enfants y soient un jour menés. Le Théâtre de marionnettes ne fait plus recette. Les marionnettes n’ont pas traversé le périph.
Le Grand Chariotc’est l’histoire d’une famille de marionnettistes, d’une fratrie, Louis et ses deux sœurs, Martha et Lena, de leur père qui dirige la troupe, de la grand-mère Gabrielle (magnifique Francine Bergé), qui a, dans le temps, fabriqué les poupées et qui inlassablement les répare, coud et reprise les blessures de leurs vies. 
Ses blessures à elle, celles qui sont impossibles à réparer, tues jusqu’ici, s’échappent  maintenant qu’elle est vieille. L’amour attentionné qu’elle a passé sa vie à donner à chacun, s’étiole. Elle est arrivée là où le chemin se resserre, où il faut se concentrer sur soi-même.
Elle est arrivée à ce point où la distance avec le drame n’a plus à être tenue. Oublier pour survivre. Gabrielle va passer le relais.

Métaphore d’un monde d’hier qui, petit à petit, s’effrite, cette famille de saltimbanques va devoir évoluer, se disperser pour préserver sa solidité. Réparer sans faiblir ce qui pourrait la briser, la consolider grâce à ceux qui arrivent, la douceur des amoureuses, Hélène qui a le trac et Laure, le regard d’un bébé, la fragilité d’un peintre, Pieter, symbolisant la précarité planant toujours au-dessus de la scène artistique. 
« Les autres » sont ici considérés a priori comme le début de quelque chose de plus beau et à qui il faut consacrer du temps et de l’attention. 
C’est comme l’art du  Kintsugi/Kintsukuroi : réparer avec de l’or une poterie cassée et ainsi l’objet prend paradoxalement toute sa valeur d’avoir été brisé. C’est l’histoire de personnages ornés de leurs cicatrices qui déploient autour d’eux la pudeur de leurs sentiments. 
Les enfants ont grandi et vont vivre leurs vies plus ou moins vite avec plus ou moins de succès. Louis ne fait plus danser les personnages au bout de ses bras, il répète Le Jour des meurtres dans l’histoire d’Hamlet de Koltès au théâtre, un autre théâtre où le personnage c’est lui désormais, lui tout entier. Martha (Esther) investie par son père adoré de la lourde charge de ce théâtre le voit, miraculeusement, par une belle nuit d’orage être anéanti. A quelque chose, malheur est bon ! C’est sa chance de se bousculer, de rencontrer « un allemand » qui l’emmène avec lui, ailleurs, sur une voie peuplée d’autres  marionnettes, à fil celles-là. Léna, la plus jeune va pouvoir se plonger dans l’écriture de sa pièce.

Le Grand Chariot est une oeuvre cinématographique très personnelle de Philippe Garrel, un grand metteur en scène, qui parle de la représentation, de bienveillance, d’entraide et de transmission. 

Une belle famille dans un beau film.

Marie-No

Oui, je sais …  
ça, c’est une autre histoire

La Vénus d’argent de Héléna Klotz

Pour se procurer le costume, « la panoplie », qu’elle n’a pas les moyens de s’acheter, Jeanne fracasse une vitrine et en sort mutilée.
Marquée dans sa chair pour avoir voulu franchir le plafond de verre.
C’est la 1ère scène de La Vénus d’argent et une des plus iconiques.

Ce film met en avant la difficulté de passer d’un univers social à l’autre, d’en transgresser les barrières, de la possibilité de changer de monde et de s’y intégrer. Il évoque les questions du genre, des premières amours, et du consentement.
L’existence de Jeanne se divise en 2 univers. D’un côté, son univers d’origine, la caserne, sa petite chambre d’enfant, sa famille et, de l’autre côté, l’univers visé : le quartier des affaires, La Défense, l’argent, la liberté.
La Vénus d’argent reprend les codes des récits de transfuges de classe, aborde la difficulté à se faire une place quand on ne baigne pas dans le milieu.
Dans la sphère hyper-masculine de la finance, Jeanne se veut « neutre comme les chiffres », soldat non genré, « quant » (trader algorithmique) en devenir.
A travers des dialogues travaillés de façon presque documentaire, le film réussit à montrer un monde de la finance virulent et acerbe, peuplé de « killers » stylés, avec signes extérieurs de richesse très codés.
L’une des trames narratives les plus intéressantes du film réside dans la relation entre les personnages de Jeanne et Augustin, incarnés par Claire Pommet et Niels Schneider.
Niels Schneider apparaît ici en militaire égaré et incertain, déjà bien cabossé. Un personnage ambigu et marqué par ce qu’il a déjà vécu dans sa jeune vie. Droit dans ses bottes de soldat avec dans la tête une chapelle dans le désert. Augustin Saint -Augustin.
Sur ce qui s’est passé entre eux il y a quatre ans, pas de scène explicite qui ferait toute la lumière. L’important pour la réalisatrice est de montrer qu’Augustin écoute et entend Jeanne quand elle lui rapporte la souffrance qu’elle a vécue par sa faute.
L’important c’est qu’il lui en demande pardon. Héléna Klotz choisit de montrer une issue inhabituelle au cinéma quand il s’agit de violences sexuelles : la réparation.
Les décors signés Olivier Lellouche et la photo de Victor Seguin (Gagarine) contribuent à nous faire entrer dans le monde de Jeanne : sa chambre, hors du temps à la fois chambre de soldat et chambre d’enfant, avec un plafond d’étoiles, seul refuge de ses nuits sans sommeil et dont elle apprend le chemin à ses frère et sœur. Pour les « affaires », les espaces sont métalliques, open spaces à la fois possibles et abstraits, l’hôtel particulier vide, sans âme, comme inhabité, avec de rares éléments de décoration, choisis et luxueux : un crâne, un bouquet de fleurs, quelques œuvres d’art comme une sculpture de Xavier Veilhan, une forme floue devant laquelle Jeanne se tient bien droite presque comme devant un miroir à cet instant là de sa vie. Le film oscille entre lumière bleue et lumière jaune.
Dans ce film tout est soigné, les dialogues bien écrits, les scènes parsemées de détails subtils (la main d’Augustin qui attend celle de Jeanne), les acteurs adultes et enfants tous convaincants, rien n’est laissé au hasard y compris la musique, signée par le frère de la cinéaste, Ulysse Klotz.
Héléna Klotz nous offre un univers cinématographique porté par le physique, pour interroger au mieux “le genre, l’ambition féminine et la violence” selon ses propres mots.
Et en effet La Vénus d’argent est un film qui se vit par le corps, une fable organique sur la classe sociale, le genre, le pardon et la réparation.
Un beau portrait d’une jeune femme du XXIème siècle.

Marie-No

Fremont de Babak Jalali

Donya, réfugiée afghane, a 22 ans. Elle « s’en est sortie » et a « atterrie » à Fremont dans la banlieue de Frisco, elle parle anglais, elle travaille. Mais le soir Donya est seule et ne peut pas dormir.
La vie d’un ou d’une réfugiée ne s’arrête pas à la survie.
Fremont, en noir et blanc, format 4 :3, est un curieux objet cinématographique, et c’est un bonheur de se laisser mener là où on ne s’attend pas à aller.
L’héroïne est bloquée entre deux rives de sa vie, la culpabilité d’avoir quitté son pays et ses proches et la fureur de vivre qui bouillonne en elle.
Le cinéaste Babak Jalali explique: «Quand on rencontre un réfugié ou une personne déplacée, on a envie de leur demander: “Comment c’était là-bas? Qu’est-ce que tu as subi? ” Évidemment, ce sont des questions importantes. Mais on demande rarement: “Quels sont tes hobbies? Quel type de musique tu écoutes? Quelle est ton équipe de sport préférée?”»
Fremont refuse de réduire Donya à sa condition de réfugiée. «Au fond, cette Afghane de 22 ans n’est pas si différente d’une Française de 22 ans ou d’une Colombienne de 22 ans. Elle veut se sentir sereine lorsqu’elle s’endort le soir. Elle veut se réveiller le lendemain en ayant quelque chose à faire. Elle veut, avec un peu de chance, avoir de la compagnie» poursuit Babak Jalali.
Anaita Wali Zada a elle-même quitté l’Afghanistan pour les Etats-Unis quelques mois avant d’être choisie pour incarner Donya. Presque de tous les plans, l’actrice non professionnelle est fascinante.
Le film aborde les rapports entre différentes communautés d’immigrés et fait exister tous les personnages, même les plus secondaires avec toujours un zeste d’humour : le vieil homme afghan qui tient un restaurant et qui passe ses soirées à regarder un feuilleton, le psy (Gregg Turkington) qui préfère parler de son amour pour Croc-Blanc que du stress post-traumatique de Donya, Joanna, la collègue et amie de Donya. Pour Hilda Schmelling qui était la décoratrice de plateau sur son précédent film, Babak Jalali a écrit spécialement le rôle de Joanna «Pour fêter la fin de mon précédent film, on a fait une soirée karaoké. Tout le monde chantait un peu bourré, jusqu’au moment où elle s’est levée et s’est mise à chanter une chanson de Pat Benatar. Tout le monde s’est tu tellement c’était incroyable. Je ne l’ai jamais oublié et j’y ai repensé en écrivant le film.» Le fait est que sa voix est bouleversante.
Et dans le film, la chanson de Joanna provoque un déclic chez Donya qui s’autorise enfin à écouter ses rêves.
Dans la dernière partie du film, l’héroïne voit son horizon s’élargir lorsqu’elle croise la route d’un homme timide et charmant (Jeremy Allen White).
Le film est toujours en noir et blanc mais les cadres se desserrent et les décors sont plus larges, à tel point qu’on a l’impression d’avoir vu l’épilogue en couleur !
Fremont est à la fois une chronique sociale et poétique, une comédie dramatique, un récit d’apprentissage … un bonbon acidulé.

Un film émouvant, tendre et profond que je vous recommande

Marie-No

DESERTS-Faouzi Bensaïdi

Carte routière étalée sur le capot d’une voiture, deux hommes ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la direction à prendre. La carte s’envole. Ainsi le spectateur est déjà prévenu du risque qu’il a de se perdre dans l’histoire qui va être racontée.

Durant la première heure, « Déserts » tient un discours parfaitement clair, montrant deux agents de recouvrement, Hamid et Medhi, qui parcourent le sud marocain désertique pour contraindre des emprunteurs très pauvres à rembourser l’argent emprunté à un organisme de crédit. Tous les moyens , même les plus cruels, sont bons pour récupérer les créances. Pour dénoncer un système ultra libéral destructeur et les conditions de vie de villageois démunis, le réalisateur utilise le ton de la comédie dans une succession de scènes loufoques. Bien que le travail de ces deux héros soit détestable, on se prend peu à peu d’affection pour eux devant leurs maladresses et les situations ridicules qu’ils provoquent. On comprend qu’eux aussi sont les victimes d’un système qui utilise des pauvres contre des pauvres et qu’ils trimbalent une bonne dose de soucis avec eux. Emprunter pour s’offrir un mariage, pour soigner une mère malade ou cautionner le mensonge d’un fils qui doit payer grassement des passeurs qui le conduiront sans certitude à cette Europe convoitée, est un luxe qui devient source d’une misère encore plus grande. Cette première partie permet aussi de découvrir, sous le Maroc officiel où l’alcool est interdit et où la condition des femmes est soumise à des lois conservatrices, un Maroc plus souterrain où les hommes se saoulent de bières et de vodka, se livrent à la prostitution féminine ou masculine. Le réquisitoire de Faouzi Bensaïdi contre l’ultralibéralisme et l’ubérisation du travail culmine avec le discours grotesque et caricatural de la manager qui stimule sa troupe de harceleurs en faisant miroiter des salaires multipliés par quatre à ceux qui seront les meilleurs.                                                                                                                               Le discours aurait pu s’arrêter là et le film aussi.

Mais le réalisateur fait intervenir le personnage de l’évadé amoureux, injustement emprisonné par son rival. Le film bascule sans transition ni carte pour orienter le spectateur. L’homme emprisonné reprend sa liberté ; le cinéaste aussi. Plutôt que de poursuivre sa critique stérile d’un monde capitaliste, Bensaïdi nous propose, ainsi qu’ à ses deux héros de départ, de prendre la tangente et de la hauteur. Après les avoir perdus de vue, nous les retrouvons perchés sur une falaise, dans un décor sublime, regardant impuissants, leur véhicule volé par l’évadé, se perdre à l’horizon. Ne maîtrisant plus rien, les voilà à l’arrêt, contraints de lâcher prise, de s’autoriser eux aussi la liberté de laisser tomber la pression mise sur eux. Le récit, depuis le début ancré dans une réalité sociale, prend des airs de western, plonge en contemplation dans la beauté profonde du désert, flirte avec le conte philosophique, s’autorise une histoire d’amour contrarié et de vengeance. Le traitement du temps et de l’image a lui aussi basculé. Beaucoup de plans fixes, un temps qui s’étire en une longue méditation. A partir de là, le spectateur doit s’abstraire du sujet de départ et se laisser aller à ce qu’expriment les images sans chercher une logique de récit. Dans une scène superbe, le cinéaste filme l’intérieur de la maison où vit Yto, la femme mariée contre son gré à un homme qu’elle n’aime pas. Un grand mur ocré, percé d’ouvertures, donne à voir ce qui se passe en bas et en haut à l’étage. Simultanément, le spectateur voit Yto qui s’apprête à fuir avec l’homme qu’elle aime, ce dernier qui vient la chercher et les témoins qui n’osent intervenir. Plus loin, la caméra se fixe sur le visage grave de cette même femme qui a fait un choix douloureux : se libérer d’un mariage forcé et s’amputer de ses enfants. Elle dénoue le fichu qui retient sa chevelure et la laisse se déployer dans un geste d’ultime liberté. Plus loin nous retrouvons Hamid et Medhi ; à l’occasion d’un bivouac au coin du feu, ils se livrent et s’offrent la liberté de parler de leurs blessures qui sont toujours celles du cœur. Soudainement ce sont des migrants qui surgissent . Des hommes qui espèrent encore se libérer de leur misère malgré le récit plutôt décourageant du passeur. Enfin il y a ce mur percé en son milieu d’une ouverture encadrée par deux arbres. Dans ce qui nous enferme il y a toujours une ouverture, que nos deux héros finiront par franchir. Derrière, le monde n’aura pas changé mais peut-être le regarderont-ils différemment parce qu’ils auront changé.

Cette deuxième partie qui semble plutôt décousue, je la vois comme un espace de liberté et d’humanité qui se dresse contre l’inhumanité d’un système économique et social où le monde s’engouffre. Elle nous met au défi de mettre de côté nos attentes de spectateurs pour entrer dans la créativité d’un auteur, au risque de nous perdre ou de nous endormir paisiblement, comme ma voisine. Une autre vertu de ce film, certainement.

Marie-Annick          

De nos jours … de Hong Sang-soo

우리의 하루 (Uliui halu) Notre journée

De nos jours … fonctionne par chapitres alternés et partagés entre une ancienne actrice et un vieux poète.
Et, ce matin, le lien entre les deux histoires m’apparait …
Comme quoi décidément, toujours « d’abord, dormir dessus ».
L’actrice qui ne veut plus jouer, rentrée depuis peu à Séoul et hébergée par une amie, c’est la fille du poète alcoolique qui tente de se sevrer !
Sa fille qu’il ne voit plus depuis qu’il a quitté sa mère. Quand ils ont divorcé, elle a pris son parti à elle et leurs jours communs se sont arrêtés. Un goût pour les siestes prolongées, l’ajout de gochujang dans les ramyun, leur histoire se profile à travers ces vestiges comportementaux d’un passé commun.
Et puis les guitares. C’est fou de ne voir ça que ce matin … La guitare qu’il a envoyé en version mini à sa fille biologique restée une enfant dans son souvenir et la grande guitare à cordes d’acier qu’il offre à la jeune réalisatrice qu’il a choisi comme fille adoptive.
Voir ce lien entre les deux histoires dans ce dernier film de Hong Sang-Soo qui est pour le moins … déconcertant, bizarrement, ça me réconforte.
4 mois après La Romancière, le film et le heureux hasard, le plus prolifique des réalisateurs coréens et peut-être des réalisateurs tout court, nous revient avec De nos jours …, un nouvel objet cinématographique qui ne ressemble qu’à lui.
Même en connaissant bien HSS, on peut trouver les 84 minutes longues. Ce n’est pas grave.

Un gros chat caressé et gavé de friandises pendant 10 minutes, un personnage qui mange des pâtes au piment en s’extasiant devant une caméra (scène d’ouverture). Il ne faut pas ici, et encore moins que « d’habitude » s’attendre à une quelconque scène d’action ou à une recherche de mise en scène : plans fixes et prolongés, zooms avant, recadrages intempestifs, les dialogues en forme de haïku évoquant les choses simples, peuvent paraître déroutants.
HSS nous « balance » au cœur d’une conversation, à la limite de comprendre ce qui se passe … poussant le minimalisme jusqu’à nous fournir avant chaque scène un carton avec un court texte qui renseigne un peu sur les tenants et les aboutissants et nous dit surtout que ce qui va être important ce sont les minutes qui vont suivre, ici et maintenant. Les protagonistes sont filmés en un lieu unique, en intérieur, pour ne pas risquer les rencontres fortuites qui viendraient perturer ces instants en suspens.
Hong Sang-soo ne prend jamais le spectateur par la main … et ne lui laisse pas le loisir de s’échapper. Il faut vouloir se concentrer sur les gestes, les silences, les conversations d’apparence anodine desquelles émane cependant toute la force de l’intrigue.
 » C’est quoi vivre ? demande l’apprenti écrivain au poète.
– Vivre ? Ce que tu cherches, c’est la bonne réponse, non ? Il y a trop de bonnes réponses, il y en a dans chaque livre. Tu en connais d’ailleurs déjà. Pas vrai ?
– Oui.
– Ce sont des mauvaises réponses.
– Toutes ?
– Oui, toutes. C’est pour ça qu’on est tous gauches, immatures et incomplets. On le devient tous à la fin. Mais quand on est en vie, on ne s’en rend pas compte. »

Plutôt un chifoumi que de tenter de répondre à des questions existentielles qui n’ont pas de réponse.

Au final, plutôt manger et boire tant qu’on le peut. Plutôt croquer la vie, savourer l’instant et être conscient de la possible fugacité des choses comme avec la soudaine et tragique disparition de Nous , le chat, qui donne l’occasion à la jeune actrice en devenir de se remémorer un moment disparu, moment unique, avec un autre Nous, chien celui-là, dont le propriétaire lui avait fait perdre la tête et exulter le corps.
Chez HSS, les films se suivent et se ressemblent. Il ne faut pas en vouloir autrement et se mettre en condition, tourner sur « off » le bouton de notre cerveau connecté à l’action, la turbulence, la fuite en avant, et alors le récit en apparence modeste et figé de Hong Sang-soo, qui semble ici se retourner sans soju sur son vécu et se demander ce qui a compté dans sa vie, fera son effet.
La magie des films de Hong Sang-soo, toujours, est dans la trace qu’ils laissent dans notre esprit en y distillant comme au compte-gouttes les détails qui nous avaient d’abord échappés.

Marie-No