When the light breaks de Rúnar Rúnarsson


Rúnar Rúnarsson dédie son film à deux de ses amis disparus tragiquement en 1995 et en 2001.
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Una et son ami Diddi sont étudiants à Reykjavik en art de la performance. On verra dans le film certains de ces happenings : le scotch double-face, la chanson à base de pronoms et bien sûr l’envol devant l’église Hallgrimskirkja
When the light breaks capte l’instant où le bonheur vole en éclat, l’instant où commence « l’après ». Continuer à vivre après ? Le sujet c’est plutôt comment continuer à vivre maintenant . « C’est absurde » dit Una qui ne peut pas croire que Diddi, son chéri, ait péri dans l’accident. C’est impossible ! Et pourtant, si, pendant qu’elle dormait, tout avait basculé.
D’un coucher de soleil à un autre, le spectateur est plongé dans le quotidien de cette bande d’amis face à la mort. L’un d’eux le dit : c’est la première fois qu’il perd un être cher à part ses grands-parents (ça c’est normal, intégré).
Mais la mort d’un ami, de son âge … Une journée interminable commence. Demain n’y fera rien. Diddi sera toujours mort. Quiconque a connu un tel cauchemar verra dans ce film la justesse du propos de Rúnar Rúnarsson.
Pour eux tous, l’insouciance, c’est fini. Le réalisateur capte avec précision ce traumatisme collectif. Ils se rejoignent, se mêlent, s’amalgament face au malheur qui se propage, font bloc face à l’onde de choc qui leur brise la lumière et les inonde de chagrin.
Una aimait Diddi qui n’aimait plus Karla qui ne le savait pas. Ce secret étouffant en pareille circonstance est magnifiquement illustré dans la séquence où l’héroïne apprend la nouvelle. Dans le hall d’hôpital, la caméra l’enveloppe, va à sa rencontre à contre-courant du reste de la foule, et s’arrête sur son visage. Avec le spectateur, Una fait face à la violence du contrechamp : ses amis enlacés pleurent ensemble l’ami disparu.
Le réalisateur adopte le point de vue d’Una incarnée magnifiquement par la formidable Elín Hall. Du non-dit, qui prend la place des sanglots et empêche d’abord Una d’exprimer sa douleur, de vivre pleinement sa souffrance, nait un échange troublant entre les deux jeunes femmes. L’étau se resserre autour d’elles dans un jeu de miroirs fascinant. De Klara viendra le lâcher prise et fera évoluer leur relation en une sorte d’union. La scène finale les montrera se partager son odeur dans le lit déserté. Les mots sont parfois superflus.
Les scènes poignantes soutenues par la musique du compositeur islandais Jóhann Jóhannsson (1969-2018) avec le titre « Odi et Amo », qui revient comme une litanie, les plans longs sur les lumières, du tunnel avant l’accident, du soleil se reflétant dans la mer obscure dans la scène finale, les jeux de reflets, de sur-cadrage, nous emportent dans le sillage douloureux de ces jeunes gens marqués par le deuil. Une scène les montre dansant, s’alcoolisant, visionnant des photographies d’avant, comme pour forcer le réconfort dans cette zone intermédiaire entre hier et aujourd’hui.
Comment retrouver du sens face à l’inconcevable, faire barrage au désespoir, tracer son chemin au fil vertigineux de la vie ?


Rúnar Rúnarsson dit : « Le cinéma est riche de trois outils narratifs : les dialogues qui sont écrits, le visuel et l’audio… et il y a tellement de choses que vous pouvez dire avec le son, ou plutôt avec l’absence de son. Avec une expression capturée du bon côté avec la bonne lentille et la bonne lumière. Grâce à tout cela, vous pouvez accomplir beaucoup. C’est ça, le cinéma, c’est précisément ce que j’essaie de faire (…) »

Une direction d’acteurs au cordeau et la magnifique photographie signée Sophia Olsson !
Un très beau film sur l’amour et l’amitié à l’épreuve du deuil.

Marie-No

La Mer au loin de Saïd Hamich

Tous les autres (ne) s’appellent (pas) Ali. C’est le problème même si la peur, ici, dévore les âmes aussi.
Sélectionné dans la catégorie de la Queer Palm et présenté à la Semaine de la Critique Cannes 2024, c’est l’histoire de Nour(redine) et de sa bande de potes, comme lui émigrés clandestins, jeunes au début du film, venus du Maroc et qui vivent d’amour et d’eau fraîche. Et de petits larcins.
Nour et sa petite amoureuse Blandine, française pur jus, issue des beaux quartiers, en quête de sensations fortes, qui joue à Bonnie Parker mais lâchera vite l’affaire ramenée au bercail après la rafle organisée par Serge le policier multi cartes porté sur les travelos arabes. Exit Blandine. Nour, en rupture d’union mixte, est abandonné à son sort. Sauf que Serge, commissaire au grand cœur va le prendre sous son aile, le retrouvant comme par hasard gisant sur le trottoir, KO après une conversation houleuse avec sa mère.
Bientôt exit Serge, qui meurt du sida. On est au début des années 90 quand Dieu frappait les homos. Nour a le champ libre et va se « refaire » avec Noémie dès le soir de l’enterrement, le lit médicalisé encore dans la pièce. Sans blague : c’est quoi ce scénar à la truelle ?
Clichés à gogo mais sur fond sonore sympa !
On se replonge avec plaisir dans le Raï, musique d’Oranie, succès internationaux dans les années 90 avec Cheb Hasni « Le Rossignol du Raï » (assassiné à Oran en 1994), avec Houari Benchenet. Et Cheb Khaleb , Didi, Aïcha quand même. Même si …
La scène du discours de Noémie au cimetière sonne particulièrement faux. Cette pauvre Anna Mouglalis récite son texte sans conviction, sans émotion. Sa voix rauque ne peut pas tout. Nour ébauche un geste de prière (seul allusion religieuse du film à part celle plus tard à la chrétienté de Noémie). On enchaîne avec Hugo (le fils de Serge et Noémie) qui a grandi et qu’on voit se rebeller contre Nour devenu son beau-père, normal. S’ensuit la scène du restaurant après la visite au cimetière et surtout la scène du retour à l’appartement qui sont juste impossibles ! C’est ça qui coince le plus : l’écriture « à l’arrache » des scènes.
Tout au long du film, on essaie de nous rendre les personnages sympathiques, on cherche le point de rupture de notre tolérance envers les marginaux. Face à l’hostilité dont est victime le couple Serge-Noémie, on nous oriente pour prendre le parti du policier.
Il s’agit en fait d’un tableau à gros traits de la communauté maghrébine immigrée en France dans les années 1990. Un récit caricatural, de 2h00 (durée qui ne rime à rien), qui dans sa 2ème partie vire à la romance bien loin de l’analyse sociologique qu’on aurait pu espérer, celle qu’on attend et qui n’arrive pas.
Mais le film n’est pas dérangeant, pas de remous, et ça plait. Aux autres.
Vague ébauche de traitement du double déracinement des immigrés, dialogues laborieux, mise en scène passable, personnages peu attachants, manque du ressenti des sentiments qui les lient, erreur de casting du personnage principal, Marseille absente dans le décor … bref, moi ce n’est pas ma came
La qualité principale du film, est, je trouve, dans la photographie de Tom Harari (le frère d’Arthur et le beau-frère de Justine Triet)
Le réalisateur de La Mer au loin, le franco-marocain Saïd Hamich a été directeur de production sur Hope de Boris Lojkine, sur Le Marchand de sable de Steve Achiepo, sur Vent du Nord de Walid Mattar (film formidable proposé lors du WE JR 2018 et accompagné par son réalisateur, un grand moment), sur Much Loved de Nabil Ayouch. Ayant étudié la production à la Femis, il sait faire et tape dans le mille.
Pour l’écriture, le mieux, souvent, c’est de se faire aider.

La Mer au loin : un beau titre

Marie No

La Pie voleuse de Robert Guédiguian

Dans la lumière de l’Estaque, Marseille 16ème, qui frappe en plein cœur, comme il est doux de savourer la fuite tranquille de Maria vers un bonheur réinventé.
Comme dans un écrin, les thèmes chers à Robert Guédiguian sont ici réunis : la famille, la transmission, le partage, les rapports transgénérationnels, la littérature, l’engagement, l’amour. L’amour coup de foudre, Laurent et Jennifer, l’amour patient, Mr Moreau et Maria, Mr Moreau et son fils, l’amour qui dure, Maria et Bruno, l’amour résolu et infaillible, celui du vieux monsieur qui chérit son épouse
(et l’accompagne chez Plauchut « la bonne pâtisserie », Marseille 1er, quartier des Réformés)

même s’il sait que c’est André, son 1er fiancé jamais revenu de la guerre, qu’elle attendra toujours. cf le regard perdu de cette femme devant le tramway dont « il » n’est pas descendu … Et l’amour inconditionnel d’une grand-mère pour son petit-fils (Maria et Nicolas)

Dans cette histoire où chacun cherche son bonheur ou des raisons de rêver, il s’agit d’aller de l’avant en évitant de se retourner.
« Je n’ai pas envie de penser à ce que ma vie n’a pas été, c’est trop dur », confie Maria à Mr Moreau.
La Pie voleuse est un conte moral traversé par la question du Bien et du Mal, le tout à la sauce Guédiguian, celle qu’on aime. Une invitation à réfléchir.
Avec son appétit de vivre, sa bienveillance, Maria est une pie voleuse, oui, mais une femme épatante, drôle, généreuse qui prend mais donne beaucoup alors pourquoi devrait-elle renoncer à jouir de la vie (elle aime tant les huitres !), de quel droit le lui interdire ?
Jennifer juge sa mère et ses comportements « amoraux », mais succombe à la tentation de tromper son mari, par intérêt peut-être d’abord, summum de l’immoralité, par passion amoureuse ensuite, et de quel droit devrait-on l’en priver ?
De la relation amour-haine entre M. Moreau et son fils naîtra un grand bonheur, celui de la reconnaissance et de la réconciliation qui illuminera leurs jours à venir.

La beauté emboite le pas à la bonté et au pardon en mouvement dans ce très joli film. Et ça fait du bien.
Comme de voir Mr Moreau (J.P. Daroussin particulièrement au top) saisi d’urgence, dévaler, en fauteuil roulant, une route goudronnée jusqu’au commissariat, l’écouter dire d’une voix blanche déchirée, les mots de Victor Hugo, extrait de son poème Les Pauvres gens
(…) Ouvrons aux deux enfants. Nous les mêlerons tous,
Cela nous grimpera le soir sur les genoux.
Ils vivront, ils seront frère et sœur des cinq autres.
Quand il verra qu’il faut nourrir avec les nôtres
Cette petite fille et ce petit garçon,
Le bon Dieu nous fera prendre plus de poisson.
Moi, je boirai de l’eau, je ferai double tâche,
C’est dit. Va les chercher. Mais qu’as-tu ? Ça te fâche ?
D’ordinaire, tu cours plus vite que cela.
– Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà! »


Dans ce conte délicat et dramatique, à Marseille la belle, ouverte sur la mer, se retrouve la famille de cinéma de Robert Guédiguian : Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Jean-Pierre Darroussin, Jacques Boudet dans son dernier rôle, Geneviève Mnich, Grégoire Leprince-Ringuet , Robinson Stevenin, Lola Naymark, et une petite nouvelle : Marilou Aussilloux dans le rôle de Jennifer,
Et la bande son, signée Michel Petroussian, tient une place centrale dans le film. Satie, Prokofiev, Schubert, les morceaux de piano solo, au cœur de l’intrigue donnent le ton, insufflent la vie.
Rossini, aussi.

La Pie voleuse, une symphonie de sentiments qui réchauffent

Marie-No

LES FEUX SAUVAGES-Jia Zhang Ke

                                                             

                                                     

     J’attendais avec curiosité le dernier long métrage de ce cinéaste chinois qui a d’abord construit sa renommée à l’étranger puisque la Chine a refusé pendant une décennie de diffuser ses films dans le pays. Considéré comme un cinéaste important, Jean Michel Frodon, historien du cinéma, lui a consacré un livre et le cinéaste brésilien Walter Salles, un documentaire.

     Il faut reconnaître que c’est un film bien particulier, qui peut dérouter, une sorte « d’objet cinématographique non identifiable », comme l’a dit une spectatrice ou encore « un film frankenstein » comme l’a écrit un critique. Résultat d’un assemblage de rushes non utilisés de trois de ses films, d’images et de vidéos réalisées sans but précis lors de ses déplacements et de scènes totalement nouvelles tournées en 2023, ce long métrage à forte teneur documentaire, couvre une période qui va de 2001 à 2023 et peut se voir comme une œuvre expérimentale. A l’écran se succéderont des scènes tournées en16mm, 35mm ou en numérique haute définition. Pour donner un fil conducteur il a imaginé l’histoire d’un couple qui se sépare. L’homme, Bin, part tenter sa chance ailleurs, avec promesse de venir rechercher sa compagne, Qiao Qiao. Sans nouvelles de lui, elle part  à sa recherche.

     La première partie qui couvre les années 2001 à 2008, se situe à Datong, une ville minière du nord où la population ouvrière vit encore très modestement, où les vélos et les motocyclettes encombrent les rues. Des scènes se succèdent sans lien de cause à effet entre elles. Un ouvrier observe au loin les bâtiments miniers, gris et sinistres. Des ouvrières en pause s’encouragent mutuellement à chanter. Des jeunes réunis dans un minuscule appartement boivent, chantent et dansent sur des airs de rock venus d’Europe. Plus loin c’est une soirée Karaoké, l’interview du gérant de la maison du peuple complètement délabrée, le portrait de Mao détérioré et sorti du rebut où il avait été mis. C’est aussi un défilé de mode avec des vêtements importés de Canton, l’euphorie d’une  foule qui fête le choix de la Chine pour organiser les jeux olympiques 2008 et l’alcool qui coule à flots.Toutes ces scènes apparemment indépendantes les unes des autres racontent un monde en voie de disparition, un monde où Mao était vénéré, où la solidarité était de mise. Elles disent surtout l’attrait irrépressible pour le nouveau monde qui se profile à grands pas, celui de la mondialisation et des plaisirs jusque là inconnus. « Plaisirs inconnus » est justement le titre du film dont sont tirées les scènes concernant Qiao Qiao et Bin dans cette première partie. Jia Zhang Ke a saisi l’enthousiasme d’une population qui voit se volatiliser les années d’interdictions et de restrictions, sa hâte de s’ouvrir sur le monde extérieur. Or la ville de Datong stagne. Avec un prix du charbon divisé par deux, des mines ferment, des ouvriers sont désoeuvrés, des femmes chantent sur scène pour gagner un peu d’argent et reversent la moitié de ce qu’elles gagnent au gérant indélicat qui exploite la situation. C’est le moment d’apprendre à faire des affaires, de sauter dans l’économie libérale. Il faut partir ailleurs, là où les transformations s’opèrent.

     Bin quitte Datong pour Fengjie au barrage des trois gorges. C’est là qu’il faut être. Ce chantier pharaonique est le lieu de tous les excès,  de tous les possibles. On démolit et on reconstruit plus haut à tour de bras. On expulse sans chômer  sous la voix d’un mégaphone qui souhaite bonne chance aux déracinés, qui annonce sans état d’âme l’engloutissement d’un beau patrimoine et de douze districts. Presque deux millions de migrants qui ne savent pas ce qui les attend. La caméra de Jia Zhang Ke se pose sur des visages pour en capter la vérité : un homme qui caresse son chien, deux hommes qui ne peuvent se quitter des yeux, partout des regards interrogateurs, des baluchons qui attendent. Dans cette deuxième partie, Qiao Qiao recherche Bin et le spectateur découvre avec elle une nature magnifique et des ruelles typiques qui bientôt n’existeront plus, effaçant une Chine qu’on ne veut plus voir. Les chantiers de destruction sont à l’oeuvre sans relâche. Tout n’est que ruines parmi lesquelles des traces de vies silencieuses persistent: une botte d’enfant, une poupée, un magazine. Sur ce champ de ruines Bin a construit sa réussite financière, magouilles et corruptions en corollaire. Apparemment propriétaire d’un salon de massage, il dirige aussi une équipe de démolisseurs tandis que sa patronne Madame Ding prend soin de mettre sur ses différents comptes bancaires personnels, l’argent des contrats signés, avant de prendre la poudre d’escampette. Cette deuxième partie, la plus sombre à mon avis, emprunte beaucoup à « Still life » qui a remporté le lion d’or à la Mostra de Venise en 2006. Elle fustige le développement à marche forcée de la Chine, un développement frénétique qui donnera naissance à des villes gigantesques telle Chongquing, avec 82 000km2 de superficie et 34 millions d’habitants. Sur fond de guerre des démolisseurs, de corruption et de course à l’argent Qiao Qiao et Bin se retrouvent pour se séparer définitivement.

     Arrive maintenant le temps des impitoyables destructions, des gigantesques constructions et des grandes migrations que Jia Zhang Ke enferme dans une ellipse qui court de 2010 à 2023.

     La troisième partie faite de scènes entièrement nouvelles insiste sur les protocoles de contrôles draconiens que le gouvernement a imposés durant la période covid et  voit Bin arriver à Zuhai, une ville du sud près de Macao, constituée essentiellement de migrants. Les entreprises de très haute technologie bénéficient du statut de Zone Economique Spéciale qui leur apporte toutes sortes d’avantages. La caméra focalise sur les tours immenses, sur une voiture jaune rutilante, un modèle de luxe qui traduit la réussite de son propriétaire. Diminué physiquement, ayant dû abandonner son activité de conseil en micro crédit, Bin cherche à se refaire et demande l’aide d’un ancien prêteur. C’est son jeune associé qui lui explique que l’avenir se joue dorénavant avec les réseaux sociaux, avec l’utilisation de tik tok, avec le virtuel. Dépassé, Bin retourne à Datong où il retrouvera Qiao Qiao dans une très belle scène où tous les deux se démasquent et laissent voir à l’autre leur visage où le temps s’est inscrit naturellement sans l’artifice du maquillage. Dans le supermarché où travaille Qiao Qiao, les robots humanoïdes accueillent les clients, sont capables de citer Mère Térésa et Mark Twain, peuvent détecter les sentiments humains comme la tristesse. C’est la Chine de demain.

La partie fictive met en scène une femme qui a écouté son cœur et libre de ses choix  a su trouver son indépendance sans perdre sa bienveillance. C’est avec cette bienveillance qu’elle s’agenouille pour renouer le lacet défait de Bin avant de le quitter pour s’intégrer dans le groupe de joggers qui arrivent de toutes parts dans la nuit, à travers les rues. En même temps les paroles d’une chanson s’affichent sur l’écran : « juste rester debout sur ma terre natale », peut-être l’image symbolique d’un peuple qui parvient à suivre le flot de la vie envers et contre tout.

Bonne Année 2025

A vous tous, Cramés ou pas encore, pour revoir trois acteurs épatants, je vous propose cette année un condensé de Garde à vue de Claude Miller qui se déroule la nuit de la St Sylvestre justement dans un commissariat, sans flonflons ni cotillons …


Et, en prime, le Kiss of death du Parrain 2 de Francis Ford Coppola avec tout le toutim celui-là, champagne, cotillons, musique, embrassades


Et un p’tit dernier plus rigolo

Tous mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année

et beaucoup de films !

Marie No

The Substance de Coralie Fargeat


Avec Revenge en 2018, Coralie Fargeat mettait déjà la barre très haut et nous avait bluffée par son goût du film de genre féministe et sa maîtrise du sujet. Souvenez-vous la scène finale … une villa chauffée à blanc et à l’intérieur, la longue poursuite, en rond, comme dans une cage, les murs qui deviennent écarlates …

Avec The Substance, son deuxième film, elle continue sur sa lancée gore, enfonce le clou à gros coups de gourdin et largue une bombe avec une plongée radicale et sanguinolente dans un récit de body horror au stade terminal de l’excès, c’est sans appel, cursus à fond, bande-son saturée à mort !
Il faut être prêt à vivre cette histoire (et consentir aux trente dernières minutes de grand huit sous amphét) ! Il faut, de base, l’être, prêt, pour ce brûlot anti-patriarcal sidérant, gorgé d’humour et de colère, cette satire noir corbeau de la dictature du paraître, du jeunisme obligé, et une dénonciation implacable de ses ravages.
Le récit est traité comme un long cauchemar stylisé et il faut se mettre dans la tête d’Elisabeth Sparkle (Demi Moore, à nu au propre comme au figuré, époustouflante) du début à la fin, aller jusqu’au bout de ce parcours tout en tripes et boyaux et exulter.

A ce moment-là de sa vie, il va sans dire que tous les hommes dans la tête d’Elisabeth Sparkle sont ignobles, dégoûtants ou débiles. Ou les trois.
Lorsque tout part vraiment en vrille, The Substance vire au délire, nous explose à la figure et c’est une dinguerie ! Gros plans de fureur et bande sonore malaisante, on plonge dans l’horreur pure. Corps qui explosent, membres sectionnés, tripes liquéfiées, peau arrachée, protubérances cauchemardesques… un festival de métamorphoses d’un réalisme à couper le souffle. Comment mieux montrer l’absurdité des diktats esthétiques qu’en collant un sein sur un visage mutilé se désagrégeant peu à peu jusqu’à n’être plus que les yeux d’Elisabeth, bordés d’une chevelure visqueuse faite de chair liquéfiée tel un soleil éphémère glissant sur Sunset boulevard vers son étoile abimée ?

Un film d’horreur féministe si abouti, réalisé par une cinéaste française et d’envergure décidément … on ne voit pas ça tous les jours.

On en sort essoré et ravi.

Marie-No

Un Amor de Isabel Coixet

Un amor n’a aucun romantisme. Rugueux comme la vie, visqueux comme le temps qui passe, marquant les esprits, poisseux comme l’air du village, La Escapa, où Natalia (Laia Costa) s’englue chaque jour davantage. « Petit village, grand enfer » (proverbe cubain)
C’est là qu’elle a choisi de s’installer, dans la région de La Rioja, au pied d’une immense montagne.
Là ou ailleurs … Traductrice de déclarations de réfugiés politiques qui demandent l’asile en Europe, elle n’en pouvait plus d’entendre tous les jours les récits des atrocités subies. Il fallait qu’elle parte de sa vie d’avant, brisée. Elle a encore un âge où on pense pouvoir échapper à soi-même.
On voit d’abord une analyse désenchantée du rêve d’une néorurale « ils viennent tous voir les moutons bêler de joie ». La réalisatrice, en de somptueux plans qui percutent, met en lumière l’étroitesse du décor où Natalia va désormais évoluer : avec leurs médisances et mesquineries, les locaux cherchent à l’englober dans l’inter-dépendance dont ils sont eux-mêmes prisonniers, cherchent à tisser autour d’elle la toile de solidarité qui se paie le prix fort.« On est un petit village, ici tout le monde se connaît » Comprendre : « On est un petit village, ici tout le monde s’épie, juge, met à l’index ». Le tout baigné d’un machisme et d’un racisme abyssaux !
Très vite, au village, Natalia va s’avérer hors norme, ingérable. On la trouve distante, méfiante, grise, mutique.
Mais avec l’arrivée dans le cadre d’Andreas, « l’allemand », le film prend une autre tournure.
La pluie, élément majeur du décor -ça ruisselle, dehors, ça ruisselle dedans- va être à l’origine de la rencontre entre Andreas (Hovik Kochkerian) et Nat. Leur « marché conclu » déconcertant donne lieu à la première scène de sexe et c’est sordide, évidemment. Natalia se dédouble, se voit en train d’honorer le contrat et la caméra demeure sur ses yeux figés, témoins de sa sidération.
Pourtant, de là, Nat choisit d’amorcer une relation amoureuse. Inattendu… C’est charnel, physique, jouissif, pour les deux. Ambigü d’abord, mais elle se prend au jeu, se berçant bientôt d‘illusions, ronronnante au coin du feu près de son colosse, sourde aux remarques des mâles tout autour.
Le calme avant la tempête. L’ « Amor » part en vrille, l’amoureux, au demeurant plus arménien qu’allemand, ne donne pas dans la romance. Il prend. Il jette. Son physique (qui n’inspire pas l’amour, enfin pas tout de suite, genre le Walter de Miséricorde), son caractère bourru … un animal blessé, rejeté, abandonné ? Perdu ! c’est lui aux commandes ! Il prend ce qui vient, sans faire de sentiment, sans vergogne et quand Nat commence à lui raconter ses états d’âme, il la dégage. Point.
Finit-on par mordre ou devenir méchante quand on ploie sous les coups ?
Nat accuse ce coup, se terre, supplie, s’humilie, se relève, amorce sa rédemption dans une danse rituelle dont elle seule connait les pas. Flanquée de Sieso, le chien balafré qu’elle n’a pas choisi mais qu’elle a adopté, elle continue, plus forte, endurcie aussi. Incomprise et très seule, libre de tracer sa route.
Les personnages ne suscitant aucune empathie, le film gratte un peu et ça fait du bien.
Filmage, cadrage, lumière, mise en scène : magnifiques.
Indéniablement, Isabel Coixet a une signature.

Marie-No

Here de Bar Devos

En y repensant, ce matin, , c’est la « ritournelle » de L’invitation au voyage qui me vient à l’esprit
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté

He, her, Here il, à elle, ici
Merveilleux film
Bar Devos pose sa signature sur un film qui offre 1h22 de quiétude, de silence, de beauté, dans une atmosphère où on s’installe, pas tout de suite mais presque et alors pour de bon, pour des moments suspendus au cœur du monde, zoomant sur deux humains parmi les autres et le vivant qui les enveloppe. Il se passe beaucoup de choses et il y a tant à voir !
On les regarde marcher, respirer chacun de son côté d’abord, on les scrute.
On fait le rapprochement avec la fleur, observée au cours de leur cheminement bientôt côte à côte, cette plante à tiges dont les capsules un jour vont s’ouvrir et aller plus loin s’enraciner.
Here invite à voir plus grand au microscope, « plus loin que le bout de son nez » pour avancer, en confiance. Oser quitter les sentiers battus et prendre les chemins de traverse vers l’inconnu comme Stefan (Stefan Gota) qui, mis en congés pour quatre semaines, comme abandonné par le chantier, ses tiges de fer, le béton, le bruit et aussi de ses camarades qui parlent sa langue, le roumain et qui, eux aussi, s’empressent de partir là-bas, de rentrer chez eux. Au pays.
Lui Stefan a quelques jours à passer avant de partir et il se retrouve « inactif « seul, étranger dans la ville. On suit avec intérêt son quotidien. Primo, dormir … Se reposer, se délester, ne plus vraiment s’habiller, essayer de retrouver son rythme, le normal. Vers Vilvoorde il va marcher en direction du garage où il a confié son véhicule à un compatriote qui sans doute a pu ouvrir son affaire parce que c’est Vilvoorde, Vilvoorde oubliée, délaissée par l’Industrie, dévaluée.
Anecdote sans intérêt (sauf pour moi), hier à Vilvoorde, j’ai pensé à Mr Onst … du temps de mon activité dans l’industrie automobile, Mr Onst, mon correspondant chez Renault Vilvoorde, qui jamais au grand jamais et même pour un empire n’aurait accepté de parler français ! c’est sans doute cette aversion (son « foutu » caractère, aussi) qui fait que je me souviens de lui. Faute de pouvoir le faire en flamand, c’est toujours en anglais que nous avons communiqué. J’entends encore sa voix. . Mr Onst, si on m’avait dit qu’un jour, dans une salle obscure, je penserais à lui. Ah, le cinéma !
Vers Vilvoorde , Stefan marche en longeant la voie ferrée, bifurquant sur le chemin de verdure, passant par la parcelle cultivée par des citadins dont Saadia (Saadia Bentaïeb, à la voix reconnaissable entre mille, Nour dans Anatomie d’une chute, Naïma dans Le Règne animal, Baya dans Première affaire), et plonge dans la mousse qu’observe à la loupe, une bryologiste, chinoise (Lyio Gong, vue dans Jeunesse de Wang Bing)
Revoir la scène en début de film où l’étudiante de ladite scientifique, présente dans un exposé sa plante imaginaire qui pourrait aider à calmer les eaux. Une plante qui fleurirait parce que c’est plus joli. Toute la scène est jolie. L’étude, la présentation, le calme qui règne, la bienveillance qu’on lit sur le visage de la professeure, la confiance sur celui de l’étudiante.
Pendant ce temps-là, dans son studio sans âme, Stefan prend le temps de voir par la fenêtre et d’admettre qu’ici, c’est où il vit, c’est chez lui. Il le dit même à voix haute « c’est chez moi, ici ». Pour en prendre conscience . Le début de la suite.
En attendant, il vide son frigo et fait du borsch, comme on fait toujours dans les Balkans, chacun le sien. Avec des betteraves, évidemment. Il va porter sa soupe réconfortante chez son pote garagiste, roumain comme lui. Nourrir, partager. Donner. Recevoir. Quelle madeleine cette soupe … « en pour », l’épave sera remise en état de marche pour lundi au lieu de mardi !
Sauf que lundi, de l’eau aura couler sous les ponts. Le cheminement aura eu lieu, le partage entouré de mousses se sera fait, un improbable caillou aura réussi à se glisser dans l’épaisse chaussure lacée étroitement jusqu’à la cheville, sa main aura saisi la sienne … Déjà, sans le savoir, ils parlent la même langue. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté 
Ah, quel bonheur de vivre dans les bryophytes, le tumulte ambiant couvert par les pépiements. Il semble que rien ne peut être plus beau que cette palette de verts si vivants, rien ne peut parvenir à couvrir le chant des oiseaux.
L’image est belle, les plans fixes captivants, les travellings, tranquillisants, avec la promesse d’un après en scène finale. Avant lundi, Stefan aura déposé du borsch pour elle dans le restaurant de la tante chinoise … pas d’erreur, une rencontre a eu lieu.
Le visage lumineux de la jeune femme s’en trouve encore illuminé !
et celle qui l’empêchera de la vivre n’est pas née. Qu’elle ose seulement essayer !

Marie-No

Septembre sans attendre de Jonas Trueba (2)

C’est une blague ? certainement
Tout se passe comme si, l’idée leur venait, à Ale et Alex, un beau matin, de se séparer. Tiens, et si on se séparait ? On dirait qu’on se séparerait … On ferait une fête de séparation, tu sais l’idée de mon père, célébrer non pas les unions qui ouvrent vers l’incertain mais les séparations qui ouvrent, elles, sur des jours meilleurs.
(entre parenthèse, repenser au regard du père d’Ale quand il encaisse la nouvelle et mesure l’étendue des dégâts causés par des propos hasardeux tenus il y a longtemps et dont il n’a même pas souvenir … ici une brèche qu’il va tenter de colmater à grand renfort de littérature reconstructive. Ce regard perdu qu’il a d’abord … Un grand moment !)
Souvent dans une séparation, il n’y en a qu’un des deux qui prend bien la chose. Sauf qu’ici, comme on joue, on dirait qu’on irait très bien. Ben oui, tous les deux, ensemble on va bien ! Trop bien !
Et on va resserrer le timing, ça donnera plus de piquant à ce qui pique déjà. Sur les autres, ça fait mouche et ça c’est jouissif. Ben oui, les gars vous aviez l’habitude de nous voir ensemble, voilà, c’est fini. Termidado.
Faire la fête, en septembre, sans attendre.
Désormais
On ne nous verra plus ensemble
Désormais tra la la la

C’est un début de scénario, ça !
Justement. Rembobinons
Première scène, au lit (ils dorment ensemble bien que sur le point de se séparer, ah bon …), ils en débattent, vaguement, de la séparation, de la fête …
« C’est une idée pour un film, ça » c’est Ale qui le dit.
Voilà c’est à assister au tournage (en partie) et à regarder (beaucoup) le making of d’un film que nous sommes conviés. Invités à nous poser, c’est fait, et à les regarder se donner en spectacle et mettre en scène du même coup une sorte de thérapie, champ, contre champ, hors champ, pour leur couple qui, a priori, ne semble pas en avoir besoin. Ils s’entendent à merveille, se marchent un peu sur les pieds, revendiquent la primeur des idées, des questions, des annonces. L’autre prend trop de place. Besoin de recadrer, sans plus. Au bout de 14 ans, mieux vaut prévenir que guérir, ça ne fera pas de mal de rebooster le quotidien. Et puis ce fantôme entre eux, l’enfant qu’il n’ont pas eu, l’ombre envahissante de son absence qu’Alex dissimule quand elle se fait indiscrète. Reconstruire pour ça, pour cesser de le taire.
La fin du film est déconcertante. Pourquoi cette fin ? Ale accoutrée comme jamais et avec une coiffure impossible, une fête si sage … Pour signifier l’amorce d’une Reconstruction ? Rien n’était détruit … Peut-être pour enfoncer le clou : rien ne change. Ale dirige. Alex optempère.
Tout ça ne manque pas d’humour. cf la scène de la séance de pré-visionnage du film dans le film pour l’équipe. Ale pose un regard critique sur sa vie, son travail et par déduction sur ce que nous, spectateurs, sommes en train de regarder. Le film. C’est un peu long et, quand même, un peu répétitif ! C’est elle qui le dit
Et on pourrait ajouter, un peu intello, germanopratin à la sauce madrilène, sophistiqué. Branché. Méli mélo hype.
Si le film n’est pas passionnant, ça n’empêche pas que les répliques fusent, les dialogues sont bien écrits et les acteurs évidemment à l’aise dans leurs rôles, bien rodés car (ne) tournant (qu’) avec Jonas Trueba, depuis plusieurs années, autour de la même orbite. Eva en août en 2020 amorçait la pompe, avec Venez voir en 2023 on assistait à un doux rétropédalage. Septembre sans attendre « fait le job » (c’est un peu le problème) joue, et très bien, la carte de la comédie dramatique. On marche. A distance, avec quelques cailloux dans la chaussure.
Mais revoir Madrid, El Viaducto d’Eva et entendre parler espagnol, c’est déjà un bonheur.

Itsaro Arana est délicieuse dans le rôle d’Ale et on souhaite la voir quitter les sentiers battus, devant et derrière la caméra, pour aller voir ce qui se passe ailleurs.
Chez Almodvar, elle serait formidable !


Marie-No

Hijo di sicario de Fernanda VALADEZ et Astrid RONDERO

Hijo di sicario, pose une question cruciale : que devient un « fils de » (tueur à gage), quand son père est éliminé ?
Dans le Michoacán d’aujourd’hui, en Tierra Caliente mexicaine gangrénée par le narcotrafic et la violence, Sujo l’orphelin, fils de Josué « el ocho » a quatre ans quand sa tante Nemesia, le prend sous son aile, l’éloignant de la ville pour échapper à la violence des gangs.
L’enfant de Josué « el ocho », un « enfant de salaud » même s’il grandit caché, à l‘abri des autres, peut-il échapper à son destin ?
Des fées, Nemesia et Susan, anges rédempteurs, vont se pencher sur lui, déployer leurs ailes sur l’enfant « hors champ», voir et révéler le « muchacho muy especial » qu’il est, lui faire confiance et l’aimer. Alors tout peut être possible.
S’il est beaucoup question de violence, l’imprévisible est là, sous le ciel étoilé et le film, cousu de détails, baigné de poésie, laisse une belle place, rare dans ce genre de récit, à l’optimiste et la bienveillance.

Sujo, Hijo di sicario, fils de sicaire, un film en 4 saisons d’une grande humanité, original, poignant, violent et doux à la fois, ultra réaliste et romanesque, obscur et lumineux, qui prend son temps et captive.

Magnifique.

https://youtu.be/HQXwtOps5HY

Marie-No