Le Grand Chariot de Philippe Garrel

Le Grand Chariot, connu au Canada francophone sous le nom de Grand Chaudron, est un ensemble de sept étoiles particulièrement brillantes, les sept plus brillantes de la Constellation de La Grande Ourse. 
Ce n’est pas rien et, Le Grand Chariot, c’est le nom que le grand-père a choisi pour son théâtre de marionnettes repris par son fils qui va le transmettre à ses enfants. Un fardeau dont il va s’agir de se défaire, ou tenter de se défaire. Le théâtre en l’état ne peut plus fonctionner assez bien pour faire vivre toute la famille dans la grande maison de leur enfance. 
L’époque a changé et même si un enfant d’aujourd’hui se plonge bien sûr aussitôt tout entier dans les aventures de guignol, polichinelle, la princesse, le gendarme, le brigand avec la même ferveur, pas sûr qu’autour de cet enfant qui a le loisir de  crier « il est là, là, il est là ! » pas sûr que beaucoup d’autres enfants y soient un jour menés. Le Théâtre de marionnettes ne fait plus recette. Les marionnettes n’ont pas traversé le périph.
Le Grand Chariotc’est l’histoire d’une famille de marionnettistes, d’une fratrie, Louis et ses deux sœurs, Martha et Lena, de leur père qui dirige la troupe, de la grand-mère Gabrielle (magnifique Francine Bergé), qui a, dans le temps, fabriqué les poupées et qui inlassablement les répare, coud et reprise les blessures de leurs vies. 
Ses blessures à elle, celles qui sont impossibles à réparer, tues jusqu’ici, s’échappent  maintenant qu’elle est vieille. L’amour attentionné qu’elle a passé sa vie à donner à chacun, s’étiole. Elle est arrivée là où le chemin se resserre, où il faut se concentrer sur soi-même.
Elle est arrivée à ce point où la distance avec le drame n’a plus à être tenue. Oublier pour survivre. Gabrielle va passer le relais.

Métaphore d’un monde d’hier qui, petit à petit, s’effrite, cette famille de saltimbanques va devoir évoluer, se disperser pour préserver sa solidité. Réparer sans faiblir ce qui pourrait la briser, la consolider grâce à ceux qui arrivent, la douceur des amoureuses, Hélène qui a le trac et Laure, le regard d’un bébé, la fragilité d’un peintre, Pieter, symbolisant la précarité planant toujours au-dessus de la scène artistique. 
« Les autres » sont ici considérés a priori comme le début de quelque chose de plus beau et à qui il faut consacrer du temps et de l’attention. 
C’est comme l’art du  Kintsugi/Kintsukuroi : réparer avec de l’or une poterie cassée et ainsi l’objet prend paradoxalement toute sa valeur d’avoir été brisé. C’est l’histoire de personnages ornés de leurs cicatrices qui déploient autour d’eux la pudeur de leurs sentiments. 
Les enfants ont grandi et vont vivre leurs vies plus ou moins vite avec plus ou moins de succès. Louis ne fait plus danser les personnages au bout de ses bras, il répète Le Jour des meurtres dans l’histoire d’Hamlet de Koltès au théâtre, un autre théâtre où le personnage c’est lui désormais, lui tout entier. Martha (Esther) investie par son père adoré de la lourde charge de ce théâtre le voit, miraculeusement, par une belle nuit d’orage être anéanti. A quelque chose, malheur est bon ! C’est sa chance de se bousculer, de rencontrer « un allemand » qui l’emmène avec lui, ailleurs, sur une voie peuplée d’autres  marionnettes, à fil celles-là. Léna, la plus jeune va pouvoir se plonger dans l’écriture de sa pièce.

Le Grand Chariot est une oeuvre cinématographique très personnelle de Philippe Garrel, un grand metteur en scène, qui parle de la représentation, de bienveillance, d’entraide et de transmission. 

Une belle famille dans un beau film.

Marie-No

Oui, je sais …  
ça, c’est une autre histoire

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