Journal de Dominique, Un jour à Prades (2)

Dimanche 16 juillet

            9 h 30. Le Poteau rose (2002), neuvième court-métrage de Michel Leclerc, est « l’histoire d’un amour avec un début, un enfant et une fin[1] ».

            Ses huit premiers courts : tournés de façon classique sans recevoir le moindre écho. Celui-ci, dans la continuité de ses rubriques pour Télé Bocal (chaîne de télévision associative locale d’Ile-de-France), a une forme libre apparue sur la table de montage. Film autobiographique évitant les clichés, fait de rush tournés auparavant (aucun plan n’a été tourné exprès, à part le réalisateur et son accordéon), narcissique tout en faisant preuve d’autodérision façon Nanni Moretti (l’humour évite la complaisance), qui touche les gens -une amie pleure en le voyant- et va dans des festivals.

Suit J’invente rien…

(2006. « Paul n’a pas de but précis dans la vie, et Mathilde, qui subvient aux besoins de leur ménage, désespère qu’il s’en trouve un. Si ça continue comme ça, elle risque de le planter là. Alors Paul se dit qu’il va inventer un truc, ça lui fera un but, et il se met en tête de trouver une idée qui lui apportera gloire, argent et beauté sans trop se fatiguer et qui redonnera à Mathilde le goût de l’aimer[2] »)…

… une comédie du remariage ou comment réapprendre à rire ensemble. Michel Leclerc est fasciné par les couples créatifs.

Il travaille pour la première fois avec de vrais comédiens et y prend goût.

Personnages plus ou moins dépressifs qui, comme M. Sim, ne savent pas où se situer.

La « poignette » : existe vraiment. Il fallait que l’invention soit quelque chose de ce type puisque le personnage est un branleur. Essayer de trouver de la poésie dans les objets.

Episode du clown : comme dans tout bon suspense, le spectateur détient des éléments que les personnages n’ont pas, mais il faut être très précis dans la mise en scène pour que ça fonctionne.

Son distributeur n’a pas cru dans le film, c’est pas drôle, c’est raté. Il envisage une seule sortie technique. J’invente rien sort quand même en salle, à la mi-août. Kad Merad n’en assure pas la promo, préférant faire, en septembre, celle de Je vais bien, ne t’en fais pas → c’est un bide.

Baya Kasmi : une machine à idées. Il la rencontre en 2001 alors qu’il travaille sur une série dont il réalise quelques épisodes. Ce qu’elle écrit est bien meilleur que ce qu’il écrivait lui. Désormais, elle sera coauteur de ses films, son alter ego, sa compagne.

14h. La Vie très privée de M. Sim

(2015. « Monsieur Sim n’a aucun intérêt. C’est du moins ce qu’il pense de lui-même. Sa femme l’a quitté, son boulot l’a quitté et lorsqu’il part voir son père au fin fond de l’Italie, celui-ci ne prend même pas le temps de déjeuner avec lui. C’est alors qu’il reçoit une proposition inattendue : traverser la France pour vendre des brosses à dents qui vont « révolutionner l’hygiène bucco-dentaire »[3] »)

… que nous avons vu au Vox à sa sortie, pour Jean-Pierre Bacri.

Jean-Pierre Bacri. Après avoir essuyé un refus de sa part pour deux films précédents (parmi lesquels Le Nom des gens), Michel Leclerc propose le rôle à Alain Chabat qui dit non. Et cette fois, JPB accepte, Pourquoi tu l’as proposé à Chabat ?

Le personnage : pas un râleur. Quelqu’un qui, à la fin, se retrouve en s’étant perdu.

Le film : une sorte de documentaire sur l’acteur. S’adapter au comédien, à la situation. Etre créatif. Projection dans la dépression d’un autre. Humour au départ. Renvoi à un monde clos.

Il y a un côté faux cul à dire, quand une scène est nulle, c’est génial mais on la refait.

Adaptation littéraire, plus facile à faire accepter par un producteur qu’un scénario original.

D’après un roman de Jonathan Coe (travail de transposition en France) qui doit, dans une semaine, signer avec quelqu’un d’autre. Michel Leclerc apprend qu’il est à Paris, s’arrange pour le rencontrer, le fait boire et changer d’avis.

L’écrivain aime le film à part une scène, qu’il trouve trop violente, où Jean-Pierre Bacri pousse un enfant dans une fosse à orties → Michel Leclerc la change et la tourne à nouveau (l’enfant tombe tout seul et JPB se contente de le regarder sans l’aider).

Le réalisateur aime les fins heureuses et d’ailleurs, même si logiquement il ne devrait pas rester en vie, dans le roman il ne meurt pas non plus (mais il ne retrouve pas le bateau).

            17h. Tigru

            (2023. « Vera, 31 ans, est vétérinaire de zoo d’une petite ville de Transylvanie. Après avoir perdu son nouveau-né, elle est obsédée par l’idée de donner les rituels d’enterrement orthodoxe de l’Est, passant plus de temps au travail et s’éloignant de son mari, Toma. Un jour, le tigre du zoo s’échappe…[4] »)

            … du roumain Andrei Tănase. Premier film en compétition pour le prix Solveig Anspach. Deux sujets sans aucun lien. Note : 2/5.

            21h. Lullaby

            (2022. « Jeune maman, Amaia, vit dans une grande ville espagnole. Souvent seule car son compagnon est absent durant de longues périodes, elle décide de retourner dans la maison familiale dans un village pittoresque sur la côte basque du nord de l’Espagne dans l’espoir que ses parents puissent s’occuper d’elle et de son bébé. Bientôt sa mère tombe malade, Amaia n’a pas d’autre choix que de prendre soin d’elle et s’occuper de la maison[5] »).

            … ou Cinco lobitos de l’Espagnole Alauda Ruíz de Azúa. Deuxième film de la compétition. Intéressant début (baby blues) mais devient ensuite plus banal.

https://www.senscritique.com/film/Le_Poteau_rose/8194102] https://www.senscritique.com/film/j_invente_rien/411289[1] https://www.senscritique.com/film/la_vie_tres_privee_de_monsieur_sim/1612985https://www.liff-mons.be/fr/filmtigru]https://www.senscritique.com/film/lullaby/52325988

Journal de Dominique, un jour à Prades -1-

Samedi 15 juillet

 

Nous arrivons à temps à Prades pour (re)voir, à 17h, Top Hat avec le divin Fred Astaire. Yann Tobin nous a concocté un programme « Joyaux du musical hollywoodien » et, dans sa présentation du film, ne m’apprend rien que je ne sache déjà si ce n’est que, si Fred Astaire n’est pas crédité au générique du statut de co-réalisateur, c’est à lui qu’on doit la prise de vue des danseurs en entier et la continuité des numéros dansés…

(Seule entorse à la règle de toute sa carrière -si je ne m’abuse- : les quelques plans sur ses pieds et ceux de Ginger au tout début de The Piccolino)

la découpe en divers types de cadrage étant…

(Et je suis bien d’accord, les cameramen et monteurs d’aujourd’hui devraient en prendre de la graine)

… une horreur qui gâche tout.

Le son des claquettes était postsynchronisé : si Fred Astaire dansait son rôle, ce que Yann Tobin ne dit pas (mais n’est pas sans savoir), c’est que le chorégraphe Hermes Pan doublait Ginger Rogers (j’ignore en revanche si les deux hommes dansaient chacun de leur côté ou bien « cheek to cheek » et ça m’intrigue…)

21h. Soirée d‘ouverture avec Des goûts et des couleurs du premier invité de ces Ciné-Rencontres, Michel Leclerc.

Mon Dieu qu’il est sympathique ! Son sourire chaleureux (je pense à Jean-Pierre Améris) fait illico ma conquête.

Des goûts et des couleurs : « Marcia, jeune chanteuse passionnée, enregistre un album avec son idole Daredjane, icône rock des années 1970, qui disparait soudainement. Pour sortir leur album, elle doit convaincre l’ayant droit de Daredjane, Anthony, placier sur le marché d’une petite ville, qui n’a jamais aimé sa lointaine parente et encore moins sa musique[1] ».

La place des chansons dans la vie.

Après Brassens, Brel etc., comment en écrire encore ?

Michel Leclerc et son ami guitariste

Ni moi ni aucun Cramé présent n’avions entendu parler de ce film. Pas étonnant, dit Michel Leclerc, il est sorti fin juin juste après le confinement.


[1] https://www.senscritique.com/film/les_gouts_et_les_couleurs/46391730

En Bref, vu ailleurs

Nous avions vu avec bonheur « Eva en Août et Venez voir de Jonas Trueba. » Voici un autre réalisateur Espagnol Jaimes Rosales, avec cet autre film, « les tournesols sauvages », C’est une histoire de vie à Barcelone, en trois actes, celle de Rosa, 22 ans, on éprouve avec elle une sorte de vie de couple, ce couple tient en deux mots «mère » et « célibataire ».

Trois actes, trois rencontres masculines, qui sont une sorte de cheminement vers la maturité, ce qui change c’est elle, sa vie, celle de femme et de mère. Pour avoir aimé ce dernier film, j’ai immédiatement vu « Petra » un drame antique et « la Belle Jeunesse » du même réalisateur dont je vous livre le synopsis : Natalia et Carlos sont deux jeunes amoureux de 20 ans qui se battent pour survivre dans l’Espagne d’aujourd’hui. Remises de C.V., petits boulots, tournage d’un porno amateur : ils essaient de s’en sortir au jour le jour. Face à une crise qui n’en finit plus, les espoirs d’une vie meilleure se fragilisent. Et quand Natalia se découvre enceinte, les petits arrangements ne suffisent plus.

(Fontainebleau, l’Hermitage)

« Promenade à Cracovie », projeté quasi nulle part, c’est un documentaire polonais réalisé par Mateusz Kudla et Anna Kokoszka Romer sur les souvenirs d’enfance à Cracovie du réalisateur Roman Polanski et de son ami d’enfance, le photographe américain Ryszard Horowitz. Leur enfance, avant, pendant et après le guerre sous Staline et Hitler.

Ce n’est pas par erreur si le documentaire est difficile à trouver et Libération nous dit pourquoi : « Récit du retour de Roman Polanski et du photographe Ryszard Horowitz dans la ville polonaise de leur enfance meurtrie par le nazisme, ce docu est une déambulation hagarde sans idée de cinéma » ! Il ne nous reste qu’à souhaiter à Libé autant de lecteurs que de boycotteurs. Quant au film, il existe!

(Paris, l’Arlequin.)

Georges

Le Paradis de Zeno GRATON (mai 2023)

Le Paradis, premier film du cinéaste belgo-tunisien Zeno Graton, offre un moment subtil et émouvant de cinéma en abordant de front la question des centres fermés pour jeunes délinquants et de l’amour en prison, de la liberté symbolique qu’offrent les sentiments, de la reconstruction de soi par l’autre qu’ils autorisent enfin un peu, et plus particulièrement ici de l’amour homosexuel. Sujet délicat que le réalisateur aurait pu aborder de manière âpre et frontale, voire brutale (comme Patrice Chéreau dans L’Homme blessé ou Fassbinder dans Querelle inspiré du Querelle de Brest de Jean Genet, auteur auquel on pense immanquablement ici pour la même double expérience de la réclusion et de la pédérastie). Il aurait pu également, autre facilité ou tout au moins tentation, adopter une perspective morale, soit qu’il insistât sur le caractère clandestin de cette liaison inopinée entre Joe et le nouveau venu William, entre un garçon sensuel et révolté et un ado plus ténébreux, au masque apparemment inexpressif traversé de fulgurances de tendresse et de fragilités (le plus dur au premier abord, le plus fragile en fait), soit qu’il montrât des adultes réprobateurs ou des co-détenus goguenards ou ironiques commentant ou empêchant cet amour hors normes dans un milieu déjà marginal et étouffant.

Rien de tout cela en vérité. Une relation qui se découvre – la surprise de l’amour, comme dirait Marivaux – qui se cherche, qui se construit et qui se vit, certes difficilement car il faut bien se cacher dans le recoin d’une pièce isolée, dans un couloir, une buanderie quand on ne communique pas simplement par la musique, par une radio ou par des toc toc complices et entêtés de pivert à travers une cloison. La musique – celle du film, mêlant jazz, hip-hop et électro – signée du compositeur franco-libanais Bachar Mar-Khalifé, superbe et variée, porte le film et poétise, intensifie les scènes les plus marquantes – lie les deux jeunes gens comme leurs compagnons qui aiment danser, se retrouver le soir, oublier leur condition. Il est certes difficile, voire impossible de vivre une telle relation en centre fermé – c’est tout le pari du film d’en montrer, avec beaucoup d’intelligence et de finesse, à la fois la difficulté pratique (où, quand se voir et comment s’aimer , jusqu’à quel point ?) et l’impossibilité foncière : car pour s’aimer vraiment, il faut se voir en toute liberté potentielle, être libre, c’est-à-dire disponible pour libérer ses pulsions, s’isoler loin du regard des autres, fût-il indifférent, ou même empathique…

C’est ce que dit l’éducatrice Sophie, jouée par une remarquable Eye Haïdara, formidable alliance, comme son collègue, de fermeté parfois comminatoire et d’indulgence, d’empathie, de tendresse profondes mais toujours maîtrisées, lorsque Joe et William, bouleversés par la perspective de leur séparation, s’étreignent violemment devant tous les jeunes réunis – pas un d’entre eux d’ailleurs n’ayant un regard ou un propos moralisateurs ou ironiques : « soyez patients, attendez d’être dehors, vous ne pouvez pas vivre ça ici… » En aucune manière, le « vous ne pouvez pas » de Sophie ne signifie « vous ne devez pas » et le pronom démonstratif « ça » suggère non un quelconque jugement adulte, éducatif ou répressif mais la volonté de protéger cet amour indicible qu’elle ne se permet pas de nommer si tant est que cela ait un sens. Le vrai respect en somme…De même, lorsque ces jeunes n’en peuvent plus d’être enfermés et se mettent à tambouriner de concert sur les portes de leur chambre (de leur cellule ?), l’éducateur Ilyas (convaincant Jonathan Couzinié) se tait, laisse faire, ne cherche pas à rétablir une vaine autorité : il sent bien que ce serait inutile, que la révolte intérieure, la violence passionnelle, l’exaspération recluse ne peuvent que s’exprimer et doivent même s’extérioriser dès lors qu’il n’y a pas d’émeute ou de tentative d’évasion. Ce n’est plus de l’indulgence ou de la simple compréhension, c’est de l’humanité simplement, mâtinée d’un sentiment d’impuissance sans doute.

Ces jeunes gens en effet – c’est peut-être la seule faiblesse du film – paraissent finalement assez sages, presque résignés ou capables de surmonter leur désespoir ou leur déception à tout le moins, par-delà les sursauts de colère ou les velléités de révolte : ce jeune qui pensait être scolarisé, finalement refusé par le collège parce qu’il a commis l’imprudence, par honnêteté intellectuelle, de dire qu’il venait d’un centre fermé, d’un IPPJ ; Joe, bien sûr – même s’il reste ainsi 3 mois de plus avec William – Joe qui croyait pouvoir enfin sortir mais se voit refuser cette libération par la juge pour n’avoir pas suffisamment fait ses preuves, pour avoir souvent fugué. La fin du film montrera le chemin qu’il reste à accomplir…Fallait-il pour autant en tant que spectateur souhaiter plus de cris, plus de haine, plus de violence dans les gestes et les paroles pour faire plus véridique, plus réaliste et Zeno Graton a-t-il édulcoré la réalité de la réclusion et adouci le caractère de ses personnages pour susciter l’empathie de son public ? Je ne pense pas – et son propos ne me semble pas affaibli de ce refus de la complaisance ou de la caricature.

Faut-il rappeler que l’un des grands adversaires de la violence institutionnelle, Victor Hugo dans le journal fictif du Dernier jour d’un condamné (1829), n’a en aucune manière expliqué ou même suggéré le crime de son condamné à mort – de manière à créer l’empathie du lecteur et à suggérer l’inutilité, l’inhumanité de l’exécution capitale ? Le propos de notre cinéaste n’est-il pas un peu le même ? Ne pas juger mais au contraire suggérer l’humanité de ces jeunes délinquants, dont on ne sait jamais quels délits il ont commis au juste, les saisir, au-delà de tout moralisme, dans ce moment singulier et terrible de leur vie où ils tentent de se reconstruire personnellement mais aussi de faire communauté, au-delà de leurs différences, dans leur multiplicité d’origines, dans cette appartenance multiple qui les réunit et qui les soude (contre le racisme institutionnel dont a souffert Zanon dont un cousin fut emprisonné). Du coup, on ignore ce qu’ils ont fait, on oublie presque qui ils sont, qu’ils ont été des délinquants, même si les éducateurs sont à juste titre durs à leur égard, que les rendez-vous avec la juge d’application des peines leur rappelle, et nous informe, du poids du passé et de l’engagement pris, du pari sur l’avenir dont ils font l’objet, entre éducation et répression. Une belle formule de la juge interroge d’ailleurs ces concepts de liberté et de contrainte : « tu sortiras, dit-elle à Joe, lorsque tu n’auras plus besoin des autres pour t’empêcher de faire des bêtises, pour lutter contre toi-même »…Oui, être autonome, n’est-ce pas savoir se contrôler, faire triompher en nous la raison, se faire violence, ne plus être en somme notre propre ennemi ?

En attendant, comment ne pas se prendre de sympathie pour ces jeunes, pour ce mélange en eux de révolte à fleur de peau et de tendresse insoupçonnée, pour leur créativité (avec leurs dessins, les tatouages de William), leur sérieux aussi (les cours de maths, l’apprentissage de la fonderie), leur énergie bien dirigée (les séances de boxe), et cette fantaisie : la danse, la promenade en forêt de ces garçons grimés, de William et Joe amoureusement tatoué par son ami ? Comment ne pas aimer ce binoclard, ou cet autre farouche ou timide, ou encore ce garçon à la tignasse rousse, ces adultes en devenir que le hasard, leur éducation ou leurs mauvais instincts ont pour un temps arrêté (ou simplement suspendus ?) en chemin ? Il faut croire en la vie, en la résilience, dans l’avenir toujours ouvert quoiqu’il y paraisse…

Vous me direz que la fin en prison n’incite guère à l’optimisme… Pourtant, Zeno Graton réussit le tour de force d’un dénouement à la fois fermé et étrangement ouvert : la promenade des deux détenus s’achève en image onirique d’une course dans la forêt, d’une folle équipée. L’avenir n’est jamais totalement condamné.

Claude

Nathan Ambrosioni (la suite)

Le 23 mars 2019 lors de notre VIIIème Week-end Jeunes Réalisateurs,
nous avions vu Les Drapeaux de papier, le premier film de Nathan Ambrosioni avec Noémie Merlant et Guillaume Gouix.

Nous suivons avec intérêt le parcours des jeunes cinéastes que nous programmons lors de nos WEJR chaque printemps et vous signalons la sortie le 6 septembre prochain de Toni en famille, 2ème long métrage de Nathan Ambrosioni.

Marie-No

Yannick de Quentin Dupieux

Ce long-métrage a été tourné en secret en six jours. Le réalisateur confie « je voulais faire autrement, en dehors des rails classiques de production. Je fais un film par an, avec une préparation sur plusieurs mois et une forme de confort. Là, j’avais envie de revenir à mes premières amours, c’est-à-dire au film impossible. J’ai toujours au fond de moi ce truc qui brûle, ce goût du film qui ne devrait pas exister. Yannick est comme une sortie de route dans ma filmographie, c’est un objet à part. »

Quentin Dupieux surprend toujours.
On aime ou on n’aime pas mais ce n’est pas si simple. Moi, je l’aime parfois beaucoup (Au poste, Incroyable mais vrai) et parfois (vraiment) pas du tout (Le Daim).
Yannick, son 12ème long métrage (une idée de rétro) est le film surprise de l’été, on ne l’a pas vu venir, comme tombé du ciel, financé en fond propre, sans garanties de chaînes télé ou d’un distributeur, tourné en 6 jours donc et contrairement à ce qui se fait souvent, dans un décor qui n’est pas créé pour l’occasion -pas le temps de toutes façons- mais dans un vrai théâtre, le Dejazet, un des plus anciens de Paris, un bijou.
Un écrin pour un huis clos court (1h07 générique compris) et percutant, un thriller mi comédie mi drame. Une tragédie plutôt, déguisée en comédie. Il faut bien donner le change.
Plein de surprises, ce Yannick.
Un postulat de départ : un spectateur mécontent interrompt une mauvaise pièce de théâtre de boulevard. Le quatrième mur tombe. La forme conventionnelle du film fait mine de ne pas contenir le récit qui s’échappe, s’égare et rebondit. C’est comme ça que Quentin Dupieux nous cueille. Son cinéma est toujours moins absurde qu’il n’y paraît d’abord. C’est de ressentiment, de peur, de cynisme, de sadisme, de vide, de mépris, de frustration, de manque de reconnaissance, de grande solitude dont il est question.
C’est comme ça que Yannick nous cueille, par son originalité maîtrisée, et la profonde émotion qu’il suscite. Ses quatre comédiens y sont pour beaucoup. Raphaël Quenard/Yannick, en tête, sur qui le film est centré, pour qui le film a été écrit et qui nous transporte en même temps qu’il transporte les spectateurs du théâtre où la comédie puis la tragédie s’installe. Brillant. Raphaël Quenard du Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand. Brillant décidément !
Autour de Yannick, les personnages ont peur mais rien ne pourrait les empêcher de se moquer. Quelque chose se passe, ça monte … avec, en point d’orgue, le pétage de plombs spectaculaire de Paul Rivière/Pio Marmai.
Bravo, c’est ça qu’attendait Yannick ! l’Art est là, l’authenticité est enfin là, on applaudit l’acteur vidé, entouré. Yannick a obtenu ce qu’il voulait et il est gagné par l’émotion, celle qu’il venait chercher, ici, ce soir et qu’il a dû arracher !
Encore plus qu’à l’habitude chez Quentin Dupieux, l’histoire est concise, ramassée, avec des plans longs et larges nécessitant un jeu parfait.
Sur l’écran noir de fin, on a tout le temps de voir la suite
Et ça serre le cœur, très fort.
Le prénom Yannick signifie « Dieu fait grâce », « Dieu pardonne » …
Encore heureux qu’Il pardonne !
C’est beau et c’est tragique.
Avec Yannick, Quentin Dupieux nous offre peut-être son plus beau film.
A ce jour.
Marie-No