Langue étrangère de Claire Burger


Native de Lorraine, proche de la frontière franco-allemande, la réalisatrice de – Langue étrangère exprime avoir un rapport particulier à la double culture.
Elle souhaitait en écrivant le film en période Covid, période o combien perturbante pour tous, que – Langue étrangère incarne l’Europe qu’elle voit comme la promesse d’un avenir. Elle voit le passage d’un pays à l’autre comme un pont vers l’Europe espérée.
La montée de l’extrême droite, qui vient bousculer cette construction lui a donné l’idée de ce film comme une métaphore des amitiés franco-allemandes en mettant en avant les différences de vision des deux côtés et le poids de l’histoire. Les parents, les grands parents apportent ainsi leurs pierres à l’édifice dans leurs propres histoires, leurs origines et leur passé. On sent que tous sont déstabilisés, un peu perdus et regardent vivre leurs ados sans parfois trop comprendre ce qui les animent et semblent impuissants à les aider.

Claire Burger, en observant cette jeune génération a pu constater les difficultés de beaucoup d’adolescents, de jeunes adultes. L’anxiété, l’angoisse, la peur du devenir influent ainsi sur des comportements allant parfois jusqu’au pathologique. Léna la jeune allemande le dit dans le film : j’ai peur de tout…. Vieillir, le fascisme, que rien ne change…
Toutefois la réalisatrice souhaitait amener de l’émotion dans toutes ces choses théoriques. L’histoire d’amour qui nait entre les deux filles apporte douceur et humanité.
La rencontre entre les deux correspondantes ne se fait pas simplement. Très vite, Fanny la jeune française l’exprime par cette jolie phrase : « Ma correspondante ne me correspond pas « mettant ainsi en relief ce que représente ces échanges linguistiques et culturels.
Finalement, elles finiront par se correspondre et s’accorder autour de ce qui les rapproche. Ainsi pour s’accorder à Léna, Fanny franchit le pont jusqu’à inventer une sœur rebelle, une sensibilité politique pas forcément naturelle pour elle. On la sent fragile dans ses opinions, guettant toujours l’assentiment de sa correspondante, moins ferme dans ses convictions et très seule. Il lui est certainement plus facile de mentir pour s’adapter à l’autre que de se dévoiler. On apprend que le mensonge est chez elle une façon d’être, qu’elle invente et on ne sait plus trop parfois qu’elle est la part de vérité et de leurres.
Les deux comédiennes tout en subtilité nous font vivre la rencontre, l’évolution de la relation, les difficultés familiales, la vie des adolescents d’aujourd’hui, pas si différente de notre propre adolescence. Les aspirations restant proches avec toutefois moins de légèreté peut être. Comme moins de promesses à venir …
La chute du mur, les événements la précédant à Leipzig et l’histoire de la seconde guerre mondiale évoque les difficultés à construire toute relation. L’histoire entre les deux jeunes filles peut être vue comme une métaphore de ce que l’Europe peine à mettre en place de façon solide.

Toutefois la fin, qui on le ressent installera chez les deux ados quelque chose de nouveau nous laisse sur une note positive. La rencontre, l’alliance a bien eu lieu.
Quant à son devenir ? tout reste à dessiner. Tout comme notre propre histoire dans la grande à venir.

Sylvie






La Saison des Femmes-Leena Yadav

C’est un film roboratif qu’a réalisé Leena Yadav. L’histoire de quatre femmes qui malgré tous les verrous intérieurs et extérieurs parviennent à s’émanciper en s’appuyant les unes sur les autres. Des images chatoyantes sur un paysage désertique…  

La réalisatrice indienne Leena Yadav aime la complexité et la lumière. Le troisième long métrage d’une encore jeune cinéaste (elle est née en 1971), explose de couleurs et refuse le simplisme. « La saison des femmes » nous emmène à la rencontre de quatre jeunes femmes, vibrantes d’une énergie communicative malgré les cloîtres dans lesquels elles sont condamnées à avancer. Enfermements tout autant internes et externes, dessinés par des normes patriarcales très rigides, qu’elles finissent par transmettre à leur tour. Jusqu’à ce qu’une série d’événements les conduisent à faire sauter leurs chaînes physiques et symboliques.

Dès les premières images, malgré les normes sociales qui les encerclent, nous comprenons que celles-ci ne se laisseront pas faire. Les visages de Rani et Lajlo explosent de rire à travers les fenêtres de l’autobus poussif qui les emmène. La première est veuve et va marier son fils, encore adolescent, à une très jeune fille d’un village voisin. La deuxième, unie à un homme très violent, s’offre un moment de plaisir et d’échange sensuel auprès de son amie de jeunesse. Cette joie est d’autant plus visible que les tissus aux couleurs vives de leurs vêtements, voiles compris, leurs rires, se heurtent à un paysage desséché, un quasi désert de rocailles ocres, d’où surgissent ça et là des touffes maigres et buissonneuses.

En 2016, Leena Yadav expliquait pourquoi elle tenait tant à ce contraste, entre l’environnement et les femmes : « Je voulais tourner mon film sur une terre aride, desséchée (le titre anglais est « Parched », brûlé, ndlr), c’est pour cela que j’avais choisi le Gujarat (l’un des endroits les plus secs, mais aussi où l’hindouisme est des plus rigoristes, au Nord Est de l’Inde) qui offre une végétation très étique… » Mais c’est finalement le Rajasthan voisin qui possède un paysage presque aussi austère qui m’a donné la permission de tournage. Il me fallait un entourage sec et poussiéreux pour célébrer ces femmes. »

Leena Yadav a commencé ses recherches en vue de « La saison des femmes », à la fin de l’année 2012, alors que l’Inde était bouleversée par le viol et la mort d’une jeune fille agressée au vu et au su de tous dans un autobus de New Delhi. Une affaire dont cet immense pays mesure encore les traces. Depuis, les crimes sexuels se sont succédés avec une médiatisation importante à la clé, jusqu’à ces deux soeurs condamnées à être violées par un Conseil des anciens, comme ceux qui sévissent aussi dans le Gujarat…

Les verrous sont tirés dans un pays où la sensualité éclate. Dans les livres, les poèmes, la musique (magnifique dans le film), les gestes, la sonorité des divers langages. Un paradoxe qui désole la réalisatrice : « En Inde, le sexe est un sujet tabou. C’est un de ces paradoxes : au pays du kamasutra, on ne peut parler de sexualité. On ne peut en parler mais on ne peut aussi avoir des relations sexuelles en dehors des règles sociales.« 

« Ce sont surtout mes conversations dans le Gujarat avec Rani, le personnage principal du film, mariée à 15 ans et veuve à 20 ans, qui m’ont inspirée. Ces échanges étaient très directs, honnêtes, en particulier sur le sexe. Et moi je voulais parler de sexe. Et c’est au moment où je commençais à écrire le scénario que toute cette violence a déferlé« , raconte la cinéaste. « Les hommes, comme les femmes, poursuit-elle, sont victimes de ce système. Pour moi, dans mon film, même le plus violent des garçons est une victime. Parce que les normes conditionnent aussi bien les hommes que les femmes. Et c’est cela que nous devons changer. Ce qui se perpétue de génération en génération et qui génère les normes sexuelles entre femmes et hommes. Alors oui c’est un système qui opprime autant les hommes que les femmes.« 

Le consumérisme avance plus vite que la libération sexuelle. Avec un semblant de refus, les anciens accèdent à deux demandes essentielles de leurs épouses : le téléphone portable et la télévision…

Rani la veuve coincée, Lajlo la femme battue, Bijli la danseuse-chanteuse-prostituée, et Janaki la petite mariée contre son gré, vont devoir apprendre ensemble à faire ce chemin vers l’autonomie et le plaisir. Il y aura des incompréhensions, des larmes, presque des ruptures entre elles, mais finalement, à force de questionnements, elles y parviendront. Des hommes leur prêteront la main sur le chemin : un amant mystique, un prétendant mystérieux, un jeune homme amoureux et un ami perdu…

Comme l’une ou l’autre des héroïnes de son film, pour mener sa carrière de cinéaste, Leena Yadav a pu compter sur le soutien sans faille de son mari, Aseem Bajaj, réalisateur lui aussi, poète, et qui pour l’occasion s’est transformé en producteur. En Inde comme ailleurs, et dans le monde entier, les réalisatrices peinent à s’imposer dans un univers masculin. « Nous sommes encore très peu de femmes dans le cinéma, constate Leena Yadav, mais cela va en s’accroissant. Il y a maintenant des voix et des regards très différents de femmes cinéastes en Inde. Les femmes investissent aussi les métiers techniques des films – la caméra, le son, le décor, la production. » Elle a pourtant eu les plus grandes difficultés à mener son projet jusqu’au bout, sans doute en raison du sujet, et le visa d’exploitation n’a pas encore été attribué par la commission de censure, alors que déjà le film est projeté dans le monde entier et court les festivals.

Pourtant Leena Yedav a construit « La saison des femmes » avant tout pour un public indien, même si le propos est universel et que partout ailleurs on se régalera de la musique (signée Hitesh Sonik), de la danse, des chansons et de l’énergie débordante des actrices. « Mon film est traversé par la façon de faire du cinéma en Inde, la musique, la danse. En fait en Inde que nous soyons tristes ou heureux, nous chantons. La musique est permanente dans nos vies. Mais malgré ce caractère « indien », nous n’avons toujours pas obtenu le visa de la commission de censure. Nous espérons qu’il viendra. Ceux qui l’ont vu, ont beaucoup aimé ce film. Si je n’obtiens pas l’autorisation, je le mettrai sur internet. » explique la cinéaste.

Pas de « lamento » dégoulinant de désespérance non plus dans cette histoire : ces quatre femmes feront le chemin qui leur permettront, ensemble, de s’échapper de leur condition de jeune fille forcée à un mariage-prison pour l’une, aux coups de plus en plus rudes d’un mari violent pour l’autre, aux clients insatiables et irrespectueux de son corps pour la troisième, à un veuvage desséchant pour la magnifique Rani, à la source de ce film, aux sources des femmes. En chemin surgira le plaisir et la certitude d’un avenir plus créateur, loin des images d’une Inde sclérosée sur ses démons. Un choix de cinéma : « Je voulais finir avec de l’espoir. Je voulais cet espoir. Ces femmes qui s’échappent au propre comme au figuré. Mais ce n’est pas le seul et ‘vrai’ chemin de l’émancipation. Ce qu’il faut c’est être amenée à se poser des questions : pourquoi est ce que de générations en générations on reproduit ces normes affreuses ? Poser des questions c’est déjà se lancer vers le changement. Et ce qui va se passer après est aussi un défi. C’est le seul moyen de changer les choses. Et cela prendra du temps. Si le cinéma avait la capacité de changer les chose, cela fait longtemps que l’on vivrait dans une société idéale ! Mais le cinéma peut amener à se poser des questions, ce qui est le préalable au changement. Je ne suis pas une militante. Je suis une cinéaste. Le féminisme est une affaire très individuelle. Je ne pense pas qu’il y ait une seule définition du féminisme. Et il y en à certaines avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Mais je sais que je suis très fière d’être une femme.« 

Sylvie Braibant

La Zone d’intérêt et Moi, Capitaine

Filmer ce qui ne peut l’être… A propos des films de Jonathan Glazer et Matteo Garonne

C’est une obsession qui me tenaille depuis longtemps : comment mettre en images des moments indicibles de l’histoire ou des tragédies humaines. La journaliste de télé que je fus s’est souvent heurtée à cette équation impossible. Deux films récents, de façon très différente, viennent percuter ces questionnements. « La Zone d’intérêt » et « Moi, capitaine », s’ils empruntent des chemins « spectaculaires » très différents, prétendent, « retranscrire » le réel (Jonathan Glazer), voire « l’expérimenter » (Matteo Garonne), pour reprendre les verbes employés par les cinéastes. Et selon moi, l’un et l’autre échouent, quand ils ne conduisent pas à dresser un écran, au sens propre et figuré, contre ce réel.

Avec La Zone d’intérêt, le parti pris de Jonathan Glazer était pourtant séduisant. Filmer l’extermination des Juifs et des Tsiganes à Auschwitz sans la montrer. Depuis Nuit et Brouillard d’Alain Resnais en 1956, les cinéastes se sont demandés comment faire avec « ça », jusqu’à s’affronter. Via le documentaire ou la fiction ? Par des reconstitutions ou par le contournement ? Plus de 70 films ayant pour cadre la Shoah ou l’Holocauste (les mots choisis pour désigner « ça » ont déchiré historiens, écrivains et cinéastes) ont été recensés depuis 1946.

Avec Shoah, Lanzmann a choisi de « faire revivre » les camps d’extermination par des « acteurs » de la « catastrophe », victimes et bourreaux (rescapés des commandos affectés aux chambres à gaz, nazis, citoyens polonais, résistants ou pas…), avec des visages pour seuls paysages, au coeur de presque dix heures d’un film à nul autre pareil, et, selon lui, il ne pouvait en être autrement. Emboîtant les pas de Raul Hilberg, l’auteur de « La destruction des Juifs d’Europe », a construit une œuvre radicale sans une seule image d’archives ni reconstitution. Et dans cette radicalité, il interdisait toute autre approche.

Une querelle est restée célèbre, celle entre Lanzmann et Godard. Lanzmann disait que s’il existait un film qui montrait la mort de Juifs dans une chambre à gaz, il le détruirait. A quoi Godard avait répondu qu’un tel film existait probablement, sous-entendant qu’il faudrait alors le montrer.

Un seul film trouva grâce aux yeux de Lanzmann, « Le fils de Saul » du hongrois László Nemes, s’approchant au plus près des chambres à gaz sans jamais y entrer : « Ce que j’ai toujours voulu dire quand j’ai dit qu’il n’y avait pas de représentation possible de la Shoah, c’est qu’il n’est pas concevable de représenter la mort dans les chambres à gaz. Le Fils de Saul ne montre pas la mort, mais la vie des membres du Sonderkommando, ceux qui ont été obligés de les conduire à la mort. »

En installant, dans la première partie du film, les spectateurs dans la villa du commandant d’Auschwitz Rudolph Höss, Jonathan Glazer voulait sans doute s’inscrire dans cette approche ‘’Lanzmanienne’’ : « Les images des camps, on les connaît, on les a déjà vues. Je n’étais pas à l’aise avec l’idée de les restituer dans mon film. J’ai fait le choix de retranscrire l’atrocité d’Auschwitz-Birkenau via la bande-son. C’est elle qui rappelle en permanence l’ignominie de la barbarie nazie. »

Mais cette fiction se heurte aux clichés, celle d’une famille comme tirée d’images d’Epinal de la famille allemande, souvent répétées – propre, sage, joyeuse, éduquée, aimant les bains vigoureux dans des lacs sauvages, dans une sorte d’été permanent et des jardins soignés… Et malgré la deuxième partie du film, le « récit » imaginaire de la mise en œuvre industrielle de la mort par les administrateurs de la solution finale, cette « banalité du mal » pensée par Hannah Arendt, le réalisateur ne parvient pas à nous mettre dans l’état de malaise recherché, d’inconfort intellectuel, sauf avec cette courte séquence tournée à Auschwitz aujourd’hui, ces femmes de ménage nettoyant les vitres derrière lesquelles s’empilent des montagnes de chaussures, de valises, de prothèses… et que j’avais découvertes à l’âge de 15 ans. Sans alors pouvoir les relier à mon histoire familiale, elles furent au fondement d’un « spectaculaire » désarçonnant et salutaire.

Avec Moi Capitaine, retraçant le périple dramatique de deux jeunes Sénégalais désireux d’aller « faire de la musique » en Europe, Matteo Garrone revendique avoir « donné une voix à ceux qui n’en ont généralement pas, c’est-à-dire faire le film de leur point de vue, et donné au spectateur la possibilité d’expérimenter subjectivement le voyage émotionnel qu’ils vivent. ». Cette volonté contient en elle-même le roc sur lequel se fracasse le film, « épopée » (mot qu’il emploie) composée d’images plus belles les unes que les autres, aussi bien celle des morts dans le désert que des tragiques prisons libyennes. Matteo Garonne avoue presque ainsi vouloir embarquer les spectateurs dans une sorte de jeu vidéo immersif – ce n’est sans doute pas par hasard que les jeunes l’ont d’ailleurs plébiscité tandis que nombre de personnes, en Italie, travaillant avec les migrants, se sont révoltées.

L’image, photo ou cinéma, est effectivement l’un des plus grands producteurs d’émotions, ces mêmes émotions que les propagandistes de masse au milieu du 20ème siècle ou encore aujourd’hui sait si bien manipuler. Ces sujets si graves et importants méritent sans doute une sorte de « neutralité » filmique, « cette profondeur, cette froide brutalité et si peu de pitié pour le spectateur » évoquées par le résistant polonais Jan Karski, à propos de Shoah dont il est l’un des témoins principaux.

Sylvie

Le Grand Chariot – Philippe Garrel (2)


Philippe Garrel l’a dit : « je réalise que représenter sa famille est un plaisir habituellement réservé aux peintres. Mes enfants étaient âgés de 22, 30 et 38 ans, il fallait que je trouve une raison pour qu’ils soient réunis à ces âges. »
Le – Grand Chariot c’est donc l’histoire racontée d’une famille et troupe de marionnettes mais également l’histoire d’une famille d’artistes puisque Philipe Garrel le réalisateur fait tourner ses trois enfants et sa famille de cœur.
Le – Grand chariot est le nom de la compagnie de marionnettes, peut être finalement le personnage principal du dernier film de Philippe Garrel.

C’est également le nom joliment peint sur le castelet ou se passe toutes les intrigues et histoires pour le plaisir des spectateurs, petits et grands.
Mais c’est tout autant l’histoire d’une maison, maison poumon ou chaque génération vit et respire marionnettes. Jusqu’à perdre le souffle quand la maison fait des siennes un jour d’orage.
Ce sont trois générations qui nous sont présentées dans cette maison.
La grand-mère d’une merveilleuse écoute, s’émeut, lance ses coups de gueule l’aiguille à la main et fabrique, répare, consolide les marionnettes.
Le père, sorte de patriarche qui représente la passion, le savoir, la transmission, les décisions. Dans la maison, on le suit, on l’écoute, on l’aime et le respecte. Il est le boss.
Puis les trois enfants joués si naturellement par les enfants du réalisateur. Louis le fils aîné qui perpétue mais se questionne, Martha la fidèle, et Léna la rebelle.
La grand-mère veuve, le père seul également, les trois enfants adultes, vivent, parlent, travaillent ensemble dans la grande maison de banlieue. On rit beaucoup, on se taquine. L’amour sous toutes ses formes est bien là…
Le temps semble s’être figé dans ce lieu. On devine qu’ils vivent parmi les meubles des grands-parents, les murs ont 50 ou 60 ans. C’est ainsi que la vue d’un interrupteur plus contemporain nous ramène à notre époque. On est avec eux dans la maison… On écoute, à table ou au pied d’un lit. On est accueillis, en privilégiés.
Un invité, Pieter, passe régulièrement pour dépanner puis devient membre actif de la troupe. On peut s’interroger sur la place de Pieter dans le film et des moments entre lui, Hélène ou sa nouvelle compagne. Sortes de parenthèses que je ressens personnellement moins justes, plus jouées… pour comprendre finalement que Pieter représente la précarité du métier jusqu’à la pauvreté. Dans sa quête des cachets, il se pose un moment près de cette famille ou il se sent bien, comme il le dit : « dans ma propre famille, ce n’est pas pareil » Puis il les quitte pour se consacrer à son art véritable qu’est la peinture pour malheureusement se perdre, couler et voir son rêve s’effondrer.
Pieter nous permet également de saisir l’amour, la bienveillance qui anime tous les membres de cette famille. Ils sont présents pour les autres, ils assistent, écoutent, aident, allant jusqu’à manifester dans la rue pour Léna quand c’est nécessaire. L’entraide est le ciment de cette troupe familiale, ce qui les fait vibrer dans leur métier et leurs rencontres.
On comprend vite toutefois que derrière ce joli portait de famille, la réalité n’est pas simple. Pour la famille et son avenir mais également pour le devenir des troupes de marionnettes dans le futur, est-ce un art terminé ? les traditions là encore se perdent-elles ? Peu à peu dans la tête de Louis notamment, les questionnements se bousculent.
Il faut attendre que le père décède, victime d’un malaise tel Molière en pleine représentation, pour que la voix du fils s’exprime clairement auprès des membres de la famille au fur et à mesure que la grand-mère s’épuise, s’efface puis disparaît à son tour.
Les enfants restent seuls, un peu perdus. Tout est à continuer ou à redessiner.
Pas question pour Martha de lâcher, elle veut perpétuer, rester fidèle pour finalement reprendre les rênes quand Louis décide que quitter le navire pour vivre son rêve de comédien et sa rencontre avec Hélène et son bébé. Léna la plus jeune se pose en voix de la raison, elle comprend ce qui est en cours, elle ressent que l’avenir n’est plus dans les marionnettes. Qu’il va falloir changer, bouger, se réinventer ensemble ou séparément.
Toutefois, elle reste près de Martha, l’assiste, écrit un nouveau spectacle mais l’évidence s’impose à elles, ça ne fonctionne pas ou plus.
C’est donc dame nature qui va douloureusement permettre de passer à d’autres réalisations pour les deux sœurs. Un soir de violent orage, un arbre tombe sur le castelet et le détruit. Martha l’avait rêvé, telle une prémonition, son cauchemar est là et elles se retrouvent toutes deux au milieu des débris tentant de sauver l’insauvable.
Voici donc venu le temps de la réinvention. Chacun partira dans sa direction propre, pour se retrouver, on le constate, autour des amis dans le besoin, des rencontres familiales.
À travers le destin de cette famille, on pressent la fin d’un monde.


Toutefois pour eux, je me mets à espérer que cela va bien se passer. Ils sont joliment remplis par leur histoire, leur famille et ce grand amour qu’ils portent aux autres.
Maintenant, de retour dans le réel, que faut-il en craindre pour nos marionnettistes ?
Les enfants, public ciblé, ont-ils changé, se sont-ils éloignés de cette discipline très ancienne ? Les parents transmetteurs se sont-ils détournés ou ont-ils oublié ? Il suffit pourtant de s’asseoir devant le castelet, au milieu du public de grands et petits pour ressentir que ce n’est pas le cas. Ils interagissent, crient, applaudissent et l’adulte que nous sommes devenus, pressent alors cette petite chose de sa propre enfance affleurer et jaillir dans les applaudissements et les rires. La joie est là !
La fin d’un monde peut être, mais le public est toujours là, prompt à s’émerveiller devant les spectacles proposés, quels qu’ils soient, y compris le cinéma qui vivra peut-être un jour ses derniers instants. La tristesse me gagne en écrivant ces derniers mots… Profitons !

Sylvie Cauchy






L’arbre aux papillons d’or- Pham Thien An

Après avoir vu – L’arbre aux papillons d’or, je m’interroge sur mon attente de spectatrice.

Je ne m’en cache pas, je ne l’ai pas apprécié ce film. Je ne me suis pas senti à l’aise dans cet univers.

J’y ai vu quelques images qui restent en mémoire, j’y ai entendu de multiples sons, une bande originale belle et variée mais tout cela vécu dans un profond inconfort auquel je réfléchis depuis.

J’ai cloisonné d’instinct le film en deux parties. La première faite de bruit et d’agitation. Même si le personnage principal semble un jeune homme très calme, tout ce qui l’entoure est très sonore. Sonore au point que l’on discerne très distinctement des conversations (plusieurs, le vent très fort, les bruits de la ville…) le tout au même niveau m’a-t-il semblé, au point d’en ressentir un réel malaise.

Même le passage à la campagne reste très bruyant. Bruit de moteur, conversations, oiseaux, tout cela également très présent, trop présent à mes oreilles.

Puis une scène semble mettre fin à cette cacophonie. Une scène ou le coq servant d’appât chante et ainsi attire les autres coqs sauvages. Seuls résonnent leurs cris qui semblent de plus en plus proches, une sorte de pression monte presque effrayante, on attend l’attaque. Qui ne manque pas d’arriver d’ailleurs… Ensuite l’écoute devient plus agréable, on s’apaise.

Il y a évidemment des jolies scènes dans l’Arbre aux papillons d’or.

J’ai beaucoup aimé celle des quatre mains, celle de l’enfant et de son oncle qui tapissent le sol après avoir enterré l’oiseau, petit compagnon venu de la ville avec l’oncle et son neveu pour enterrer une maman pour l’un et une belle-sœur pour l’autre.

Les paysages sont naturellement beaux mais on ne sent jamais le besoin chez le réalisateur de les sublimer. Ils sont là, tout simplement faisant partie du décor et me laissent insensible. Je l’ai vécu avec beaucoup de frustration.

La relation entre l’homme et l’enfant, sans gestes tendres en apparence, ou si peu, semble malgré tout, forte et importante pour les deux. Tout semble se mettre vite en place entre eux. Pas de larmes, des questions parfois sans réponses pour le petit. Toutefois une confiance s’installe très naturellement. L’oncle est à l’écoute de son neveu. Peut-être la relation est-elle déjà ancienne ? On ne sait pas.

La quête du père de l’enfant, disparu depuis longtemps, devient également quête spirituelle entre religion et nature, les deux s’imbriquant pour notre héros.

La religion, est-elle ce que recherche Thiên dans son chemin de vie à ce moment de son existence ? Ou bien l’amour quand il retrouve une jeune femme aimée plus jeune, qui ne l’a pas attendu et qui a choisi d’entrer dans les ordres. Non par dépit mais par envie, elle l’avait d’ailleurs prévenu qu’elle ne l’attendrait pas. Elle se rappelle à lui dans une scène repensée quand il se rend sur les lieux de cet échange.

D’ailleurs, la question de la religion s’invite dès le début du film, dans la conversation entre les trois amis autour d’un verre. La question est posée autour de son importance et de la place à lui donner. L’un la pense importante, l’autre la rejette, et Thiên interrogé reste dans l’interrogation à ce moment précis.

Nous n’aurons jamais la réponse puisque survient l’accident tout près d’eux. Le choc ! Rien n’est édulcoré. La collision entre les deux motos est violente, mortelle. On n’assiste pas à l’accident mais l’image qui s’impose, quand telles les personnes qui accourent, nous découvrons l’après, cru et terrible. Deux véhicules que l’on distingue à peine et un petit enfant allongé, immobile au milieu de ces monceaux de tôles.

Voici l’entrée en scène du neveu, petit garçon de 5 ans.

Dans plusieurs scènes, l’approche de la caméra, la superposition de cadre est très intéressante et inédite pour moi, tel la fenêtre ou l’on voit Thiên de dos qui écoute les paroles de l’ancien, le vieux vietnamien qui raconte la guerre, sa guerre, montre ses souvenirs au personnage principal qui écoute patiemment et semble-t-il avec intérêt. L’ancien qui fait le choix maintenant de s’occuper des morts du village et d’ailleurs rencontré lors de la cérémonie pour la maman du petit garçon.

Ce n’est pas un travelling tel qu’on a l’habitude de les voir, cela se fait de façon séquentielle, comme des sauts de puce vers l’objectif qui est dans le cas présent, le visage de l’ancien. Il est invisible tout d’abord, seulement matérialisé par sa voix et les mots qui l’accompagnent.

L’ancien est catholique lui aussi, il fait partie de la communauté du village, et l’on remarque chez lui vierges et croix de toutes sortes au milieu des photos de soldats, de famille. Toute une vie défile doucement et très lentement devant notre regard. On devine qu’il vient alimenter la quête de Thiên.

La lenteur est toujours très présente dans ce film… Même lorsque le personnage circule à moto pour se rendre dans le village de sa famille et qu’on le suit de dos. Peut-être pour différencier la vie citadine de la campagne… Peut être…

Une dernière scène très belle clôture le film, scène dans laquelle notre quêteur semble avoir trouvé quelque chose… Peut-être la fin du voyage ? En s’allongeant dans le lit de la rivière, il devient ici élément de la nature, il se mêle à ce qui l’entoure tout naturellement.

Ni minéral, ni végétal mais autre et tellement, m’a-t-il semblé, à sa juste place.

À la relecture de mes mots, je me dis que malgré le sentiment d’être passé à côté du film, je peux, après quelques jours, y trouver des pistes, des idées, des ressentis. De quoi nourrir mes réflexions.

Qu’aurais-je aimé trouver pour apprécier ce film ?

– Peut-être un personnage plus marquant, attachant.

– Peut-être un peu d’humour qui manque terriblement dans ce film. Le seul moment où les spectateurs sourient ou rient et lors de la rencontre avec le samaritain qui offre de l’alcool pour la moto en panne quand il dit : « qui se promènent avec de l’essence sur une moto ? » nous avons souri en spectateur d’une autre culture mais était-ce bien l’idée du réalisateur ? Ce n’est pas certain.

– Peut-être des gestes tendres avec l’enfant qui auraient pu nous attendrir.

– Peut-être des paysages mis davantage en valeur…

Le tout nous est livré tout cru, sans fioritures, sans recherche de séduction de la part du réalisateur.

Tout ceci relève évidemment de mes propres réflexions qui n’ont pas valeur de vérité.

Il est intéressant toutefois de s’interroger sur ses motivations à voir un film et pourquoi tel film ? Qu’attendons-nous spectateur ? qu’allons-nous chercher ?

Fantasmons-nous le film en partant de l’affiche, de nos connaissances, de qui nous sommes ? La curiosité nous anime t’elle ou est-ce autre chose ?

En quoi le cinéma nous nourrit-il ?

Je n’ai pas nécessairement toutes les réponses mais je continue à y réfléchir car déçue par ce film, j’étais visiblement dans une certaine attente.

Sylvie C

Les feuilles mortes d’Aki Kaurismaki

 

Fort heureusement, le réalisateur à finalement décidé de sortir de sa retraite décidée en 2017 pour nous offrir une tragi comédie digne de ses meilleurs films.

Il permet la rencontre d’Ansa et Holappa, deux laissés pour compte, deux tristes qui n’attendent plus grand-chose de leur vie malgré leur jeunesse et leur beauté. Seule leur ténacité permet le happy end car les éléments ne permettent pas de les réunir facilement.

Elle déprime, lui boit ……. et déprime.

On les découvre sur leur lieu de travail. Elle empile les rayons en supermarché, trie et jette aux ordures les invendus ou autres passés de dates, d’un geste mécanique et sans émotion apparente. On la regarde, jolie fille broyée, le corps voûté et pourtant se redressant face à la bêtise, l’injustice. Tout n’est pas éteint chez Ansa, on le devine. Elle s’émeut…..

L’arrivée d’un petit chien perdu comblera une partie du vide, faute de mieux.

Lui, vit avec ses collègues dans une baraque sans confort dans une entreprise de travaux. Il boit en silence, en cachette parfois, planque ici et là les bouteilles, et réagit à peine quand il est découvert et licencié. Il reste immobile, vaincu, résigné, l’homme de peu de mots.

Seul son ami et collègue Huotari en mal de rencontres féminines parvient à le mobiliser pour aller au Karaoké. Il suit marchant quelques pas en arrière comme un enfant qu’une mère tire par la main.

Et c’est la rencontre de ces deux êtres qui n’attendent rien mais finissent après bien des complications par recevoir.

Ils s’aiment nos amoureux. Ansa prend la main sur leur histoire à venir peut-être, donne son numéro, pose ses conditions, se redresse, se positionne.

Lui, le grand dadais, acquiesce, suit et finit par lâcher la boisson pour elle.

Dans cette histoire d’amour, la dépression rôde. Rien n’est dit, exprimé sauf en de rares moments mais tout est souligné par les images, les corps, la musique parfois. 

Les couleurs magnifient le film, tantôt passées tantôt vives. Une chemise d’un jaune éclatant, des affiches, des intérieurs, le rouge, le bleu …..les couleurs accompagnent comme pour suggérer la vie, l’espoir. Elles soulignent les scènes, leur donnent leur intensité.

Telle l’image surprenante et belle qui illustre cet état dépressif, au début du film, quand Holappa se laisse convaincre et se fait beau pour le karaoké. Un dernier coup d’œil au miroir avant de sortir. Un miroir cassé et l’on se trouve face à son reflet déformé, écartelé tel un Picasso, tel – la femme qui pleure.

Ainsi les larmes ne sortent pas mais tout les suggère.

La tristesse rôde dans ce film. Ces décors d’un autre temps, les entreprises broyeuses d’humains, cette radio qui s’allume sans cesse sur le conflit en Ukraine nous ramenant au temps présent. On en doute parfois tellement tout est suranné, certains décors, lieux semblent passés, telle une photo qui s’efface. On pourrait se croire dans les années d’après-guerre.

Il y a également du morbide dans la façon dont le personnage masculin s’abîme à force de boissons. La mort est d’ailleurs évoquée dans cet hilarant concert ou trois jeunes filles en robes de chambre chantent la mort, l’enterrement. Hilarant dans ce contraste de jeunes filles toutes pimpantes, aux joues roses, habillées de couleurs vives et leur mine affligée évoquant la dépression et la mort face au héros seul en compagnie de sa bouteille.

Et puis quelques scènes régulièrement distillées,  des petites  envolées lyriques et musicales nous montrant le ciel, les nuages, le ciel parfois bleu tendre, quelques nuages certes mais rien de menaçant. Tel un espoir qui se dessine tout doucement. On pourrait se croire chez Douglas Sirk , c’est doucement suggéré ….amené

Une des forces de ce film est que les paroles des chansons parlent en place de nos deux taiseux. Tout est dit, exprimé par les textes chantés. 

Je reviens sur le terme – hilarant – car il s’agit bien d’une comédie que ce dernier film de Kaurismaki prix du jury à Cannes. On rit souvent dans ce film, on est touché par certains dialogues franchement drôles entre Le personnage principal et son copain, ou entre les amoureux. Ansa est drôle dans ses affirmations, lui dans ses réactions.

Une comédie romantique, un beau mélo, un antidote à la déprime actuelle.

Oui, un antidote, car on sort heureux et ému de ce film avec cette belle dernière image digne d’un Chaplin. On a presque envie de l’accompagner de la si belle chanson – Smile – écrite par Chaplin.

 Le sourire oui, car Kaurismaki ce colosse, ce molosse, qui se défend d’aimer l’homme, nous montre le pouvoir de  l’amour ramène qui  l’envie, la vie.

 Kaurismaki est sorti de sa retraite pour un message d’espoir et de gratitude pour la vie et nous l’en remercions vivement.

Sylvie C

W.E ITALIEN 2023 : Vers un Avenir Radieux de Nanni Moretti

-Moi, je l’aime ce Nanni Moretti. Je l’ai aimé dans sa quarantaine juché sur son scooter et parcourant les rues de Rome, je l’ai aimé acteur avant cela mais je l’aime encore davantage en me régalant de son très réussi dernier film.

Ce film, je l’ai regardé et vu  comme une succession de séances, de sketches, passant d’une époque à l’autre, d’un moment à l’autre.

Difficile de démêler ce qui est lui et ce qui n’est pas. Même si évidemment tout est lui : l’œuvre et l’homme.

On s’y perd avec joie, on l’accueille, on découvre ses peurs et ses joies, ses emportements.

Dans ses peurs et ses difficultés,  la perte d’un certain cinéma libre, de la création, de l’indépendance (la scène avec les humanoïdes de Netflix est glaçante), la solitude (ses femmes s’en vont, s’envolent), le communisme qui l’ont sait a participé à sa construction d’homme, le sommeil difficile au point de faire appel à la chimie…..

Il raconte son communisme. Le communisme associé au cirque, comme une représentation, une illusion, les années qui passent tout en nous faisant revivre des événements graves.

Tout Nanni Moretti est présent. On reconnaît son œuvre, sa signature avec un petit quelque chose en plus quand souvent affleure la joie, la fantaisie  …. Oui il a vieilli, oui la dépression le guette mais il se tourne vers ses ressources, sa construction d’homme, d’humain pour notre plus grand bonheur.

J’ai adoré ce petit couple au cinéma avec ce garçon timide et réservé, cette fille qui attend un geste à la fin du film mais rien ne vient. Le réalisateur intervient… embrasse là, lui dit-il, avec un mélange d’agacement et de tendresse.

On les retrouve plus tard en voiture dans une scène de dispute. Elle veut plus,  il hésite, ne comprend pas … elle quitte la voiture comme une menace de départ. 

Nanni Moretti, voisin de voiture intervient, donne les mots qui sortent de la bouche de la jeune femme tel un souffleur, un Cyrano. Je suis heureuse de les retrouver plus tard en pique nique dans les collines, si heureux dansant les bras ouverts tels des derviches avec leurs deux petits garçons…. quand soudain une évidence me frappe …

Et si ce jeune couple était ses parents, ses créateurs. les petits garçons lui et son frère…. S’il se donnait vie en intervenant dans la vie future de ses parents ? Allez, faites moi naître …. j’ai tant à dire . Ce n’est peut-être pas cela qu’a voulu dire Moretti mais j’aime beaucoup l’idée.

L’émotion aussi est là, tapie dans beaucoup de scènes. Par exemple, sur le tournage de l’autre film, celui de l’émancipation pour sa compagne de vie, ou il s’invite et nous offre  une magistrale leçon sur son  regard de cinéaste, sur l’amour de son art, la justesse, l’hommage au cinéma nous prend à la gorge et on le suit, bien entendu. Quelle belle scène ….j’y ai beaucoup appris, elle me ramène à la genèse de mon amour pour le  cinéma, du beau cinéma. 

Celle des petites salles, des fiches de Monsieur Cinéma, du cinéma de minuit. Merci Monsieur Moretti de me ramener à mes fondamentaux, ma construction.

Merci aussi de nous rappeler que vieillir peut être beau si l’on a rempli sa vie, si l’on a vécu pleinement ses coups de cœur, ses emballements, si l’on s’est rempli de cinéma, de musique ou autres pour pouvoir un jour se regarder, se voir et se dire – Ok j’ai loupé ca, vécu ça mais j’ai bien vécu ! et ce n’est pas fini car l’envie est là ! 

La très belle fin du film, cette parade, ce défilé où l’on retrouve tous ceux qui l’ont accompagné durant ses décennies de cinéaste (la jeune couple est encore là ) où chacun marche le regard fixé  vers son avenir radieux, nous remplit de joie et d’optimisme.

Un film cadeau !

Sylvie

Les Herbes Sèches-Nury Bilge Ceylan

Quel film que ces  – Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan.

Quel plaisir de cinéma …. de spectateur.

Ce film, dont tous les tiroirs ne peuvent s’ouvrir tant les thèmes sont nombreux, ou les questions sans réponses sont légions et dont on ressort heureux et fier de l’avoir vu.

Difficile en quelques mots de qualifier, décrypter, suggérer ce que ces 3h17 (qui par ailleurs passent rapidement), dans ce bel objet de cinéma. 

En voici, quelques bribes…

On commence par un paysage de neige, qui rappelle certains dessins chez Miyazaki. 

Le petit point noir que l’on apperçoit tout d’abord, se déplace et s’approche vers nous pour devenir un homme et l’on devine qu’il sera le personnage que nous devrons suivre tout le long du film.

On le suit de si près qu’il nous bouscule profondément quand il se révèle peu à peu, et que notre panel d’émotions fait le yoyo. Sympathique, pathétique, désagréable, touchant tour à tour.

On le devine mauvais, faible, face à Sevim, l’enfant femme dans cette parade qu’on ne peut qualifier d’amoureuse même si le doute s’impose réguliérement.

Les compagnons de route de notre personnage Samet, vont longtemps m’accompagner.

L’ami de circonstance puisque colocataire imposé, le véto du village tel un parrain mafieux, cet individu un peu paumé qui passe avant de disparaître… toute un galerie d’individus si véridiques dans leurs attentes, propos qu’on pourrait se croire au sein d’un documentaire sur la Turquie.

Et Nuray la sage, l’obstinée, la vivante, qui dépose ces envies, ses attentes et ses espoirs auprès des deux garçons. Enseignants tous deux, par choix ou pour échapper à une vie de berger tel que raconté par Kenan. 

De la belle Nuray viendra la lumière qui illumine les dernières scènes du film, des sentiments, des chagrins. Mais pas que …

Les scènes parlées s’écoutent religieusement, si belles et puissantes. 

Peu de musique mais elle semble inutile tant les sons sont amplifiés comme cette neige qui crépite en tombant ou qui crisse sous les pieds, ou encore l’eau de la source qui s’écoule tout doucement. Avec tous ces sons qui nous invitent, nous sommes là en présence, nous vivons et partageons le quotidien de tous ces individus.

Puis, pour nous ramener à la fiction, le réalisateur nous propose un pause entracte en nous montrant l’envers du décor puisque subitement, nous nous retrouvons accompagner Samet dans un nouveau décor avant un moment important du film.

Il est difficile de saisir ce saut dans la réalité …. Quel est le message ? Que faut-il comprendre ?

– Un court entracte dans ce long film, une façon de nous ramener à la fiction dans ce film très documenté ou encore – allez !  pourquoi pas, dans cette longue marche à travers les plateaux, l’acte sexuel représenté ou du moins fantasmé par notre personnage tel le tunnel chez Hitchcock.

Il y a tant à dire même si je sais qu’au fil des jours mes vérités seront autres.

On passe le film à induire…. Les sentiments des uns, des autres, les regards et tout ce qui lie les scènes pour créer ce formidable film.

Les herbes sèches –  ne nous est pas livré avec sa vérité et libre à nous de créer notre œuvre, notre film avec nos pensées, nos filtres et c’est là pour moi  toute la force de ce film.

Faire mille œuvres en une seule, nous laisser créateur. Quelle générosité !

Sylvie Cauchy

TAR-TODD FIELD (2)

Il est difficile d’éprouver de la sympathie pour le personnage principal mais l’empathie est là dès le début du film.

Dés les premières moments, notamment chez les magnifiques scénes chez le tailleur, on découvre cette femme qui se pare en homme, se masque tel un chevalier que l’on prépare pour un tournoi.

Sa gestuelle avant toute intervention impressionne par sa force. Ces gestes des mains comme pour effacer l’invisible.

Tout est contrôlé chez elle, rien n’est laissé au hasard. Elle se montre masculine dans tous ses choix. De son appartement avec ses murs de béton brut jusqu’à ses tenues, dans ses rapports humains ou elle s’affiche « mâle » jusqu’à adopter les comportements de prédateurs rencontrés chez certains hommes.

Deux moments seulement la ramenent à son état de femme.

 Lorsqu’elle devient mère louve à l’école de sa fille ou en trois mots, elle installe la terreur chez une petite fille harceleuse (trois mots puissants qui ne sont pas ceux d’une femme ) puis lors de son retour dans la chambre de son enfance ou au détour d’une porte d’armoire qui s’ouvre, on découvre quelques boîtes colorées et fleuries telles qu’en possèdent nombre de petites filles.

On devine que là est né ce personnage hybride et redoutable ou l’art passera avant toute chose. Ou elle s’effacera pour naître autre.

La descente est rapide et sans concessions. Elle se battra jusqu’au bout pour résister face à la curée.

On pourra dire qu’elle l’a bien cherché mais on sort de ce film avec le sentiment d’avoir croisé un être humain dans toute sa complexité entre forces et faiblesses.

La fin, clin d’œil au masque du début, est terrible de cruauté.

Sylvie C