Le Grand Chariot – Philippe Garrel (2)


Philippe Garrel l’a dit : « je réalise que représenter sa famille est un plaisir habituellement réservé aux peintres. Mes enfants étaient âgés de 22, 30 et 38 ans, il fallait que je trouve une raison pour qu’ils soient réunis à ces âges. »
Le – Grand Chariot c’est donc l’histoire racontée d’une famille et troupe de marionnettes mais également l’histoire d’une famille d’artistes puisque Philipe Garrel le réalisateur fait tourner ses trois enfants et sa famille de cœur.
Le – Grand chariot est le nom de la compagnie de marionnettes, peut être finalement le personnage principal du dernier film de Philippe Garrel.

C’est également le nom joliment peint sur le castelet ou se passe toutes les intrigues et histoires pour le plaisir des spectateurs, petits et grands.
Mais c’est tout autant l’histoire d’une maison, maison poumon ou chaque génération vit et respire marionnettes. Jusqu’à perdre le souffle quand la maison fait des siennes un jour d’orage.
Ce sont trois générations qui nous sont présentées dans cette maison.
La grand-mère d’une merveilleuse écoute, s’émeut, lance ses coups de gueule l’aiguille à la main et fabrique, répare, consolide les marionnettes.
Le père, sorte de patriarche qui représente la passion, le savoir, la transmission, les décisions. Dans la maison, on le suit, on l’écoute, on l’aime et le respecte. Il est le boss.
Puis les trois enfants joués si naturellement par les enfants du réalisateur. Louis le fils aîné qui perpétue mais se questionne, Martha la fidèle, et Léna la rebelle.
La grand-mère veuve, le père seul également, les trois enfants adultes, vivent, parlent, travaillent ensemble dans la grande maison de banlieue. On rit beaucoup, on se taquine. L’amour sous toutes ses formes est bien là…
Le temps semble s’être figé dans ce lieu. On devine qu’ils vivent parmi les meubles des grands-parents, les murs ont 50 ou 60 ans. C’est ainsi que la vue d’un interrupteur plus contemporain nous ramène à notre époque. On est avec eux dans la maison… On écoute, à table ou au pied d’un lit. On est accueillis, en privilégiés.
Un invité, Pieter, passe régulièrement pour dépanner puis devient membre actif de la troupe. On peut s’interroger sur la place de Pieter dans le film et des moments entre lui, Hélène ou sa nouvelle compagne. Sortes de parenthèses que je ressens personnellement moins justes, plus jouées… pour comprendre finalement que Pieter représente la précarité du métier jusqu’à la pauvreté. Dans sa quête des cachets, il se pose un moment près de cette famille ou il se sent bien, comme il le dit : « dans ma propre famille, ce n’est pas pareil » Puis il les quitte pour se consacrer à son art véritable qu’est la peinture pour malheureusement se perdre, couler et voir son rêve s’effondrer.
Pieter nous permet également de saisir l’amour, la bienveillance qui anime tous les membres de cette famille. Ils sont présents pour les autres, ils assistent, écoutent, aident, allant jusqu’à manifester dans la rue pour Léna quand c’est nécessaire. L’entraide est le ciment de cette troupe familiale, ce qui les fait vibrer dans leur métier et leurs rencontres.
On comprend vite toutefois que derrière ce joli portait de famille, la réalité n’est pas simple. Pour la famille et son avenir mais également pour le devenir des troupes de marionnettes dans le futur, est-ce un art terminé ? les traditions là encore se perdent-elles ? Peu à peu dans la tête de Louis notamment, les questionnements se bousculent.
Il faut attendre que le père décède, victime d’un malaise tel Molière en pleine représentation, pour que la voix du fils s’exprime clairement auprès des membres de la famille au fur et à mesure que la grand-mère s’épuise, s’efface puis disparaît à son tour.
Les enfants restent seuls, un peu perdus. Tout est à continuer ou à redessiner.
Pas question pour Martha de lâcher, elle veut perpétuer, rester fidèle pour finalement reprendre les rênes quand Louis décide que quitter le navire pour vivre son rêve de comédien et sa rencontre avec Hélène et son bébé. Léna la plus jeune se pose en voix de la raison, elle comprend ce qui est en cours, elle ressent que l’avenir n’est plus dans les marionnettes. Qu’il va falloir changer, bouger, se réinventer ensemble ou séparément.
Toutefois, elle reste près de Martha, l’assiste, écrit un nouveau spectacle mais l’évidence s’impose à elles, ça ne fonctionne pas ou plus.
C’est donc dame nature qui va douloureusement permettre de passer à d’autres réalisations pour les deux sœurs. Un soir de violent orage, un arbre tombe sur le castelet et le détruit. Martha l’avait rêvé, telle une prémonition, son cauchemar est là et elles se retrouvent toutes deux au milieu des débris tentant de sauver l’insauvable.
Voici donc venu le temps de la réinvention. Chacun partira dans sa direction propre, pour se retrouver, on le constate, autour des amis dans le besoin, des rencontres familiales.
À travers le destin de cette famille, on pressent la fin d’un monde.


Toutefois pour eux, je me mets à espérer que cela va bien se passer. Ils sont joliment remplis par leur histoire, leur famille et ce grand amour qu’ils portent aux autres.
Maintenant, de retour dans le réel, que faut-il en craindre pour nos marionnettistes ?
Les enfants, public ciblé, ont-ils changé, se sont-ils éloignés de cette discipline très ancienne ? Les parents transmetteurs se sont-ils détournés ou ont-ils oublié ? Il suffit pourtant de s’asseoir devant le castelet, au milieu du public de grands et petits pour ressentir que ce n’est pas le cas. Ils interagissent, crient, applaudissent et l’adulte que nous sommes devenus, pressent alors cette petite chose de sa propre enfance affleurer et jaillir dans les applaudissements et les rires. La joie est là !
La fin d’un monde peut être, mais le public est toujours là, prompt à s’émerveiller devant les spectacles proposés, quels qu’ils soient, y compris le cinéma qui vivra peut-être un jour ses derniers instants. La tristesse me gagne en écrivant ces derniers mots… Profitons !

Sylvie Cauchy






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