STEFAN ZWEIG, ADIEU L’EUROPE
Nominé au Festival de LocarnoSoirée-débat mardi 18 à 20h30
Présenté par Laurence GuyonFilm allemand (vo, Août 2016,1h46) de Maria Schrader avec Josef Hader, Barbara Sukowa et Aenne Schwarz
Titre original : Vor der Morgenröte Synopsis :En 1936, Stefan Zweig décide de quitter définitivement l’Europe. Le film raconte son exil, de Rio de Janeiro à Buenos Aires, de New York à Petrópolis.
Je n’ai pas aimé ce film… mais quoi donc ?
Il y a quasiment autant de lecteurs de Stefan Zweig que de spectateurs du film. C’est un film qu’on souhaite voir après avoir peu ou prou lu Zweig. Pour ma part, c’est plutôt peu, je l’avoue. J’ai fait sa connaissance avec « le joueur d’échecs » paru en feuilleton dans le journal Monde en 1972 à l’époque du match Fischer vs Spassky, j’ai souvenir d’une nouvelle peu vraisemblable et d’une psychologie des personnages taillée à la hache. Les autres livres que j’ai pu lire de lui ne m’ont guère plus passionné, de sorte que je ne regrette pas mon aveux.
Le film m’est apparu classique (trop), bavard et lent, sans surprise. Bien sûr Joseph Hader est à la fois ressemblant, crédible, remarquable dans sa manière de réprimer ses sentiments, son embarras et sa détresse…tout en les rendant tout de même visibles en dépit de ce qu’il veut paraître. La manière furtive et délicate de nous montrer le couple mort est elle aussi parfaite. Mais, autant vous prévenir tout de suite, je suis au maximum du bien que je peux dire de ce film.
Ce récit m’apparaît comme une théorie de mondanités exécrables, de discours véhéments et vains qui n’ont pour fonction que de contrebalancer les silences et prises de position éthiques neutralistes de Zweig. Le monde de Zweig qu’on nous présente est un monde de figurants. On imagine que dans la vraie vie, cette contrainte éthique qu’il s’est imposé devait être mortifère.
Une spectatrice durant le débat faisait remarquer que les réfugiés politiques, s’ils sont des intellectuels connus, ont des devoirs vis à vis de ceux qui n’ont pas eu la chance de pouvoir fuir ou qui sont restés pour lutter. Mais on peut aussi imaginer que l’auteur « du monde d’hier » pressentait d’une manière péjorative le « monde de demain », ce monde de l’après nazisme, que nous les vivants, expérimentons désormais.
C’est le monde du présent qui semblait échapper à Zweig. Ses amis, à l’instar de Walter Benjamin s’étaient suicidés. Un autre et génial ami, l’écrivain Joseph Roth, qui si l’on en juge par leurs correspondances, avait des préventions plus fermes et une anticipation plus aiguë que celles de Sweig sur le national socialisme, lui aussi s’est suicidé…d’une autre manière, plus lente, celle d’un pauvre et grand alcoolique, désespéré, mourant seul à Necker un jour de mai 39.
En dernier lieu, l’histoire et la littérature, le cinéma nous ont souvent montré des couples se suicidant. Chacun a aussi en tête des cas concrets, des noms célèbres parmi les intellectuels du 20ème siècle. Et parmi les simples quidams, aujourd’hui encore, en Octobre 2016, un couple à Villejuif vient de se suicider parce qu’il ne pouvait plus payer son loyer.
Dans le suicide d’un couple, il peut y avoir des motifs et une volonté commune d’en finir, ça peut arriver. Ce que l’on voit aussi , c’est la mise à mort de l’un par l’autre, puis le suicide de l’autre, et parfois, au décours de ces tristes histoires, la mort d’un seul conjoint sur les deux. Enfin, on peut lire sur ces affaires, qu’il existe des mécanismes morbides où l’un tente de convaincre l’autre que la mort est la seule issue valable. (Un inducteur et un induit.) Les déprimés mélancoliques sont parfois de bonne foi, par désespoir, amenés à raisonner en ces termes. Ils veulent ainsi, par la mort, protéger leur(s) proche(s) d’une vie atroce dont le pire reste à venir.
Dans le cas de Zweig dont on sait qu’il était déprimé et de Lotte sa jeune épouse, nous avons un doute, celui là même exprimé dans un Figaro de 2010 « Cette femme qui s’était jurée de lui redonner goût à la vie était-elle aussi désespérée que son époux au foie noir ? (mélancolique) N’est-ce pas Stefan Zweig qui a voulu imiter Heinrich von Kleist, un écrivain qu’il avait célébré dans son essai « Le Combat avec le démon » en entraînant une compagne dans la mort ? ».
Dans ce film, Zweig est un homme seul qui meurt à deux.
…Et cette pensée pour Lotte à elle seule aurait suffit à me pourrir le film si d’aventure, le reste ne m’avait pas déjà semblé ennuyeux.
Georges