En bref, deux films à ne pas manquer

Madre Paralelas de Pedro ALMODOVAR

Avec Penélope Cruz, Milena Smit, Israel Elejalde

Deux femmes, Janis et Ana, se rencontrent dans une chambre d’hôpital sur le point d’accoucher. Elles sont toutes les deux célibataires et sont tombées enceintes par accident. Janis, d’âge mûr, n’a aucun regret et durant les heures qui précèdent l’accouchement, elle est folle de joie. Ana en revanche, est une adolescente effrayée, pleine de remords et traumatisée. Janis essaie de lui remonter le moral alors qu’elles marchent telles des somnambules dans le couloir de l’hôpital. Les quelques mots qu’elles échangent pendant ces heures vont créer un lien très étroit entre elles, que le hasard se chargera de compliquer d’une manière qui changera leur vie à toutes les deux.

Voici un film total, il est beau, certains plans sont des œuvres d’art, et aussi belle la musique comme souvent dans ses films, c’est à la fois un thriller, une histoire politique, une histoire d’affections, une histoire de naissances, de pertes et de mort, mais surtout de Vie. Tous ces thèmes sont tissés ensemble, de quoi est fait l’amour d’une mère ? Ici point de jugement de Salomon… Pourquoi exhumer de leurs « cryptes psychologiques » tous ces cadavres tués en masse durant la guerre d’Espagne ? Almodovar embrasse tout, il est de ces réalisateurs qui apprivoisent les choses cachées, qui leur rend leur dignité, les civilise. Quant à ses actrices et acteurs, on se dit à chaque fois que ça ne devait être eux ou personne, ils sont l’esprit même d’Almodovar. C’est à l’Alticiné.

PS : Avec mon apitoiement sur tous ceux qui hélas ne verront ce film qu’à la télé!

PS : Avec mon apitoiement pour tous ces gens qui ne verront ce film que sur leur écran de télévision.

Un Heros – d’Asgar Farhadi

Avec Amir Jadidi, Mohsen Tanabandeh, Sahar Goldust

Titre original Ghahreman

Rahim est en prison à cause d’une dette qu’il n’a pas pu rembourser. Lors d’une permission de deux jours, il tente de convaincre son créancier de retirer sa plainte contre le versement d’une partie de la somme. Mais les choses ne se passent pas comme prévu…

Un autre chef-d’œuvre, le cinéma iranien est décidément un des plus important et des plus prodigieux cinéma du monde. Et Asghar Farhadi l’un des ses meilleurs représentants. A lire le synopsis, on se rend compte que ces vignettes sont souvent un exercice de fatuité. Dans ce film, n’est confortable que le fauteuil du cinéma dans lequel nous sommes assis. Le film rebondit sans cesse, nous surprend, nous indigne, nous sommes comme dans le tambour d’une machine à laver. On nous y parle du rapport de l’homme à la vérité, la vérité intime et la vérité publique, celle qui est socialement admise. Il s’agit aussi de la dette et d’une petite sœur à elle, la prédation ; de la justice et de la réparation, ajoutons le bruit de fond des réseaux sociaux et pour le héros « Il n’y a pas loin du Capitole à la Roche tarpéïenne » dit-on. Tout cela pas n’importe où, en Iran. Mais l’Iran c’est juste une coloration. 

Tre Piani-Nanni Moretti

(Complément au débat du 21.12.2021)

Ciao a tutte e a tutti! 

Quelques notes en complément à notre débat d’hier soir, suite à la projection du 13° long métrage de Nanni MorettiTre piani, présenté à Cannes 2021. 

Bibliographie

Voici les références des livres que j’ai lus pour ma présentation :

– Eshkol Nevo Trois étages (2015) Traduction de l’hébreu Jean-Luc Allouche, Gallimard 2018. Folio 6848

Je vous ai lu ce passage page 344 : « Sigmund Freud » … a « commis une erreur grossière : les trois étages de notre âme n’existent pas du tout. Pas du tout ! Ils existent dans l’espace entre nous et quelqu’un d’autre, dans l’intervalle entre notre bouche et l’oreille de celui à qui nous racontons notre histoire… Sinon, sans lui, l’individu n’a aucune idée de l’étage où il se situe, et il est condamné à tâtonner désespérément dans le noir, dans la cage d’escalier, pour trouver l’interrupteur. »

– Paolo di Paolo, Giorgio Biferali, A Roma con Nanni Moretti (A Rome avec Nanni Moretti), Bompiani. 2016. Non traduit

– Roberto Lasagna, Nanni Moretti, Il cinema come cura (Le cinéma comme thérapie), Mimesis. 2021. Non traduit

– Giovanni Scipioni, Nanni Moretti Immagine et speranze di una generazione (Nanni Moretti Images et espoirs d’une génération), Falsopiano 2021. Non traduit 

Les deux affiches, française et italienne

Afin d’apprécier de visu les différences évoquées dans la présentation. 

Affiche Italienne

Affiche Française

Pour mémoire

La citation de Moretti sur son cinéma : « A volte più si va nel particolare più si ha la possibilità di diventare universali », dit-il.  Parfois plus on va dans le particulier, plus on a de chances de devenir universels.

La phrase de Dora en voiture sur cette route qui va enfin être la sienne et pas celle de son mari : D’ora in poi è la mia strada : Désormais je suivrai mon chemin. 

Un mot sur les acteurs

Nous n’avons pas eu l’occasion de parler de la filmographie des acteurs et actrices, j’ai évoqué Riccardo Scamarcio, qui a joué un étudiant en médecine puis psychiatre dans La Meglio gioventù de Marco Tulio Giordana (« Nos meilleures années ») et a fait rêver de nombreuses adolescentes comme celle du film. Il est donc dans le film à la fois lui-même et son personnage, comme Moretti peut être à la fois le Juge et lui-même jugeant la société. Ce jeu dedans dehors, est typique de son cinéma.

Parmi les acteurs et actrices de ce film, tous exceptionnels, un mot sur Margherita Buy qui a déjà joué dans deux des films de Moretti, Mia Madre et Habemus papam ainsi que dans deux films que j’aime beaucoup, Caterina va in città de Paolo Virzì et Magnifica presenza de Ferzan Oztepek, deux cinéastes italiens actuels majeurs. 

Sur les répliques du film 

            Quelques remarques de plus (parmi tant d’autres possibles), di getto, au fil de la plume, sur le scénario en italien, particulièrement soigné :  

Margherita Buy, dans le film Mia madre, adresse au public cette invitation de Moretti à “rompere un tuo schema, almeno uno » (briser un schéma de ta vie, au moins un ». Dans ce film, quel serait l’équivalent ? Je pense qu’on retrouve une invitation adressée au public dans le message de la radio : Cosa fate di nascosto dagli altri ? Que faites-vous en cachette des autres ? Dora va y répondre et avouer tout ce qu’elle faisait en cachette de son mari. C’est le premier pas de sa libération, pour trouver son chemin. L’idée trouve un écho conclusif dans La Milonga clandestina, formidable mouvement de joie et de libération à la fin du film où enfin personne n’est seul, ni en conflit, ni terrorisé, et danse, la vie devient enfin légère… au lieu d’etre « plombante », selon l’expression d’une personne pendant le débat ! 

            Quelques mots communs à tous les personnages, qui auraient pu vous échapper à l’écoute de l’italien : paura – strada – colpa – scusa.

SCUSA

Scusami (excuse-moi), ti potevi almeno scusare (tu aurais pu t’excuser au moins), faccio le scuse al posto del mio figlio che non lo farà mai (« je viens présenter des excuses pour mon fils qui ne le fera jamais »), è lui che deve chiedere scusa a noi (« C’est lui qui nous s’excuser auprès de nous ») etc.

Un acte est-il excusable : oui ou non pour l’accident ? Oui ou non pour le frère corrompu ? Oui ou non pour l’acte de Lucio avec l’adolescente ? Oui ou non pour Vittorio qui se retrouve dans le parc la nuit avec Francesca ? etc. A chaque fois il y a débat éthique. Quoi qu’il en soit, les excuses sont souvent la condition du pardon dans le film. Toutes les variantes sont possibles jusqu’au père absent qui présente ses excuses et change de strada.

PAURA

Alba Rohrwacher, Monica dans le film, prononce l’une de ces phrases auxquelles Moretti nous a habitués : – Ho paura. Con lei qui è tutto più vero. (Scène du bain du bébé avec l’aide de Dora). « J’ai peur. Avec vous ici tout est plus vrai ». Lucio parlant à sa fille Sara et chassant ses peurs lui dit aussi à la fin du film : Ho avuto paura. « J’ai eu peur ». Elle-même a peur de partir à Madrid mais dit que c’est son chemin, « ho paura ma voglio andare » (« J’ai peur mais je veux y aller »). Tous les personnages disent avoir peur à un moment ou un autre du film. 

COLPA

Le fil rouge de la faute et de la culpabilité.  È colpa mia (« c’est de ma faute ») ou è colpa sua (« c’est de sa faute ») etc se répète souvent dans le film dans de nombreuses situations. 

STRADA

C’est la marque des parents d’Andrea, « c’est ou ce n’est pas notre chemin ». Sa fréquence nous permet d’y prêter attention. Mais une fois qu’on l’a fait, on se rend compte que Moretti suit cette idée aussi pour les autres personnages, par exemple Vittorio « ha sbagliato strada« , il s’est trompé de rue, de chemin, il s’est égaré. Cette phrase peut aussi bien avoir un sens propre qu’un sens figuré. 

Cet emploi systématique devient le leitmotiv du message de Moretti dans le film et, nous n’allons pas répéter notre débat, la strada di ognuno, la route de chacun.e a en effet un caractère propre dans ce film et il n’y a pas de chemin unique, cette diversité a été soulignée dans le débat. 

Arrivederci ! 

Monica Jornet

FIRST COW, Kelly REICHARDT

Ce septième long métrage de la cinéaste américaine Kelly Reichardt avait tout pour être choisi par les Cramés qui, en 2017, avait déjà présenté Certain Women, Certaines femmes: une cinéaste rare, sept films à son actif malgré trente années de métier, d’abord assistante auprès de réalisateurs comme Todd Haynes ou Gus Van Stant, une critique dithyrambique dans la plupart des revues cinématographiques où ce dernier opus est qualifié de « chef d’œuvre »; et, s’il fallait encore une preuve de la notoriété de Kelly Reichardt en Europe, rappelons ici qu’une rétrospective lui a été consacrée à Beaubourg en octobre 2021.
Pour autant, First Cow a divisé les spectateurs, laissant certains perplexes, et d’autres ‘en dehors’ du film quand une autre partie a, quant à elle, eu le sentiment de partager l’aventure de Cookie et King-Lu.
Il n’est en effet pas facile de ‘rentrer’ dans ce film, souvent étiqueté par la presse de ‘western,’ alors qu’il n’en suit en rien les codes, tout au contraire. Et c’est sans doute là le tour de force de la réalisatrice : surprendre à un point tel que certains spectateurs resteront sur le bord de la route, regardant le périple de Cookie et King-Lu de très loin….
L’histoire de Otis Figowitz dit Cookie (John Magaro) et de King-Lu (Orion Lee) est peut-être d’apparence ‘simple’ mais là encore la réalisatrice réussit l’exploit de nous parler de la Conquête de l’Ouest sous un angle original et par petites touches disséminées tout au long du film. C’est que Kelly Reichardt prend son temps et nous impose de ‘vivre’ au rythme de la nature, un rythme lent, contemplatif loin de la frénésie du western traditionnel. Tout est expérience visuelle, olfactive et auditive : un prologue où l’on voit une barge moderne qui s’écoule lentement sur le fleuve Columbia, un chien qui fouine le sol à la recherche d’un quelconque trésor à savourer, découvrant finalement les ossements humains, deux squelettes que sa maîtresse va mettre à jour… et lorsque la caméra s’élève suivant le regard de la jeune femme attirée par le chant d’oiseaux perchés tout en haut d’un arbre, nous voilà catapultés deux cents ans en arrière, en 1820, quand l’Oregon était encore un vaste territoire, ensuite divisé en trois états Oregon, Washington et Idaho, la rivière Columbia servant de séparation entre les deux premiers.

Cet elliptique retour en arrière nous amène littéralement sur les pas de Cookie (la caméra offre un gros plan sur ses pieds chaussés de bottes se posant l’un après l’autre sur les feuilles qui tapissent le sol humide de la forêt), à la recherche de nourriture pour le dîner des trappeurs avec lesquels il voyage jusqu’au Fort Tillikum, se chargeant de cuisiner pour eux.
La nature, personnage à part entière du film, offre les champignons délicatement cueillis et humés par Cookie, tout comme elle offrira aussi poisson, myrtilles, écureuils pour nourrir des hommes affamés. Cette nature fragile doit être respectée : Cookie le sait qui remettra sur le dos une sorte de petit lézard qui, sans ce geste délicat, aurait péri ; c’est lui encore qui cueille quelques fleurs sauvages pour décorer l’intérieur de la cabane de King-Lu, son désormais inséparable ami.
L’amitié est un autre thème majeur du film. Lorsque Cookie découvre King-Lu nu caché parmi les fougères de la forêt qu’il arpente, il se doit de le protéger, la question ne se pose même pas, elle va de soi, tout comme il se doit de protéger tout être vivant de la forêt.


Cette amitié indéfectible est peut-être le fil rouge du film : en effet, depuis le début où une citation extraite de The Marriage of Heaven and Hell de William Blake (1757-1827) est mise en exergue du film, « The bird a nest, the spider a web, man friendship » / «L’oiseau a son nid, l’araignée a sa toile, l’homme l’amitié », puis de nos jours la promenade de la jeune femme et de son chien, scène écho à l’ouverture de Wendy and Lucy, 3ème film de la réalisatrice, Kelly Reichardt pose ainsi d’emblée le lien homme/nature : Cookie et King-Lu s’unissent de façon tacite pour le meilleur comme pour le pire, envisagent un avenir commun où ils partageraient les revenus que leur rapporteraient un hôtel et une pâtisserie ; mais pour l’heure c’est grâce aux talents de pâtissier de Cookie qu’ils vont céder à l’appel du commerce, comme d’autres au Fort, et à celui du gain, quitte à voler l’ingrédient précieux et nécessaire à la fabrication de beignets que tout le monde s’arrache : le lait de l’unique vache du fort, propriété du Chief Factor, négociant et gouverneur du territoire. Ce vol, une fois découvert, leur sera fatal ….


Nous sommes donc loin d’une Chevauchée Fantastique, d’une Captive aux yeux clairs, d’un Impitoyable, ou même d’un Open Range.
Kelly Reichardt délaisse le format large du cinémascope afin que l’œil ne se distrait pas, ne s’éloigne pas de ce qu’elle veut nous faire partager : les menus détails du quotidien de ces pionniers de l’ouest qui vivent en harmonie -ou presque- les uns avec les autres, qu’ils soient Juifs, Chinois, Russes, Britanniques, ou Amérindiens auxquels elle ne manque pas de rendre hommage, ce que le cinéma a peu fait, ces derniers ayant été presque toujours dépossédés de leur culture.

Cela ne signifie en rien que la dureté de la vie sur la Frontière soit effacée. La violence est soit suggérée, narrée, ou montrée au second plan comme les trappeurs qui se querellent, et que l’on voit de loin, la caméra étant dans la tente de Cookie dont on voit le visage en plan très rapproché ; ou encore ceux qui se battent dans le ‘saloon’ et vont très vite régler leur compte à l’extérieur quand la caméra, elle, reste sur Cookie et King-Lu.
L’esclavage n’est pas mis de côté non plus : au Fort, un homme noir fait le récit de son évasion ; on remarque que les domestiques du gouverneur sont Amérindiens, même si ce dernier a pour femme une amérindienne sans doute de la tribu des Nez-Percés dont la famille est invitée chez lui.
Enfin, l’avertissement d’une crise écologique mais aussi économique est suggéré : à force de tuer des castors pour pouvoir satisfaire les envies de fourrure des riches européens, ils disparaîtront et, la mode changeant, les fourrures ne seront plus de mise: l’homme qui court après le profit court aussi à sa perte .…
Voilà ce que l’on peut trouver çà et là par petites touches dans ce film aux accents dignes de Thoreau, d’Ermerson ou de Whitman (River of Grass n’est-il pas un écho à Leaves of Grass de Whitman ?), l’idée d’une vie avec la terre nourricière, si dure soit cette vie, où les besoins de l’homme se résument au strict minimum mais où l’environnement est capital, propice à la méditation, à un ‘vivre autrement’, loin ‘du bruit et de la fureur’ ou de ‘la foule déchaînée’.
Par sa simplicité, le rêve de Cookie et King-Lu ressemble à celui de George et Lennie personnages de Of Mice And Men, Des souris et des hommes, de Steinbeck ; il ne s’agit pas d’un rêve démesuré et inaccessible. C’est le rêve rêvé par tous les pionniers du Nouveau Monde, avoir simplement une vie un peu meilleure que celle qu’on a quittée ou que l’on a vécue jusqu’à présent. Même si le capitalisme pointe, on est loin du ‘grand capital’ et de ses profits indécents.
First Cow est un film poétique et délicat, qui invite à la réflexion et force l’admiration : on peut vivre simplement sans être une brute, il y a toujours, semble-t-il, une alternative à une situation donnée, cela dépend peut-être de l’angle que l’on choisit pour la regarder. Savoir regarder, c’est aussi ce que nous dit Kelly Reichardt, sa caméra ‘regarde’ beaucoup et de très près, hommes, animaux ou objets, elle ‘regarde’ aussi à travers des interstices ceux des fougères, des branches ou des planches d’une cabane, ou encore ces plongées sur le fleuve qui serpente observé depuis une trouée dans la forêt. Beaucoup d’émotion, de délicatesse, de non-dit –on remarque une économie de mots tout au long du film, la réalisatrice fait passer des sentiments par le biais de ces images souvent en plans serrés, ceux des mains qui fabriquent les gâteaux ou caressent la vache, ceux des regards appuyés ou furtifs, tous ces petits riens sont présents dans ce dernier film de Kelly Reichardt et nous interrogent nous, sur notre propre existence. On est encore dans une naïveté primitive – le visage de Cookie n’exprime-t-il pas cette naïveté ? ̶ où tout semble encore possible. Cette fresque est accompagnée par la musique mystérieuse de William Tyler qui elle aussi semble n’être que murmures et chuchotements.
L’amitié, qui fait prendre des risques à Cookie et à King-Lu, est forte et sans faille, elle les unit jusqu’au bout dans une magistrale scène finale : là où l’on attend le bruit de la vengeance on ne perçoit que le silence assourdissant de la forêt. Somptueux !
Terminons en rappelant la définition que Kelly Reichardt donne de son cinéma : « Mes films sont comme des coups d’œil furtifs à des gens de passage.» (cité dans Télérama 3745). À méditer !


Chantal

FREDA-Gessica Geneus

Ce film a été présenté dans la sélection Un certain regard du Festival de Cannes 2021, récompensé d’un étalon d’argent du film de fiction au Fespaco 2021 (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou/Burkina Faso), festival créé il y a plus de 50 ans, et est soutenu par la région Centre Val de Loire.

Synopsis : Freda habite avec sa mère, sa sœur et son petit frère dans un quartier populaire d’Haïti. Ils survivent avec leur petite boutique de rue. Face à la précarité et la violence de leur quotidien chacun cherche une façon de fuir cette situation. Quitte à renoncer à son propre bonheur, Freda décide de croire en l’avenir de son pays.

La réalisatrice et scénariste haïtienne Gessica Geneus qui vient du cinéma documentaire, croit en la valeur de l’observation et est la seule de la distribution à être connue en dehors du pays où elle est très populaire et reconnue en tant qu’artiste, chanteuse et comédienne. Les autres membres de la distribution sont des artistes haïtiens pas toujours professionnels venant du théâtre, du stand up.

Les personnages sont des portraits et leurs interactions des ressentis, la caméra les situe sans intrusion, comme une question posée, à la juste distance, dans leur environnement, à leur écoute le temps d’un film tandis que la vie continue. La réalisatrice confirme sa volonté d’ancrage dans son pays en filmant en créole haïtien, sachant qu’il s’agit d’une des deux langues officielles avec le français.

A travers son scénario, elle met en lumière les inégalités femmes-hommes et les difficultés à vivre décemment qui rongent le quotidien des Haïtiens.

Il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit. Certes, la violence patriarcale est là, parfois relayée par les femmes, mais Gessica Généus se refuse à toute condamnation. Le propos est de voir la réalité en face. 

Ce film nous montre aussi le combat entre le protestantisme (souvent évangélique) et le vaudou, qui est présent en Haïti depuis le 18ème siècle, lorsqu’elle était une colonie française. Comme l’état haïtien est un état failli et corrompu, la religion protestante fait bien souvent office de gouvernement et les Haïtiens se tournent vers Dieu, pas toujours pour une question de croyance mais souvent par nécessité.

La caméra se veut observatrice et manipule le moins possible le réel. C’est la raison pour laquelle elle conduit le spectateur dans des lieux différents car la réalisatrice le fait aller dans tous les endroits où Freda va et ils sont nombreux !

Ce film se termine par une fin ouverte qui, me semble-t-il lui convient parfaitement, car chaque spectateur peut ainsi quitter la projection en ayant sa propre vision qui n’est peut-être pas celle de son voisin de fauteuil de cinéma !

Marie-Christine Diard