Blackbird, blackberry (2)

Film géorgien de Elene Naveriani

Ça commence par le bouillonnement des eaux du Rioni.
On est au cœur d’un village de Géorgie où il ne se passe rien.
Pour Ethero les jours jusque-là se suivaient et se ressemblaient. Se lever, se coucher, dans l’appartement vide rempli de l’absence de ses père et frère morts, ses persécuteurs qui continuent à venir régulièrement lui rendre visite, à s’asseoir à la table et exiger qu’elle les serve, comme avant l’accident.
Selon les convenances leurs photos sont accrochées au mur à côté de celle de sa mère, femme magnifique, jeune pour toujours, celle qui lui a donné la vie en échange de sa mort, il y a presque cinquante ans. Les photos de son père et de son frère, elles les tournent à l’envers en arrivant le soir ou dès qu’une voisine vient fouiner dans sa vie, et les retournent à l’endroit en partant le matin tant la vue de leurs visages lui est insupportable. La nuit, seule la photo de sa mère la regarde.
Ça commence par le bruit de l’eau et le chant d’un merle dont l’envol soudain surprend Ethero en pleine gourmandise, dégustant une de ces petites baies noires mûries au bord du chemin qui longe la falaise. Le jus de la mûre lui coule dans la gorge quand elle perd pied, glisse, glisse … mais se rattrape, se cramponne, hisse son grand corps lourd, remonte.
Ethero est écorchée mais vivante, à l’image de sa vie.
Grâce au merle, ce jour-là elle a la chance de se voir morte là, en bas, 20 mètres plus bas, couchée contre la terre. Cette vision -partagée avec nous- agit, en silence, comme un électrochoc qui va donner le sens du reste de sa vie.
De retour dans son commerce, une épicerie/droguerie, elle commence par s’autoriser enfin à goûter la peau de Mourmane, le livreur, à s’enivrer de son odeur. A 48 ans, Ethéro découvre l’amour physique.


Elene Naveriani sait montrer l’attraction fusionnelle de ces deux corps fatigués qui dans l’amour se délestent du poids des ans et s’émerveillent comme tous les amoureux, de tous les âges.
Leur lit de carton dans l’arrière-boutique devient le plus beau lit du monde par la magie du plaisir partagé qu’ils retrouveront avec le même bonheur, ensuite, dans d’autres lieux, à l’abri des regards, dans une clairière, une chambre d’hôtel, ailleurs, là et ici aussi, encore …
Ethero a enfin accepté d’exister et de ressentir. Sur elle, les sarcasmes des commères ses voisines ne font plus d’effet. Le sortilège est rompu.
C’est le grain de folie de ces deux personnages qui finit par compléter la saveur de ce film. Ethero devient ce qu’elle est, une personne unique, sensible et forte, douce et aimante, pudique et tendre. Comme Mourmane, prêt à lui décrocher la lune dans un poème.

Un vrai conte de fées … euh, sauf qu’un certain nombre de critères sont un peu chamboulés : ils ne sont pas jeunes, ne se marieront pas (Mourmane l’est déjà), ne vivront pas ensemble, ils n’auront pas beaucoup d’enfants (Mourmane en a déjà) …

On reprend
Un vrai conte, le sien : Ethero a décidé de rester libre, elle ne se mariera jamais, elle est désormais capable de vivre heureuse et elle aura (peut-être) un enfant. Toute seule.
Sortie du chemin qu’on avait tracé pour elle, elle n’a pas peur de tomber. La photo de sa mère sera désormais retournée à l’envers, elle aussi, et le restera, dans le tiroir, avec celles de son père et de son frère. Et voilà !

Blackbird, Blackberry troisième long métrage de Elene Naveriani est un hymne à la vie, une belle histoire d’amour, avec Eka Chavleishvili, magnifique comédienne, déjà rencontrée en Neli dans Wet Sand (non distribué en France mais vu aux Ciné Rencontres de Prades 2022) deuxième long métrage, inoubliable, de cette jeune réalisatrice qui s’impose comme véritable auteur qui dit : «J’adore les comédies romantiques, et je voulais jouer avec les codes du genre. Et quand j’ai lu le roman de Tamta Melashvili « Blackbird, blackbird, blackberry », je me suis dit qu’il fallait que je traduise le personnage d’Etéri dans le langage du cinéma, car il est très proche de ce que je cherche, à savoir quelque chose de physique, mais aussi d’assez théorique : la manière dont l’histoire, le temps, s’impriment dans le corps »

De ce livre est née Ethero et un film magnifique

Marie-No

Le Grand Chariot de Philippe Garrel

Le Grand Chariot, connu au Canada francophone sous le nom de Grand Chaudron, est un ensemble de sept étoiles particulièrement brillantes, les sept plus brillantes de la Constellation de La Grande Ourse. 
Ce n’est pas rien et, Le Grand Chariot, c’est le nom que le grand-père a choisi pour son théâtre de marionnettes repris par son fils qui va le transmettre à ses enfants. Un fardeau dont il va s’agir de se défaire, ou tenter de se défaire. Le théâtre en l’état ne peut plus fonctionner assez bien pour faire vivre toute la famille dans la grande maison de leur enfance. 
L’époque a changé et même si un enfant d’aujourd’hui se plonge bien sûr aussitôt tout entier dans les aventures de guignol, polichinelle, la princesse, le gendarme, le brigand avec la même ferveur, pas sûr qu’autour de cet enfant qui a le loisir de  crier « il est là, là, il est là ! » pas sûr que beaucoup d’autres enfants y soient un jour menés. Le Théâtre de marionnettes ne fait plus recette. Les marionnettes n’ont pas traversé le périph.
Le Grand Chariotc’est l’histoire d’une famille de marionnettistes, d’une fratrie, Louis et ses deux sœurs, Martha et Lena, de leur père qui dirige la troupe, de la grand-mère Gabrielle (magnifique Francine Bergé), qui a, dans le temps, fabriqué les poupées et qui inlassablement les répare, coud et reprise les blessures de leurs vies. 
Ses blessures à elle, celles qui sont impossibles à réparer, tues jusqu’ici, s’échappent  maintenant qu’elle est vieille. L’amour attentionné qu’elle a passé sa vie à donner à chacun, s’étiole. Elle est arrivée là où le chemin se resserre, où il faut se concentrer sur soi-même.
Elle est arrivée à ce point où la distance avec le drame n’a plus à être tenue. Oublier pour survivre. Gabrielle va passer le relais.

Métaphore d’un monde d’hier qui, petit à petit, s’effrite, cette famille de saltimbanques va devoir évoluer, se disperser pour préserver sa solidité. Réparer sans faiblir ce qui pourrait la briser, la consolider grâce à ceux qui arrivent, la douceur des amoureuses, Hélène qui a le trac et Laure, le regard d’un bébé, la fragilité d’un peintre, Pieter, symbolisant la précarité planant toujours au-dessus de la scène artistique. 
« Les autres » sont ici considérés a priori comme le début de quelque chose de plus beau et à qui il faut consacrer du temps et de l’attention. 
C’est comme l’art du  Kintsugi/Kintsukuroi : réparer avec de l’or une poterie cassée et ainsi l’objet prend paradoxalement toute sa valeur d’avoir été brisé. C’est l’histoire de personnages ornés de leurs cicatrices qui déploient autour d’eux la pudeur de leurs sentiments. 
Les enfants ont grandi et vont vivre leurs vies plus ou moins vite avec plus ou moins de succès. Louis ne fait plus danser les personnages au bout de ses bras, il répète Le Jour des meurtres dans l’histoire d’Hamlet de Koltès au théâtre, un autre théâtre où le personnage c’est lui désormais, lui tout entier. Martha (Esther) investie par son père adoré de la lourde charge de ce théâtre le voit, miraculeusement, par une belle nuit d’orage être anéanti. A quelque chose, malheur est bon ! C’est sa chance de se bousculer, de rencontrer « un allemand » qui l’emmène avec lui, ailleurs, sur une voie peuplée d’autres  marionnettes, à fil celles-là. Léna, la plus jeune va pouvoir se plonger dans l’écriture de sa pièce.

Le Grand Chariot est une oeuvre cinématographique très personnelle de Philippe Garrel, un grand metteur en scène, qui parle de la représentation, de bienveillance, d’entraide et de transmission. 

Une belle famille dans un beau film.

Marie-No

Oui, je sais …  
ça, c’est une autre histoire

La Vénus d’argent de Héléna Klotz

Pour se procurer le costume, « la panoplie », qu’elle n’a pas les moyens de s’acheter, Jeanne fracasse une vitrine et en sort mutilée.
Marquée dans sa chair pour avoir voulu franchir le plafond de verre.
C’est la 1ère scène de La Vénus d’argent et une des plus iconiques.

Ce film met en avant la difficulté de passer d’un univers social à l’autre, d’en transgresser les barrières, de la possibilité de changer de monde et de s’y intégrer. Il évoque les questions du genre, des premières amours, et du consentement.
L’existence de Jeanne se divise en 2 univers. D’un côté, son univers d’origine, la caserne, sa petite chambre d’enfant, sa famille et, de l’autre côté, l’univers visé : le quartier des affaires, La Défense, l’argent, la liberté.
La Vénus d’argent reprend les codes des récits de transfuges de classe, aborde la difficulté à se faire une place quand on ne baigne pas dans le milieu.
Dans la sphère hyper-masculine de la finance, Jeanne se veut « neutre comme les chiffres », soldat non genré, « quant » (trader algorithmique) en devenir.
A travers des dialogues travaillés de façon presque documentaire, le film réussit à montrer un monde de la finance virulent et acerbe, peuplé de « killers » stylés, avec signes extérieurs de richesse très codés.
L’une des trames narratives les plus intéressantes du film réside dans la relation entre les personnages de Jeanne et Augustin, incarnés par Claire Pommet et Niels Schneider.
Niels Schneider apparaît ici en militaire égaré et incertain, déjà bien cabossé. Un personnage ambigu et marqué par ce qu’il a déjà vécu dans sa jeune vie. Droit dans ses bottes de soldat avec dans la tête une chapelle dans le désert. Augustin Saint -Augustin.
Sur ce qui s’est passé entre eux il y a quatre ans, pas de scène explicite qui ferait toute la lumière. L’important pour la réalisatrice est de montrer qu’Augustin écoute et entend Jeanne quand elle lui rapporte la souffrance qu’elle a vécue par sa faute.
L’important c’est qu’il lui en demande pardon. Héléna Klotz choisit de montrer une issue inhabituelle au cinéma quand il s’agit de violences sexuelles : la réparation.
Les décors signés Olivier Lellouche et la photo de Victor Seguin (Gagarine) contribuent à nous faire entrer dans le monde de Jeanne : sa chambre, hors du temps à la fois chambre de soldat et chambre d’enfant, avec un plafond d’étoiles, seul refuge de ses nuits sans sommeil et dont elle apprend le chemin à ses frère et sœur. Pour les « affaires », les espaces sont métalliques, open spaces à la fois possibles et abstraits, l’hôtel particulier vide, sans âme, comme inhabité, avec de rares éléments de décoration, choisis et luxueux : un crâne, un bouquet de fleurs, quelques œuvres d’art comme une sculpture de Xavier Veilhan, une forme floue devant laquelle Jeanne se tient bien droite presque comme devant un miroir à cet instant là de sa vie. Le film oscille entre lumière bleue et lumière jaune.
Dans ce film tout est soigné, les dialogues bien écrits, les scènes parsemées de détails subtils (la main d’Augustin qui attend celle de Jeanne), les acteurs adultes et enfants tous convaincants, rien n’est laissé au hasard y compris la musique, signée par le frère de la cinéaste, Ulysse Klotz.
Héléna Klotz nous offre un univers cinématographique porté par le physique, pour interroger au mieux “le genre, l’ambition féminine et la violence” selon ses propres mots.
Et en effet La Vénus d’argent est un film qui se vit par le corps, une fable organique sur la classe sociale, le genre, le pardon et la réparation.
Un beau portrait d’une jeune femme du XXIème siècle.

Marie-No

Fremont de Babak Jalali

Donya, réfugiée afghane, a 22 ans. Elle « s’en est sortie » et a « atterrie » à Fremont dans la banlieue de Frisco, elle parle anglais, elle travaille. Mais le soir Donya est seule et ne peut pas dormir.
La vie d’un ou d’une réfugiée ne s’arrête pas à la survie.
Fremont, en noir et blanc, format 4 :3, est un curieux objet cinématographique, et c’est un bonheur de se laisser mener là où on ne s’attend pas à aller.
L’héroïne est bloquée entre deux rives de sa vie, la culpabilité d’avoir quitté son pays et ses proches et la fureur de vivre qui bouillonne en elle.
Le cinéaste Babak Jalali explique: «Quand on rencontre un réfugié ou une personne déplacée, on a envie de leur demander: “Comment c’était là-bas? Qu’est-ce que tu as subi? ” Évidemment, ce sont des questions importantes. Mais on demande rarement: “Quels sont tes hobbies? Quel type de musique tu écoutes? Quelle est ton équipe de sport préférée?”»
Fremont refuse de réduire Donya à sa condition de réfugiée. «Au fond, cette Afghane de 22 ans n’est pas si différente d’une Française de 22 ans ou d’une Colombienne de 22 ans. Elle veut se sentir sereine lorsqu’elle s’endort le soir. Elle veut se réveiller le lendemain en ayant quelque chose à faire. Elle veut, avec un peu de chance, avoir de la compagnie» poursuit Babak Jalali.
Anaita Wali Zada a elle-même quitté l’Afghanistan pour les Etats-Unis quelques mois avant d’être choisie pour incarner Donya. Presque de tous les plans, l’actrice non professionnelle est fascinante.
Le film aborde les rapports entre différentes communautés d’immigrés et fait exister tous les personnages, même les plus secondaires avec toujours un zeste d’humour : le vieil homme afghan qui tient un restaurant et qui passe ses soirées à regarder un feuilleton, le psy (Gregg Turkington) qui préfère parler de son amour pour Croc-Blanc que du stress post-traumatique de Donya, Joanna, la collègue et amie de Donya. Pour Hilda Schmelling qui était la décoratrice de plateau sur son précédent film, Babak Jalali a écrit spécialement le rôle de Joanna «Pour fêter la fin de mon précédent film, on a fait une soirée karaoké. Tout le monde chantait un peu bourré, jusqu’au moment où elle s’est levée et s’est mise à chanter une chanson de Pat Benatar. Tout le monde s’est tu tellement c’était incroyable. Je ne l’ai jamais oublié et j’y ai repensé en écrivant le film.» Le fait est que sa voix est bouleversante.
Et dans le film, la chanson de Joanna provoque un déclic chez Donya qui s’autorise enfin à écouter ses rêves.
Dans la dernière partie du film, l’héroïne voit son horizon s’élargir lorsqu’elle croise la route d’un homme timide et charmant (Jeremy Allen White).
Le film est toujours en noir et blanc mais les cadres se desserrent et les décors sont plus larges, à tel point qu’on a l’impression d’avoir vu l’épilogue en couleur !
Fremont est à la fois une chronique sociale et poétique, une comédie dramatique, un récit d’apprentissage … un bonbon acidulé.

Un film émouvant, tendre et profond que je vous recommande

Marie-No

De nos jours … de Hong Sang-soo

우리의 하루 (Uliui halu) Notre journée

De nos jours … fonctionne par chapitres alternés et partagés entre une ancienne actrice et un vieux poète.
Et, ce matin, le lien entre les deux histoires m’apparait …
Comme quoi décidément, toujours « d’abord, dormir dessus ».
L’actrice qui ne veut plus jouer, rentrée depuis peu à Séoul et hébergée par une amie, c’est la fille du poète alcoolique qui tente de se sevrer !
Sa fille qu’il ne voit plus depuis qu’il a quitté sa mère. Quand ils ont divorcé, elle a pris son parti à elle et leurs jours communs se sont arrêtés. Un goût pour les siestes prolongées, l’ajout de gochujang dans les ramyun, leur histoire se profile à travers ces vestiges comportementaux d’un passé commun.
Et puis les guitares. C’est fou de ne voir ça que ce matin … La guitare qu’il a envoyé en version mini à sa fille biologique restée une enfant dans son souvenir et la grande guitare à cordes d’acier qu’il offre à la jeune réalisatrice qu’il a choisi comme fille adoptive.
Voir ce lien entre les deux histoires dans ce dernier film de Hong Sang-Soo qui est pour le moins … déconcertant, bizarrement, ça me réconforte.
4 mois après La Romancière, le film et le heureux hasard, le plus prolifique des réalisateurs coréens et peut-être des réalisateurs tout court, nous revient avec De nos jours …, un nouvel objet cinématographique qui ne ressemble qu’à lui.
Même en connaissant bien HSS, on peut trouver les 84 minutes longues. Ce n’est pas grave.

Un gros chat caressé et gavé de friandises pendant 10 minutes, un personnage qui mange des pâtes au piment en s’extasiant devant une caméra (scène d’ouverture). Il ne faut pas ici, et encore moins que « d’habitude » s’attendre à une quelconque scène d’action ou à une recherche de mise en scène : plans fixes et prolongés, zooms avant, recadrages intempestifs, les dialogues en forme de haïku évoquant les choses simples, peuvent paraître déroutants.
HSS nous « balance » au cœur d’une conversation, à la limite de comprendre ce qui se passe … poussant le minimalisme jusqu’à nous fournir avant chaque scène un carton avec un court texte qui renseigne un peu sur les tenants et les aboutissants et nous dit surtout que ce qui va être important ce sont les minutes qui vont suivre, ici et maintenant. Les protagonistes sont filmés en un lieu unique, en intérieur, pour ne pas risquer les rencontres fortuites qui viendraient perturer ces instants en suspens.
Hong Sang-soo ne prend jamais le spectateur par la main … et ne lui laisse pas le loisir de s’échapper. Il faut vouloir se concentrer sur les gestes, les silences, les conversations d’apparence anodine desquelles émane cependant toute la force de l’intrigue.
 » C’est quoi vivre ? demande l’apprenti écrivain au poète.
– Vivre ? Ce que tu cherches, c’est la bonne réponse, non ? Il y a trop de bonnes réponses, il y en a dans chaque livre. Tu en connais d’ailleurs déjà. Pas vrai ?
– Oui.
– Ce sont des mauvaises réponses.
– Toutes ?
– Oui, toutes. C’est pour ça qu’on est tous gauches, immatures et incomplets. On le devient tous à la fin. Mais quand on est en vie, on ne s’en rend pas compte. »

Plutôt un chifoumi que de tenter de répondre à des questions existentielles qui n’ont pas de réponse.

Au final, plutôt manger et boire tant qu’on le peut. Plutôt croquer la vie, savourer l’instant et être conscient de la possible fugacité des choses comme avec la soudaine et tragique disparition de Nous , le chat, qui donne l’occasion à la jeune actrice en devenir de se remémorer un moment disparu, moment unique, avec un autre Nous, chien celui-là, dont le propriétaire lui avait fait perdre la tête et exulter le corps.
Chez HSS, les films se suivent et se ressemblent. Il ne faut pas en vouloir autrement et se mettre en condition, tourner sur « off » le bouton de notre cerveau connecté à l’action, la turbulence, la fuite en avant, et alors le récit en apparence modeste et figé de Hong Sang-soo, qui semble ici se retourner sans soju sur son vécu et se demander ce qui a compté dans sa vie, fera son effet.
La magie des films de Hong Sang-soo, toujours, est dans la trace qu’ils laissent dans notre esprit en y distillant comme au compte-gouttes les détails qui nous avaient d’abord échappés.

Marie-No

Sur la branche de Marie Garel-Weiss (2)

Sur la Branche – France – 1h31 – 26/07/23 – Réalisateur : Marie Garel-Weiss Scénariste : Ferdinand Berville – Marie Garel-Weiss – Benoît Graffin LEGENDE PHOTO : Benoît Poelvoorde et Daphne Patakia

Pour incarner Djam, Tony Gatlif avait choisi Daphné Patakia aussi parce qu’elle avait la démarche de Charlot.
Dans Sur la branche, son 2ème long métrage pour le cinéma, Marie Garel-Weiss utilise dans les plans larges sa démarche pour coller à Mimi, le personnage principal, et ça lui va à merveille.
Bien à plat dans ses derbies, Mimi, jeune femme au regard doux et pénétrant, marche vers ce monde qui lui procure trop d’émotions et des réactions trop vives pour être « normales ».
« j’ai un peu de mal avec mon nouveau traitement, je suis obsessionnelle, mais c’est une qualité dans le travail, non ? » Non. Non plus.
Au cinéma, le sujet des désordres psychiques est le plus souvent abordé par l’autre versant, le sombre, celui qui fait les drames, et assez rarement par ce versant-ci en osant tenter d’en faire un atout comique et romantique en plus. C’est ce que réussit Marie Garel-Weiss avec Sur la branche, en faisant une comédie sensible avec un fond sévère qui remonte par endroits et pousse fort le plafond du genre.
L’histoire commence dans une institution psychiatrique -c’est beau, c’est vert, c’est calme, c’est où ?- Mimi échange avec un autre patient, celui qui fait souvent ce rêve que sa mère s’assied sur son lit et qu’il lui plante un couteau à pain entre les deux yeux (c’est sur « à pain » qu’on marque)
Mimi l’écoute sans sourciller et se réjouit qu’il soit sortant. Elle aussi sort bientôt.
Le film affiche d’entrée la nature et l’air qu’il lui plaira de jouer pour raconter ses quelques mésaventures, bien d’autres suivront, ce bout de vie d’une jeune femme différente, bipolaire, avocate qui n’a jamais plaidé. Elle revient à ce qu’elle aimait et, au culot, et par un heureux hasard, arrive à s’incruster au cœur d’un cabinet d’avocats parisiens. De fil en aiguille, elle se glisse dans la vie de Paul, ex associé dudit cabinet dont il a été viré, avocat véreux et bientôt radié de l’ordre des avocats. Mais ses démêlés ne nous intéressent pas tant que la rencontre entre la très idéaliste et très angoissée Mimi « je suis coincée à l’intérieur de moi-même car j’ai peur de la vie » et le désabusé Paul qui, en robe de chambre de jute qui pue (là, c’est sur « jute » qu’on marque), apprivoise sa dépression. Le duo s’embarque dans une affaire de justice compliquée qui les mène à Christophe (Raphaël Quenard, fascinant comme d’hab !) l’escroc que Mimi sait innocent et qui d’ailleurs se revèle être de son « pays », la Bretagne.

C’est rythmé, les scènes ne sont jamais étirées et on se prend au jeu, on se prend à croire furtivement que c’est possible, que Mimi va retrouver ses marques, celles de quand elle était petite et qu’elle était formidable, pour ses parents, aussi, tristes et retranchés dans le deuil de cette enfant-là.
Si le ton du film est parfois surprenant, par exemple lorsqu’à des moments inopportuns, Mimi parle de sa vie, de sa santé mentale, de ses pulsions sexuelles incontrôlables, qu’elle arrive parfois à vivre, Sur la branche réussit à être drôle sans jamais faire rire aux dépens de son héroïne en urgence absolue de sa vérité et de sa justice.
Enquête criminelle édulcorée, comédie romantique sans espoir, le sujet est cruel,
le film est une ode aux décalés, ceux qui ne cadrent pas dans la vie et ne seront jamais casés.
« Mimi n’a pas le sentiment des limites, même sa pathologie n’est pas une limite (…) « , « explique la réalisatrice Marie Garel-Weiss « On voulait faire une comédie : il ne fallait pas s’appuyer sur sa faiblesse, mais sur sa force. On est avec elle, à l’intérieur d’elle. Ce n’est pas pareil que de regarder quelqu’un et d’avoir une forme d’empathie ou de commisération (…) »
Pour porter ce ton comique Benoît Poelvoorde est excellent dans le rôle de Paul, personnage lâche, veule, et pourtant d’une grande sensibilité et extrêmement séduisant.
Daphné Patakia habite le beau rôle de Mimi que Marie Garel-Weiss lui offre. Une jolie jeune femme, amusante, obsessionnelle et butée, envahissante, incapable de comprendre les hésitations des autres, attachante.
Un temps en équilibre, Mimi a fini un jour par tomber de sa branche.
Perchée, elle l’est toujours. Autrement. Pour longtemps.
Marie Garel-Weiss réussit à nous faire tenir sur son fil entre le réel et le fantasmagorique.
Un beau moment, troublant, un style élégant, dont on sort joyeusement triste.

Marie-No

Anatomie d’une chute de Justine Triet

Vu 2 fois bientôt 3
Comment dire ? Le film exerce une telle attraction, plonge dans une telle sidération … Mon conseil serait de le voir une première fois, de laisser infuser, d’y retourner pour finir de s’en imprégner, voir comment tout ça s’articule.
Puis y retourner et … enjoy !
Sans vouloir percer le mystère de la mort de Samuel.
Accident, homicide, suicide ? Peu importe. Et de moins en moins au fil des visionnages.
Anatomie d’une chute, c’est l’histoire de la mort d’un couple, de la fin de l’amour et de ce qui la précipite, l’histoire de la déliquescence d’un couple et de son point de rupture.
Comment c’est arrivé ? Qu’est-ce qui est arrivé à Sandra et Samuel, les amoureux de l’affiche, pour qu’ils ne s’aiment plus ?
Ils ne se comprenaient pas mais ce n’est pas la raison. On ne se comprend jamais vraiment et c’est assez vivifiant. La chute n’a sans doute pas été amorcée par l’incompréhension. Non, le problème c’est quand on décide qu’on ne se comprend plus.
C’est là plutôt du côté du ressentiment que ça se passe. Un jour l’un(e) en a voulu à l’autre, l’un a reproché à l’autre son propre manque de créativité, son manque d’inspiration, l’un a reproché à l’autre de lui avoir volé ses mots, l’une a reproché à l’autre de l’avoir piègée dans son cadre de vie à lui, l’un(e) a reproché à l’autre l’Accident, celui qui a transformé leur enfant, leurs jours , leurs nuits.
L’abandon du fantasme de l’égalité, l’impossible égalité, aura donné la joute mortelle à leur couple vacillant.
L’un et l’autre voulaient pourtant assumer le poids de la charge mentale mais à condition d’être reconnu(s). Le jour où ils ne se sont plus dit merci, le jour où le constat d’ingratitude a été établi, ce jour-là, ils ont commencé à tomber et la mutation a commencé: i-el(le) est devenu inconnu et bientôt ennemi.
Anatomie d’une chute pose la question de la Justice.
Une femme est accusée du meurtre de son mari et ce film est aussi un film de procès jusqu’à la décision de justice qui va tomber. Daniel, l’enfant devient central. Il assiste à l’explosion du couple que formait ses parents, c’est très douloureux pour lui et pour nous qui ressentons viscéralement ce que lui ressent. De témoin, l’enfant clairvoyant devient juré faisant basculer le verdict et exerçant ainsi une influence décisive sur le destin de sa mère et le sien. Mouvements saccadés de la caméra pour suivre et rendre compte de l’agitation qui règne dans un tribunal, et dans les têtes, gros plans pour capter les regards, les simples froncements de sourcils, les battements de paupières, on est immergé dans cette salle d’audience, le souffle coupé !
Anatomie d’une chute, est un film où le personnage féminin et le schéma familial classiques sont inversés cf la scène de couple sans doute une des plus stupéfiantes jamais réalisées !
Dans la vie, Sandra ne demande pas la permission. Elle privilégie son accomplissement personnel, professionnel à elle avant de se préoccuper de celui de son mari et de sa carrière, de l’assistance et de l’éducation de son enfant, elle n’a que faire de la normalité sexuelle, conjugale, familiale.
Sandra n’est gardienne d’aucun temple.

Pour la musique envahissante qui arrive quelques minutes après le début du film, rejouée lors de la reconstitution, puis au tribunal lors du visionnage de l’enregistrement,, Justine Triet cherchait quelque chose d’assez léger qui contraste avec la situation. Le choix s’est arrêté sur « P.I.M.P » par Bacao Rhythm & Steel Band
(reprise instrumentale de la chanson de 50 Cent, avec des rythmes de steel band)
Pas prêts de l’oublier …

https://youtu.be/e9XJgbeycBQ?si=sEi1oMSGHeCbOUJj


Autres musiques du film
« Asturias » (Leyenda) – Milo Machado Graner
(pièce emblématique espagnole composée par Isaac Albéniz)
« Prélude en Mi mineur op. 28 n°4 – Chopin / par Milo Machado Graner et Sandra Hüller.
Variations sur un Prélude – Benoit Daniel, d’après Chopin


Par l’écriture ciselée, la mise en scène puissante, les acteurs : Sandra Hüller fascinante dans le rôle principal, une actrice au jeu magnifiquement opaque ici encore accentué par les ruptures linguistiques, Milo Machado Graner interprète Daniel, Antoine Reinartz, l’avocat général, terrible, Swann Arlaud, l’avocat de Sandra, inquiétant, l’équipe du film avec Simon Beaufils à la photo, Laurent Sénéchal au montage,
Ce film est un chef d’oeuvre


Je croyais que je me sentirais soulagée. (…) C’est juste fini.;

Marie-No

L’Eté dernier de Catherine Breillat (2)


Quand on ne sait pas mentir, il vaut mieux dire la vérité.
Or Anne (Léa Drucker) l’héroïne du film est avocate pénaliste, menteuse professionnelle donc.
Ce qui lui importe c’est 1) son métier (avocate spécialisée en droit de l’enfance) 2) ses filles adoptées sur le tard, des poupées-pansements sur la plaie ouverte de son ventre vide, laissé béat par un avortement qu’on rapproche d’une relation toxique, forcée (incestueuse ?) 3) son mari, sa maison francilienne. Son statut social.
En repoussoir, en garde-fou, figure Mina (Clotilde Courau) sa sœur coiffeuse, son double, celle qu’elle ne voulait pas devenir.
Partant de là, sauf si la passion s’invitait dans sa cour, de Théo son beau-fils âgé de 17 ans, elle ne fera qu’une bouchée, c’est certain !
De la passion, la vraie, celle qui fait tout oublier, qui fait s’oublier et tout quitter, Anne est très loin … Il teste et se prend au jeu quand elle s’amuse.
Quitter une soirée avec les amis de son mari, quantités négligeables, relations sans intérêt, et partir la nuit sur la trottinette électrique derrière un Théo qui part chercher des cigarettes, waouh … trop drôle ! Dans le registre « transgressons les interdits, on est jeune, soyons fous », pardon, mais cette scène a quand même quelque chose de ridicule. Même pas un semblant de vertige de l’amour ressenti.
Et la scène d’amour conjugal, consternante ! Faut bien y aller de temps en temps, la tête froide, le corps on n’en parle pas, elle attendant que lui ait fini sans cesser de monologuer, OK mais est-ce indispensable d’enfoncer le clou à ce point pour, au cas où ça nous aurait échappé, pointer du doigt leur vie sexuelle misérable, nous signifier l’absence de tout passion dans leur train train quotidien ? Pour justifier qu’elle se risque avec Théo ?
Le problème c’est que quand il s’agit de montrer la puissance érotique entre elle et son jeune amant, L’Été dernier n’a rien de singulier, rien de « sulfureux » pour reprendre l’adjectif qui colle aux films de Catherine Breillat. Au contraire, les scènes sont filmées sans corps emmêlés, sans contrechamps, sans échange. Catherine Breillat a demandé à Léa Drucker de reproduire le visage de Marie-Madeleine en extase du Caravage, c’est la seule expression d’un état extatique, de jouissance pure.

C’est d’un sujet bien moins scandaleux, tout simplement bourgeois, dont Catherine Breillat s’empare et sur le thème du désir incestueux d’une femme pour son beau-fils, s’enchaînent dans la première partie un chapelet de scènes attendues (éveil sensuel, frôlements) jusqu’au passage à l’acte. C’est laborieux presqu’ennuyeux si ce n’était le talent des Lea Drucker, Olivier Rabourdin, Samuel Kircher très bien en fruit défendu.
Tout a eu lieu mais rien n’a eu lieu.
Dans le deuxième partie du film, l’art de Catherine Breillat entrant en collision avec ce ronronnement se réveille.
Lorsque face aux accusations, Anne avoue que « c’est ignoble », elle semble d’abord se juger elle-même avant de faire volte-face et jouer la femme indignée, campant sur cette position jusqu’à la scène finale.
Dans les scènes de mensonge éhonté, devant le mari, puis devant le beau-fils accusateur, et face à l’avocat de celui-ci, Anne, sans sourciller, fait fi de tout pour préserver les apparences.
Perchée sur ses talons hauts et habillée de robes d’une coupe impeccable reproduite en plusieurs couleurs claires et toujours assorties à ses escarpins, Anne a décidé de ce que serait la vérité.
L’Eté dernier, remake du film danois Queen of hearts de May El-Toukhy, pose un problème fondamental: il sonne faux du début à la fin. Impossible de croire à la trame de L’Été dernier. La pauvreté confondante des dialogues faits de poncifs et l’invraisemblance des mots dans la bouche de cet adolescent qui s’exprime dans une langue d’un autre âge que le sien.
On passe de l’attitude agressive et insultante de Théo réticent à toute possibilité d’intégration chez son père qu’il déteste de ne pas lui avoir donné du temps, qui cambriole la maison où il est accueilli, à Anne qui lui demande en toute confiance de la tatouer, à une scène intime dans l’herbe où elle se laisse, c’est un comble, enregistrer !

L’Été dernier est trop petit, avec des airs de téléfilm, ne racontant rien de bien passionnant sur le sujet si délicat de l’inceste dans une famille recomposée.

L’histoire illustrée à gros coups de crayons, sans appuyer là où ça aurait fait mal, donne un film tranquille qui manque de chair, d’ambiguïté, de consistance.
Reste que le plan final est quand même très réussi.

Marie-No

Nathan Ambrosioni (la suite)

Le 23 mars 2019 lors de notre VIIIème Week-end Jeunes Réalisateurs,
nous avions vu Les Drapeaux de papier, le premier film de Nathan Ambrosioni avec Noémie Merlant et Guillaume Gouix.

Nous suivons avec intérêt le parcours des jeunes cinéastes que nous programmons lors de nos WEJR chaque printemps et vous signalons la sortie le 6 septembre prochain de Toni en famille, 2ème long métrage de Nathan Ambrosioni.

Marie-No