
Rúnar Rúnarsson dédie son film à deux de ses amis disparus tragiquement en 1995 et en 2001.
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Una et son ami Diddi sont étudiants à Reykjavik en art de la performance. On verra dans le film certains de ces happenings : le scotch double-face, la chanson à base de pronoms et bien sûr l’envol devant l’église Hallgrimskirkja
When the light breaks capte l’instant où le bonheur vole en éclat, l’instant où commence « l’après ». Continuer à vivre après ? Le sujet c’est plutôt comment continuer à vivre maintenant . « C’est absurde » dit Una qui ne peut pas croire que Diddi, son chéri, ait péri dans l’accident. C’est impossible ! Et pourtant, si, pendant qu’elle dormait, tout avait basculé.
D’un coucher de soleil à un autre, le spectateur est plongé dans le quotidien de cette bande d’amis face à la mort. L’un d’eux le dit : c’est la première fois qu’il perd un être cher à part ses grands-parents (ça c’est normal, intégré).
Mais la mort d’un ami, de son âge … Une journée interminable commence. Demain n’y fera rien. Diddi sera toujours mort. Quiconque a connu un tel cauchemar verra dans ce film la justesse du propos de Rúnar Rúnarsson.
Pour eux tous, l’insouciance, c’est fini. Le réalisateur capte avec précision ce traumatisme collectif. Ils se rejoignent, se mêlent, s’amalgament face au malheur qui se propage, font bloc face à l’onde de choc qui leur brise la lumière et les inonde de chagrin.
Una aimait Diddi qui n’aimait plus Karla qui ne le savait pas. Ce secret étouffant en pareille circonstance est magnifiquement illustré dans la séquence où l’héroïne apprend la nouvelle. Dans le hall d’hôpital, la caméra l’enveloppe, va à sa rencontre à contre-courant du reste de la foule, et s’arrête sur son visage. Avec le spectateur, Una fait face à la violence du contrechamp : ses amis enlacés pleurent ensemble l’ami disparu.
Le réalisateur adopte le point de vue d’Una incarnée magnifiquement par la formidable Elín Hall. Du non-dit, qui prend la place des sanglots et empêche d’abord Una d’exprimer sa douleur, de vivre pleinement sa souffrance, nait un échange troublant entre les deux jeunes femmes. L’étau se resserre autour d’elles dans un jeu de miroirs fascinant. De Klara viendra le lâcher prise et fera évoluer leur relation en une sorte d’union. La scène finale les montrera se partager son odeur dans le lit déserté. Les mots sont parfois superflus.
Les scènes poignantes soutenues par la musique du compositeur islandais Jóhann Jóhannsson (1969-2018) avec le titre « Odi et Amo », qui revient comme une litanie, les plans longs sur les lumières, du tunnel avant l’accident, du soleil se reflétant dans la mer obscure dans la scène finale, les jeux de reflets, de sur-cadrage, nous emportent dans le sillage douloureux de ces jeunes gens marqués par le deuil. Une scène les montre dansant, s’alcoolisant, visionnant des photographies d’avant, comme pour forcer le réconfort dans cette zone intermédiaire entre hier et aujourd’hui.
Comment retrouver du sens face à l’inconcevable, faire barrage au désespoir, tracer son chemin au fil vertigineux de la vie ?
Rúnar Rúnarsson dit : « Le cinéma est riche de trois outils narratifs : les dialogues qui sont écrits, le visuel et l’audio… et il y a tellement de choses que vous pouvez dire avec le son, ou plutôt avec l’absence de son. Avec une expression capturée du bon côté avec la bonne lentille et la bonne lumière. Grâce à tout cela, vous pouvez accomplir beaucoup. C’est ça, le cinéma, c’est précisément ce que j’essaie de faire (…) »
Une direction d’acteurs au cordeau et la magnifique photographie signée Sophia Olsson !
Un très beau film sur l’amour et l’amitié à l’épreuve du deuil.
Marie-No