LEILA ET SES FRERES-SAAED ROUSTAEE

On ne les voit pas passer, ces 165 minutes qu’on craignait vouées à une longue ou didactique fresque historique (tant l’actualité iranienne est brûlante depuis plusieurs années), à une chronique sociale démonstrative – et dont certains critiques voudraient retirer quelques longueurs, comme si un film aussi foisonnant et fiévreux que Leila et ses frères (2022) n’avait pas une puissance, une dynamique en quelque sorte organiques. Qu’importe ou plutôt quel dommage que Saaed Roustaee, jeune cinéaste de 32 ans, ait été oublié par le jury du festival de Cannes dont faisait pourtant partie son éminent compatriote Asghar Farhadi – sans parler de la censure en juin dernier des autorités iraniennes sur un opus aussi subversif, qui n’aurait pas daigné passer sous les fourches caudines de l’office central du cinéma avant de concourir aux festivals étrangers : on se sent emporté dans cette famille patriarcale par un tourbillon de paroles, par les bouffées d’amour-haine d’une fratrie qui se débat contre l’égoïsme cupide et la pitoyable tyrannie d’un père castrateur aux moues puériles, dodelinant et dégoulinant d’ambition sociale, prêt à tout pour cacher sa « misère » (ou son magot ?) et acheter auprès de ses cousins le prestige dérisoire d’éphémère parrain du clan au prix de la réussite économique de ses enfants devenus propriétaires d’une boutique dans un centre commercial.

Certes, la première heure met lentement – mais sûrement – en place une action dont il faut bien saisir les différentes strates ou tonalités , cerner les nombreux personnages, mesurer la complexité générique aussi, entre drame, ou comédie ?, familial(e), chronique sociale et film politique. Le troisième opus de Saaed Roustaee emprunterait en effet tant au Parrain de Coppola qu’à Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola s’il n’était aussi – d’abord ? – un formidable cri de souffrance face au déclassement social, à l’appauvrissement de la classe moyenne (phénomène également occidental), aux inégalités criantes emblématisées et comme mises en abyme ici au sein de cette famille Jourablou où les parents pauvres (Leila et ses 4 frères au chômage) végètent et lorgnent chaque jour sur les riches cousins qui les méprisent et les humilient : du début, la cousinade de patriarches aux funérailles du grand-père, à la fin – le mariage où valsent les billets avec les danseurs – on sent l’opulence et la morgue de ce cousin qui n’hésitera pas à expulser le père pourtant proclamé parrain qui avait réuni les 40 pièces d’or du premier et plus prestigieux cadeau de mariage mais que Leila a volées pour acheter la boutique ; plus encore, la servilité du père, Harpagon aux cassettes révélées par sa fille (dans un dossier de fauteuil) – dos voûté en courbettes quêteuses et mines piteusement chafouines – témoigne de cette servitude volontaire des pauvres dénoncée en son temps par La Boétie : le chef de famille, monstre d’égoïsme, est prêt à tout pour un peu de reconnaissance – et ses enfants, en-dehors de Leila et Alireza, aux combines les plus tordues – Manouchehr devra s’exiler pour échapper au fisc et aux démons de sa famille, Fahrad se perdre dans le fantasme culturiste face aux matches de catch à la télévision et Parvis, le père obèse (par malbouffe ou déprime), se contenter d’un petit boulot d’homme de ménage, de nettoyage des chiottes.

Une double dénonciation, politique et économique, parcourt le film, au point que le cinéaste, dans le contexte tragique des luttes sanglantes des femmes iraniennes pour se débarrasser du voile et de la jeunesse pour abattre le régime des mollahs, peut comparer l’émergence d’un cinéma persan subversif (avec Jafar Panahi ou Mohammad Rasoulof récemment emprisonnés) à l’apparition du néo-réalisme italien sur les ruines du fascisme… L’aspect économique est traité habilement, de manière rarement démonstrative (en-dehors de la scène d’ouverture, en vue aérienne et plans de foule, des ouvriers en colère) – bien plutôt allusive, avec les tweets de Donald Trump, les sanctions internationales, la course effrénée des quatre frères d’un bureau de change à l’autre, face à la dévaluation de la monnaie et à la perte de la valeur-or de la fortune paternelle.

Pour le féminisme, ce n’est pas le moindre paradoxe que Leila, la sœur protectrice, pourtant voilée et vouée à la tradition, à sa famille, soit la plus virulente, avec la rage du désespoir, à dénoncer la turpitude de son père, la soumission de sa mère et la pusillanimité de son frère Alireza, le seul homme un peu positif de l’histoire, qui se délestera de ses scrupules familiaux et de sa lâcheté sociale (il fuit l’émeute des ouvriers casqués réclamant leur dû à la fermeture de l’usine) pour lancer un pavé sur une vitre de son usine ou affronter le cousin arrogant et saccageur du rêve paternel…Personnage émouvant, bouleversant même, joué par Navid Mohammadzadeh, là où Taraneh Alidoosti, dans le rôle de Leila, si excellente soit-elle, cinglante dans ses propos, habitée par une révolte jamais apaisée, animée par une conscience aiguë de l’enfermement familial, semble ne jamais lâcher prise, et trop rarement s’abandonner à la joie ou à la tendresse – sur la terrasse avec Alireza, au départ de Manouchehr à l’aéroport…

Les dialogues tendus de Leila et Alireza, sans scorie – regards intenses et amour sans concession – ponctuent le film, non pour délivrer le message politique ou familial du réalisateur mais pour suggérer la violence émotionnelle, la dimension dramatique, shakespearienne (de l’aveu même de Roustaee) d’une action portée moins par un scénario complexe ou préétabli que par la parole, par les palpitations de l’espérance et les désillusions du réel. Le frère incarne ici la réflexion, l’hésitation, le dilemme, entre volonté de prendre du recul (sinon de fuir) et attachement viscéral à sa famille tandis que la sœur, instinctive, tout d’un bloc, vibre d’amour-haine pour les siens, dominant sa mère si falote, prête à mettre en danger l’honneur de son père en volant l’argent pour l’achat de leur boutique et à vomir à son père ses quatre vérités, en madone crucifiée, qui a dû renoncer, sous la pression paternelle, à l’homme aimé entrevu, retrouvé un instant dans un reflet vitré. L’un de ces écrans qui miroitent ça et là, la barrière de la douane, le carreau cassé à l’usine par Alireza enfin révélé à la lucidité, à la maturité, à la révolte… La raison coupable, empêchée, si faible face à l’instinct, la conscience, l’amour dans leur véhémence inapaisée : le duel entre ce frère (trop ?) réfléchi et sa sœur en colère est superbe et comme irréconcilié, sans jamais un mot ou un geste explicite de tendresse, comme si la vérité s’en moquait, que l’enjeu fût plus noble et plus exigeant, à un autre niveau…C’est dans l’intimisme que le cinéaste est le plus convaincant, que l’épique s’incarne, que la tragédie shakespearienne se noue : le huis-clos de l’appartement familial, construit par le chef opérateur, où les (pourtant grands) enfants dorment ensemble, interdit toute intimité et crée une familiarité aussi insupportable par moments que potentiellement fraternelle, une oscillation exaspérée entre cohésion et promiscuité…Comment voulez-vous dans ces conditions que la parole ne soit pas tonitruante, le ton toujours agressif, l’implosion imminente – tropisme socio-culturel des milieux défavorisés qu’analyse dans sa propre famille une certaine Annie Ernaux, récent prix Nobel de littérature ?

Le film commençait par un montage alterné et des images assez étourdissantes, passant du privé au public, de l’intimité au collectif : le gros plan sur un vieil homme solitaire, le père, Esmail, fumant une cigarette au soleil, priant avant de retrouver ses cousins ; la plongée sur une quasi-émeute d’ouvriers mis brutalement au chômage par la fermeture de l’usine et à qui l’on ordonne, menaces à l’appui, de ne pas réclamer le salaire dû depuis… un an ; la contre-plongée sur un corps de femme en pleine séance de massage, dont on devine l’abandon malaisé aux soupirs appuyés et aux tapotements énergiques du praticien. Leila entre en scène : elle sera l’héroïne douloureuse, impossible, de cette histoire, de cette chronique d’une défaite annoncée.

Leila et ses frères se referme sur une scène magnifique, centrée sur Alireza dont une nièce (une fille de Parviz) fête son anniversaire au milieu des flonflons, des ballons et des jeunes filles en fleur, là où pleuvaient les dollars chez les cousins, exclusivement mâles, dans leur palais doré : au même moment, le fils, qui a tant pesé pour rendre au père l’argent repris pour la boutique (Leila ayant cédé), considère le vieil Esmail apparemment assoupi, un bras relâché ; il se rend bientôt compte qu’il est mort ; effondré, il lui ferme les paupières, tandis que la fête continue, insoucieuse du destin.

« Je m’en irai bientôt au milieu de la fête / Sans que rien manque au monde immense et radieux » – écrivait Victor Hugo à la fin de « Soleils couchants » dans ses Feuilles d’automne.

La vie, la mort. Le pardon et l’amour, les loyautés à trahir – les fidélités à reconquérir. Tout est réconcilié.

Claude

Notes sur Mia Hansen Love (1)

Elle est venue présenter ses films au Festival de Prades 2022. Nous venions de quitter Jean-Pierre Dardenne dont les films ne parlent pas de leur propre monde, mais d’autres, dont ils sont solidaires. Alors, les films de Mia Hansen Love offraient un contraste saisissant car ils sont d’inspiration autobiographique. Nous avons vu ses films, nous l’avons vue et entendue. Disons le tout de suite, c’est l’une des plus belles rencontres de Prades, pour son art et pour sa personne. Elle réalise une oeuvre délicate et profonde. Elle va de l’intime à l’extime, comme on dit maintenant(1) et … du singulier au pluriel

Plus d’un d’entre nous a été séduit par sa présence, sa qualité de contact, son attention. Elle est simple, ouverte, sincère. Et vite on comprend que Mia Hansen Love et son cinéma ne font qu’UN, ses films se réfèrent toujours à ce qu’elle a vécu et connaît. Et puisque prochainement aux Cramés de la Bobine, nous allons voir « Un beau matin » je souhaite ici raconter deux ou trois choses à son propos.

J’ai été impressionné par son récit de ses débuts dans le Cinéma : Mia est alors une jeune fille de 16 ans que rien ne prédestine dans cette voie, ses parents sont professeurs de philosophie, rien à voir (ou presque! car il semble bien que MHL poursuit la recherche du vrai par un autre moyen)

Souvent, les adolescents ont de sérieux passages de spleen — Surtout s’il y a eu des évènements familiaux un peu lourds — Cette tristesse est propice aux coups de foudre « providentiels » ; aimer pour ne pas se perdre…  et souvent dans ces histoires, la rupture est comme inscrite dans la rencontre. Mia l’a vécu. Quand arrive la rupture, elle est inconsolable… . Dans cet état douloureux, elle décide de couper très court ses cheveux longs.  Elle va ainsi au Lycée, paraissant alors une adolescente rebelle et libre. Et c’est ainsi qu’à sa sortie du Lycée, elle est remarquée lors d’un casting sauvage. Mia devient actrice, nous sommes en 1998. Sans doute, un coiffeur a dû reprendre sa chevelure lorsqu’elle joue pour son premier rôle dans « Fin août, début septembre », un film d’Olivier Assayas (dont plus tard, elle deviendra l’épouse et aura une fille).

Mia Hansen Love (Cheveux courts) dans « Fin aout, début septembre ».
O.Assayas 1998

On suppose que Mia dans sa reconstruction avait la faculté de s’identifier rapidement à des personnes, à se projeter dans des situations. J’imagine (par hypothèse farfelue) qu’à cette occasion de tournage, quelqu’un lui a trouvé un air de famille avec une femme remarquable, Anne-Marie Schwartzenbach, journaliste, aventurière, antifasciste, amie des enfants Mann, Erika et Klauss, (bien plus lucides que leur père sur Hitler et sa bande).

Anne-Marie Schwartzenbach

En tous les cas, sur France Culture, en 2019 dans La nuit rêvée de Mia Hansen Love, Mia lui a réservé un épisode.

Très rapidement, c’est la réalisation qui l’intéresse. Elle est une réalisatrice, elle l’est devenue d’une manière autodidacte. Elle écrit ses scénarios, elle les puise dans sa propre vie, elle les écrit seule méticuleusement. (sauf « Eden » co-ecrit avec Sven son Frère). Elle les complète parfois en dessinant ses plans vus d’en haut. Elle transpose les scènes, les transporte dans d’autres univers que les siens, parfois après de longs repérages, elle se joue les scènes, ensuite elle les retravaille avec sa scripte avec qui elle a un rapport complice. Elle préfère filmer avec de l’argentique, c’est plus beau, elle ne veut pas que la caméra se voit, donc elle refuse des effets trop visibles, tels les longs plans séquences. Quant à ses acteurs qu’ils soient professionnels ou non, ils doivent trouver l’expression juste de leurs émotions. À ses débuts de carrière, elle n’hésitait pas à faire recommencer vingt fois une séquence. Au montage, elle travaille en parfaite harmonie avec Marion Monnier. (On se ressemble dit-elle, y compris physiquement). La musique (Schubert y occupe une belle place), les bruitages, les paroles semblent profuses, pourtant, le silence est son principal « son ».

On ne peut comprendre Mia Hansen Love à partir d’un film. Les films sont les chapitres d’une oeuvre en construction. Ils se répondent un peu à la manière d’un jeu de triomino, par tous côtés. On peut rapprocher les personnages, les situations, les structures de récit, exemple celle d’un de « Bergman Island »  et celle d’ « un beau matin ». Enfin un peu comme dans la Recherche de Marcel Proust, on y mesure l’effet du temps.

Avec quelques transpositions, son troisième film, « Un amour de jeunesse », ressemble à sa propre histoire. Tourné en partie sur les bords de Loire dans la maison de sa grand-mère… ce récit d’amour de jeunesse déçu est sans doute une clé pour comprendre l’univers de Mia Hansen Love. Lola Creton l’actrice principale y est remarquable comme le fut Pomme (Isabelle Huppert) dans « la Dentellière » de Claude Goretta. Mia a dû y admirer Isabelle Huppert qui quarante ans plus tard, en 2016 jouera dans son 5e film « l’Avenir».(qui est incidemment une réponse à « la dentellière »). Mia n’est pas Goretta, elle est plus proche de Rohmer qui laisse toutes leurs chances à ses personnages. Chez Mia Hansen Love, l’expérience de la rupture n’est pas vue comme le début de la fin mais bien au contraire, comme une possibilité de dépassement, une ouverture sur le monde. Elle est une cinéaste du Sublime.

Ce troisième film aurait pu être son premier, mais son premier c’est le très sensible et bouleversant « Tout est pardonné » (Prix Louis Deluc) Elle ne pouvait que commencer ainsi.

1) Extime : relatif à la part d’intimité qui est volontairement rendue publique (par opposition à intime) : Un journal extime. (Larousse)

Chronique d’une liaison passagère-Emmanuel Mouret

En bref…

Voici un film qui a tout pour plaire, son casting : Charlotte (Sandrine Kiberlain) et Simon (Vincent Macaigne), ce gentil et idéal tandem bobo- Ce style bobo tant prisé par le cinéma d’auteurs français – Et puis il y a l’écriture soignée des dialogues qui est la marque d’Emmanuel Mouret.

Ces deux personnages se rencontrent et n’ont qu’une envie c’est de coucher ensemble. Charlotte l’exprime en mode majeur, carrément et Simon en mode mineur, teinté d’une touche de « culpabilité » et de maladresse. Le décor est planté dès la bande annonce.

…Et si tu m’aimes, prends garde à toi!

Là où tout n’est qu’affaire de désir il n’y a pas de faute : Tu ne trompes pas ta femme car c’est elle que tu aimes, il n’y aura rien d’autre que du plaisir entre nous.

Dans l’amour courtois au Moyen-Age, le chevalier servant aime sa Dame mais tous liens physiques lui sont interdits par le code de chevalerie. Ici Mouret inverse la formule. De sorte que ces deux-là finissent par être obligés d’inventer des stratagèmes de non-attachement, de non-amour pour continuer leur commerce, de se centrer sur leur désir et leur plaisir sans tâche (amoureuse).  D’ailleurs, pour conforter  leur règle de jeu,  ils font une expérience de triolisme en compagnie de la non moins pure est innocente Louise (Georgia Scalliet). Mais voilà! Charlotte et Louise deviennent amoureuses l’une de l’autre. (Louise qui du coup se fera faire une PMA en Espagne…la panoplie complète).

Alors, comment se passe une rupture dans une telle histoire ? Il y a des codes de comportement : Toute manifestation d’attachement est bannie (ce serait lourd). En revanche, l’éconduit peut à la rigueur manifester un peu d’étonnement et de tristesse nostalgique, mais il doit avant tout demeurer tendre et compréhensif.  (Ce qui est léger, élégant).

Alors, on songe un instant à Woody Allen inventeur de situations amoureuses paradoxales subvertissant les codes sociaux, exemple« Whatever Works », mais ça ne dure pas longtemps, il y a chez Woody distance humoristique et capacité d’autodérision qui à mon avis, échappent un peu à Emmanuel Mouret.

Georges

Ve Week-end Cinéma italien

Samedi 1 octobre séance 20h30

America Latina, il ne faut rien en savoir avant de le voir.
Lors de sa présentation, Jean-Claude Mirabella, selon la règle, ne nous en a rien dit.
Et c’est le bonheur total de plonger dans ce film comme dans un liquide amniotique : c’est chargé, visqueux, enveloppant, tiède, odorant, un peu dégoutant.
Attenzione ! ⚠ spoiler
A Massimo, il semble que tout ait, jusqu’ici, réussi. Il a une belle villa, une famille de rêve … mais un jour ou une nuit (?), il découvre qu’une jeune fille sanguinolente est attachée à un poteau dans sa cave jonchée de détritus.
On (Massimo et nous) ne l’avait pas vu venir, on va vouloir comprendre et ça commence à bien « thriller » !
Garder le secret, c’est la base.
Dentiste, Massimo exerce dans son cabinet, ailleurs, en ville, entouré de trois grâces (assistantes) plutôt canon et son ami Simone, son pote de virées nocturnes très alcoolisées, leurs beuveries, fantasme sur l’une d’elle et pose la question : est-ce qu’il couche avec ? Question qui nous embarque sur une piste bientôt brouillée par beaucoup d’autres. On est baladé entre la vie souterraine et la vie au-dessus, deux mondes sans connexion, sans rapport sauf qu’il s’agit de 4 jeunes femmes aux mêmes cheveux longs : son épouse merveilleuse, évanescente, amoureuse, caressante, amore mio (hic), anormalement jeune, leurs deux filles adolescentes et la jeune fille hurlante sans mots de la cave.
Une femme coupée en quatre.
A posteriori, on pense au film « Les Proies ». Les longues robes, l’enfermement, les champignons, ici version sucrée, gâteau aux cerises chaud-bouillant- fumant.
Les rebondissements s’enchainent, les questions se bousculent … C’est quoi ce tutto de piano ? On est en alerte, on patauge, chaque détail compte pour mieux douter et essayer de coller les morceaux.
Il y a un truc, enfin, il y a plusieurs trucs, plutôt … ça ne peut pas coller.
« Nous avons choisi la voie la plus risquée pour nous : la douceur. La douceur et toutes ses conséquences extrêmes. America Latina est un film sur la lumière, et nous avons privilégié le point de vue de l’obscurité pour l’observer »
Avec America Latina, les jumeaux D’Innocenzo, Damiano et Fabio, signent un nouvel opus de leur Italian gothic fresco.
Impressionnant !

Du cinéma, quoi !


Marie-No

ENNIO-GIUSEPPE TORNATORE

Le documentaire remarquable de Giuseppe Tornatore, très complet et éclairant aurait pu faire l’économie d’une fin (coda…) hagiographique un brin disproportionnée. Il use et abuse, à mon sens, un peu du « rythme » caractéristique des documentaires venus d’outre-Atlantique. Une phrase courte, impossible à assimiler sur le fond, assénée par un nouveau « témoin », suivi d’une nouvelle phrase courte etc. Ce sont les usages d’aujourd’hui…

Néanmoins, ce film est traversé d’émotions que le réalisateur n’a pas hésité à filmer « en gros plan » sur l’artiste Ennio Morricone. Ce compositeur, habité par la musique et d’une sensibilité rare, dévoile ainsi sa vie traversée de sentiments profonds. Les mots humiliation, culpabilité (colpevole répète-t-il !) reviennent lourdement. En effet, ce musicien aimé par le public, voire vénéré, a été d’abord et systématiquement rejeté par ses pairs. Ce grand amoureux de la musique absolue (musica assoluta) n’a été reconnu que par ses musiques de film, réputées mineures… Le « métier » ne l’a « adoubé » que tardivement, contraint par la formidable estime que sa musique a suscitée.

Et pourtant, le contrepoint, image de notre musique occidentale, même si elle n’est pas toujours perçue, nourrit absolument la musique de Morricone. Placer B.A.C.H. dans le Clan des Siciliens, quel signe ! Sa musique de film reste également presque toujours tonale, au point qu’on la qualifie en toute confusion de classique ! Mais au fond n’est-il pas aussi connu pour avoir surpris tout le monde par l’introduction de « bruits » surprenants, grincements, aboiements, chutes d’objets divers, trouvant leurs origines dans la Musique Concrète, chère à ses années de jeune apprenti compositeur. Un harmonica et une guitare électrique très « distors » (La distorsion est la base fondamentale du rock) que l’on imagine en souriant accompagnés par le plus « sérieux » orchestre symphonique ! Et que dire de l’usage de la voix telle un instrument, le plus souvent sans parole.

Malgré tout coupable ! Coupable de révéler les contradictions, toujours omniprésentes, entre une musique absolue, supposée seule dépositaire de l’art et des musiques rejetées hors de la « vraie musique ».

Ce documentaire, très beau, peut sembler long mais il fait la part belle à la musique de Morricone, si puissante, si forte. À tel point que l’on peut partir avec le regret de ne pas avoir entendu assez de musique de ENNIO.

Pour les Cramés de la Bobine

Christian Chandellier

COSTA BRAVA LEBANON-Mounia AKL

COSTA BRAVA LEBANON, LUTTES ECOLOGIQUES, PATRIARCAT, LIBERTÉ

Costa brava Lebanon est un film de Mounia Akl, réalisatrice et scénariste libanaise de 33 ans, sorti le 27 juillet 2022 en salles. Le titre est énigmatique et la réalisatrice quasiment une inconnue du grand public.

C’est en effet son premier long-métrage, tourné pendant trente-six jours en novembre-décembre 2020, dans le cadre de la résidence Ciné Fondation de Cannes. Ciclic, l’agence régionale du Centre pour le livre, l’image et la culture numérique du Centre-Val de Loire, dont le siège est à Château-Renard a soutenu l’écriture du scénario.

Nous connaissons la Costa Brava, la côte catalane espagnole. Et c’est une catalane, Clara Roquet, qui est co-scénariste du film. Mais le titre renvoie à la décharge « Costa Brava » au sud de Beyrouth, à l’embouchure du fleuve Ghadir, à proximité immédiate de l’aéroport international, ouverte en avril 2016 et présentée par le gouvernement libanais comme une solution à la crise des déchets provoquée par la fermeture d’une grande déchetterie en 2015. Les manifestations s’étaient multipliées contre la crise sanitaire et aboutirent en 2019-2021 à une révolte contre les inégalités. La pandémie de Covid et l’explosion meurtrière sur le port de Beyrouth le 4 août 2020, qui trouve un écho dans le film avec l’explosion dans la décharge, ont fini de plonger ce pays dans la crise.

Mounia reprend avec ce film le sujet des déchets six ans après son court-métrage Submarine sélectionné à Cannes 2016 qui était déjà une fiction et non un documentaire, un film d’anticipation d’une vingtaine de minutes, tourné en pleine crise des déchets. Vous pouvez le voir ici : https://ciclic.fr/ciel17-submarine-de-mounia-akl-film-court-metrage-en-ligne.C‘est l’histoire d’une jeune femme, Hala. qui ne se résout pas à partir tandis que les ordures ménagères inondent la ville, que les autorités organisent l’évacuation des habitants, et que les risques d’épidémie sont présents partout.

Au sens propre comme au figuré, la réalisatrice met en scène l’idée que nous sommes submergés par nos ordures. Submarine pose la question du départ forcé, de l’exil, mais aussi celui de la marge de liberté de chacun pour s’opposer à la décision des autorités.

PARTIR OU RESTER

« Partons, on ne peut pas fuir toute notre vie » (Soraya). « J’ai évacué l’espoir depuis longtemps » (Walid)

On retrouve dans Costa Brava Lebanon, ces thèmes des déchets et de l’exercice contrarié de la liberté. On pourrait m’objecter que dans Costa Brava Lebanon, la famille a choisi de quitter Beyrouth pour une vie meilleure et plus saine, le début du film nous les présente comme des Robinsons suisses dans une campagne libanaise idyllique, vivant en autarcie heureuse dans une île de verdure, ayant coupé les ponts avec la capitale que l’on voit au loin (de fait le téléphone ne marche pas et il n’y a pas d’internet). Beyrouth était invivable de par la saleté des ordures et la répression de la contestation.

Mais l’obligation de partir est vécue différemment selon les personnages, car si c’est un choix pour le père, Walid, qui dit qu’il serait devenu fou s’il était revenu à Beyrouth et qu’il faudrait un an pour la nettoyer, c’est le seul à en être réellement convaincu et continue à le vouloir même lorsque la décharge les envahit.

Soraya, son épouse, propose plusieurs fois de retourner à Beyrouth et regrette sa vie de chanteuse à succès. Sa carrière a été brisée par leur départ : elle a arrêté de chanter car ils avaient des rêves et des espoirs de changer le monde mais ils ont tout perdu : « Ils nous ont brisés » dit-elle. Mais elle regrette y compris les inconvénients de Beyrouth, elle rechante pour ses filles « Beyrouth mon amour, j’ai autant de bleus que toi » et réentend avec nostalgie le bruit de la ville : les spectacles, la scène, les manifs, la ville… 

La grand-mère, Zeina, n’avait certes plus qu’une année à vivre à Beyrouth et respire mieux à la campagne depuis huit ans mais elle fume en cachette pour se sentir vivante. Pour elle aussi Beyrouth c’est la vraie vie.

On comprend peu à peu que le père a imposé son choix à son épouse et à toute sa famille, au point que le thème du patriarcat monte en puissance dans le film jusqu’à la révolte de Soraya, qui finit par exprimer ce qu’elle ressent vraiment, libérer sa propre parole : « les lumières me manquent, les manifestations me manquent, notre ancienne vie me manque ». « Je m’en vais » dit Soraya, et cette fois elle ne quitte pas Beyrouth, au contraire elle y revient, elle quitte Walid car elle n’est pas heureuse. « On n’est pas heureux ici ? » disait Walid, silence en réponse de Soraya.

LA DENONCIATION DU PATRIARCAT

Je pense pour toi (Walid à Soraya). Qui t’a demandé de nous protéger, on étouffe (Soraya à Walid)

Lorsque le choix de fuir une ville polluée devient absurde puisque le site de la décharge est encore plus polluant que Beyrouth (« ils seront bientôt dans notre chambre » dit Soraya), l’acharnement du père à rester devient du pouvoir patriarcal : il interdit pratiquement à Soraya d’aller à Beyrouth pour rencontrer l’avocat, il interdit à sa fille aînée d’avoir un smartphone où elle voit la vie à Beyrouth. Il vocifère des ordres de plus en plus durs au fur et à mesure que la situation se dégrade : « Tu ne sors pas sans masque ». Il devient violent et se défoule en tirant sur les oiseaux charognards qu’il appelle des rats volants, c’est une image très dure. Il commande. Sa mère le traite alors de « fasciste ».

Rim, semble échapper à la violence et au pouvoir patriarcaux, à première vue seulement car elle ne connaît de Beyrouth que la vision de son père à laquelle elle adhère sans avoir les moyens de la discuter. Mais cette vision est faussée de mauvaise foi dans le sens de l’épouvante, pour la mettre de son côté et qu’elle ne veuille pas repartir. Soraya crie à Walid d’arrêter de lui raconter des mensonges, en effet on craint pour la santé mentale de cette enfant dans le film.

La sœur de Walid, Alia, venue pour l’enterrement de la grand-mère, résume bien cela quand sa nièce lui dit : « Papa dit que tu ne sais pas ce que tu veux », et qu’elle répond fort justement « c’est parce que je ne veux pas ce qu’il veut lui ».

Soraya explose (« j’ai perdu le compte de tout ce que tu détestes ») et décide de partir, le quitter et revenir à Beyrouth : dans une belle image, les manifestations venues de Beyrouth arrivent sur la décharge au moment où elle part les rejoindre.

OÙ VIVRE COMMENT VIVRE

La vie est passée tandis que j’attendais (Zeina).

Mounia a participé activement aux manifestations lors de la crise des déchets de 2015 dans le pays. « C’est la première fois que j’ai eu le sentiment d’appartenir à un mouvement, parce qu’il était en quelque sorte sans leader », explique Akl en évoquant les manifestations qui ont secoué le Liban il y a six ans. « J’ai grandi après la guerre civile dans un pays où l’on ne compte que lorsqu’on suit un certain leader ou un parti politique. Ce n’est pas mon cas. Je n’ai jamais senti que j’appartenais à ce monde-là. Lorsque la crise des déchets a éclaté, j’ai eu l’impression que les rues appartenaient à ma génération. Cette crise était aussi une métaphore des dysfonctionnements dans le pays. Il ne s’agissait pas seulement d’une catastrophe environnementale qui a transformé notre ville, mais aussi de corruption politique ».

Mounia Akl semble dire que la vie dans un monde en crise, la ville de Beyrouth, était la vraie vie, cette famille a renoncé non seulement à sa vie antérieure mais à vivre, en prenant le parti de s’éloigner des problèmes au lieu de chercher à les résoudre. La fuite vers une pureté de vie conduit à une autarcie qui n’est pas une vraie vie, à savoir vie sociale dans son temps, dans un contexte bon ou mauvais. Mounia, militante, défend le choix de la lutte politique qui est celui de son personnage, Soraya, être dans le monde pour essayer de le changer et non hors du monde pour se préserver. De plus, Soraya considère qu’ils sont « favorisés » car ils peuvent s’isoler des problèmes, vivre dans une île. Et elle admet que la réalité les a rattrapés et que leur solution a atteint sa limite. Le père ne comprend pas car il répond que cette bicoque (et une vieille voiture), c’est tout ce qu’ils ont et qu’ils n’ont que « le fruit de leurs efforts ». Lui pense que « les manifestations n’ont jamais rien changé », il croit aux actions légales ou à la pression internationale pour venir à bout de cette décharge, Soraya croit encore à la lutte directe ou en tout cas elle veut être avec ceux et celles qui essayent.

FAMILLE ET SOCIÉTÉ

J’ai toujours été obsédée par la famille et par la façon dont, en observant sa structure, on peut comprendre les failles d’une société. (Mounia Akl)

« En grandissant, j’ai toujours pensé que c’était à cause du Liban que mes parents se disputaient. J’étais convaincue qu’il existait une relation entre la pression extérieure qu’ils subissaient et leurs moments de vulnérabilité. Je voulais donc réaliser un film sur cette friction, sur la manière dont les contraintes au Liban font que les personnes qui y vivent n’ont pas le temps d’exister ou de prendre soin d’eux-mêmes. Cela fait ressortir nos propres démons parce que nous sommes toujours en état de crise ».

Il est frappant de voir dans le film que ces parents qui se disputent de plus en plus durement au fur et à mesure que la décharge avance et les divise, n’ont pas appris à leurs enfants à vivre comme êtres sociaux dans leur nouvelle vie depuis 8 ans : Rim 9 ans, qui n’en a pas connu d’autre, vit dans un monde imaginaire et tout inconnu est un extraterrestre qu’elle voit et élimine, croit-elle, en fermant les yeux (sur la réalité !), ou en jetant des pierres si ces étrangers sont identifiés comme tels. Tala 17 ans ne sait pas comment vivre le passage de la puberté. C’est Zeina qui la conseille et lui conseille une sexualité libre. Tala et Rim ne savent pas résoudre leurs interrogations car elles sont hors du monde qu’elles ignorent, qui tente Tala et effraie Rim. Rim, par manque de clés d’appréhension du réel, tombe dans l’irrationnel, elle vit casquée à cause des rats de Beyrouth et passe son temps dans une pensée magique à compter et à répéter que tout ira bien pour exorciser les problèmes de plus en plus angoissants, Tala, par manque de conseils pour conduire sa vie, se jette dans les bras d’un employé servile de la multinationale, l’ennemi de la famille. Ce n’est pas un échec de la lutte de cette famille mais un échec de la solution individualiste que constitue la fuite, ce qui écorne au passage certaines solutions de purisme écologique proposant de vivre en marge du monde au lieu de vouloir le changer collectivement.

Mounia Akl dit de Costa Brava Lebanon : « Le plus important est que certains personnages de ce film sont en accord les uns avec les autres pour dire que la situation doit changer. C’est important, parce que quand on croit qu’on peut changer, cela veut dire qu’il y a peut-être un peu d’espoir ».

LA LIBERTÉ

Je ne pense pas que les cinéastes doivent transmettre des messages dans leurs films, mais plutôt soulever des questions(Mounia Akl)

Avec le thème au premier plan de l’écologie, celui des moyens de lutte qui en découlent, celui du patriarcat qui s’affirme comme étant majeur au cours du film, il y a, de façon continue mais plus en filigrane, le thème de la liberté. Dès la première scène, un dîner plein de rires, est-on libre à table de manger comme l’on veut, dans la petite société de la famille, le père dit que Rim est libre. Mais vers la fin du film quand il dit à sa mère, Zeina, au cours d’une dispute cette fois, : « tu es libre de partir », et que Zeina dit qu’elle partira, on sait que sa seule liberté de partir sera celle de mourir. C’est d’autant plus terrible que c’est le personnage le plus épris de liberté. Et de fait elle accepte de partir dans la scène suivante (suivante ou presque puisqu’il y a uns semblant de réconciliation avec son fils, une scène affectueuse où Walid l’aide à se nourrir mais qui ne résout pas leurs différends).

La sœur de Walid, Aila, a vraiment changé de vie en changeant de pays (la vente ou expropriation de son terrain, cause du problème, n’est plus un problème pour elle), elle n’est pas une militante (elle semble travailler en entreprise en Colombie) et pourtant c’est la seule qui a exercé sa liberté. La grand-mère veut d’ailleurs la rejoindre. Mounia veut-elle dire que soit on reste et on milite soit on part, vraiment ailleurs, dans un contexte réel ? Le pire serait de rester un pied dedans et un pied dehors, en marge de tout (le capitalisme d’un côté et la contestation de l’autre) comme Walid et Soraya, qui ne sont pas vraiment partis puisque tous les matins, Beyrouth est à l’horizon.

Nous avons vu un beau film en effet qui nous interroge et pas seulement sur ce qui s’est passé au Liban, mais sur ce qui se passe partout et arrive à nos portes, tels les déchets de Costa Brava Lebanon. Où aller, que faire, comment lutter contre la démesure du désastre écologique causé par la puissance du capitalisme, ses gouvernements et ses multinationales ?

Monica Jornet

Week-End de Cinéma Italien 2022

Voilà… Bien heureux de ce week-end Italien passé ensemble, de ces moments cinématographiques animés par Jean-Claude Mirabella et…il y avait dans l’air comme une ambiance d’avant-Covid et espérons-le, d’après… Nous étions tout au plaisir de nous retrouver et d’échanger les uns les autres durant les poses.

Je vous livre ici quelques impressions sur ces films du WE vous pourrez en savoir davantage en voyageant sur le Site de Cramés de la Bobine et en lisant les excellents articles de Laurence, Marie-No, Françoise ou Marie-Annick. (en appuyant sur le bouton rouge à gauche, vous y êtes!)

Théorème de Pasolini ouvre le WE, c’est la seconde fois que nous y présentons un film ancien, après » la fille à la valise ». Pasolini aurait eu cent ans cette année, ça justifiait bien ce petit écart. Dès sa sortie en 1968, ce film a fait scandale. La venue d’un jeune homme est annoncé dans une maison bourgeoise, il y arrive séduit la bonne, la mère, le fils, la fille, le père, (mais où étaient les grands-parents ?) puis s’en retourne un peu comme il était venu. La mécanique bourgeoise, bien huilée de la famille se brise et chacun de ses membres voit en lui s’opérer un changement radical — Pour le meilleur et le pire — Sommes-nous choqués aujourd’hui d’un tel film ? Nous n’en avons pas eu l’impression, sommes nous séduits ? Guère davantage. Disons alors que ce film a satisfait la curiosité de ceux qui ne l’avaient jamais vu et de ceux qui voulaient le revoir, dans les deux cas c’était une belle introduction à la conférence du dimanche sur l’œuvre cinématographique de Pasolini, brillamment réalisée par JC Mirabella.

« Les huit montagnes », voici une avant-première, réalisée par un couple dans la vie comme au travail : Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen(vo, décembre 2022, 2h27) avec Luca Marinelli (Pietro), Alessandro Borghi (Bruno) et Filippo Timi. D’après le roman de Paolo Cognetti. On pouvait imaginer qu’avec ce cadre, ce film serait en cinémascope. Mais surprise, c’est du 1.33 (presque carré), pas mal du tout. C’est l’histoire d’une amitié entre deux jeunes garçons. Elle paraît simple, Pietro est un citadin pas trop dégourdi et Bruno depuis son plus jeune âge, un montagnard dans l’âme. Les deux enfants vont cultiver une solide amitié et s’aguerrir, d’autant qu’ils font de longues et hautes excursions guidées par le père de Piétro. Un jour, cette montagne qui a réuni ces deux amis d’enfance va les séparer, jeunes hommes, ils souhaiteront s’y retrouver, reconstruire le cours brisé des choses. Mais chacun doit faire son chemin, Bruno ne saurait quitter sa montagne, Pietro veut parcourir le vaste monde. Les réalisateurs entrelacent habilement histoire de montagne et histoire de vie, belles, tragiques parfois, singulières toujours. Pour en savoir plus : voir le billet de Laurence dans le site des cramés de la Bobine et si vous regrettez de ne pas avoir pu voir ce film, qu’à cela ne tienne ! Il sera de nouveau à l’affiche à l’Alticiné dans quelques semaines.

« America Latina » est le troisième film des frères jumeaux Damiano et Fabio d’Innocenzo, révélés avec « Frères de sang » en 2018, Leur deuxième film, et l’étrange « Storia di vacanze », sorti en 2021 et que nous avons projeté au WE italien 2021. Comme le remarque Marie Annick, ils y confirmaient leur talent et leur originalité. Là nous avons eu droit à un film déconcertant, décapant j’ajouterais. Un film qui ne se laisse pas saisir du premier coup, qui intrigue, vous ballade, prend le spectateur à contre-pied jusqu’à la dernière image. Mon sentiment de malaise à la sortie de la salle n’a pas résisté à une nuit de sommeil. Ces  jumeaux en effet ne cherchent pas à nous servir des choses prévues et à séduire qui que ce soit. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils conduisent leur film comme ils l’entendent et prennent leur risque. Une chose est sûre ils auront des adeptes fidèles. Qui seront-ils ? On ne sait que répondre mais on leur souhaite le plus nombreux possible. Pour en savoir plus : voir le billet de Marie-Annick dans le Site des cramés de la Bobine.

« La dérive des continents », Film de Lionel Baier, « La dérive des continents ( au sud ) 2022, est la troisième pièce de l’Europe vue par un Suisse ( qui n’en fait pas partie ) » nous dit Françoise sur le site des Cramés de la Bobine. En 2017 nous avions vu un film italien d’Andréa Segré,« l’Ordre des Choses » qui traitait plus gravement ce sujet. Avec la dérive, la tonalité est bien plus légère. Une certitude, ce film a été apprécié par nombre spectateurs, j’ai pu le vérifier à la pose café. Je n’en étais pas si sûr car comme Laurence, je trouvais que ce film traitait trop de sujets : les relations franco/allemandes, mère/fils, amantes/amantes, imigrés/europe, la visite des politiques, ce qu’on montre et ce qu’on cache, ce qu’on travestit. Sans doute la note à la fois grave et humoristique, la générosité du film, le jeu des acteurs dont Isabelle Carré ont emportés l’adhésion.

Nostalgia Avant-première. Film de Mario Martone (vo, novembre 2022, 1h57) avec Tommaso Ragno, Pierfrancesco Favino et Francesco Di Leva. Ce film a eu le plus grand nombre de spectateurs, ce qui prouve que le public des cramés de la bobine est un public averti, certains comme moi-même ont lu le billet de Marie-No dans le Site des Cramés de la Bobine ou des critiques qui ne manquent pas sur internet. Et le film est à la hauteur de tout le bien qu’on dit de lui. Pierfrancesco Favino est de presque tous les plans. Dès le début, l’arrivée à Naples, le retour d’exil, la reprise de contact délicatement sensuel, les retrouvailles avec la mama, si petite et si fragile sont des images inoubliables. Mais cette nostalgie fait écran à d’autres choses indicibles qui petit à petit se révèlent. « L’expression d’une force inconnue qui pousse chacun à soulager sa culpabilité » dit le Docteur Freud.
Ce film va repasser à l’Alticiné, ne le manquez pas et si vous l’avez vu, vous pourrez ainsi le revoir si le coeur vous en dit.

Marcel Film réalisé par Jasmine Trinca (vo, juillet 2022, 1h33) avec Alba Rohrwacher, Maayane Conti et Giovanna Ralli. Jasmine Trinca est cette belle et excellente actrice, souvent vue aux cramés de la Bobine comme l’indique le billet de Françoise dans le Site des Cramés de la Bobine. Voici un premier film magnifiquement présenté et défendu par J.C Mirabella (sans doute à l’égal des autres, mais celui-ci en avait davantage besoin !). Un premier film prometteur, qui va aux sources du cinéma, avec ses séparations de séquences par des cartons (aux sentences énigmatiques). C’est Alba qui tient le rôle principal, celui d’une artiste de rue, elle est mime, elle a une fille mais c’est une mère énigmatique qui délaisse sa fille pour son chien. Un peu comme l’un des films précédents (América Latina) mais pour une tout autre raison, ce film poétique délivre son sens aux dernières images, nous invitant à le revisiter de mémoire.

Et bien sûr tous ceux qui le souhaitent peuvent commenter à leur guise les films de cet heureux W.E cinématographique. Déposer vos articles dans la boîte du Site les Cramés de la bobine ou les envoyer à georges.joniaux45@orange.fr

Georges