Elle est venue présenter ses films au Festival de Prades 2022. Nous venions de quitter Jean-Pierre Dardenne dont les films ne parlent pas de leur propre monde, mais d’autres, dont ils sont solidaires. Alors, les films de Mia Hansen Love offraient un contraste saisissant car ils sont d’inspiration autobiographique. Nous avons vu ses films, nous l’avons vue et entendue. Disons le tout de suite, c’est l’une des plus belles rencontres de Prades, pour son art et pour sa personne. Elle réalise une oeuvre délicate et profonde. Elle va de l’intime à l’extime, comme on dit maintenant(1) et … du singulier au pluriel
Plus d’un d’entre nous a été séduit par sa présence, sa qualité de contact, son attention. Elle est simple, ouverte, sincère. Et vite on comprend que Mia Hansen Love et son cinéma ne font qu’UN, ses films se réfèrent toujours à ce qu’elle a vécu et connaît. Et puisque prochainement aux Cramés de la Bobine, nous allons voir « Un beau matin » je souhaite ici raconter deux ou trois choses à son propos.
J’ai été impressionné par son récit de ses débuts dans le Cinéma : Mia est alors une jeune fille de 16 ans que rien ne prédestine dans cette voie, ses parents sont professeurs de philosophie, rien à voir (ou presque! car il semble bien que MHL poursuit la recherche du vrai par un autre moyen)
Souvent, les adolescents ont de sérieux passages de spleen — Surtout s’il y a eu des évènements familiaux un peu lourds — Cette tristesse est propice aux coups de foudre « providentiels » ; aimer pour ne pas se perdre… et souvent dans ces histoires, la rupture est comme inscrite dans la rencontre. Mia l’a vécu. Quand arrive la rupture, elle est inconsolable… . Dans cet état douloureux, elle décide de couper très court ses cheveux longs. Elle va ainsi au Lycée, paraissant alors une adolescente rebelle et libre. Et c’est ainsi qu’à sa sortie du Lycée, elle est remarquée lors d’un casting sauvage. Mia devient actrice, nous sommes en 1998. Sans doute, un coiffeur a dû reprendre sa chevelure lorsqu’elle joue pour son premier rôle dans « Fin août, début septembre », un film d’Olivier Assayas (dont plus tard, elle deviendra l’épouse et aura une fille).
On suppose que Mia dans sa reconstruction avait la faculté de s’identifier rapidement à des personnes, à se projeter dans des situations. J’imagine (par hypothèse farfelue) qu’à cette occasion de tournage, quelqu’un lui a trouvé un air de famille avec une femme remarquable, Anne-Marie Schwartzenbach, journaliste, aventurière, antifasciste, amie des enfants Mann, Erika et Klauss, (bien plus lucides que leur père sur Hitler et sa bande).
En tous les cas, sur France Culture, en 2019 dans La nuit rêvée de Mia Hansen Love, Mia lui a réservé un épisode.
Très rapidement, c’est la réalisation qui l’intéresse. Elle est une réalisatrice, elle l’est devenue d’une manière autodidacte. Elle écrit ses scénarios, elle les puise dans sa propre vie, elle les écrit seule méticuleusement. (sauf « Eden » co-ecrit avec Sven son Frère). Elle les complète parfois en dessinant ses plans vus d’en haut. Elle transpose les scènes, les transporte dans d’autres univers que les siens, parfois après de longs repérages, elle se joue les scènes, ensuite elle les retravaille avec sa scripte avec qui elle a un rapport complice. Elle préfère filmer avec de l’argentique, c’est plus beau, elle ne veut pas que la caméra se voit, donc elle refuse des effets trop visibles, tels les longs plans séquences. Quant à ses acteurs qu’ils soient professionnels ou non, ils doivent trouver l’expression juste de leurs émotions. À ses débuts de carrière, elle n’hésitait pas à faire recommencer vingt fois une séquence. Au montage, elle travaille en parfaite harmonie avec Marion Monnier. (On se ressemble dit-elle, y compris physiquement). La musique (Schubert y occupe une belle place), les bruitages, les paroles semblent profuses, pourtant, le silence est son principal « son ».
On ne peut comprendre Mia Hansen Love à partir d’un film. Les films sont les chapitres d’une oeuvre en construction. Ils se répondent un peu à la manière d’un jeu de triomino, par tous côtés. On peut rapprocher les personnages, les situations, les structures de récit, exemple celle d’un de « Bergman Island » et celle d’ « un beau matin ». Enfin un peu comme dans la Recherche de Marcel Proust, on y mesure l’effet du temps.
Avec quelques transpositions, son troisième film, « Un amour de jeunesse », ressemble à sa propre histoire. Tourné en partie sur les bords de Loire dans la maison de sa grand-mère… ce récit d’amour de jeunesse déçu est sans doute une clé pour comprendre l’univers de Mia Hansen Love. Lola Creton l’actrice principale y est remarquable comme le fut Pomme (Isabelle Huppert) dans « la Dentellière » de Claude Goretta. Mia a dû y admirer Isabelle Huppert qui quarante ans plus tard, en 2016 jouera dans son 5e film « l’Avenir».(qui est incidemment une réponse à « la dentellière »). Mia n’est pas Goretta, elle est plus proche de Rohmer qui laisse toutes leurs chances à ses personnages. Chez Mia Hansen Love, l’expérience de la rupture n’est pas vue comme le début de la fin mais bien au contraire, comme une possibilité de dépassement, une ouverture sur le monde. Elle est une cinéaste du Sublime.
Ce troisième film aurait pu être son premier, mais son premier c’est le très sensible et bouleversant « Tout est pardonné » (Prix Louis Deluc) Elle ne pouvait que commencer ainsi.
1) Extime : relatif à la part d’intimité qui est volontairement rendue publique (par opposition à intime) : Un journal extime. (Larousse)