Le quatrième Mur-David OELHOFFEN (2)

Je n’ai pas lu ce roman de S.Chalandon qui inspire ce film, mais j’ai vu le film, et c’est peu dire, comme chacun dans la salle, le sentiment mitigé qu’il m’a inspiré, et comme chacun, je suis demeuré dans le silence de mes pensées un peu sidérées,  il faut bien le dire. Pour ceux qui ne l’ont pas vu, voici le bref synopsis :

Donc l’action se situe au Liban, elle est figurée  à quelques jours  et quelques pas des anciens camps de réfugiés de Sabra et Chatila, de triste mémoire.

« le quatrième mur »  repose essentiellement sur le personnage de Georges (Laurent Lafitte )  qui est de presque tous les plans. Pour l’essentiel, le début du film ne présente  pas de réelles surprises, il illustre  les difficultés de constituer une équipe d’acteurs dont les peuples d’appartenance se sont  constitués en clans hermétiques et belligérants.  Et  la guerre rode, nous voyons donc  les difficultés à travailler sous les explosions, les coupures de courant, les chekpoints partout…

Tout cela mime un documentaire,  les scènes sont  tournées en décor réel,  dans les décombres de Beyrouth, cette ville martyr.

Remarquons que l’idée de cette pièce de théâtre  mise en scène avec des acteurs de différentes nationalités et religions :  palestiniens, arméniens, libanais, druze, chrétiens, musulmans, juifs, etc, n’est pas sans rappeler le West-Eastern Divan Orchestra, composé de jeunes musiciens arabes et israéliens – orchestre fondé et dirigé par Daniel Barenboim .

Ici, c’est d’un projet insensé dont il est question, pensez,  une pièce de théâtre qui fait fi de la  guerre…qui veut, quelle utopie,   s’introduire dans un quasi  champ de bataille, comme si la culture était  toute puissante et forcément pacificatrice…

Mais ce film ne s’arrête pas là, bientôt apparaissent les fusées éclairantes  à la fois prélude et outil de l’extermination des réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, plus tard, nous y entrerons en suivant Georges, nous marcherons parmi les morts, hommes, femmes et on le suppose,  les enfants. Le film ne fait pas de politique et pas d’histoire, il ne cherche pas à connaître le pourquoi, ni le comment, il montre le résultat d’un massacre…  

En final,  après avoir renoncé d’un coup de pistolet à son idéal de vie, Georges qui vient de perdre Marwan (Simon Abkarian) son fixeur, qui vient de voir son actrice et amante,  Imane (Manal Issa) violée et égorgée  devra payer  de sa vie ruinée  le prix de son engagement, le film se clos sur Georges qui se rend à pied à son propre enterrement.

Mais « Le quatrième mur » c’est maintenant ! Ce n’est pas une fiction, chaque jour nous livre son lot de bombardements et de morts. Et on le sait, on le vérifie,  s’il faut des quantités insensés, presque délirante de projectiles pour tuer un seul combattant, presque rien tue beaucoup de civils. Toutes les guerres le démontrent, et  si par détournement du langage, on  appelle  cela pudiquement «  effet collatéral » c’est de l’effet premier dont il est réellement question, et il s’appelle également crime de guerre.  Les guerres d’aujourd’hui sont plus encore qu’hier tournées contre les populations civiles.

Pour nous spectateurs qui  sommes déjà  dans un moment de notre histoire, où les peuples, « dans leur grande sagesse » ont confié la marche du monde à des psychopathes, nous ne voyons pas seulement une fiction. La fiction est quelquefois un détour pour accepter de se confronter  rétrospectivement à une réalité trop dure,  mais ici, fiction et réel  se conjuguent au présent. Alors, on peut se demander ce que le  film  veut signifier, ce qu’il apporte ?  Imaginons que Georges et son équipe aient réussi leur projet, qu’en aurait-on pu  espérer ?  Une performance et un message ? Un message brouillé.

Valerie Leroy

Chers Amis Cramés de la Bobine,

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Pourquoi ne pas regarder ce court métrage ?

Le Grand Bain – Nager sur place – Un court métrage de …

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15 sept. 2024

Bonne Vision !

Georges

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Marmaille- Gregory Lucilly

Autour du film…

Avec Marmaille, nous avons été parmi les premiers spectateurs du premier long métrage de ce jeune réalisateur, en même temps ceux du premier film long métrage réunionnais. Un film qui a eu quelques difficultés à trouver ses producteurs entre ceux qui n’acceptaient pas que le film soit tourné à la Réunion et ceux qui le refusaient en créole. Et puis il y a eu Pierre Forette, Thierry Wong, Baptiste Deville… qui eux ont dit oui. Et au total avec un budget de 3,4 millions d’euros, un réalisateur peut travailler… et il le fera avec une équipe de tournage à 90% locale.

C’est l’histoire de deux jeunes, Audrey 18 ans mère célibataire et Thomas 15 ans B.Boy, (breakdance) fichus vertement à la porte de chez leur mère et qui doivent affronter l’adversité affective et matérielle qui en résulte.

Le casting est pour beaucoup dans la qualité du film, il est vrai que la Directrice de casting était Christel Baras, elle a un C.V impressionnant : Portrait de la jeune fille en feu, Emilia Perez, Ama Gloria, Chanson douce etc… C’est ainsi qu’elle a choisi d’abord Maxime Calicharane pour interpréter Thomas ce B.Boy en souffrance. Qu’en dit-elle ?

Le réalisateur a obtenu une monteuse talentueuse Jennifer Augé (La Famille BélierPetit Paysan…). Elle a su capter le dynamisme du récit de Grégory pour l’adapter au montage et protéger l’histoire.

Au total, voici une histoire qui nous raconte bien des choses sur la Réunion. Nous en voyons ses beaux paysages, nous approchons la situation sociale et économique du plus grand nombre, et en fouillant un peu, nous découvrons que l’abandon de certains enfants adolescents sur cette île dont un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté existe bel et bien, que les violences conjugales sont elles aussi courantes, c’est hélas le deuxième département sur ce sujet. Et encore, qu’une femme sur cinq élève seule ses enfants.

Mais l’abandon est également un sujet qui dépasse largement la Réunion. Il faut voir ce film comme un miroir de la société réunionnaise, abordant des thématiques universelles.

Marmaille nous montre ces jeunes se battre et se débattre face à cette adversité, avec volonté et, on le serait à moins, avec parfois colère et violence. Le scénario comme la vie même est complexe et les récits s’entremêlent, Audrey est une jeune mère célibataire, aimante, solide, accrocheuse et stable, elle est le centre de gravité de cette famille d’infortune.

Nous verrons également réapparaître le père (le géniteur en fait !) « chic type » (Vincent Vermignon) qui par la force des choses essaie d’être à la hauteur après avoir, pendant bien des années , abandonné sa femme pour une autre et tout de même acquitté une pension alimentaire pour Audrey et Thomas qu’il ne connaissait pas. Et cet homme après sa défaillance, patiemment essaie de retisser le lien.

Quant à Thomas, c’est un garçon en proie a une souffrance et à une violence intérieure qu’il ne contient pas toujours, me rappelant discrètement Steve dans Mommy de Xavier Dolan. Violence le plus souvent sublimée, (mais le plus souvent seulement), il danse, c’est un B.boy, un danseur de Breakdance, et donc il va de battle en battle avec une « gnaque » incroyable. Mon petit fils m’en a expliqué les figures et leurs noms, c’est un monde très codé : Top Rock, Spin Down, Six Step, Freeze , traks, frog ! (1). La breakdance est un exutoire, une joute symbolique, donc un combat, hautement sublimé comme le sont par exemple les joutes musicales. (Le Docteur Freud remarquait que tout se substitue à la violence réelle, constitue un progrès dans la civilisation).

J’ai lu les observations suivantes que je vous livre pour tenter de les nuancer :

« Il est regrettable d’ailleurs que cette dernière pâtisse d’une conception « genrée » de la parentalité. Le scénario la catalogue comme défaillante et agressive. Elle est celle qui mérite « deux baffes », dixit Marie-Anna, la tante d’Audrey et de Thomas, parce qu’elle laisse ses enfants livrés à eux-mêmes.

« une « bonne mère » est celle qui est présente inconditionnellement alors qu’un « bon père » peut choisir ses moments et même disparaitre pendant des années… « 

il me semble qu’ici cette conception « genrée » de la critique trouve ses propres limites en ne coïncidant pas toujours avec toutes formes de réalités. Ce que nous dit Marmaille est documenté par le réalisateur. Il a enquêté scrupuleusement auprès d’assistantes sociales, de juges, de policiers, d’éducateurs qui en ont souligné la fréquence. Quant au cas qu’il nous présente, il n’est pas que fiction.

On pourra trouver des défauts à ce film, comme on en trouve dans tous ces premiers longs métrages où le réalisateur veut trop en dire, cependant, on en voit surtout les qualités : son sujet est rare, il dégage une réelle énergie, les rôles sont tenus avec délicatesse et profondeur, et le réalisateur sait finir son film, ce qui n’est pas si fréquent lors d’un premier film. Et puis la Réunion tout de même ! et avec de beaux cadrages sur une bande musicale dans le style mayola d’Audrey Ismaël.

Georges

Pour Melaine Lalu

Hier, nous étions à l’enterrement de Melaine, 43 ans, morte tragiquement sur la route dans un accident de voiture, nous ne savons rien des circonstances si ce n’est ceci :  quelqu’un aurait grillé un stop avant de percuter son véhicule.
 

Melaine était la plus jeune d’entre-nous à la commission de choix de films des Cramés de la Bobine, on la distinguait aussi par son port de corps bien droit, droit comme son regard également un peu rieur et ouvert.  Elle était jolie. Elle s’exprimait avec une grande franchise et toujours avec bienveillance, c’est un exercice difficile, mais pas pour elle. Quant à ses jugements sur les films, ils étaient souvent originaux, elle y débusquait des sens inattendus, insolites qu’elle exprimait avec une touche d’humour et toujours avec élégance . D’ailleurs,  sa  personne était élégante.   Et puis au cinéma comme dans la vie, elle savait s’émerveiller, être naïve et profonde à la fois.

Melaine , un moment a travaillé à la caisse de l’Alticiné, c’était sympathique de la voir là, de plus, ça ne la décourageait nullement de venir voir un bon film au cinéma parmi les cramés de la bobine, durant ses temps de repos.
 

Mélaine aimait également  les animaux, on ne sait pas ce qu’est devenu ce merle éclopé qu’elle avait recueilli, à qui elle avait laissé le plus grand espace possible, chez elle,  pour qu’il puisse voleter, et vivre en toute sécurité. Et son merle continuait de chanter.  Elle avait également un chat. Un univers où il n’y aurait pas  eu d’animaux à aider et à  aimer n’aurait jamais pu être le sien, il n’aurait tout simplement eu aucun sens. Elle aimait les animaux comme elle aimait les gens, aimer c’était  facile pour elle.

Avec Melaine, nous avons vécu de bons moments,  je me souviens  d’un joyeux et chaleureux  jour de l’an chez Henri ;  de sorties de prévisionnements et je repense à cette histoire qui la décrit bien : Un jour qu’à Châteauroux, nous avions prévu de casser la croûte ensemble. Faisant nos courses dans un super marché,  Melaine  avait choisi une bouteille de vin, qu’elle voulait nous offrir. Il y avait une longue file d’attente et  pas de caisse rapide…sauf ces  fameuses caisses robotisées vers laquelle une employée voulu la diriger. Tout bonnement,  elle est allée reposer la bouteille en lui disant : « Je ne vais pas la prendre, ce ne sont pas les robots qui vont payer nos retraites ! »

Nous pensions d’elle, si disponible, qu’elle avait un petit cercle de connaissances, en fait elle avait un grand  réseau d’amis sincères à qui elle se consacrait de la même manière, et qui l’aimaient. Il nous a fallu attendre son enterrement pour le mesurer. Nul ne sait si la vie lui fut tendre, toujours est-il qu’elle était  présente aux autres, généreuse. Le mesurions nous ? Sans doute, on aurait aimé en être davantage conscients.

Que la terre te soit légère Melaine.

Miséricorde-Alain Guiraudie

Le cinéma d’auteur est bien mystérieux,  Alain Guiraudie, réalisateur et scénariste obtient un impressionnant succès  avec Miséricorde ce  polar rural qui réalise 164 000 entrées…  et il n’a pas fini son cycle de distribution. Quant aux critiques à de rares exceptions,  elles sont très élogieuses.

En 12 films dont 7 longs métrages,  Alain Guiraudie qui n’a pas toujours eu que des succès, réalise son plus beau score, mais parlons de lui : 

D’abord, c’est un enfant aveyronnais, (Villefranche-de Rouergue) fils de petits paysans, très pieux. Très tôt il est attiré par les romans de gare, les films populaires, la BD dont Pif le chien, les romans photo. Après son bac, il file à la fac de Montpellier pour des études de lettre ? bref, sans doute est-il alors plus intéressé par la politique, il est militant communiste.

D’Alain Guiraudie, la critique, comme lui même, nous livre une série d’étiquettes : Aveyronnais, d’éducation catholique très marquée, (adolescent il voulait devenir prêtre, Philippe le Prêtre du film est un peu lui ), puis communiste et homosexuel, photographe, cinéaste, écrivain (3 livres paru chez P.O.L, dont Rabalaïre qui inspire le scénario de Miséricorde).

Avec toutes  ces images de lui  réunies, nous ne sommes pas étonnés de lire dans l’Humanité cet énoncé politico-sexuel :

Guiraudie est aussi un cinéaste des campagnes et de  la nature, les causses du Larzac, l’eau et ses miroitements dans  l’inconnu du Lac, presque toujours, il y a les bois et forêts, avec leurs clairières, leurs raies de lumières solaires. Ils sont autant de lieux de rencontres insolites ou de dragues homosexuelles et parfois de mauvaises rencontres. Le sexe et le danger de mort parfois se touchent (comme dans la fameuse chanson Monsieur William  de Ferré et Caussimon).  Dans les bois, ce lieu où on peut voir sans être vu, être vu sans le savoir, on glisse quelquefois du phantasme jusqu’aux alentours de la fantasmagorie . Fantasmagories ces morilles qui s’entêtent à pousser  à l’endroit où caché sous les feuilles, dans la terre d’un corps fraîchement enterré.  Des morilles qui poussent en même temps que les cèpes, en automne, du jamais vu. Des morilles donc,  comme un indice ou peut-être une compulsion d’avouer.  Également, comme les symboles phalliques qu’ils n’ont jamais cessé d’être, ici, ceux du désir homosexuel. 

Dans Miséricorde, comme « le visiteur » du film Théorème de Pasolini,   Jérémie attire et séduit tout le monde. Sauf peut-être Vincent avec qui régulièrement il se battait,  car Vincent voulait le voir quitter les lieux, mais là encore Vincent semblait rechercher ces corps à corps, souvenirs du temps de leur adolescence -Hélas, devenus funestes à force de monter en violence-

Le désir, c’est aussi celui de Philippe, le curé du village, qui met Jérémie  dans son lit pour le protéger d’une suspicion de meurtre,  écoutons le :  « Croyez-vous vraiment qu’il soit utile de punir les assassins ? Ce n’est pas un crime qui doit empêcher la vie de continuer. J’aurais alors le plaisir de voir l’assassin tous les jours, j’ai appris à aimer sans retour ».  

Ici comme dans « l’inconnu du lac », le désir est plus fort que la dénonciation et… la justice  et la société du « Surveiller et Punir » décrite par Michel Foucault s’en trouve subvertie. Curieusement, tout comme les champignons,  ce thème parcoure également  « Quand vient l’automne »  le dernier film de François Ozon.

Avec Miséricorde, Alain Guiraudie réalise un film qui expose sa vision politique de la sexualité. Il le fait sur le mode d’une comédie ou  l’humour grinçant voisine avec les bizarreries de personnages et parfois l’étrangeté des scènes. Il conjugue une homosexualité banalisée, la vie conviviale (les bouteilles de pastis que sert Martine en portent trace !) les décors rustiques et décroissants, (pas de signes de modernité électronique  pas de  téléphone portable, d’effets de toilette, les voitures sont anciennes et modestes,  ce film aurait tout aussi bien pu être tourné dans les années 60),  et surtout,  il  véhicule  cette fameuse subversion de l’idée de justice au profit d’un éloge des passions altruistes et généreuses. 

Mine de rien, comme François Ozon dans quand vient l’automne, mais plus encore, Alain Guiraudie subvertit la dramaturgie du film en annulant jusqu’à l’idée de justice et de peine , et la vie continue comme si de rien n’était. La vie est désir. De l’image finale, on se fait son hors-champ, Jérémie près de Martine, couchant à droite à gauche, selon, boulanger du village !

Georges

PS : Avez-vous remarqué, c’est un film avec du pastis, mais sans tabac !

Les graines du figuier sauvage- Mohammad Rasoulof (2)

Comme la plupart des films iraniens, ce film qui fut annoncé comme une possible palme d’or, prix spécial du jury tout de même, remplit ses salles. L’Iran, ce pays tyrannique, malgré ses intentions d’abêtissement de toute une population ne réussit pas à tuer, comme le tente chaque pays totalitaire, ce qu’il déteste le plus, la pensée. Et non plus, il n’empêche ces cinéastes de faire leur métier et surtout d’y exceller. Ils sont nombreux et les persécutions bien réelles qu’on leur fait subir n’y peuvent rien, au contraire, elles dopent les talents et la créativité.

Le film se situe donc au moment des protestations consécutives à la mort d’une jeune femme kurde iranienne, Mahsa Jîna Amini, arrêtée et potentiellement maltraitée par la police des mœurs de l’Iran … mais dont la presse toutou dit qu’elle aurait fait un malaise. Les étudiants iraniens n’entendent pas la chose de cette oreille, et la contestation grandit, les jeunes femmes par milliers sortent sans  foulard. Dans ce climat, la police joue la pleine répression, en multipliant les arrestations, en utilisant des armes parfois mutilantes contre ce peuple en colère. Le décor est campé si l’on peut dire..

Les Figuiers…a pour arrière fond l’appareil répressif de l’Iran avec ses procès et ses prisons, ses exécutions capitales 853 en 2023, et sa répression des femmes. Au moment du film, les autorités iraniennes ont renforcé la répression des femmes qui ne portent pas le voile (ou le portent de manière inappropriée) dans les lieux publics en mettant en place une surveillance généralisée des femmes et des filles dans l’espace public et en procédant à des contrôles de police massifs, ciblant notamment les femmes qui conduisent, nous dit Amnesty Internationale.

Un homme, Iman (Mizach Zare) fonctionnaire, auxiliaire de justice, reçoit une promotion, il est nommé enquêteur. On lui remet une arme et des balles, il signe un reçu, c’est la première et magnifique image du film. Et c’est autour de ce personnage que le film s’articule. Qui est-t-il ? Allure costaude, élégante, il mène une vie de petit bourgeois de Téhéran, il a une jolie femme, soumise et parfaite et deux gentilles filles sérieuses, qui sont admises à l’université. Cette promotion professionnelle, c’est pour lui la promesse d’un logement de fonction plus grand et d’un meilleur revenu, tellement nécessaires pour que ces deux filles aient une chambre à elles et davantage de confort. Au plan narcissique, ce n’est pas rien non plus, sa nouvelle position hiérarchique c’est juste la marche qui le sépare du poste de Juge ! .

Iman est fier de lui-même, il s’estime intègre et travailleur et imagine a voir été choisi pour ces raisons. Il ne tarde pas à s’apercevoir qu’il est nommé contre d’autres, qu’il y avait des prétendants et qu’il ne doit cette place qu’à un appui, son ami Ghaderi (Reza Akhlaghirad, vous vous souvenez sans doute, il jouait dans un homme intègre). Il ne tarde pas à s’apercevoir également, qu’il n’est que l’agent d’une machinerie bureaucratique, il s’agit non pas d’y instruire des dossiers, mais de signer des condamnations,  le plus souvent à mort. Il en est d’abord déçu, mais bon gré, mal gré, il accepte, après tout, comme lui suggère sa femme, il n’est qu’un modeste rouage. Pendant ce temps, dehors la jeunesse est révoltée, la police mutile et tue, et dans les prisons d’Iran, avec le concours des enquêteurs, on exécute.

Il y a des grains de sable dans la machine cependant, sur internet, des listes circulent ouvertes à tous, celles des enquêteurs par exemple, avec leurs noms, adresses, véhicules .

L’écart entre l’opinion qu’Iman se fait de lui et la réalité, sa femme l’a toujours bien mesuré, elle sait subtilement canaliser les violences et les peurs de son époux, les désamorcer. Tout va bien, jusqu’au moment où Iman « égare » son arme de service, ça risque 3 ans de prison, le déshonneur, et le désaveux de son ami Ghaderi…Et là ça ne marche plus cette affaire ! Secrètement, il panique, et il en vient à soupçonner ses propres filles. Désormais, il n’y a plus d’épouse ou de filles, plus d’amour ou ce qui lui ressemble dans son histoire, il n’y a que des obstacles à son beau parcours et la suspicion.

Alors, ce petit bureaucrate, faible mu par la peur se fait violent, inquisitorial. Il n’a qu’un pas à faire, il connaît un spécialiste des interrogatoires psychologiques. Il diligente un interrogatoire de son épouse et de ses filles. Enfin, il tient ou croit tenir la coupable !

Mais son propre nom circule partout, sur internet, Gadheri lui conseille de se mettre au vert (si l’on peut dire !). A cette occasion, Iman conçoit alors un moyen pour faire avouer « l’une de ses femmes »… Ce projet en tête, sa mutation intérieure de loyal sujet à tyran implacable s’achève, il n’est plus un simple agent du pouvoir, il en est devenu à son échelle, l’acteur, l’incarnation même. Il est le pouvoir.

Ce qui était ancré, latent, non dit, chez Iman apparaît dans sa brutalité primitive. Le pouvoir politico-religieux existe aussi par la participation de la multitudes de ses fidèles serviteurs masculins. Iman apparaît  comme tous ces hommes par qui le pouvoir prospère,  qui ont avantage à la domination des femmes.

La fin du film, dans le dédale du village abandonné de son enfance, est à la fois symbolique et optimiste, elle suggère que cette violence très ancienne finira par se retourner, mais ça c’est une autre histoire.

Georges

Quand Vient l’automne-François Ozon

Autorisez-moi quelques notes sibyllines sur ce bon film que je ne veux pas risquer de divulgâcher, mais qui parleront à ceux qui l’on vu.

Dans cette belle histoire de vie, celle de deux vieilles dames, chargée d’un passé un peu lourd, inutilement mais efficacement culpabilisant, et d’un présent porteur d’une belle et solide amitié (Hélène Vincent, Josiane Balasco), de générosité quotidienne et de petits bonheurs simples, surviennent des événements parfois cruels, involontairement cruels, telle cette fille (Ludivine Sagnier) qui a tant (et symboliquement) besoin d’argent, et parmi ces choses de la l’a vie, l’une interroge davantage encore…

Rencontrant des fidèles de l’Alticiné, elles me demandent, vous avez vu ce film d’Ozon, alors que je répondais oui, elles me demandent : Alors l’a-t-il fait ou non ?

Chacun peut y aller de sa supposition.

Mais s’il avait été reconnu qu’il l’avait fait, que serait-il advenu ? Nous connaissons la réponse, au lieu de quoi, nul ne sait, et la vie continue. C’est ainsi qu’un jeune homme en difficulté (le remarquable Pierre Lottin) nous apparait gentil, toujours prêt à rendre service, bien inséré dans la vie de son village… Ce que ne lui aurait été aucunement permis s’il avait été reconnu qu’il l’avait fait. Ozon s’attaque sans en avoir l’air, en toute simplicité, à l’un des piliers de notre société, si bien analysé par le philosophe Michel Foucault.

On s’amuse aussi des vicissitudes de la mémoire d’enfance, qui décidément est une invention utilitaire au jour le jour (on a la mémoire dont on a besoin ici et maintenant). On suit les évocations douloureuses et chargées de ressentiments de la fille… jusqu’à l’épisode des champignons et un peu au delà..Et vers la fin du film on jubile d’entendre Lucas, le petit fils (Paul Beaurepaire) dire qu’il a toujours aimé les champignons.

Si vous avez eu la patience de lire ces lignes, ce qui est méritoire, allez voir ce film modeste qui l’air de rien fait son oeuvre.

Georges

PS : 3/11, Maintenant que ce film est passé, je me sens un peu plus libre pour en parler, j’ai aimé dans ce film les différentes possibilités de lecture qu’il offrait aux spectateurs. Il y a des sortes de fourches (chiasmes?) dans le récit alors, vous prenez une route ou l’autre. Michelle ramasse des champignons, Marie-Claude lui fait remarquer qu’elle en a ramassé un qui n’était pas comestible, elle continue sa cueillette…Prépare ses champignons que seule sa fille aime, et empoisonne sa fille… qui en réchappe ! Volontaire ou involontaire ? le spectateur a le choix. S’il considère que l’acte est volontaire, il se dit que cette grand-mère veut son petit fils pour elle seule et ou que sa fille qui la juge mal et lui demande de l’argent sans cesse, lui est insupportable. Mais on peut aussi estimer que c’est un accident et continuer, d’ailleurs, c’est le plus probable. Mais survient une seconde fourche, Vincent (fils de Marie-Claude) se rend chez Valérie (la fille de Michelle), elle va sur le balcon, elle monte sur un tabouret pour prendre des cigarettes, cachées là… et elle tombe par la fenêtre. Là encore, le spectateur peut choisir, accident ou meurtre ! De sorte qu’il y a autant de film que de spectateurs, les A-B , les ni A ni B, les A et non B, les B et non A …et s’il y a meurtre, il n’est pas puni. Et ici, qu’il ne le soit pas rend la vie de tous, tellement plus belle…

À son image-Thierry de Peretti

Tous les amateurs du cinéma de Thierry de Peretti attendaient ce film, le voici, en ce moment même à l’ALTICINE, il est inspiré du roman éponyme de Jérome Ferrari, c’est une histoire à la fois fragmentaire et très construite, qui laisse le spectateur tisser ses propres liens.

Tous ceux qui ont vu la remarquable tragédie  « une vie violente » seront plus à l’aise avec cette histoire Corse fin de siècle, toile de fond de ce dernier film qui est avant tout une brève histoire de femme.

Nous sommes dans cette sanglante période Corse avec  ses revendications indépendantistes, ses combats contre le pouvoir central français, (I Francesi Fora) ces luttes intestines où se retrouvent et s’affrontent diverses tendances, où se mêlent fatalement, barbouzes et gangsters opportunistes divers. Pendant ce temps, en Europe, c’est la guerre  dans l’ex-Yougoslavie.

Bref, pour Antonia, il s’agit de vivre et devenir dans cet univers tourmenté et dangereux. Depuis toujours elle aimait la photographie, (enfant, son parrain, un prêtre lui avait offert un appareil photo), jeune femme, elle a eu la chance d’être embauchée  par Corse-Matin. Elle rencontre également Pascal son premier et unique amour. Or Pascal est un indépendantiste, et c’est souvent comme ça, il va largement  déterminer l’univers relationnel d’Antonia. Mais ce  Pascal est avant tout un activiste et une  belle partie de sa vie se passe en prison. Leur relation se distend, Antonia part pour Belgrade.

À son image, est  un film de mouvement et d’action,   mais c’est aussi une réflexion sur la violence, (De Peretti est un lecteur avisé de Léonardo Sciascia), sur l’image et ses limites*, et le plus important sur la vie d’Antonia 24 ans, jeune femme de son temps,  quelque part à Ajaccio, Corse, dans ces années là.

Georges

*À son image est un titre qui exprime divers signifiants.

Septembre sans Attendre de Jonas Trueba

Voici un film au sujet à la fois banal, une séparation et rare dans sa manière de la réaliser, rendu plus complexe par sa mise en abyme.

Rappelons le sujet, deux jeunes gens, Ale, réalisatrice et Alex comédien décident à brûle-pourpoint, d’un commun accord, sans raison précise, peut-être par usure affective, de se séparer au plus vite et de fêter leur séparation. Ce sera le 22 septembre du même mois. Ce sont bien des artistes, il veulent que ce soit original et festif..

…De se séparer pour, peut-être, « mieux se retrouver ».

Et nous assistons aux préparatifs de l’évènement, l’annonce aux amis et à la famille, la recherche d’un ailleurs pour chacun, aux préparatifs de la fête. Voilà un beau mélange salé sucré.

Le film est complexifié par sa mise en abyme, en effet, nous voyons Ale (réalisatrice) et son monteur travailler ensemble sur un film qui n’est autre que celui que nous sommes en train de voir. Ils découpent, réagencent, peaufinent, mettent en musique.

À certains moments encore, on ne sait plus vraiment si les acteurs jouent où s’ils jouent qu’ils jouent etc… Nous voyons simultanément un film qui nous parle de cinéma et un film qui nous raconte une histoire dont la banalité serait comme transfigurée par sa mise en œuvre.

Et comme tous les personnages sont sympathiques, de bonne composition, parfois déconcertants, on se laisse prendre dans le tournoiement des préparatifs.

Et je me souviens tout de même, presque au début du film, Ale disant à Alex : Une séparation, ce n’est pas comme un mariage, on n’est pas simultanément d’accord. Et de voir que très vite, c’est elle qui suscite le passage à l’acte. On ne saura jamais si c’est un don amoureux de sa part. On voit qu’ensuite, dans la mise en œuvre, il y a bien parfois des signes de malaise, ils re-fument, elle pleure, il se dévalorise, mais au total, « tout va bien », c’est comme s’ils dansaient ensemble.

Le message du film c’est celui des films hollywoodiens des années 30-40, se séparer pour mieux se retrouver dans une nouvelle relation. Et puisque dans tous les films de Jonas Trueba, il y a des personnages qui aiment les bons livres, qu’il convoque Stanley Cavell, Kierkergaard à l’appui de sa fiction, je ne résiste pas à citer largement la 4e de couverture d’un autre merveilleux livre d’ Eva Illouz : « Pourquoi l’amour fait mal » :

« Aimer quelqu’un qui ne veut pas s’engager, être déprimé après une séparation, revenir seul d’un rendez-vous galant, s’ennuyer avec celui ou celle qui nous faisait rêver, se disputer au quotidien : tout le monde a fait dans sa vie l’expérience de la souffrance amoureuse. Cette souffrance est trop souvent analysée dans des termes psychologiques qui font porter aux individus leur passé, leur famille, la responsabilité de leur misère amoureuse.

« Elle dresse le portrait de l’individu contemporain et de son rapport à l’amour, de son fantasme d’autonomie et d’épanouissement personnel, ainsi que des pathologies qui lui sont associées : incapacité à choisir, refus de s’engager, évaluation permanente de soi et du partenaire, psychologisation à l’extrême des rapports amoureux, tyrannie de l’industrie de la mode et de la beauté, marchandisation de la rencontre (Internet, sites de rencontre), etc. Tout cela dessine une économie émotionnelle et sexuelle propre à la modernité qui laisse l’individu désemparé, pris entre une hyperémotivité paralysante et un cadre social qui tend à standardiser, dépassionner et rationaliser les relations amoureuses ».

Alors je me dis que ce film sur l’art de se séparer, pour mieux se retrouver (ou non) est parfait côté Salle, peut être un peu moins net côté Cuisine !

Georges

L’Homme aux Mille Visages de Sonia Kronlund

Sonia Kronlund est venue tout spécialement avec Ciclic nous présenter son oeuvre hier soir, et en discuter avec nous, et c’était un beau débat. Souhaitons que le Blog des Cramés de la Bobine puisse être un espace de discussion pour le prolonger.

Mais je disais documentaire ? Oui et non, nous sommes dans cette forme mixte qui produit d’excellents films, autant fiction que documentaire et qui ne sont en même temps ni l’un ni l’autre. Quoi qu’il en soit, je me propose d’y ajouter mon grain de sel ou plutôt mes partis pris.

C’est l’histoire d’un séducteur, menteur, bel homme sans excès, qui séduit des femmes simultanément et jongle de l’une à l’autre, s’attribuant selon sa fantaisie et à l’intention de chacune d’elles, un métier, un revenu, une histoire familiale et une histoire de vie. Il y a certainement une structure commune (un peu stéréotypée) entre tous ses récits fabulatoires, on y retrouve la catégorie sociale supérieure et cultivée, la richesse familiale, l’ami fantasmatique qu’il faut aider, l’héroïsme… Néanmoins les récits sont adaptés, variant selon sa fantaisie et selon l’interlocutrice. Et jamais, il ne confond d’une fabulation à l’autre et donc d’une femme à l’autre. Chacune de ces femmes dispose alors d’un personnage sur mesure, qui comme une figurine de Lego peut recevoir différents accoutrements.

Il est aussi comme le dit la réalisatrice, un hypermnésique, doué pour les langues, d’une intelligence supérieure. En tous les cas, il a le sens des combinaisons, il s’invente des aventures et il les fait gober, il se trouve facilement de bons motifs pour s’absenter et ainsi passer d’une femme à l’autre et  pour faire de la cavalerie : empruntant à l’une pour donner à l’autre, ad libitum.

Le documentaire, cherche à identifier les parcours de cet homme, (qu’on suspecte serial séducteur) puis identifier et rencontrer ses femmes du moment. Les actrices, qui jouent leur rôle, racontent leurs histoires de femmes leurrées. Je regrette de ne pas avoir posé la question à la réalisatrice, je me demande si les propos tenus par ses actrices étaient du mot pour mot. Et c’est là la limite de l’exercice, car tout cela, avec un peu de recul me semble assez remanié, reconstruit. A l’image du témoignage des voisins parisiens sur cet homme qui se prétendait alors médecin, intervenant lors de l’attentat du Bataclan que je trouve tellement bien dit, par le choix des termes, la tonalité, les émotions et la distanciation, qu’il me semble factice. (Mais peut-être que je me trompe, vous voudrez bien alors m’en excuser).

Mais venons-en aux faits, on nous montre un prédateur, sorte de Don Juan aux capacités sexuelles mitigées, (selon les unes ou les autres), avec son système de séduction et ses « proies ». Mais qu’en est-il des « proies » ? Ce sont des femmes dans leur diversité, de statut social (quoi que…)

Je constatais que le personnage* savait parfaitement et très rapidement se placer dans le désir de l’autre. Il a le sens de la chose, comme un chasseur en effet ! On observe sa capacité à saisir rapidement les manques, et fantasmes, plus ordinairement les attentes intimes de ses victimes. Ce personnage* donc arrive à point nommé pour combler un manque. Cet homme est défini comme n’étant rien par lui-même, si ce n’est le complément d’un manque de ces femmes. Comme l’indique une de ces femmes, psychologues de son état : « j’avais envie de ne rien voir ». Vouloir ne rien voir ne vient pas de rien, il n’y a pas une génération spontanée d’ auto-aveuglement.

Regardons la chose par son contraire, on voit « l’oeuvre » de cet homme concernant une demi douzaine de ses victimes. Que représentent-elles en proportion de toutes ses tentatives de séduction ? Bien sûr, on ne pourra jamais le savoir, d’ailleurs ce n’est pas la fonction du film que d’investiguer sur celles qui marchent et celles probablement plus nombreuses qui ne marchent pas. Car l’un des présupposés c’est : n’importe qui d’entre nous, y compris des CSP+, voyez ! (Ajoutons que l’une de ces femmes dit avoir vécu deux autres expériences du même type.)

Il me semble, toutes proportions gardées, que la réalisatrice assimile un peu l’histoire de ces femmes victimes à celle du Bataclan qui ouvre son récit. Là la mitraillette tue indifféremment ; les vivants et les morts le sont par hasard. Ici pourtant,  ce n’est pas le hasard d’une mauvaise rencontre qui distingue et unit ces femmes, c’est le fait d’avoir été prête à accueillir ce personnage* et son jeu. Mais, ce film en se centrant sur l’homme actif et prédateur, versus des femmes passives et victimes, et en tenant pour inexistantes toutes possibilités de rapprochement psychologique entre ses femmes, en n’investiguant pas sur les raisons pour lesquelles cet homme vient s’inscrire dans leur vie, la parasiter si rapidement, facilement et si durablement, en ne leur voyant de commun que le fait d’être victimes, me donne l’impression de n’avoir vu que la moitié du sujet. En somme, une sorte de Me too qui  serait également mi-tout !

Pour revenir à mon introduction et finir, la forme docu-fiction est une commodité, mais ici, comme souvent, la part de la fiction et celle du documentaire restent à définir, y compris dans ses présupposés !

Georges

Personnage* : on se rappelle que persona signifie masque