
Harvest est un film germano-américano-britannique réalisé par Athina Rachel Tsangari, réalisatrice et productrice, sorti en 2024. C’est l’adaptation du roman de Jim Crace paru en 2013. Il a été présenté en compétition à la Mostra de Venise 2024. Il commence par un homme qui se baigne et dont on voit alternativement remonter les fesses à la surface de l’eau d’un beau lac. C’est Walter, (Caleb Landry Jones) et c’est à travers ses yeux que nous verrons l’histoire, c’est un garçon roux, un peu marginal, pour l’instant, il nage, plonge et nage…
Plan suivant, on voit une grange qui brûle et les villageois qui s’affairent à l’éteindre, plan suivant, trois personnes chasseuses munies d’arcs sont cernées par les villageois, elles risquent d’être lynchées…Elles se rendent, et après avoir été rouées de coups, se retrouvent pour les deux hommes au carcan et pour la femme tondue publiquement, puis relâchée…Ces trois pauvres hères ne sont pas tout à fait d’ici, ils sont aux marges du village. Pour la circonstance, ils vont y être menés, car à part eux , qui peut brûler une grange ? Mais pour l’instant, le carcan est sur la place du marché, et nous assistons à ce qu’il faut bien appeler une réaction de populace.
Ce film très beau, d’esprit moyenâgeux ne s’y situe pourtant pas , l’époque est indéterminée. (Pour ma part je le situe au 17ème siècle). Le chef du village Charles Kent (Harry Melling), est un brave homme un peu falot, dont l’ami d’enfance, le seul, est Walter « le nageur », fils de sa nourrice. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes féodal, la foi, l’obéissance de principe à Dieu et au Seigneur du cru, la loi sommaire du lieu, les fêtes, les moissons, des riches qui ne sont pas très riches, et les pauvres, pauvres. Le paysage c’est celui de l’Ecosse, vallonné, bois et collines, rivières, et champs, fruitiers, haies. On y vit paisible, à condition d’être d’ici et pas d’ailleurs. Le lieu ressemble à un tableau de Bruegel , ou Jérôme Bosch, peut-être. Et c’est curieux, arrive un quidam, un géomètre qui bientôt dessine les lieux avec précision et les nomme quand il ne le sont pas, c’est le cartographe, une sorte d’obligé de Kent. Le décor est planté si l’on peut dire, le quidam et l’incendie, les candidats au gibet sont les précurseurs de l’histoire.
Ainsi nous entrons dans sa seconde partie avec l’annonce puis l’arrivée de Jordan, le cousin ( Franck Dillane) , et sa troupe. C’est un homme de décision, brutal, autoritaire, l’exact contraire de son cousin en somme. (A ses troupes sans doute appartient l’incendie de la grange). Un homme de projet, de progrès, et s’il est d’accord sur les punitions qui s’exposent sur la place du marché, il les trouve trop clémentes, lui préférant le gibet…c’est juste par efficacité. Et si ses troupes, fouillent les maisons, volent, violent, elles ne font que mettre un peu d’ordre dans une population qui de toutes les façons n’est pas à sa place ici, dans un pays qui n’est pas ce qu’il devrait être. Les paysages après tout ne sont rien d’autre que l’expression des besoins de l’homme et du développement.
Je n’hésite pas à livrer ici le contexte même du film en citant longuement Wikipédia : « Le mouvement des enclosures comprend les changements qui, dès le XIIe siècle et surtout de la fin du XVIe siècle jusqu’au XVIIe siècle, ont transformé, dans certaines régions de l’Angleterre, l’agriculture traditionnelle, qui se faisait jusqu’alors dans le cadre d’un système de coopération et de communauté d’administration de terres appartenant à un seigneur local (openfield, généralement des champs de superficie importante, sans délimitation physique).
Cela a abouti à réserver l’usage de ces terres seigneuriales à quelques personnes choisies par le propriétaire, chaque champ étant désormais séparé du champ voisin par une barrière, voire une haie comme dans un bocage.
Les enclosures, décidées par une série de lois du Parlement, les Inclosure Acts, marquent la fin des droits d’usage, en particulier des communaux, dont un bon nombre de paysans dépendaient. »
C’est de cela dont il est question, ce sujet historique et économique, que Karl Marx a analysé et David Thoreau critiqué dans Walden… Mais Harvest s’il montre la dépossession et la paupérisation, nous parle aussi du rapport des pauvres entre eux avec leurs boucs émissaires dérisoires, puis avec l’arrivée du cousin, du rapport aux femmes (des sorcières).
Mais c’est d’abord l’histoire d’une colonisation intérieure dont il est question, il faut insister sur ce point, avec sa violence, son « there is no alternative » et l’expulsion en masse des habitants qui en résulte. Ce film nous montre en germe, un capitalisme qui déjà, fait flèche de tout bois. Et c’est pathétique de voir ces gens du cru, qui ont érigé l’étranger en bouc émissaire, devenir à leur tour, être définis comme étrangers à leurs propres terre. Pourront-ils comprendre qu’on a exploité leurs passions tristes pour mieux les asservir ?
Témoins et peut-être narrateur Walter, ce marginal à qui il appartient de voir et de témoigner. Ce Walter, c’est peut-être un peu la cinéaste qui nous parle d’aujourd’hui.
Mon regret, seulement 27 spectateurs pour ce très beau film, alors que dans la salle d’à côté, « la montée des marches » du festival de Cannes…Il faut plutôt nous féliciter des spectateurs qui sont venus.
Georges
