
Je n’ai pas lu ce roman de S.Chalandon qui inspire ce film, mais j’ai vu le film, et c’est peu dire, comme chacun dans la salle, le sentiment mitigé qu’il m’a inspiré, et comme chacun, je suis demeuré dans le silence de mes pensées un peu sidérées, il faut bien le dire. Pour ceux qui ne l’ont pas vu, voici le bref synopsis :
« Liban, 1982. Pour respecter la promesse faite à un vieil ami, Georges se rend à Beyrouth pour un projet aussi utopique que risqué : mettre en scène « Antigone », afin de voler un moment de paix au cœur d’un conflit fratricide ».Et bien sûr, lisons l’article de Pierre, juste avant celui-ci , qui situe le film dans ses différents aspects.
Le « quatrième mur » par certains côtés, se présente comme une série de mise en abîme : faire du théâtre sur un théâtre de guerre, avec des acteurs qui jouent les acteurs qui préparent Antigone…..Et jusqu’au scénario qui conduit inéluctablement le personnage principal vers l’abîme. Notons le plus important, ce théâtre de guerre d’hier l’est de nouveau en ce moment même…
Donc l’action se situe au Liban, elle est figurée à quelques jours et quelques pas des anciens camps de réfugiés de Sabra et Chatila, de triste mémoire.
« le quatrième mur » repose essentiellement sur le personnage de Georges (Laurent Lafitte ) qui est de presque tous les plans. Pour l’essentiel, le début du film ne présente pas de réelles surprises, il illustre les difficultés de constituer une équipe d’acteurs dont les peuples d’appartenance se sont constitués en clans hermétiques et belligérants. Et la guerre rode, nous voyons donc les difficultés à travailler sous les explosions, les coupures de courant, les chekpoints partout…
Tout cela mime un documentaire, les scènes sont tournées en décor réel, dans les décombres de Beyrouth, cette ville martyr.
Remarquons que l’idée de cette pièce de théâtre mise en scène avec des acteurs de différentes nationalités et religions : palestiniens, arméniens, libanais, druze, chrétiens, musulmans, juifs, etc, n’est pas sans rappeler le West-Eastern Divan Orchestra, composé de jeunes musiciens arabes et israéliens – orchestre fondé et dirigé par Daniel Barenboim .
Ici, c’est d’un projet insensé dont il est question, pensez, une pièce de théâtre qui fait fi de la guerre…qui veut, quelle utopie, s’introduire dans un quasi champ de bataille, comme si la culture était toute puissante et forcément pacificatrice…
Mais ce film ne s’arrête pas là, bientôt apparaissent les fusées éclairantes à la fois prélude et outil de l’extermination des réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, plus tard, nous y entrerons en suivant Georges, nous marcherons parmi les morts, hommes, femmes et on le suppose, les enfants. Le film ne fait pas de politique et pas d’histoire, il ne cherche pas à connaître le pourquoi, ni le comment, il montre le résultat d’un massacre…
En final, après avoir renoncé d’un coup de pistolet à son idéal de vie, Georges qui vient de perdre Marwan (Simon Abkarian) son fixeur, qui vient de voir son actrice et amante, Imane (Manal Issa) violée et égorgée devra payer de sa vie ruinée le prix de son engagement, le film se clos sur Georges qui se rend à pied à son propre enterrement.
Mais « Le quatrième mur » c’est maintenant ! Ce n’est pas une fiction, chaque jour nous livre son lot de bombardements et de morts. Et on le sait, on le vérifie, s’il faut des quantités insensés, presque délirante de projectiles pour tuer un seul combattant, presque rien tue beaucoup de civils. Toutes les guerres le démontrent, et si par détournement du langage, on appelle cela pudiquement « effet collatéral » c’est de l’effet premier dont il est réellement question, et il s’appelle également crime de guerre. Les guerres d’aujourd’hui sont plus encore qu’hier tournées contre les populations civiles.
Pour nous spectateurs qui sommes déjà dans un moment de notre histoire, où les peuples, « dans leur grande sagesse » ont confié la marche du monde à des psychopathes, nous ne voyons pas seulement une fiction. La fiction est quelquefois un détour pour accepter de se confronter rétrospectivement à une réalité trop dure, mais ici, fiction et réel se conjuguent au présent. Alors, on peut se demander ce que le film veut signifier, ce qu’il apporte ? Imaginons que Georges et son équipe aient réussi leur projet, qu’en aurait-on pu espérer ? Une performance et un message ? Un message brouillé.