Les habitants

Raymond Depardon

Présenté par Georges Joniaux
Film français (avril 2016, 1h24)

Synopsis : Raymond Depardon part à la rencontre des Français pour les écouter parler. De Charleville-Mézières à Nice, de Sète à Cherbourg, il invite des gens rencontrés dans la rue à poursuivre leur conversation devant nous, sans contraintes en toute liberté.

Digression sur Les Habitants.

Raymond Depardon est un cinéaste qui décrit volontiers son travail avec les termes d’un artisan. Ce qu’il nous en dit manifeste autant le souci de ce qu’il donne à voir, la manière de le montrer, que du public. Il y autre chose que je trouve frappant et que je souhaite rappeler : Raymond Depardon s’exprime avec lenteur, comme un paysan, chaque mot est pesé. Mais c’est aussi un intellectuel de notre temps, c’est à dire à la fois un témoin, un homme de réflexion et d’action ; quelqu’un qui intervient dans le réel par le fait même qu’il l’observe, qu’il sait débusquer et nous montrer ce que nous nous négligeons de voir.

J’ai d’abord pensé que j’étais simplement séduit, que c’était le choix de ses sujets de documentaires dans lequel l’Homme dans son quotidien tient une large place qui m’incitait à l’éloge. Mais ce n’est pas seulement cela. Lorsque Raymond Depardon filme un sujet qu’il n’a pas choisi, ce qu’il produit procure cette même impression de rigueur et de justesse.

Prenons par exemple son documentaire sur Ian Palach en 1969. Il est bref, dense, beau, tendu, tout est rendu, et surtout, rien du sens de la cérémonie ne nous échappe. Presque 50 ans après, ce film demeure saisissant et bouleversant. Donc il y a autre chose, cette autre chose c’est l’art – l’élégance et la fulgurance de l’art –

En dépit du temps, tout ce qu’il produit continue de s’imposer à nous, de s’actualiser, car nous sommes en présence d’une œuvre. J’enfonce une porte ouverte, mais c’est encore ce qui me vient à l’esprit lorsque je regarde son dernier film, Les Habitants.

Lorsqu’il filme la ville et ses habitants en général, il montre la turbulence, le chaos sous l’ordre apparent. Lui qui a choisi de s’exprimer lentement et qui aime la durée nous montre la vitesse des mots et des actes dans la vie, leur accélération vertigineuse.

Rappelons nous Urgences, Délit flagrant, 10ème chambre, et d’autres. Les bouleversements et leur ordonnancement.  Les Habitants appartient à ces films. Comme eux, il prend le public à rebrousse poil, le déconcerte. Je parie pourtant que ce film occupera une place importante dans l’œuvre de Raymond Depardon et je vais tenter de dire pourquoi.

Il nous dit en somme, qu’en dépit de notre imaginaire, de nos « idées écrans », le réel ne se congédie pas comme ça ; il fait intrusion dans notre vie, déborde notre idéal, le bouscule. Ici le réel c’est « les autres ». Ça ne nous plait pas toujours plus que ça ! On ne sait rien d’eux, alors on peut se construire un hors champ assez condescendant. Les habitants qu’il nous montre, ce sont « ces autres ». On n’était pas gêné avec « les paysans » : ils concernent nos vacances… Mais là, « les autres »  sont dans la rue, celle où l’on marche. Alors on se demande s’ils sont représentatifs, comme s’ils étaient tous contenus dans un grand sac, « les autres ». Mais les autres existent singulièrement et ne se laissent pas enfermer dans notre imaginaire. Ils sont « les habitants » et nous voyons, nous entendons de quoi leur quotidien est fait : il y a d’abord l’amitié qui unit deux personnes qui se parlent, s’écoutent et se regardent ; puis il y a les sujets qui les occupent, la famille, l’amour, la misère féminine, le machisme ordinaire, la difficulté à joindre les deux bouts, la précarité, la solitude,  la séparation et les orgueils blessés. On nous donne aussi à voir à quel prix parfois les habitants conservent leur prestance ou s’auto-illusionnent. Leur élan vital est aussi un élan sentimental. Ces habitants nous tendent un miroir dans lequel nous ne voulons pas nous regarder. Pourtant ils sont au même titre que nous les habitants, d’abord parce qu’ils s’habitent eux-mêmes, ensuite parce qu’ils habitent quelque part dans une de ces villes de France, quelque part où la vie les a menés parce qu’ils sont dans un système social que nous partageons tous, de manière très diverse. Ils sont dans leur altérité les porteurs des tensions et des espoirs d’aujourd’hui. Si Depardon nous avait montré 25 autres couples, nous aurions les mêmes résultats, car les préoccupations des habitants sont universelles, et leurs joies, petits bonheurs, frustrations, peines et illusions sont les nôtres. Depardon nous dit de quoi nous sommes faits. Georges

Les ogres

 

Film français (mars 2016,2h24) de Léa Fehner avec Adèle Haenel, Marc Barbé et François Fehner

Présenté par Marie-Annick Laperle

Article de Georges

Voyant ce film, on peut penser un instant à Enivrez-vous de Baudelaire :

« Il faut être toujours ivre, tout est là, c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! ».

…Mais ça ne va pas tout à fait, tant ce film est foisonnant.

Nous étions prévenus, ce film s’appelle les ogres, et si les ogres s’enivrent, ils ont aussi toujours faim nous rappelle Marie-Annick dès sa présentation.

…Et on pourrait dire que les ogres sont d’abord Léa Fehner et son équipe, tous ceux qui ont contribué à créer ce film, avec son rythme, ses couleurs rutilantes, ses mouvements tournoyants, le contraste des plans, les costumes, les accessoires, la musique …

Cependant et presque paradoxalement, ce film est très équilibré et maitrisé dans la répartition des modes majeurs et mineurs, dans la distribution des rôles, dans le contraste de plans. Pour les rôles, on remarque aussi cet équilibre féminin, masculin, jeunes, vieux.

La réalisatrice et son équipe ont réalisé un film de l’excès et de la déraison, hors norme et superbe.

Quant aux scènes, elles sont un tissu de passages à l’acte débridés. C’est un film dont on pourrait dire qu’il relève d’un état maniaque collectif au sens clinique du terme, où prédominent l’excitation, l’euphorie, l’irritabilité et la colère, la perte de la pudeur, la fuite du temps. Cette troupe nous montre qu’elle n’hésite pas à se battre, à injurier, à mimer la vente d’une femme aux enchères, à passer d’un partenaire sexuel à l’autre, à donner des « cours de sodomie » aux enfants…

Et tout autant, il y a l’état d’âme profond de cette troupe, qu’on voit traversée de mille sentiments contradictoires, ou dominent la précarité, le doute, la tristesse, l’inquiétude, l’angoisse de ces gens qui vivent chaque jour au jour le jour et sont contraints à l’action et au mouvement.

Mais c’est Marc Barbé, Monsieur Deloyal qui apparaît le plus emblématique de l’expérience maniaco-dépressive de cette troupe. Personnage erratique, il porte le deuil de son enfant mort à 13 ans d’une Leucémie aigue lymphoblastique et la culpabilité qui va avec, il en accuse le « chef » qui est aussi probablement son meilleur et son seul ami et il n’arrive pas à être père de nouveau alors que sa compagne enceinte va mettre au monde un petit garçon. Il se bourre d’antidépresseurs et de tranquillisants. Il n’est jamais vraiment là où il est, va d’abattement en passage à l’acte, jusqu’à cette scène touchante de retrouvailles avec son ex-épouse, tous deux broyés par l’événement, comme une demande d’autorisation de reconstruire quelque chose, d’être père de nouveau, avec une autre femme.

Au total, ce film nous montre un groupe d’artistes, où le groupe est le réceptacle de tout, où l’intime et « l’extime » (comme disait Michel Tournier) se confondent. Où des personnages solidaires et pourtant solitaires, portent le masque de la comédie lorsqu’ils vivent une tragédie et inversement.

Ce film  est aussi une sorte un pied de nez à la dépression, à la précarité des choses, aux amours qui fichent le camp, au temps qui passe, aux drôles de gueules qu’ont peut avoir parfois, et à la mort qui rode, mais pas n’importe comment, comme dans un poème saturnien.

Georges

L’AVENIR

L’AVENIR
Ours d’Argent du Meilleur réalisateur
Film français (avril 2016,1h40) de Mia Hansen-Løve avec Isabelle Huppert, André Marcon, Roman Kolinka, Edith Scob, Elise Lhomeau et Sarah Le Picard

Quelques mots sur Mia Hansen Love, elle a 35 ans, elle doit son nom à un grand père Danois, et étrangement dit-elle, son prénom à sa mère, impressionnée par Mia Farrow dans Rosemary Baby.

Sa carrière commence comme actrice dans deux petits rôles dans les films d’Olivier Assayas :

-1998 Fin Août, début septembre, elle a un petit rôle, elle faisait du théâtre au Lycée, elle aurait été recrutée lors d’un casting sauvage.

-2000 destinées sentimentales, elle interprète le rôle de la fille d’Isabelle Huppert.

 Ces deux films ont aussi été pour elle l’occasion de jouer avec André Marcon.

 -2001 elle entre au conservatoire d’art dramatique, 2003, 2005, elle fait des critiques pour les cahiers du Cinéma et elle réalise 2 courts métrages : Après mûre réflexion et offre spéciale. 

Ensuite viennent 5 longs métrages, chaque fois elle est réalisatrice et scénariste de ses films.Ce sont des films très personnels, qui dialoguent entre eux. Ils transposent des choses de sa vie que transfigure le jeu de ses acteurs.

4 des films de l’œuvre de Mia Hansen Love concernent la perte et le deuil amoureux.

Et tous ses films sont une recherche sur la pensée, la vérité, la parole, l’effet du temps. (Comme en témoignent ses interviews) En ce sens,  au plan littéraire, elle est proche de Proust et de Modiano par exemple)

Dans son univers cinématographique, il y a Eric Rohmer auquel sa mère l’a initiée toute jeune. (Avec Rohmer,  la parole est un acte en soi la pensée en train de s’élaborer devient quelque chose de presque tangible).Tout comme chez Rohmer, il y a quelque chose de performatif  dans la parole des personnages de Mia Hansen Love. Ajoutons  Robert Bresson, François Truffaut, Philippe Garrel et Olivier Assayas qui est l’homme avec qui elle vit et dont elle a un enfant.

-En 2006 avec son premier long métrage, TOUT EST PARDONNE   a obtenu le prix Louis Delluc du 1er film, c’est un film touchant qui parle des retrouvailles entre un père, un temps « addict », et sa fille.

On remarque que ce premier film est dédié à Humbert Balsan un producteur qui compte pour elle.

 -En 2009 elle réalise LE PERE DE MES ENFANTS

Qui s’inspire de la vie d’Humbert Balsan, acteur et producteur, un homme qui prenait tous les risques pour produire… par amour des films et de ceux qui les font, et qui a fini par se pendre mettant ainsi fin à sa vie et… à ses difficultés.

 -En 2011, UN AMOUR DE JEUNESSE,Retrace les affres, la douleur d’un chagrin d’amour de jeunesse… dont en fait, elle est sortie gagnante, par le cinéma

-En 2014, EDEN, film qui s’inspire du parcours musical (musique électronique) de son grand frère.

-Quant à L’AVENIR, en voici le Pitch :

Nathalie est professeur de philosophie, elle aime par-dessus tout transmettre son goût de la pensée. Mariée, deux enfants, elle partage sa vie entre sa famille, ses anciens élèves et sa mère, très possessive. Un jour, son mari lui annonce qu’il part vivre avec une autre femme…

M.H.L connaît bien cette situation, ses parents sont philosophes et tous deux séparés. Mais son film est bien autre chose que ça. Il y a le scénario déjà complexe est sublimé par la subtilité du jeu  d’Isabelle Huppert qui incarne le rôle d’une manière qui lui appartient. (et qu’on aime!)

Les actrices et acteurs, une de sa constellation affective et artistique. 

Et, dans le casting, il y a une constante, elle dit : « Pour moi, le choix des comédiens, est une chose absolument capitale, et je ne pourrais pas choisir des acteurs – et c’est vrai du rôle principal jusqu’au plus petit rôle, pour lesquels je n’ai pas un désir, même un amour authentique. »

Faisons l’hypothèse que  l’avenir,  Mia Hansen Love, peut être vu comme un prolongement d’un amour de jeunesse, elle a certainement eu le désir de montrer ce que peut être une rupture à l’autre bout d’une vie.

Pour cela Isabelle Huppert est la bonne personne, non seulement parce que Mia Hansen Love connaît et aime cette actrice, que cette actrice joue avec d’autres qu’elle connait bien,  mais aussi probablement parce qu’elle a joué, au début de sa vie d’actrice, Pomme dans la Dentelière, une histoire de rupture amoureuse destructrice. (Or dans l’Avenir à la soixantaine, Nathalie, l’héroïne n’est pas détruite au contraire, elle devient libre.

Dans le même genre de spéculation, on peut se risquer à parler de la musique du film :

La musique de Schubert qu’on entend à plusieurs reprises, dont en Bretagne « « Auf dem Wasser zu singen » qui signifie quelque chose comme « chanter sur l’eau » est une métaphore sur l’eau et le temps qui passe. Cette chanson est en rapport avec la dernière chanson Unchained Melody. La première est interprétée par Dietrich Fischer-Dieskau. Ce choix doit aussi être en rapport avec Helena Fischer Dieskau, la petite fille pianiste qui joue dans le film « tout est pardonné ».

De même Unchained Melody écrite en 1955, il y a aussi une métaphore sur l’eau. « Toutes les rivières solitaires s’écoulent vers la mer, les grands bras solitaires de la mer ».

Le film Unchained pour laquelle a été composée cette belle mélodie est un film de 1955, année de naissance d’O.Assayas, mais là, je sur-interprète certainement.

On sera certainement frappé par la dimension spirituelle et le travail d’agencement des films   de Mia Hansen Love.

The assassin

THE ASSASSIN
Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2015
Soirée-débat mardi 3 à 20h30
 

 Présenté par Jean-Louis Rocca sinologue

FilmTaïwanais (vo, mars 2016,1h45) de Hou Hsiao-Hsien avec Shu Qi, Chang Chen et Yun Zhou

Bavardage du mercredi  :

Salle comble pour ce film  somptueux et curieux,  à la fois lent et fulgurant   dont la revue  7ème obsession de février mars, fait l’éloge dans un  article   « apprendre à devenir soi même »,  de Xavier Leherpeur.

Il  nous met vertement en garde avant de regarder ce film :

« …Ce n’est pas attendre qu’il soit ce que nous lui demandons d’être. mais au contraire, qu’il nous arrache à nos certitudes, à notre confort de spectateur repu de facilités. Non, le scénario de The assassin n’est pas confus. Bien au contraire » .

Cette considération n’est heureusement pas sa meilleure pour défendre un film dont au demeurant il  parle très bien. Et nous lui conseillerions bien volontiers de venir aux cramés pour vérifier si les spectateurs sont repus de facilités…

Ce que nous avons aimé chez Jean-Louis Rocca en plus de sa science, c’est qu’il dit  le contraire de cette mise en garde, il nous met à l’aise, nous dit que lui même n’a pas tout compris et que ce n’est pas bien grave.

A ce propos, pendant que nous prenions un verre, je discutais  avec Georges B,  et je lui demandais : A ton avis,  qui est cette femme au masque d’or avec qui combattait  l’assassin ? il me répond tout de go* (1): l’épouse du roi… femme aimante et jalouse ».

Merci Georges B de tes lumières, les cramés de la bobine c’est aussi ça, le bonheur de pouvoir se mettre à plusieurs pour s’expliquer un film.

G

 

*(1) Je ne vais pas me priver de cette facilité.

Nb : Dans la 7ème obsession, on peut lire aussi  « le combat intérieur » une interview de Hou Hsiao Hsien lui même.

 

Vierge sous Serment (1)

Les Vierges Jurées :

Signalons 3 sites internet très éclairants sur cette question. Il semble que la première référence ait largement été utilisée par certains critiques du film.

-Laurence Herault 2009 -Les vierges jurées en Albanie-https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00438673/document

-Les dernières « vierges jurées » d’Albanie – Vidéo Ina.fr

Jill Peters www.jillpetersphotography.com

Jacqueline Derens*(1) nous conseille une lecture  :

-L’étude anthropologique d’Antonia Young traduite par Jacqueline Derens qui vient d’être publiée aux editions Non Lieu complétée par une introduction de Nicle Pellegrin et le reportage de Jacqueline Derens  sur celles qu’elle a rencontrées en Albanie en 2007.

…Et aussi le roman qui a librement  inspiré le  scénario  :

-Evira Donès : Vergine giurata, Milano : Feltrinelli, 2007

 

Nb :*(1)  Signalons mais c’est un autre sujet,  que parmi les ouvrages  de Jacqueline Derens il existe aussi : Dulcie September Le Cap 1935-Paris 1988. Une vie pour la liberté ? de Jacqueline Dérens co-édition Arcueil Non lieu.

L’armée des ombres

L’ARMÉE DES OMBRES
Semaine du 21 au 26 avril 2016
Soirée-débat dimanche 24 à 20h30

Présenté par Jean-Loup Ballay
Film français (1969, 2h20) de Jean-Pierre Melville avec Lino Ventura, Simone Signoret, Paul Crauchet, Jean-Pierre Cassel, Nathalie Delon, Paul Meurisse et Serge Reggiani

Peu de monde pour ce film Ciné-Culte déjà bien diffusé à la télévision et connu du public. Comme le remarque Claude, c’est tout autre chose de le voir au cinéma. C’est pour ma part la quatrième fois que je vois ce film, je ne me rappelais même pas qu’il était en couleur. Jean-Loup assure qu’on est mieux placé pour apprécier ce film lorsqu’on l’a vu à sa sortie en 1969. Sans connaître ses raisons, j’ai tendance à l’approuver, en 1969, nombre spectateurs dans les salles de cinéma avaient connu la guerre. Le spectateur de 2016 est un autre, il n’a plus la même préparation pour recevoir ce film. Nous n’avons plus le même imaginaire collectif.

Or, voici un film sur la résistance qui ne montre rien de l’action de résistance à proprement parler. Il nous fait ressentir dès la première image le climat d’oppression puis celui de la résistance. Il y transpire la méfiance et l’inquiétude, la mort guette à chaque instant. …Les corbeaux, les nazis, la milice, les forces de l’ordre, les espions… Il nous montre aussi l’esprit de résistance où seule l’abnégation est estimable. Il décrit une organisation interne, pyramidale, cloisonnée, avec un mode de communication prudent, un système de décision souvent binaire, dicté par les seules nécessités de survivre en tant que mouvement de Résistance.

Ajoutons à cette tonalité angoissante, la tonalité des rapports humains altiers, aristocratiques des chefs de guerre avec leur base. Nous ne connaissons plus ces codes de domination vieille France –Il y en a d’autres désormais– La vision élitaire de Melville concernant les chefs de la Résistance est confortée par sa direction d’acteurs.

Tonalité angoissante, tonalité autoritaire, ce film est sorti en salle en novembre 1969, donc après mai 1968. En avril 1969, Charles de Gaule cesse d’exercer ses fonctions de Président de la République et si parmi les ombres de « l’armée des ombres » plane celle du Général et du monde d’hier, c’est aussi qu’elle plane dans l’esprit de Jean-Pierre Melville au moment où il réalise son film.

Georges

Les premiers, les Derniers, de Bouli Lanners

 

Les premiers, les derniers,  décors et paysages.

Dès les premières images, on est saisi par ce paysage de rase campagne, de « morne plaine » qui semble imaginaire. Pourtant, nous sommes bien dans le Loiret près d’Orléans. On aperçoit ce paysage de la départementale 2020, vers Saran et Artenay puis au delà de l’A19. On voit d’abord des rails en béton sur pilotis de l’aérotrain qui parcourt insolite sur plus de 20 km, plaines et bois. « C’est l’invention de l’ingénieur Jean Bertin  Polytechnicien qui, de 1963 à 1974, qui s’est consacré à la conception et aux essais de l’Aérotrain projet d’abord soutenu par les pouvoirs publics mais qui est finalement abandonné par l’État le 17 juillet 1974, il aurait dû relier Paris à Orléans en moins de vingt minutes, contre une heure aujourd’hui encore ».

C’est la Beauce pouilleuse que parcourt cette voie de béton, elle est ainsi nommée parce qu’elle est calcaire et sèche. Voici un florilège des termes des critiques pour exprimer le paysage de ce film : « Ruralité froide, un territoire monotone, la Beauce plate et gelée, une étendue vaste et glacée, un grand ciel où se déploie un horizon sans fin, des plans vides à perte de vue, infinis, Un monde à l’agonie, balayé de vents glaciaux…et à la verticale, des entrepôts et pavillons usés, silos à grain et gares céréalières, abandonnés ».

Ajoutons, que paradoxalement, lorsqu’on a vu chemin faisant, l’urbanisation des bords de la départementale 2020 entre Saran et Artenay, on éprouve un réel réconfort en apercevant ce décor de fin du monde !

C’est d’une manière fortuite que Bouli Lanners a découvert le lieu du tournage. Il nous dit qu’à l’occasion d’un voyage à Toulouse, par peur phobique de monter en avion, il a pris le train et aperçu ce rail. Après repérage, c’est décidé, il y fera son film et le paysage va dicter le scénario. Il sera vite écrit. Mais pourquoi ce paysage plutôt qu’un autre ?

Bouli Lanners est belge et il aime la Belgique, celle Jacques Brel. Mais cette Belgique de Brel, du plat pays, n’existe plus. « Plus de plaines sans ronds-points. Partout…des ronds points. » nous dit-il.

Or, Bouli Lanners est peintre de formation, ses préférences vont à la peinture flamande, pas difficile d’imaginer que Bosch et Bruegel doivent compter pour lui. Tous deux témoignent de l’attente apocalyptique. Hieronymus Bosch avec Le jugement dernier ou de Pieter Bruegel  avec Le triomphe de la mort. Tout autant, il aime Constable le peintre Anglais, pour ses paysages, ses horizons. Donc il compose les paysages qu’il filme comme on peindrait des tableaux, avec des lignes d’horizon basses, (encore que pour ce que j’ai observé, la ligne d’horizon est souvent à 50% de l’image),  et il parle des couleurs comme un peintre de sa palette :   bleu, brun, terre de sienne, et du bleu outre-mer… … et pour la verticalité il utilise des silos, gares, et hangars désaffectés. La désolation des lieux donne une idée de fin du monde.

Bouli Lanners aime aussi les Westerns, avant de tourner Les premiers, les derniers, il a revu une centaine de westerns, son gout remonte à l’enfance, il est sans exclusive, il en connaît les genres, les codes, les décors. C’est la forme de cinéma qui a nourri son enfance, il prétend connaître le Montana sans y être jamais allé. On a tendance à le croire. Comme réalisateur, il a plaisir à filmer des plans extérieurs infinis et des intérieurs de western, bistrot aménagé comme un saloon, maison de Clara ressemblant à un Ranch.

Sa préférence pour les grandes largeurs façonne sa technique. Son format c’est le scope dont il loue la beauté, il n’aime pas les images carrées. Il aime l’alternance des plans larges et serrés. Durant le tournage il recherche toujours la liberté de mouvement des caméras. Dans ce décor, ses caméras peuvent tourner à 360°, sans contrainte.

 Au point où nous en sommes, on en sait déjà beaucoup, il est Belge, peintre, il a un gout prononcé pour les westerns, il recherche la liberté de mouvement pour ses personnages. Son choix esthétique tout comme celui du scenario nous dit quelque chose de ses gouts, de ce qui l’a nourrit, mais aussi de l’état du monde, de l’humanité et de l’existence ; la sienne, la notre.

On a souvent dit de ce film qu’il est aussi un road-movie, mais dans ce cas, si les personnages se déplacent d’un point à un autre, ils ne savent pas toujours exactement où ils vont, ni ce qu’ils cherchent. Esther et Willie vont voir la fille d’Esther sans trop savoir où elle est, ni son âge. Gilou et Cochise cherchent un téléphone un peu comme des chasseurs un gibier au gré des signes. Quant à Jésus, il sait où il va ! Normal, il doit être providentiel, mais tout de même ses déplacements sont inattendus, faits de retour en arrière et de chemins latéraux (les voies du seigneur !) Comme dans tous les films de Bouli Lanners, c’est davantage l’errance qui caractérise les personnages. Leur chemin se fait en marchant. Errer n’est pas se tromper nous dit-on…errer est une démarche réfléchie et spirituelle, une quête.

 Le paysage, avec son esthétique de la fin du monde annoncée, lieu d’errance aux formes inquiétantes, aux teintes sombres, fait écho au questionnement existentiel angoissé des personnages, et plus loin de Bouli Lanners lui même, encore plus loin, du « reste du monde ».

En ce qui concerne le reste du monde, Bouli Lanners aime passer des heures dans les bistrots à écouter parler les gens, il rapporte que les sujets sur la fin des temps sont courants. Avec les guerres à forme religieuse, la cop 21, « nous sommes loin de l’optimisme d’il y a 50 ans » nous dit-il. Sans doute, la peinture flamande qu’il a tant étudiée l’aide à percevoir dans la population ce surgissement de l’apocalypse.

Il n’est pas rare de voir un décor nous parler comme un personnage et parfois mieux que les personnages eux mêmes. Quand tout va mieux, les cieux s’éclaircissent, les arbres prennent des feuilles, etc. Ici encore, lieu et situation se répondent et se justifient mutuellement, ils forment un parfait agencement. Agencement qui fourmille de craintes obscures, de tensions et de désirs…mais ce n’est pas la fin du monde, nous sommes dans le « comme si », il ne faut pas s’y méprendre,  « le téléphone fonctionne, et ça prouve que la société fonctionne » nous fait remarquer Bouli Lanners.

En voyant Les premiers, les derniers, on comprend pourquoi à l’occasion d’une interview Bouli Lanners s’est déclaré chrétien et… animiste. Par ce dernier terme, il reconnaît sa dette  au paysage, source d’inspiration poètique pour le scénario et l’image , et dans le film, il montre que le paysage n’est pas seulement autour des personnages, il les contient,  il est en eux, il les façonne ,  il porte une part de leur devenir.

Georges

 

« This is not a love story » Ceci n’est pas une pipe !

Eh  bien voilà c’est parti, voici notre premier commentaire sur « this is not a love story », un film de Alfonso Gomez-Rejon projeté et discuté le 05.01.2016.

Ceci n’est pas une pipe !

Hier soir,   “This is not a love story”…..présenté par Delphine, son commentaire allait bien au film –syntone- Delphine, a réalisé en quelque sorte une fausse anti-présentation. Avec une pointe d’humour elle nous dit « c’est un film du genre bien connu Teen movie, le sujet n’est pas nouveau, il y a beaucoup de clichés, le scénario n’est pas original, mais il se dégage quelque chose de ce film  plein de clins d’œil cinématographiques»… Ça marche, autant de messages paradoxaux mettent en attente, je n’ai pas été déçu.

Comme sa présentation, le film est lui-même tissé de paradoxes. Il est drôle et grave, très grave, pourtant drôle tout de même. Nous avons assisté sous une forme de comédie à quelque chose qui serait en même temps un drame absolu. Sarah, une adolescente risque de mourir…et elle ne va pas mourir …Greg son ami nous en assure, il a peut-être raison.

Tout comme le titre du film pour la distribution française qui sonne comme une dénégation paradoxale, le premier dialogue « tension-détente » entre Sarah et Greg nous empoigne :

Sarah : « Je te connais à peine, et si tu viens par pitié, parce que j’ai une leucémie, tu peux repartir d’où tu viens »

Greg interdit : …« Non je viens parce que c’est ma mère qui me l’a demandé !… S’il te plait restons ensemble aujourd’hui afin que ma mère (que je déçois tant) ne soit pas déçue… »

Après cette réponse digne de l’école de communication de Palo-Alto (consternante et déconcertante, drôle et humble) Sarah peut baisser la garde et une amitié peut se nouer…Une relation lourde-légère. Une relation où avec tendresse, l’on ne se touche pas, comme dans l’amour courtois. Ineffable.

Le tableau de la jeune Sarah, avec sa joie et son courage, sa force de décision si typique des adolescents bouleverse, souvenons-nous de son immense et fabuleux regard noir jusqu’au dernier instant…Et puis, en mode mineur, il y a l’abnégation délicate et sincère du jeune Greg, il nous montre l’humanité dans ce qu’elle a de beau.

Bravo Delphine, ce film de « deuxième choix » comme tu dis, ne nous fera pas regretter le premier. Tu as raison, ce n’est pas un chef d’œuvre, mais c’est un bon choix, vous êtes de cet avis, ou au contraire vous avez été déçu(e) par ce film, pourquoi pas le dire à la suite ? Welcome !

Georges

 

Message de Delphine : Si tu veux rajouter une critique très pertinente du film, voici le lien suivant vers un autre blog

http://camdansunfilm.com/2015/11/15/tomber-amoureux-de-this-is-not-a-love-story/

Voilà qui est fait…

Bienvenue

Vous aimez le cinéma, les cramés de la bobine, vous aimez son site, nous espérons que vous aimerez son Blog… Mais un blog, pourquoi faire ?

Pour prolonger les débats du mardi et tous les autres débats sur la sélection des Cramés de la Bobine. Pour continuer la discussion. Les débats c’est une manière de croiser nos regards, d’échanger sur les films, c’est le lieu ou chacun dit ce qu’il veut, ce qu’il pense, et ou on peut se dire « bon sang, mais c’est bien sûr !» ou encore « je ne suis pas en accord avec cette manière de voir… »

Aucun débat ne peut épuiser un film, il donne toujours à voir  plus que nos commentaires… et nous avons souvent hélas, l’esprit de l’escalier, c’est quelquefois après le film qu’on a le plus à dire. Et certains d’entre nous n’aiment pas trop parler en public. Alors pourquoi ne pas continuer la conversation ici ?
…Et puis on peut aussi, tout simplement y écrire, j’aime ou je n’aime pas ce film, sans plus de justification.  Vous avez aimé, vous n’aimez pas, dites le ici. Avec vos avis nous améliorons ensemble notre sélection.