Cria Cuervos de Carlos Saura

Je voudrais rajouter juste un petit mot à la discussion très intéressante et malheureusement un peu écourtée qui a suivi le visionnage de « Cria cuervos ».  J’ai été frappé d’un rapprochement possible avec un autre film réalisé une vingtaine d’années auparavant, « Jeux interdits » de René Clément.  J’y ai vu deux explorations de la manière dont les enfants peuvent gérer l’expérience de la mort.  Il y a de nombreuses ressemblances : deux petites filles orphelines des deux parents sur un arrière-fond vaguement politique ; deux prestations remarquables par des enfants qui feront par la suite une carrière honnête de comédienne adulte ; l’enterrement dans les deux cas d’un animal bien-aimé ; surtout l’importance de part et d’autre du jeu, mené de concert avec de jeunes complices, pour singer le comportement rituel des adultes ; et jusqu’à la musique, qui joue dans les deux films un rôle important.  Il y a aussi, bien entendu, de grandes différences, notamment en ce qui concerne le milieu social, mais je crois que c’est secondaire.  Je suis donc d’accord avec le monsieur qui a insisté sur l’importance de la mort dans « Cria cuervos », mais je rajouterais « la mort vue par les enfants ».
Don

Punch-Drunk Love de Paul Thomas Anderson (2)

Puisque vous invitez les commentaires sur « Punch Drunk Love », je me permets de revenir un peu sur les impressions que j’ai esquissées lors du débat. J’ai retrouvé après le mot exact en français pour l’anglais « punch drunk », c’est « sonné » (on dit aussi « groggy », emprunté de l’anglais). Cela se réfère d’abord au boxeur qui, ayant reçu beaucoup de « coups » (punch) à la tête, en est assommé, étourdi, comme « saoul » (drunk), mais cela a pris aussi le sens secondaire de « fou ». Tout cela s’applique bien à Barry. Les coups qu’il a reçus sont apparemment génétiques d’abord, car il porte tous les signes de l’autisme. Mais il s’en donne aussi à lui-même, car il se rend bien compte que son comportement est souvent inadapté et il s’en veut à lui-même. En longeant le couloir de l’immeuble après avoir raccompagné Lena, par exemple, il se traite de tous les noms de ne pas avoir trouvé le courage de l’embrasser. Le besoin qu’il ressent de temps en temps de casser la baraque, aux toilettes du restaurant ou dans l’appartement d’une de ses sœurs, exprime des accès de colère contre lui-même.

Un détail qu’il faudrait mentionner en passant, c’est le fait que l’arnaque porno est organisée à Provo, dans l’Utah. Or, l’Utah, c’est le pays des Mormons, l’exemple même de la société bien-pensante, et Provo, beaucoup moins cosmopolite et plus conservateur que la capitale, Salt Lake City, est le siège de la grande université mormone, Brigham Young University. Qu’une arnaque porno vienne de là pour corrompre un innocent de Los Angeles (qui vient juste après Las Vegas comme foyer du vice), c’est évidemment un grand trait d’ironie satirique.

Je voudrais aussi insister sur ma thèse de conte de fées qui, à part Henri, n’avait pas l’air d’accueillir beaucoup d’adhésions. Il ne s’agit pas de deux inadaptés qui se trouvent, car Lena est parfaitement normale — à part son intérêt inexplicable pour ce gars. Quand il lui expose sa combine avec les puddings, par exemple, elle dit (comme nous) « C’est dingue ! ».  Lui est trop timide pour vouloir seulement faire sa connaissance dans le contexte très rassurant de sa propre famille, mais elle vient vers lui, utilisant la voiture qu’elle doit laisser chez le garagiste comme prétexte pour le rencontrer. Lorsqu’il longe le couloir en pestant contre lui-même, c’est elle qui le rappelle par téléphone pour le baiser inespéré. Il n’a pas besoin de lui faire la cour, c’est elle qui fait toutes les avances. C’est le rêve de la plupart des hommes, et surtout d’un type comme Barry. Et après que ses mauvaises fréquentations à lui ont mis sa vie à elle en danger et qu’il l’a ensuite abandonnée à l’hôpital, elle le lui reproche gentiment avant de le prendre dans ses bras. Je reprends la question que j’ai posée devant le cinéma après la séance et qui n’a pas trouvé de réponse à ce moment-là :  Quel avenir peut-on imaginer pour ce couple ? Je crois que la seule réponse possible, c’est « Et ils vécurent toujours heureux et eurent beaucoup d’enfants ».

Don