Festival International du Film Ornithologique-Festival de Ménigoute

De retour de Ménigoute

Parfois l’esprit tourneboulé et confus par la vision de tous ces films (plus de 40 !), je rentre à nouveau très heureux de mon passage au FIFO*, qui est devenu depuis belle lurette le festival international du film animalier ou de la connaissance et de la protection de la nature.

Mise à part mon court passage à Sainte-Soline, tout s’est passé tranquillement ! Dans l’ensemble, la production, de grande qualité, a tendance à aller vers un discours un peu convenu avec des images souvent belles, presque toujours scientifiquement justes mais malheureusement avec des commentaires roboratifs et des musiques souvent faibles transposables telles quelles d’un documentaire à l’autre. L’Iffcam – Institut Francophone de Formation au Cinéma Animalier – est tout proche et son emprise ; y compris sur le festival, est bien présente. Parfois trop, avec un formatage, utile sûrement, mais dont les cinéastes issu•e•s de cette formation ont visiblement du mal à s’émanciper. Donc, je ressens un sentiment (modéré) de pensée unique et de copier-coller (surtout en musique). J’entends les commentaires, souvent verbeux, convenus et un brin moralistes, fatigants parfois.

L’exemple le plus frappant selon moi est le très beau documentaire « Le Royaume des Fourmis », qui a obtenu quand même le prix du jury (un peu Iffcam peut-être ?) accompagné d’un récit relevant de L’heroic fantasy. La fourmi héroïque, morte au combat, qui a donné sa vie pour la perpétuation de la colonie… (le regard tourné vers la ligne bleue des Vosges sans doute…) Un peu puéril peut-être. J’ai passé l’âge des fables.

Mon “palmarès à moi” coincide avec le “vrai” pour le Lirou d’or (le grand prix). Le film iranien : « The Song of The Little Own ** » est une pure merveille. Sans paroles (ouf !) et quasiment sans musique, il raconte une partie de la vie de deux Chevêches d’Athéna, superbes petites chouettes. La vision de leur vie aux côtés d’autres espèces tout aussi vivantes et actives, est instructive et émouvante. Un brin anthropo-transposée mais ici ce n’est pas eux qui sont comme nous mais bien nous qui leur ressemblons. Leurs sentiments, tristesse de la perte de leur deux nichées (dues à l’activité aveugle des humains), tristesse de la séparation, inquiétude face aux dangers omniprésents, mais aussi tendresse, plaisir des retrouvailles etc. Très beau ! Magnifiquement filmé, scientifiquement juste et malheureusement également juste sur l’avenir de toute cette vie.

Un film rare de beauté simple et instructif.

Pour le reste, le palmarès ne coïncide pas vraiment avec Mon “palmarès à moi”.

J’ai eu la chance de ressentir beaucoup d’émotion en regardant le court métrage « Sanctuaire » du réalisateur belge Olivier Laval. Petite promenade dans le cimetière de Liège avec les Geais, Rougegorges, Merles et autres Écureuils, Renards etc, sans parler des Homo sapiens qui travaillent ou viennent se recueillir. Charmant et profond. Simple. Et en plus de l’absence de commentaires qui auraient pu alourdir le propos, une très belle “vraie” musique.

J’avais aussi beaucoup apprécié le premier film lors de la séance inaugurale. « Bardiva, » le prix du feu. Bien sûr il faut protéger les tigres (ils sont magnifiques et bien filmés), bien sûr il faut des touristes (des “amateurs de tigres” venus d’occident…) pour apporter de l’argent et réduire la pauvreté mais “nous ne voulons plus voir des personnes tuées par les fauves” entend-on (29 en quelques années !). Essentiellement des femmes parties ramasser le bois pour les feux domestiques. Beau questionnement.

J’ai aimé aussi :

 » Tant qu’il y aura des étoiles  » est également un beau film qui montre les effets néfastes sur la vie sauvage des éclairages nocturnes et nous dit également que l’absence des étoiles touche notre imaginaire et notre perception d’un monde plus grand que notre espace immédiat.

– « Golden monkeys, braving the impossible », réalisé en Chine, est aussi très beau. La vie si semblable à la nôtre de ces primates avec leurs bonheurs et leurs malheurs. Troublant.

-«  The birdcarver ».  Un homme vit de ses petites sculptures en bois d’oiseaux du parc national Lagoa do Peixe, au Brésil. Sa fille, bercée par ces belles images, devient naturellement biologiste et doit quitter à regret ces lieux de son enfance pour s’engager, au loin, dans la protection de ce qui reste. Y compris ce magnifique parc qui perd inexorablement sa faune.

– J’ai beaucoup apprécié le court métrage « Cosa » – La Protection des espèces, c’est bidon ?  Un animation très didactique et réjouissante sur le droit de l’environnement. Sujet majeur, souvent sec et où, au delà de son absolue nécessité, on perçoit la patte des lobbys, qui dès la conception des textes, ouvre la porte à leur détournement. Drôle et utile !

– « Birds of America« , superbe film, nous emmène en Louisiane sur les traces de Audubon et de ses peintures époustouflantes de beauté et de précision. Mais attention au découragement. Nous avons tout perdu ou presque. Il ne reste rien du Mississippi d’antan. Rien. Même pas les indiens…

 » Soigner son aile », sur le centre de soins de Faune Alfort. Soigner un pigeon ? Bravo à toutes et tous ces bénévoles.

Parmi les primés, n’oublions pas :

– » Paysans sentinelles », documentaire où l’on rencontre des paysans heureux, pratiquant une agriculture simple et respectueuse des autres êtres vivants. Une agriculture non harassante qui laisse beaucoup d’espace à une vie tranquille débarrassée du mythe « il faut nourrir la planète ». Simple et réjouissante.

-« Cocheurs », un documentaire sur ces « ornithos » qui courent partout simplement pour ajouter, cocher, une espèce non encore aperçue. Ils sont un peu « dingues » mais si sympathiques ! Le film est très bien construit et efficace. « Ah ! Monsieur, on riait, on riait ». ***

Il en reste tant…

Et enfin, mon trait de mauvaise humeur ! :

« Naïs au pays des loups », où une toute petite fille (de 1 ans à 2 ans et demi) est embarquée, dans de rudes conditions, comme si cela allait de soi, dans des randonnées au seul plaisir de son père qui ne semble pas se demander si sa fille aimerait faire autre chose. « Amour » de la nature oblige !

– Et que dire d’un film primé, « Natura Europa », où l’on affirme qu’un tel est « bagueur professionnel » alors que cela n’existe pas et où l’on entend une Fauvette grisette sur des images de Fauvette des jardins… Bâclé, primé !?

Pour Les Cramés de la Bobine, Christian Chandellier

Palmarès :

Grand Prix du festival de Ménigoute : The Song of the Little Owl (Mehdi Nourmohammadi).

Prix Région Nouvelle-Aquitaine de la créativité : Cocheurs (Baptiste Magontier).
Prix Paul Géroudet : Houbara (Fathollah Amiri et Nima Asgari).
Prix de la Protection de la nature : Paysans sentinelles (Coraline Molinié).
Prix des clubs Connaître et Protéger la nature : Naïs au pays des loups (Rémy Masseglia).
Prix du Parc naturel régional (PNR) du Marais poitevin : Waves beneath the Water, secrets of freshwater life revealed (Arthur De Bruin).
Prix Paysages : Natura Europa – Quand passent les oiseaux (Thierry Ragobert).
Prix du jury : Le royaume des fourmis (Lucas Allain et Nicolas Goudeau-Monvois).
Prix Crédit agricole (meilleur court-métrage) : Corps à cors (Vincent Benedetti-Icart et Hippolyte Burkhart-Uhlen).
Trophées de l’art pour la nature : Laurent Echenoz (catégorie photographie), Elsa Bugot (catégorie peinture, illustration et dessin) et Philippe Guilbeau (catégorie sculpture).

*Festival International du Film Ornithologique

** Voir les détails (réalisateurs•trices, auteurs•trices etc.) sur le site du FIFO

***Cyrano de Bergerac, Acte V, scène VI

ENNIO-GIUSEPPE TORNATORE

Le documentaire remarquable de Giuseppe Tornatore, très complet et éclairant aurait pu faire l’économie d’une fin (coda…) hagiographique un brin disproportionnée. Il use et abuse, à mon sens, un peu du « rythme » caractéristique des documentaires venus d’outre-Atlantique. Une phrase courte, impossible à assimiler sur le fond, assénée par un nouveau « témoin », suivi d’une nouvelle phrase courte etc. Ce sont les usages d’aujourd’hui…

Néanmoins, ce film est traversé d’émotions que le réalisateur n’a pas hésité à filmer « en gros plan » sur l’artiste Ennio Morricone. Ce compositeur, habité par la musique et d’une sensibilité rare, dévoile ainsi sa vie traversée de sentiments profonds. Les mots humiliation, culpabilité (colpevole répète-t-il !) reviennent lourdement. En effet, ce musicien aimé par le public, voire vénéré, a été d’abord et systématiquement rejeté par ses pairs. Ce grand amoureux de la musique absolue (musica assoluta) n’a été reconnu que par ses musiques de film, réputées mineures… Le « métier » ne l’a « adoubé » que tardivement, contraint par la formidable estime que sa musique a suscitée.

Et pourtant, le contrepoint, image de notre musique occidentale, même si elle n’est pas toujours perçue, nourrit absolument la musique de Morricone. Placer B.A.C.H. dans le Clan des Siciliens, quel signe ! Sa musique de film reste également presque toujours tonale, au point qu’on la qualifie en toute confusion de classique ! Mais au fond n’est-il pas aussi connu pour avoir surpris tout le monde par l’introduction de « bruits » surprenants, grincements, aboiements, chutes d’objets divers, trouvant leurs origines dans la Musique Concrète, chère à ses années de jeune apprenti compositeur. Un harmonica et une guitare électrique très « distors » (La distorsion est la base fondamentale du rock) que l’on imagine en souriant accompagnés par le plus « sérieux » orchestre symphonique ! Et que dire de l’usage de la voix telle un instrument, le plus souvent sans parole.

Malgré tout coupable ! Coupable de révéler les contradictions, toujours omniprésentes, entre une musique absolue, supposée seule dépositaire de l’art et des musiques rejetées hors de la « vraie musique ».

Ce documentaire, très beau, peut sembler long mais il fait la part belle à la musique de Morricone, si puissante, si forte. À tel point que l’on peut partir avec le regret de ne pas avoir entendu assez de musique de ENNIO.

Pour les Cramés de la Bobine

Christian Chandellier

Swing-Tony Gatlif (2)

« Je n’arrive pas à faire les pompes ! » dit l’apprenti, le gadjo (sans majuscule…). Mais la « pompe », celle qui nous fait reconnaître la musique dite « jazz manouche » est un enchaînement « rythmique » d’accords. Par exemple Am, Dm, E7… Enrichis de 9éme éventuellement. C’est à dire un enchaînement rigoureusement tonal… Avec sa cadence* parfaite et son tempérament égal…enchaînement appartenant en propre à la musique des gadjos… la musique tonale, des gadjos donc, ceux qui ne jouent pas avec le cœur puisqu’ils utilisent l’écrit en musique… dit-on dans le film de Tony Gatlif …

Le maître Django Reinhardt, a fondé avec le « gadjo » violoniste Stéphane Grappelli (un autre maître) le Quintette du Hot Club de France. Une formation strictement jazz (swing**), c’est à dire strictement consacrée à la musique tonale, harmonique, définition même de notre musique occidentale depuis le XVIIIème siècle. Une musique dont parmi les maîtres, on peut citer, sans en faire le tour, MozartChopin (maître avec les autres en improvisation, en conformité avec la tradition occidentale) Berlioz etc.

L’apport dans cette formation, de Django Reinhardt, en plus de sa virtuosité et de son immense talent d’improvisateur, fut d’introduire systématiquement…. les pompes pardi !

Des accords « tonaux » (pléonasme ici), en tempérament égal, sur une guitare avec des frettes (occidentale donc). Bref, une musique de gadjo… qui ne vient pas du cœur… Dit-on.

Qu’est-ce qu’un Oud ? Un instrument dont la vocation est de réaliser des lignes mélodiques. Comme le violon, même si avec quatre cordes on peut faire sonner des « accords », c’est bien « un instrument mélodique ». De plus, comme le violon, il n’a pas de frette. Pourquoi ? Parce que son champ d’expression dépasse, et de loin, les échelles tonales et le tempérament égal ! Les « modes » dont il est le porteur, sont multiples et surtout expriment des « humeurs » (modes en arabe !) très variées. Bien loin de notre mode mineur, toujours semblable à lui-même quel que soit le ton, (du type évoqué plus haut Am, Dm etc.) bien loin de la musique « occidentale ».

Le Oud est, partant, inapte à faire des pompes ! Il était pourtant essentiel pour Tony Gatlif de contraindre le Oud d’Abdellatif Chaarani de jouer une musique occidentale, pour déguiser le jazz manouche en une « musique-non-occidentale-compatible » … Joli alibi, joli mensonge ! Mais pourquoi ?

L’objectif est ici de brocarder la musique des gadjos, qui ne vient pas du cœur… Rendez-vous compte, ils pratiquent la lecture en musique ! C’est d’un racisme assez basique que l’on parle. Le monde Rom serait bien plus authentique que celui des gadjos. On y connaît les plantes et leurs vertus (ma grand-mère n’y connaissait rien…). On y est plus libre et plus malin. On s’étonne même du fait que parfois une vieille dame « non rom » refuse de se faire voler (« elle est maligne la vieille » entend-on dans le film) Ici, le poncif, les manouches sont des voleurs ne choque pas ! Peut-être trouve-t-on ça normal…

La musique (plutôt mal traitée, avec des séquences bien pauvres et souvent mal jouées, indignes du jazz manouche) est ainsi prise en otage, pour véhiculer des évidences qui n’en sont pas. La musique, souvent « mal-entendue » à travers cet usage néfaste, abuse et manipule les spectatrices et spectateurs. Spectatrices qui seront, par ailleurs peut-être un peu moins dupes de ce discours assez grossièrement raciste, devant le traitement à double langage, au fond très sournois, qui est ici réservé aux femmes…

Swing, femme, homme, musique non gadjo… A quoi joue-t-on ?

Christian Chandellier

* Il ne s’agit pas ici bien sûr de cette étrange cadence dont on nous parle avec insistance dans le film. Qui serait tout simplement le maintien du tempo… L’inverse d’un rythme donc… « swingué » peut-être.

**Le Swing est un style de jazz, caractéristique notamment du courant du « middle jazz ». Emblématique des années 30.