Rúnar Rúnarsson dédie son film à deux de ses amis disparus tragiquement en 1995 et en 2001. —————————————————————————————
Una et son ami Diddi sont étudiants à Reykjavik en art de la performance. On verra dans le film certains de ces happenings : le scotch double-face, la chanson à base de pronoms et bien sûr l’envol devant l’église Hallgrimskirkja When the light breaks capte l’instant où le bonheur vole en éclat, l’instant où commence « l’après ». Continuer à vivre après ? Le sujet c’est plutôt comment continuer à vivre maintenant . « C’est absurde » dit Una qui ne peut pas croire que Diddi, son chéri, ait péri dans l’accident. C’est impossible ! Et pourtant, si, pendant qu’elle dormait, tout avait basculé. D’un coucher de soleil à un autre, le spectateur est plongé dans le quotidien de cette bande d’amis face à la mort. L’un d’eux le dit : c’est la première fois qu’il perd un être cher à part ses grands-parents (ça c’est normal, intégré). Mais la mort d’un ami, de son âge … Une journée interminable commence. Demain n’y fera rien. Diddi sera toujours mort. Quiconque a connu un tel cauchemar verra dans ce film la justesse du propos de Rúnar Rúnarsson. Pour eux tous, l’insouciance, c’est fini. Le réalisateur capte avec précision ce traumatisme collectif. Ils se rejoignent, se mêlent, s’amalgament face au malheur qui se propage, font bloc face à l’onde de choc qui leur brise la lumière et les inonde de chagrin. Una aimait Diddi qui n’aimait plus Karla qui ne le savait pas. Ce secret étouffant en pareille circonstance est magnifiquement illustré dans la séquence où l’héroïne apprend la nouvelle. Dans le hall d’hôpital, la caméra l’enveloppe, va à sa rencontre à contre-courant du reste de la foule, et s’arrête sur son visage. Avec le spectateur, Una fait face à la violence du contrechamp : ses amis enlacés pleurent ensemble l’ami disparu. Le réalisateur adopte le point de vue d’Una incarnée magnifiquement par la formidable Elín Hall. Du non-dit, qui prend la place des sanglots et empêche d’abord Una d’exprimer sa douleur, de vivre pleinement sa souffrance, nait un échange troublant entre les deux jeunes femmes. L’étau se resserre autour d’elles dans un jeu de miroirs fascinant. De Klara viendra le lâcher prise et fera évoluer leur relation en une sorte d’union. La scène finale les montrera se partager son odeur dans le lit déserté. Les mots sont parfois superflus. Les scènes poignantes soutenues par la musique du compositeur islandais Jóhann Jóhannsson (1969-2018) avec le titre « Odi et Amo », qui revient comme une litanie, les plans longs sur les lumières, du tunnel avant l’accident, du soleil se reflétant dans la mer obscure dans la scène finale, les jeux de reflets, de sur-cadrage, nous emportent dans le sillage douloureux de ces jeunes gens marqués par le deuil. Une scène les montre dansant, s’alcoolisant, visionnant des photographies d’avant, comme pour forcer le réconfort dans cette zone intermédiaire entre hier et aujourd’hui. Comment retrouver du sens face à l’inconcevable, faire barrage au désespoir, tracer son chemin au fil vertigineux de la vie ?
Rúnar Rúnarsson dit : « Le cinéma est riche de trois outils narratifs : les dialogues qui sont écrits, le visuel et l’audio… et il y a tellement de choses que vous pouvez dire avec le son, ou plutôt avec l’absence de son. Avec une expression capturée du bon côté avec la bonne lentille et la bonne lumière. Grâce à tout cela, vous pouvez accomplir beaucoup. C’est ça, le cinéma, c’est précisément ce que j’essaie de faire (…) »
Une direction d’acteurs au cordeau et la magnifique photographie signée Sophia Olsson ! Un très beau film sur l’amour et l’amitié à l’épreuve du deuil.
C’est le premier long métrage du réalisateur italien qui vit depuis quelques années aux Etats-Unis. Jusqu’à présent réalisateur de documentaires, Roberto Minervini s’attaque à un sujet qui pourrait sembler banal et déjà traité au cinéma, à savoir la guerre de Sécession qui opposa pendant quatre années (1861-1865) les états du nord abolitionnistes aux états du sud esclavagistes. Une guerre qui a marqué les Etats-Unis et dont les blessures non cicatrisées sont aujourd’hui encore visibles particulièrement dans le sud où il n’est pas rare de voir le drapeau confédéré, lourd de sens, flotter dans un jardin, ou comme on a pu le voir plus récemment le 6 janvier 2021, brandi par certains assaillants lors de l’assaut du Capitole.
La guerre est traitée de façon inattendue, à contrecourant du genre, dans la mesure où ce qui intéresse le réalisateur c’est l’attente du combat et la façon dont les soldats vivent cette attente. Ce parti pris explique le rythme du film, lent, où le temps s’étire et où les soldats occupent ce temps comme ils peuvent et aussi comme si ce quotidien était presque ordinaire : installation du camp, repas, jeux de cartes ou de base-ball, soin des chevaux, entretien des armes. Curieusement, la guerre, bien que constamment hors-champ, est présente à travers des signes : tours de garde, observation de l’horizon, écoute du moindre bruit suspect, jour et nuit, offrant donc une certaine tension qui, sans eux, serait presque impalpable et invisible, voire inexistante.
Invisible est l’ennemi, ce qui le rend d’autant plus effrayant, et lorsque survient une attaque, cet ennemi ne se matérialise que par les coups de feu venant du côté opposé, camouflé par de grands arbres. D’autres ennemis supposés passent sans que l’on puisse les identifier vraiment : des silhouettes floues qui se profilent, sont-elles celles de rôdeurs, de hors-la-loi, de chercheurs d’or, de pionniers, d’Amérindiens ? On l’ignore et ce n’est pas ce qui importe au réalisateur.
Alors, qu’est-ce qui importe dans ce film ? Quel est son sujet ? Contre toute attente, ce qui domine dans ce film ce sont les rapports humains avec l’entraide et la solidarité, l’humanité de ces soldats qui sont là pour des raisons différentes : désir patriote, besoin d’argent, besoin de se chercher et de se découvrir dans l’épreuve ? Tous invoquent telle ou telle raison sans être finalement certains que cette raison est la bonne, tous évoquent le bien et le mal en se demandant pourquoi d’autres compatriotes représenteraient le mal et eux le bien ? Pourquoi cette séparation entre des hommes appartenant à la même nation ?
Ce sont ces questions qui forment le fil rouge du film et elles s’intensifient pour se faire de plus en plus philosophiques dans la deuxième partie, après l’attaque, la seule du film, où les soldats, pris par surprise, ripostent aux tirs d’un ennemi toujours invisible.
La réflexion bascule donc là, avec son lot de morts et de blessés que le spectateur voit sans que les plans s’appesantissent sur tel ou tel cadavre, telle ou telle blessure, car pour Roberto Minervini, de telles images sanglantes ne servent à rien.
C’est pourquoi je qualifierais ce film d’ « essai philosophique en images ». Par cette lenteur, par ces questionnements, ces plans rapprochés sur les hommes, leurs visages, leurs mains qui soignent, prient ou s’exercent aux armes, nous sommes, nous spectateurs, pris dans cette même réflexion: à quoi sert de se battre, quelle cause supposée juste une guerre peut-elle servir puisqu’il s’agit toujours d’un rapport de force et de la conquête d’un territoire qui dépossède l’autre tout aussi humain que nous ?
On a pu remarquer la façon très serrée qu’a choisie le réalisateur pour filmer les acteurs (qui ne nous sont pas du tout familiers ) : caméra à l’épaule, plans rapprochés sur les hommes, gros plans sur les visages ou les mains, plans américains et très peu de plans larges : ils ne sont utilisés que pour donner rapidement au spectateur une idée de ce qui entoure les soldats, pour montrer de façon tout aussi rapide le paysage dans lequel ils évoluent. Il choisit de filmer à la lumière naturelle, sauf dans quelques scènes où elle émerge d’une torche éclairant un visage qui nous est donné à voir comme chez Georges de la Tour ou Rembrandt.
Ce film avance de façon ‘économe’ du début à la fin : des dialogues réduits au strict nécessaire lorsqu’il s’agit du quotidien, un peu plus élaborés, sous forme d’échanges de points de vue lorsque l’on plonge dans les questions philosophiques sur la guerre, pourquoi, dans quel but…. Aucune violence dans les propos des uns ou des autres, aucune réelle exaltation, juste la façon que chacun a de voir les choses : les jeunes encore plein d’illusions, les plus âgés dans la désillusion que l’expérience leur a apportée. Une bande son elle aussi réduite au minimum, pas de grandes envolées lyriques, ni de clairons qui sonnent l’assaut ou la retraite. Rien de tous les artifices traditionnels présents dans d’autres films sur le même sujet.
Ainsi, nous ne pouvons vraiment nous situer : pas de héros, pas de méchants identifiables. Le spectateur est face à des hommes, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs croyances et leurs renoncements, des hommes sans identité définie (mis à part les deux jeunes soldats – Noah et Judah-) aucun n’a de nom porté à la connaissance du spectateur ce qui est confirmé dans le générique qui annonce ‘les éclaireurs’, ‘le vieilhomme’, ‘le jeune homme’ …
Voilà un film qui se démarque des autres du genre : il n’y a plus de mythe, il n’y a que de la réflexion, de l’introspection, du questionnement. La guerre semble n’être qu’un prétexte : Roberto Minervini aurait très bien pu choisir une autre époque, une autre guerre : son propos serait resté le même. Tout comme Truffaut, Minervini s’accorde à dire que « tout film de guerre, si antimilitariste soit-il, devient favorable à la guerre ». Minervini ajoute : «Sans ennemi, le conflit devient insoluble, injustifié. En niant l’ennemi, j’empêche toute identification à un héros. »
C’est le vivre ensemble qui est important ici, apprendre à vivre avec l’autre, à le connaître, à partager l’angoisse, la peur, la peine et la joie avec lui. Michel Tournier l’a bien dit dans Vendredi ou leslimbes du Pacifique, ‘Autrui, pièce maîtresse de mon univers!’. L’ennemi n’est-il pas un autre nous-mêmes? C’est bien là la question que certains soldats se posent.
L’un de nos spectateurs nous a apporté un témoignage intéressant : militaire de formation, sa préparation lui a fait vivre des moments semblables, notamment l’attente quotidienne et la façon de passer le temps.
Roberto Minervini dit encore : « Dans Les Damnés, j’ai voulu montrer que la guerre, c’est être dans l’attente de tuer ou d’être tué”.
Ces soldats sont effectivement filmés dans l’attente, une attente pesante et angoissante : force est de constater que Roberto Minervini réussit le pari qui consiste à filmer cette attente en s’appuyant sur tous les gestes du quotidien, si anodins soient-ils. Il redonne à ces hommes l’humanité que la guerre trop souvent leur a fait perdre. Deux scènes en particulier me semblent importantes pour souligner ce point : durant l’attaque, l’un des éclaireurs se tapit dans le fossé, recroquevillé en position fœtale ; puis après l’attaque, un autre, qui auparavant avait dit ne jamais avoir tué un homme, est penché au bord du torrent pour tenter d’effacer les traces de sang qui souillent les manches de sa chemise blanche : il sanglote.
Le film est au final bouleversant de simplicité et de rigueur technique. On pense bien sûr au roman de Dino Buzzati, Le désert des tartares (1940), mais il serait injuste de ne pas citer un autre roman, de l’écrivain américain Stephen Crane, Laconquête du courage (folio n°1351), The Red Badge of Courage, paru en 1895, écrit par un jeune homme de 24 ans, lui apportant ainsi une gloire immédiate, mais qui devait mourir avant d’avoir atteint 30 ans. Ce roman a aussi inspiré à John Huston un magnifique film, Lacharge victorieuse (1951).
Primé à Cannes pour sa réalisation dans la catégorie Un certain regard, Roberto Minervini nous force justement à regarder pour porter un regard différent, à observer avec minutie et patience ces hommes livrés à eux-mêmes dans une terre hostile où il faut lutter pour survivre comme l’évoque métaphoriquement le premier plan du film, mais aussi une terre bienveillante prête à accueillir une famille, une terre de silence où l’on peut aussi trouver la paix.
L’exil d’un jeune homme du Maroc à Marseille, ou l’adaptation par le sentiment.
Le réalisateur annonce d’emblée le projet de son film : montrer le triptyque: exil, raï, mélodrame. Le mélodrame vécu par le personnage principal du film » Nour » est ressenti par le biais des émotions. Ce choix de S. Hamich tient au fait que l’inspiration film est principalement littéraire avec » L’éducation sentimentale » de Gustave Flaubert dont le sous-titre est » Histoire d’un jeune homme ».
Nour qui arrive très jeune à Marseille doit tout découvrir, quelle vie peut-il mener ? Au départ, il rejoint la communauté de jeunes maghrébins, la plupart clandestins, qui vivent de petits larcins, qui jouent au chat et à la souris avec la police. Ils vivent ensemble de façon précaire mais font beaucoup la fête, dansent et chantent au son du raï.
Nour s’adapte bien à cette nouvelle vie, sort avec une copine française, boit, danse, vend des montres volées à la sauvette sur le trottoir, et son visage semble refléter une certaine insouciance si ce n’est du bonheur.
Tout se détraque avec l’arrivée ( brutale ) de la police dans la pièce où vivent entassés la bande de copains/copines, la saisie des passeports et le face à face douloureux et surprenant avec un commissaire de police atypique..
Le mariage de l’un des piliers du groupe ( Khaled) accélère l’éclatement et l’individualisation de ces jeunes, qui ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes pour vivre.
Nour se retrouve à la rue, désespéré, clochardisé, selon les mots qu’il crie au téléphone à sa mère. Pas de travail, pas de papiers, pas de toit.. La dure condition d’exilé s’abat sur Nour, alors qu’il déambule dans les rues de Marseille sous une pluie battante, la tête baissée trimbalant son baluchon. Les gros plans sur son visage montrent sa détresse, sa solitude.
Alors qu’il s’est blessé et gît à terre inconscient dans la rue, il se réveille dans un canapé et une pièce inconnue. Le film ouvre alors un nouveau chapitre et une nouvelle ère pour Nour, faits de surprises, de questions complexes.
Noémie chez qui il se trouve, annonce la venue de son mari, lequel ô surprise s’avère être le commissaire de police qui l’a interrogé à deux reprises après son arrestation , celui là même, qui a brûlé son passeport ( rendant son-retour au Maroc impossible ) et lui prodiguant après une claque, des caresses non ambigües.
La rencontre de ce couple scelle une vie nouvelle pour Nour. Il trouve un toit, de l’amitié , une complicité et surtout une autre manière de vivre ( notamment la sexualité) qui le fait réfléchir tout en l’éloignant de sa matrice culturelle d’origine.
Comment aimer ? La suite du film où les trois personnages principaux ; Nour, Noémier et Serge, traversent leur vie ensemble est celle où l’éducation par le sentiment est à l’oeuvre. Même si cette traversée de milieux inconnus de Nour ( des bars trans où Serge lui a trouvé une chambre, des lieux échangistes ) le trouble.
Son attachement à ce couple croît, lui procure une sécurité jusqu’alors introuvable. Noémie et Serge sont très respectueux de l’identité, de la personne de Nour » dommage dit Serge » au moment où Nour refuse ses avances, ils font montre de beaucoup d’humanité et de solidarité en l’accompagnant dans cette traversée d’un nouveau monde sentiments et de valeurs.
Nouveau tournant, la maladie puis la mort de Serge ( du sida des années 90, dont on voit les premiers signes avec cette toux au commissariat ). Noémie et Nour qui l’accompagnent, sont bouleversés et font front commun face à la douleur.
Le monologue de Noémie lors de l’enterrement de Serge, est un magnifique cri d’amour à cet homme, qui lui a appris la liberté, la sienne et celle des autres. Il faut qu’elle vive dans le chemin qu’il lui a tracé, pour son fils, et pour Nour dont elle est tombée amoureuse.
Cette nouvelle vie, apporte à Nour ce qu’il a ardemment souhaité, une épouse Noémie et à, terme, la nationalité française, l’amour bien qu’il avoue ne pas savoir ce que c’est, et aussi la douleur d’un impossible retour à sa terre natale.
Les scènes du retour au Maroc sont poignantes, avec cette mère sans doute aimante mais prisonnière de sa tradition familiale et qui ne peut accepter une épouse chrétienne, plus âgée que son fils et de surcroît mère d’un enfant.
Poignante cette scène où Nour rencontre Hanane, son amie, rejetée par son entourage et le village car devenue mère célibataire il y a onze ans, et considérée comme une prostituée. C’est le coeur brisé, que Nour quitte cette femme qu’il a aimée et sa propre fille qu’il vient de découvrir et qu’il ne reverra sans doute jamais.
La page de l’exil et de l’apprentissage des sentiments est tournée. Tout n’est pas parfait, Nour a un métier ( menuisier comme son père ) une femme et un fils adoptif une famille qui est sienne et il ne sera pas seul comme son ami Houcine.
Les derniers plans du film, montrent Nour qui revient de voir Houcine, alors qu’une fête bat son plein, où il retrouve tous les amis du couple qui chantent et dansent, Nour s’approche de Noémie et son visage a changé, il est celui du bonheur choisi.
Tous les autres (ne) s’appellent (pas) Ali. C’est le problème même si la peur, ici, dévore les âmes aussi. Sélectionné dans la catégorie de la Queer Palm et présenté à la Semaine de la Critique Cannes 2024, c’est l’histoire de Nour(redine) et de sa bande de potes, comme lui émigrés clandestins, jeunes au début du film, venus du Maroc et qui vivent d’amour et d’eau fraîche. Et de petits larcins. Nour et sa petite amoureuse Blandine, française pur jus, issue des beaux quartiers, en quête de sensations fortes, qui joue à Bonnie Parker mais lâchera vite l’affaire ramenée au bercail après la rafle organisée par Serge le policier multi cartes porté sur les travelos arabes. Exit Blandine. Nour, en rupture d’union mixte, est abandonné à son sort. Sauf que Serge, commissaire au grand cœur va le prendre sous son aile, le retrouvant comme par hasard gisant sur le trottoir, KO après une conversation houleuse avec sa mère. Bientôt exit Serge, qui meurt du sida. On est au début des années 90 quand Dieu frappait les homos. Nour a le champ libre et va se « refaire » avec Noémie dès le soir de l’enterrement, le lit médicalisé encore dans la pièce. Sans blague : c’est quoi ce scénar à la truelle ? Clichés à gogo mais sur fond sonore sympa ! On se replonge avec plaisir dans le Raï, musique d’Oranie, succès internationaux dans les années 90 avec Cheb Hasni « Le Rossignol du Raï » (assassiné à Oran en 1994), avec Houari Benchenet. Et Cheb Khaleb , Didi, Aïcha quand même. Même si … La scène du discours de Noémie au cimetière sonne particulièrement faux. Cette pauvre Anna Mouglalis récite son texte sans conviction, sans émotion. Sa voix rauque ne peut pas tout. Nour ébauche un geste de prière (seul allusion religieuse du film à part celle plus tard à la chrétienté de Noémie). On enchaîne avec Hugo (le fils de Serge et Noémie) qui a grandi et qu’on voit se rebeller contre Nour devenu son beau-père, normal. S’ensuit la scène du restaurant après la visite au cimetière et surtout la scène du retour à l’appartement qui sont juste impossibles ! C’est ça qui coince le plus : l’écriture « à l’arrache » des scènes. Tout au long du film, on essaie de nous rendre les personnages sympathiques, on cherche le point de rupture de notre tolérance envers les marginaux. Face à l’hostilité dont est victime le couple Serge-Noémie, on nous oriente pour prendre le parti du policier. Il s’agit en fait d’un tableau à gros traits de la communauté maghrébine immigrée en France dans les années 1990. Un récit caricatural, de 2h00 (durée qui ne rime à rien), qui dans sa 2ème partie vire à la romance bien loin de l’analyse sociologique qu’on aurait pu espérer, celle qu’on attend et qui n’arrive pas. Mais le film n’est pas dérangeant, pas de remous, et ça plait. Aux autres. Vague ébauche de traitement du double déracinement des immigrés, dialogues laborieux, mise en scène passable, personnages peu attachants, manque du ressenti des sentiments qui les lient, erreur de casting du personnage principal, Marseille absente dans le décor … bref, moi ce n’est pas ma came La qualité principale du film, est, je trouve, dans la photographie de Tom Harari (le frère d’Arthur et le beau-frère de Justine Triet) Le réalisateur de La Mer au loin, le franco-marocain Saïd Hamich a été directeur de production sur Hope de Boris Lojkine, sur Le Marchand de sable de Steve Achiepo, sur Vent du Nord de Walid Mattar (film formidable proposé lors du WE JR 2018 et accompagné par son réalisateur, un grand moment), sur Much Loved de Nabil Ayouch. Ayant étudié la production à la Femis, il sait faire et tape dans le mille. Pour l’écriture, le mieux, souvent, c’est de se faire aider.
Je m’étais promis il y a longtemps de ne jamais dézinguer un film, ne pas prendre de temps pour écrire sur une toile qui ne m’a pas plu. Et puis, cette nuit je fais ce rêve étrange d’un écran qui se déforme, les images ne disent pas grand chose, plutôt des tâches de couleurs aux contours mobiles et psychédéliques. Je suis seul dans une salle de cinéma à l’ancienne « Empire of Light ». Je sais qu’il y a des odeurs indistinctes peut être de cuisine épicée, pourtant ça ne me dérange pas. L’image me captive, je suis sur mon siège et l’idée de me lever pour bouger et sortir de la salle ne me vient pas. Je me réveille avec l’idée persistante d’un kaléidoscope, celui que mon parrain m’avait offert quand j’avais huit ans, et dont les fractales colorées du tube en carton me faisaient voir des formes, des personnages qui disparaissaient à chaque mouvement donnant lieu à des nouvelles féeries polychromes. J’ai retrouvé ces mêmes sensations au début des 80’s avec Étienne-Jules Marey et son chronophotographe qu’avait réveillé Cédric Klapisch dans son court-métrage Ce qui me Meut (1989), et peu de temps après dans une installation rétrospective de Eadweard Muybridge au Royaume-Uni. Les origines de l’image en mouvement exerçant la même fascination, la même attirance d’une scène de quelques secondes d’un mouvement qui se répète à l’infini en ne menant nulle part. Ça m’attire et ça aimante ma rétine ; comme si je m’attendais à ce qu’il se passe quelque chose dans la répétition sérielle ; le cheval au galop pourrait-il tomber, cet autre lanceur de poids viendrait-il à se le mettre sur le pied… Allez savoir. Et puis eurêka ! Mais oui, mais c’est bien sûr ! Mon rêve vient de reconstituer dans ses motifs les Feux Sauvages de Jia Zhang-ke2025) que je n’ai pas aimé (du tout !). Je relis l’article de Marie-Annick, repense à sa présentation en saluant son talent de défendre ce long métrage comme elle le fait. Un film de bric et de broc, fait de bouts d’essais ou de fin de bobines, tournés sur différents supports à différentes époques sur fond d’histoire d’amour absconse et hermétique —entre Qiaoqiao (Zhao Tao) et Bin (Li Zhubin)— qui se fait et se défait, je te cherche, tu me trouves, je t’aime et je t’oublie, je ne t’aime pas et je te recherche…
C’est long, ça montre le temps qui passe, comme ailleurs. Les vieux quartiers rasés pour y bâtir les parallélépipèdes vitrés tels ceux de toutes les mégalopoles du monde. On noie des villages, comme ça se faisait du temps des Grands Travaux ici jusqu’aux années 70. « Il faut que tout change pour que rien ne change », nous annonçait Le Guépard de Luchino Visconti (1963). Alors voilà ite missa est ! Pourtant c’est une intervention qui a éveillé mon attention pendant le débat. Ce qui a changé est montré dans le premier et le dernier plan du long métrage, tournés à vingt ans d’intervalle. On voit au début des femmes plaisantant en s’invitant à chanter, se moquant les unes des autres, un gynécée choral daté (pourtant pas si ancien), si ce n’est caricatural. À la toute fin c’est Qiaoqiao, amoureuse transie qui se retrouve de nuit au milieu de la rue à l’approche de coureurs de marathon hommes et femmes tenues couleurs fluo. Sera-t-elle emportée par le flux humain suggéré plus tôt par la force de l’eau du Barrage des Trois-Gorges aux villages inondées. Non, Qiaoqiao se joindra résolument à la foule en mouvement, en levant le poing fermé et en criant un grand NO magistral ! Elle reprenait sa voix qu’on entend très peu dans son parcours à travers les époques et les régions d’une Chine qui continue sa transformation perpétuelle. Pour qui, pour quoi ? L’intervenante au débat attirait notre attention sur l’aspect majeur d’une femme seule s’autorisant à prendre la parole parmi la foule, contrastant avec le premier plan du film voyait les femmes réunies et deviser ensemble, tenues à l’écart des formes de pouvoir et des des activités décisionnelles des hommes. Et bien voyez-vous, c’est cette simple phrase qui m’a fait aimer Les Feux Sauvages. J’ai vu de mauvais films, ce qui ne m’a jamais empêché de retourner au cinéma… j’en verrai d’autres. Ce que j’ai aimé en revanche c’est l’intelligence du débat, la richesse des propos qui permettent d’ouvrir ma réflexion au delà de ce que nous venons de voir à l’écran et de ce qu’on peut en dire. Ce n’est pas tant le film que la prise de paroles au débat, face à l’œuvre dans notre position partagée de « regardeurs ». Chacun voit le film avec ses propres référents, son histoire personnelle , les émotions que cela convoque, des sensations physiques ou psychiques percues pendant la projection. L’œuvre devient alors le support d’autre chose, un artefact qui convoque les regardeurs à ce qu’ils ont à en dire. C’est la triangulation entre l’artiste / son oœuvre / les regardeurs, ce qu’ils ont retenu de ce que je n’avais pas vu, pas compris ou considéré de moindre importance d’un film “inconfortable” pour moi. Si c’est ce que recherche l’artiste, alors il a gagné, c’est à partir de son œuvre que nous commençons de penser…. Et ça marche ! C’est ça qui nous anime dans nos débats, alors longue vie à tous les E.J. Marey et Jia Zhang-ke qui fixent le temps qui passe en le déroulant à l’infini. Et surtout merci à tous ceux qui nous aident à en décrypter les messages parfois subliminaux qu’ils délivrent. J’aime le cinéma ! Et qu’on me laisse retourner à mes rêves, de ceux qui sont revisités de films Bons ET mauvais !
April est un film âpre, très fort mais il faut du temps pour qu’il se décante en nous, pour apprécier et digérer la dureté hyper-réaliste, naturaliste de scènes d’accouchement ou d’avortements, à peine atténuée par la poésie de la nature évoquée par Pierre (champs de coquelicots à la Monet, ciel bleu, superbes montagnes) et curieusement contrebalancée par l’abstraction, la dimension symbolique et fantastique des toutes premières images du film, de la créature de sable et de boue marchant péniblement, Golem, cauchemar ou mauvaise conscience de Nina qui n’est pas intervenue, n’a pas appelé à l’aide quand sa soeur s’enlisait …
Après cette apparition mystérieuse en générique, qu’on pourrait croire extérieure au film, prendre pour une fable, un court métrage, on entre brusquement dans une salle d’accouchement, avec un gros plan sur un ventre de femme, en travail : aucun détail ne nous est épargné et l’on vit en direct, presqu’en temps réel, la naissance de l’enfant et jusqu’à la délivrance, avec la section du cordon ombilical et l’expulsion du placenta. On retrouvera le même réalisme quand il s’agira d’avorter la jeune femme sourde-muette dont on comprend que, ne sortant jamais, elle a sans doute été violée par son beau-père : des gestes techniques, un soutien un peu détaché de la grande soeur, des cuisses tremblantes, un peu de sang ; la nature de l’acte ne nous autorisera pas à en voir davantage.
Le ton est donné et tout le confirmera : le film relèvera du cinéma-vérité, il sera brut et sans fioriture, à l’image de ces bruitages qui tiennent lieu de bande-son et de musique et immergent le spectateur dans l’action et la conscience de Nina. La force du film est de nous faire vivre ses moindres émotions, ses sensations – son souffle haletant dans la voiture qui la mène à une ferme éloignée pour un avortement clandestin, le pare-brise balayé par la pluie, l’aboiement d’un chien solitaire, le crissement des pneus et jusqu’à l’embourbement de sa voiture dans un chemin creux – image de sa vie piétinante et sans amour véritable. Avec pourtant une impression de décalage que ne confèrerait pas une musique illustrative ou symbolique : le spectateur ne sait pas d’où vient le bruit perçu, il a toujours un temps de retard, il a peur pour elle, se sent en danger – malaise d’autant plus prégnant que Nina, si dévouée soit-elle à toutes ces femmes en souffrance, semble donner aussi bien la mort que la vie et profondément taciturne, ne manifeste que rarement des sentiments.
Tout se passe comme si elle n’offrait qu’un fatalisme actif, amour indifférencié, l‘agapé d’un dieu froid et distant, sans véritable philia, amour choisi, amitié élective (à part pour David son ami médecin et protecteur, avec qui elle a vécu, qui la reçoit dans son bureau avec un geste tendre), sans eros non plus tant la chair semble triste, expéditive et livrée à une rencontre de passage dans une voiture… Tout se passe comme si Nina ne parvenait pas à tisser des liens avec les autres, que cette campagne géorgienne si austère, ces espaces suburbains désolés, ces familles nombreuses où les filles sont mariées à 15 ans (en dépit de la loi), où les cliniques refusent souvent de pratiquer l’avortement, que cette atmosphère à la fois rurale et urbaine, poisseuse et aseptisée déteignissent sur elle. Condamnée à errer de ferme en ferme, de chemin boueux en improbable masure, Nina semble toujours enfermée, hors-champ ou au bord du cadre : hors champ dans sa propre voiture, au bord du cadre lors de la réunion initiale où elle doit répondre de la mort à la naissance du bébé face aux parents, à David et au directeur de la clinique, longtemps ignorée d’une caméra incertaine, balayant le mur blanc en panoramique, lorsque le verdict final de ce dernier, lu d’une voix monocorde, établit que l’enfant, dont les poumons étaient atrophiés et infectés, n’était pas viable, ce qui innocente Nina suspectée d’avoir trop attendu et refusé de recourir à une césarienne pour elle inutile et tardive, qui plus est refusée par la mère. Eternel débat de la volonté plus ou moins expresse, plus ou moins éclairée de la parturiente, qui fait écho, toutes proportions gardées, à l’autre bout de la vie, aux directives anticipées, ou à la volonté d’un malade face à l’euthanasie et à la marge ou à la liberté d’interprétation du médecin.
Dès lors, le fantastique du film, et cette curieuse créature récurrente de boue et de sable, relèverait moins du surnaturel proprement dit qu’il ne constituerait, selon la définition de Tzvetan Todorov dans son Introduction à la littérature fantastique, un prolongement fantastique du réel : le réel poignant de ces ventres de femmes engrossées (sans amour sans sensualité même), l’obsession empathique de Nina à les sauver, le vide monstrueux de sa vie (dans laquelle, dit-elle, « il n’y a de place pour personne »), la froideur du cadre, la dureté d’une société patriarcale bruissante de rumeurs, n’autorisant ni envol lyrique ni élan métaphysique. Le poids incroyable, fantastique, absolu du réel. Et un film féministe comme malgré lui, un témoignage bien plus fort qu’une oeuvre militante.
« C’est un film sinistre et cru, lent et à la noirceur revendiquée » annonce Dea Kulumbegashvili dans un entretien. Ajoutons complexe « réaliste & naturaliste ». Alors, nous voilà prévenus et pourtant dans le sillage de son premier long métrage Au Commencement (2021), April annonce les descripteurs d’une société sous le joug multiple d’une chrétienté orthodoxe radicalisée, sous régime politique liberticide voire oppressif, et de morales ancestrales aux tabous —plus qu’aux valeurs— infranchissables… La question du choix des grossesses pour les (très) jeunes femmes semble être l’objet du film. Il place en son centre Nino (admirable Ia Sukhitashvili) gynécologue-obstétricienne en même temps que faiseuse d’ange, prise dans l’injonction paradoxale d’ accueillir ceux qui sont à naître du mieux possible —elle y réussit dans les conditions les plus difficiles—, et interrompre des existences à venir. Les Géorgiennes qui se trouvent face à une grossesse non-désirée doivent pouvoir s’adresser à Nino —frange Jeanne d’Arc— qui se revendique « cavalier seule » pour aider les femmes à y mettre un terme. « Il faut bien que quelqu’un le fasse » répond-elle à son collègue inquiet, David (formidable Kakha Kintsurashvili).
Le métier a ses risques, la clandestinité aussi. Pourtant Nino ne peut choisir, c’est un personnage double —en phase de transition pas tout à fait elle même mais pas encore autre chose—, et ce double est porté à l’écran par une créature mystérieuse dont on a pu entendre au cours du débat qu’elle pouvait évoquer un être non advenu, comme encore enveloppé de sa poche placentaire…, un Golem, ou encore d’un monstre fait de terre (L’Homme d’Argile ?) de “Ge” (Géorgie, terre primordiale et prolifique). Ce peut être aussi la glèbe de l’engloutissement présumé de sa sœur, et que Nino n’aurait pu sauver, origine d’une culpabilité envahissante… et qui pourrait l’engloutir à son tour sur les chemins de terre inondés. La figure du double, laisse le spectateur face à l’interprétation voire la perplexité de la dissociation. Ainsi, onze minutes d’un plan-séquence de présentation des protagonistes —dramaturgie au cordeau, qui a nécessité onze prises et une journée entière tournage—, introduit l’enquête qu’envisage de mener le directeur d’hôpital. Accompagnée de son compagnon, une jeune femme vient d’accoucher d’un prématuré mort-né. Nino spécialiste des accouchements difficiles a fait ce qu’elle a pu. La tension est là d’emblée ; le jeune père connait par oui-dire, la pratique illégale de Nino dans les contrées loin de Tbilissi, où les interruptions volontaires de grossesse soumises au bon vouloir des praticiens, reste possible seulement jusqu’à douze semaines d’aménorrhée.
Le cadre vacille, toujours mobile de la caméra 35mm à l’épaule du chef opérateur (Arseni Khachaturan), magicien de l’image aux lents plans séquences de dialogues en tension, et de plans d’ensemble de nature où l’eau est omniprésente sous toutes ses formes. Ses images nous conduisent dans de longs travellings, les parcours/errances de Nino, nouvelle forme de balancement des allers et retours sur des routes où tous les périls sont possibles… et c’est dans ces nulle-parts de chemins plus ou moins goudronnés, bordés de chiens errants, qu’elle s’adonne à une sexualité risquée et anonyme. Eros-Thanatos, serait-ce l’esprit du Golem [j’ai bien aimé cette allusion pendant le débat], qui hante Nino maïeuticienne en excellence ici, presque austère dans sa tenue bleutée, lumière scialytique, carrelages aseptisés et rutilants d’un hôpital moderne… et là, pratiquant clandestinement sur les tables de cuisine des masures à peine éclairées de Colchide, entre deux voire trois continents, Europe-Asie et l’écrasante URSS devenue Russie toujours aussi omniprésente et oppressante.
Elle est déterminée dans ses missions qu’elle est seule à s’être données, ce qui en fait un personnage solitaire, sans liens personnels avec les autres, ne tirerait elle son empathie que de l’amour qu’elle éprouve pour toutes les femmes qu’elle aide ? Elle a aimé David, l’aime-t-elle encore huit ans après. Amour empêché par sa pratique, nul ne sait.
Le cinéma du réel, cinéma-vérité, tournage frontal d’un accouchement, ou de l’avortement dans sa longueur d’une jeune sourde-et-muette, réduite au silence, victime d’un viol intrafamilial. April est comme en opposition, également un film naturaliste, beauté saisissante des paysages nous sommes au printemps. Dégel du mois d’April, champs de coquelicots Monet, explosion florale des fruitiers sur fond de ciels d’azur, ou de nuits bleutées découpant au scalpel les sommets du Caucase ,viennent dessiner le décor. C’est ici que nous sommes, avec Nino, sur des terres abondantes, parmi des gens de peu toujours prêts à ajouter un couvert au passant, et où les parents peu éduqués reproduisent au fil des décennies le cercle vicieux de la scolarité que les mères n’ont pas reçue, incapables de donner une instruction de base à leur nombreux enfants.
Dea Kulumbegashvili a passé beaucoup de temps à l’hôpital avec Ia, elles y ont été conseillées pour la gestuelle par un médecin chef très attentif. Elles ont beaucoup échangé avec les jeunes femmes enceintes pour obtenir leur consentement à être filmées au moment de leur accouchement. Les cadres sont parfaitement composés « storyboardisés », et on sent que les équipes techniques sont préparées pour choisir les plans sans interférer les gestes médicaux ; le jeu des acteurs présents dans la salle de travail, est parfaitement maîtrisé après de multiples répétitions avec des doublures. Matthew Herbert musicien britannique compose une partition de souffles et de percussions sur des instruments fabriqués à partir d’un squelette de cheval. Cela confère une atmosphère particulière de respirations tantôt calme tantôt haletantes, dans une asynchronie recherchée qui ajoute au trouble. La composition laisse entendre les conversations feutrées perçues derrières les portes des hôpitaux, des murmures… auxquels s’ajoutent encore les aboiements des chiens errants qui sont de tous les plans en extérieur. C’est aussi le bruit de l’eau de pluie sur les toits de tôle, dans les champs glaiseux, l’eau (de la vie) omniprésente d’un bout à l’autre du film. Une partition acousmatique conçue à partir des enregistrements de longue haleine en pleine nature…
Je reprendrai pour finir les propos de Dea Kulubegashvili « Je ne peux qu’espérer que les questions soulevées dans le film trouveront un écho auprès du public. Même si l’histoire du film est très ancrée localement, j’aime à penser que les spectateurs pourront facilement s’identifier aux personnages, car le film aborde des valeurs universelles qui sont malheureusement menacées aujourd’hui aux quatre coins du monde. C’est une régression considérable que de remettre en cause la contraception et le droit à l’avortement, facteur d’émancipation et de choix des femmes quant à leur avenir. J’observe autour du monde, un sujet de campagne aux États-Unis, mais aussi la situation en Pologne, en Italie… où ce droit est âprement débattu. »