La mer au loin de Saïd Hamich Benlarbi (2)

L’exil d’un jeune homme du Maroc à Marseille, ou l’adaptation par le sentiment.

Le réalisateur annonce d’emblée le projet de son film : montrer le triptyque: exil, raï, mélodrame. Le mélodrame vécu par le personnage principal du film » Nour » est ressenti par le biais des émotions. Ce choix de S. Hamich tient au fait que l’inspiration film est principalement littéraire avec  » L’éducation sentimentale » de Gustave Flaubert dont le sous-titre est  » Histoire d’un jeune homme ».

Nour qui arrive très jeune à Marseille doit tout découvrir, quelle vie peut-il mener ? Au départ, il rejoint la communauté de jeunes maghrébins, la plupart clandestins, qui vivent de petits larcins, qui jouent au chat et à la souris avec la police. Ils vivent ensemble de façon précaire mais font beaucoup la fête, dansent et chantent au son du raï.

Nour s’adapte bien à cette nouvelle vie, sort avec une copine française, boit, danse, vend des montres volées à la sauvette sur le trottoir, et son visage semble refléter une certaine insouciance si ce n’est du bonheur.

Tout se détraque avec l’arrivée ( brutale ) de la police dans la pièce où vivent entassés la bande de copains/copines, la saisie des passeports et le face à face douloureux et surprenant avec un commissaire de police atypique..

Le mariage de l’un des piliers du groupe ( Khaled) accélère l’éclatement et l’individualisation de ces jeunes, qui ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes pour vivre.

Nour se retrouve à la rue, désespéré, clochardisé, selon les mots qu’il crie au téléphone à sa mère. Pas de travail, pas de papiers, pas de toit.. La dure condition d’exilé s’abat sur Nour, alors qu’il déambule dans les rues de Marseille sous une pluie battante, la tête baissée trimbalant son baluchon. Les gros plans sur son visage montrent sa détresse, sa solitude.

Alors qu’il s’est blessé et gît à terre inconscient dans la rue, il se réveille dans un canapé et une pièce inconnue. Le film ouvre alors un nouveau chapitre et une nouvelle ère pour Nour, faits de surprises, de questions complexes.

Noémie chez qui il se trouve, annonce la venue de son mari, lequel ô surprise s’avère être le commissaire de police qui l’a interrogé à deux reprises après son arrestation , celui là même, qui a brûlé son passeport ( rendant son-retour au Maroc impossible ) et lui prodiguant après une claque, des caresses non ambigües.

La rencontre de ce couple scelle une vie nouvelle pour Nour. Il trouve un toit, de l’amitié , une complicité et surtout une autre manière de vivre ( notamment la sexualité) qui le fait réfléchir tout en l’éloignant de sa matrice culturelle d’origine.

Comment aimer ? La suite du film où les trois personnages principaux ; Nour, Noémier et Serge, traversent leur vie ensemble est celle où l’éducation par le sentiment est à l’oeuvre. Même si cette traversée de milieux inconnus de Nour ( des bars trans où Serge lui a trouvé une chambre, des lieux échangistes ) le trouble.

Son attachement à ce couple croît, lui procure une sécurité jusqu’alors introuvable. Noémie et Serge sont très respectueux de l’identité, de la personne de Nour  » dommage dit Serge  » au moment où Nour refuse ses avances, ils font montre de beaucoup d’humanité et de solidarité en l’accompagnant dans cette traversée d’un nouveau monde sentiments et de valeurs.

Nouveau tournant, la maladie puis la mort de Serge ( du sida des années 90, dont on voit les premiers signes avec cette toux au commissariat ). Noémie et Nour qui l’accompagnent, sont bouleversés et font front commun face à la douleur.

Le monologue de Noémie lors de l’enterrement de Serge, est un magnifique cri d’amour à cet homme, qui lui a appris la liberté, la sienne et celle des autres. Il faut qu’elle vive dans le chemin qu’il lui a tracé, pour son fils, et pour Nour dont elle est tombée amoureuse.

Cette nouvelle vie, apporte à Nour ce qu’il a ardemment souhaité, une épouse Noémie et à, terme, la nationalité française, l’amour bien qu’il avoue ne pas savoir ce que c’est, et aussi la douleur d’un impossible retour à sa terre natale.

Les scènes du retour au Maroc sont poignantes, avec cette mère sans doute aimante mais prisonnière de sa tradition familiale et qui ne peut accepter une épouse chrétienne, plus âgée que son fils et de surcroît mère d’un enfant.

Poignante cette scène où Nour rencontre Hanane, son amie, rejetée par son entourage et le village car devenue mère célibataire il y a onze ans, et considérée comme une prostituée. C’est le coeur brisé, que Nour quitte cette femme qu’il a aimée et sa propre fille qu’il vient de découvrir et qu’il ne reverra sans doute jamais.

La page de l’exil et de l’apprentissage des sentiments est tournée. Tout n’est pas parfait, Nour a un métier ( menuisier comme son père ) une femme et un fils adoptif une famille qui est sienne et il ne sera pas seul comme son ami Houcine.

Les derniers plans du film, montrent Nour qui revient de voir Houcine, alors qu’une fête bat son plein, où il retrouve tous les amis du couple qui chantent et dansent, Nour s’approche de Noémie et son visage a changé, il est celui du bonheur choisi.

Françoise

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