L’Art d’aimer d’Emmanuel MOURET (2011)

Journal de bord des Ciné-rencontres de Prades 2025 (par Claude)

Dimanche 20 juillet, 14 h 00

C’est à un véritable ballet d’acteurs, dans ce film à sketches, que nous invite Emmanuel Mouret dans L’Art d’aimer dont le titre renvoie au poème didactique d’Ovide et la structure, de conversations croisées et de cinq chassés-croisés amoureux, à l’univers d’Eric Rohmer. Excusez du peu – et la liste n’est pas exhaustive : outre le cinéaste lui-même dans un petit rôle (Louis), l’inénarrable Frédérique Bel, tout d’ingénuité libertine, François Cluzet (Achille), irrésistible en tombeur blasé et susurrant, Ariane Ascaride (Emmanuelle) en épouse aux désirs irrépressibles pour…tous les hommes, Gaspard Ulliel, Louis-Do de Lencquesaing, ou Judith Godrèche (Amélie) prêtant son mari Jérémy à son amie Julie Depardieu (Isabelle) qui n’a plus fait l’amour depuis un an…

D’emblée, la tonalité picturale et musicale de ce film choral est donnée avec l’allegretto de la symphonie N° 3 de Brahms auquel feront écho, à chaque étape, pour chaque histoire, d’autres grands morceaux classiques : la Petite musique de nuit de Mozart, la Truite de Schubert, des ballades de Chopin, ou du Léo Delibes. « Il n’y a pas d’amour sans musique » – affiche en effet le premier des cartons qui scandent le film comme les muets d’autrefois en autant d’expériences du désir, de l’amour, de l’amitié aussi inattendues et loufoques les unes que les autres. La musique est liée aux couleurs dans une même vision de l’accord plus ou moins dissonant au sein d’un couple, de l’atmosphère morale entre deux ami(e)s : on recherche en somme cette harmonie qui semble, tout au moins initialement, présider à la relation conjugale de Paul et Emmanuelle… Laurent avait quelque peu trouvé la note avec Annabelle, un peu plus avec Elisabeth. Musicien, il mourra, jeune, d’un cancer sans avoir trouvé pour lui-même la musique du bonheur – offrande intuitive de l’artiste souvent voué au malheur ou à l’insatisfaction dans sa propre vie.

En conte moral, L’Art d’aimer égrène au fil des épisodes et des cartons des maximes poétiques, paradoxales ou fantaisistes : « Il ne faut pas refuser ce qu’on nous offre », « le désir est inconstant et danse comme les herbes dans le vent », « il est difficile de donner comme on voudrait », « sans danger, le désir est moins vif », « patience, mais pas trop », « arrangez-vous pour que les infidélités soient ignorées »…Ce sont autant de variations savoureuses.

La plus amusante est pour moi la relation entre les personnages joués par Frédérique Bel et François Cluzet : la jeune femme, dont la porte d’appartement s’est refermée alors qu’elle descendait chercher le courrier, sonne en nuisette chez son voisin, un séducteur patenté qu’on a vu aligner les coups de fil à toutes ses amies pour occuper sa soirée. Se disant affectée par la rupture avec son ami, jouant les sainte-nitouche tout en acceptant de danser ou de boire le champagne avec l’inconnu, l’actrice est délicieuse de réticences affectées et d’audace embarrassée : « j’ai l’impression d’être un feu rouge : vous me regardez comme si vous attendiez que je passe au vert. » Quant à François Cluzet, très entreprenant, il sait habiller son désir fougueux de conseils amicaux et de maximes de sagesse apparente en un subtil marivaudage : si son affriolante voisine n’est pas sûre d’être amoureuse… de lui, rien de tel – explique-t-il – que « de faire l’amour pour en prendre conscience. » La jeune femme se sent-elle paradoxalement bloquée par la fin définitive de son couple, les infidélités de son ex, et la haute image qu’elle se fait de l’amour ? elle refuse de se dénuder…trop vite ? « C’est justement parce que l’amour est sacré qu’il faut le célébrer. La nature s’exprime en nous. Les atomes s’attirent » ou encore : « il faut être à l’écoute de ce qui se passe en vous » !!

Une autre variation joue des rapports complexes entre l’amour et l’amitié – thème cher à Mouret, notamment dans Changement d’adresse ou Un baiser s’il vous plaît – ici en termes d’amitié sexuelle. Isabelle souffre du manque sexuel et s’en ouvre à son amie Amélie qui lui propose de lui prêter son mari Jérémy pour une ou deux nuits car il est malsain de ne pas faire l’amour : elle n’est pas possessive mais favorable au partage et à la redistribution des richesses. A moins qu’il ne s’agisse d’abord d’un rêve suscité par une promenade amicale mais bientôt réalisé car son amie,pour ne pas céder à l’infidélité, met sa proposition à exécution mais avec son meilleur ami et hypothétique amant Boris. Amélie, gênée, accepte mais ne veut se donner à Boris que dans le noir mais, pris au jeu, les deux amants d’un soir s’éprennent l’un de l’autre dans une chambre d’hôtel jusqu’au jour où une panne de courant les obligeant à allumer la lumière, ils se rendent compte de la supercherie. Boris, libraire comme Isabelle, est furieux et ne veut revoir ni l’une ni l’autre : il retrouvera pourtant son amante lors d’une soirée et ils s’embrasseront fougueusement. Du malentendu et de la mystification à l’amour…

Chez Mouret, on interroge sans cesse ses sentiments, on se cherche quitte à jouer, dangereusement ?, avec le désir. Vanessa et Myriam, amoureux, amis depuis douze ans, craignent de trop s’attacher l’un à l’autre et veulent préserver la liberté de chacun. Ils éprouvent leur amour par des aventures extra-conjugales mais se disent tout. Ainsi, Vanessa a rendez-vous avec Louis (Emmanuel Mouret) et l’avoue à William : le problème est que celui-ci, d’abord consentant, réagit mal car il est jaloux, d’autant que Louis tombe amoureux de Vanessa et William lui-même de sa stagiaire au travail. Ils attendent chacun leur rendez-vous dans un bar, comme le suggère un split-screen, mais se retrouvent dans leur appartement, adossés aux portes de deux pièces voisines – contiguïté spatiale puis ballet de mouvements qui traduisent leur rapprochement et leur amour fortifié : « tu m’as manqué » – s’avouent-ils. il aura fallu passer par ce test, cette médiation d’un tiers…

Ce principe, ce désir triangulaire*, selon le concept de René Girard, est radicalisé de manière à la fois burlesque et peu vraisemblable dans la dernière expérience, celle de Paul et Emmanuelle (Ariane Ascaride) : celle-ci pleure, avouant à son mari qu’elle va le quitter. « As-tu rencontré quelqu’un ? », réagit Paul avec douceur et accablement. Non, elle ne l’a jamais trompé mais éprouve pour nombre d’hommes qu’elle croise des désirs irrépressibles. Elle a pourtant lutté contre la tentation mais rien n’y fait ! Paul la supplie de rester et accepte toutes ces aventures potentielles. Emmanuelle se sent ainsi libérée et pourtant elle ne cède pas à ses pulsions lors de ses rencontres. Son désir pour les autres aura paradoxalement renforcé sa libido et son amour pour Paul, comme si son époux retrouvé rassemblait et incarnait toutes les virtualités amoureuses, était lui-même et tous les hommes à la fois. Une manière insolite de relancer et pérenniser le couple, de réinventer le désir !

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