Oui – Nadav Lapid

Je regrette de ne pas avoir pu être dans la salle ce mardi pour la projection/débat de Oui, voir un tel film sans en débattre est toujours moins bien.

D’autant qu’autour de Oui, il y a eu une contestation politique, celle de Ciné-Palestine reproduite dans libération du 17/9 qui dit : « Sous une apparence critique, OUI  participe en réalité à la normalisation de l’Etat israélien, en donnant une image culturelle légitime à un système colonial ». C’est dommage et injuste. Cette critique rejetante ne devrait pas ébranler Nadav Lapid. J’avais noté sur son film « Synonymes » qui a des traits autobiographiques  : Israel est contenu dans Yoav, et Israël le rend fou ! Renoncer à son identité est une tentative séduisante et perdue d’avance, une façon d’y penser sans cesse pour se dire qu’on la rejette ».

Dans Synonymes son personnage Masculin s’appelait YOAV, dans OUI, comme dans « le genou d’Ahed » son précédent film, il est devenu Y.

Depuis le massacre du Hamas le 7 octobre Israel est en guerre, ce Y là, comme dit le synopsis, « est un musicien de Jazz précaire qui avec sa femme Jasmine, danseuse, donnent leur art, leur âme et leurs corps aux plus offrants » Le film commence par une folie, une fureur cinématographique, avec les déplacements virevoltants de l’image sous des lumières multicolores sur fond de musique frénétique, on distingue sous la lumière des bouts de corps dansants, puis apparaît une danse érotique, folle, à la fois sexuelle et inquiétante. Les danseurs sont Y (Ariel Bronz) et Jasmine (Efrat Dor).

Nous sommes à Tel Aviv, ville de la fête à quelques dizaines de km de la bande de Gaza. Et cette société en fête que montre Nadav Lapid n’est pas Tel Aviv en général, mais une population très riche dans une fête orgiaque. Nous verrons que ces mêmes personnes se prétendent opportunément nationalistes dans une société de débauche illimitée- Au loin, dans l’indifférence générale, les bombes explosent, on pourrait les entendre, si l’on y prêtait attention.

Quand il n’anime pas ces fêtes, Y est en recherche d’inspiration musicale, il espère avoir su succès afin que lui et sa femme et son enfant ne vivent plus de leur job quasi prostitutionnel. « Bientôt, Y. se voit confier une mission de la plus haute importance : mettre en musique un nouvel hymne national » nous dit le synopsis. Pour être précis, un homme riche et influent le lui confie. Il accepte, c’est le début du naufrage. Dans sa quête d’inspiration, Y retourne dans son village et revoit sa fiancée d’alors, elle lui raconte les exactions du 7 octobre, elle les récite comme un poème affreux. Ensuite, ils se rendent le long de la frontière d’où l’on peut observer et entendre les bombardements… un peu comme au spectacle. (Mais nous sommes également ces spectateurs)

Les paroles vengeresses de l’hymne composé par Y. sont quasi documentaires, elles sont une reproduction d’une chanson nationaliste qui a circulé en vidéo après le 7 octobre. Nadav Lapid dit que lors du tournage de la chorale, les enfants le chantaient en présence de leurs parents, parents bien plus préoccupés de vérifier que leurs enfants étaient dans le cadre, si on les voyait bien, que des paroles assassines de l’hymne. Plus tard on verra Y se livrer au sens propre, à un léchage de pompes de milliardaires… La chaussure se métamorphose et le talon devient phallique, il continue, toute honte bue.

Nadav Lapid ne dénonce pas seulement une société jouisseuse et indifférente à la guerre, nationaliste par intérêt, une société donc qui n’est pas celle de la « libération des otages », mais celle de Netanyahu et consorts, celle du business et de la conquête coloniale, celle qui considère que les otages sont des objectifs secondaires et les morts palestiniens des dégâts collatéraux. OUI comme d’ailleurs les interviews de Nadav dénoncent l’indifférence générale envers la population pour Gaza, le déni, son absence totale d’empathie pour les victimes en masse palestiniennes.

Enfin, il en revient sur l’homme Y et son mobile. Ce Y là est certainement doué, mais il est aussi naïf, sans consistance, manipulable. Tandis que Jasmine son épouse, de son côté « veut en sortir »  comme on dit . Finalement, elle souhaite partir en Europe, elle ne veut pas que son enfant vive et grandisse en Israel. Sa détermination à partir contient en raccourci un thème récurent de Nadav Lapid, qu’on retrouve aussi bien dans les différentes interviews qu’il a donné que dans Synonymes et le genou d’Ahed.

Nadav Lapid fut autrefois un enfant précoce, un poète et il conserve une approche poétique du réel. C’est un artiste dans différentes disciplines et ses références picturales et musicales en témoignent, lui qui les utilise allègrement : William Black dont la frontière entre le réel et l’imaginaire a toujours été inexistante, la musique du film qu’il utilise quelquefois de manière ironique, Love me tender devient un chant de guerre, quant au révolutionnaire jazz be-bop de Thélonious Monk, il est écouté par des agents nationalistes…L’art comme citation où la corruption de l’art… pour montrer la corruption générale, celle de l’argent, celle des âmes.

OUI ne nous prend pas dans le sens du poil. Sur la forme c’est un film d’une beauté rugueuse et poétique. Sur le fond, Il dénonce une société malade, avec ses affairistes et autres sybarites, s’habillant de nationalisme. Celle des maîtres et de leurs serviteurs, parfois veules. Tout cela sur fond de belle indifférence d’un peuple centré sur ses propres malheurs, indifférent à celui des autres. OUI juge moins qu’il ne décrit, mais se plaçant à contrepied de l’avis du plus grand nombre, Nadav Lapid prend le risque d’être un paria en devenir

Georges

PS / Avec ce film complexe, avec un box office de près de 50 000 spectateurs en France, encore distribué dans de nombreuses salles en France, nous reverrons certainement d’autres films de Nadav Lapid.

Un simple accident- Jafar Panahi 

  

    En sortant d’une projection de ce film avec plusieurs amis tous membres des Cramés, je n’ai entendu que des avis défavorables à son égard.  Pourtant, tout en avouant que ce n’était pas un grand film, j’ai trouvé que c’était un bon film, un film nuancé sur un sujet important que j’avais regardé avec plaisir.  Je voudrais expliquer pourquoi.

    Le sujet du film est très sérieux : une dénonciation de la torture subie par les citoyens ordinaires d’Iran dans les prisons des mollahs, traitement dont Jafar Panahi lui-même a été victime.  Mais le cinéaste a trouvé le moyen de traiter ce thème difficile et lourd avec une légèreté, une fantaisie, voire un humour qui le font passer.  Il y a un rassemblement fortuit de personnages disparates — un garagiste, un couple de jeunes mariés, la photographe qu’ils ont engagée, l’ex de celle-ci — qui n’ont en commun que le fait d’avoir tous été victimes du même bourreau, Eghbal, appelé « la Guibole ».  Le garagiste croit avoir reconnu celui-ci au son de sa prothèse de jambe sur les pavés et l’a emprisonné dans une boîte à outils dans son fourgon.  Dans ce véhicule on accompagne cette compagnie  hétéroclite dans une équipée rocambolesque à travers la ville (Teheran?) et le désert environnant qui n’est pas sans rappeler « La chevauchée fantastique » (« Stagecoach ») de John Ford.  Ayant eu les yeux bandés en prison, le garagiste et ses complices ont des doutes sur l’identité de leur prisonnier qui les font hésiter.  Il y a une grande tension tout au long du film, car nous partageons ces doutes et craignons un malheur, le sacrifice d’un innocent à la colère des victimes, un autre.  Sur ce fond sombre, il y a pourtant plusieurs scènes plutôt comiques, lorsque les divers personnages s’échauffent à tour de rôle et perdent la boule avant d’être modérés par les autres.   

La scène qui m’a fait penser que l’humour que j’y voyais était peut-être voulu, c’est celle où le policier sort son appareil pour accepter le paiement par carte bancaire d’un pot de vin.  En contrepoint avec ces scènes, il y a des explosions de rage qui témoignent de la violence de la torture dont les personnages ont été victimes et des séquelles qu’ils portent encore.  Décents et très humains, ils sont tiraillés entre leur soif de vengeance et le désir plusieurs fois répété de « ne pas devenir comme eux [leurs bourreaux] ».   Une référence à Godot, dans un paysage désolé avec son arbre chétif qui est celui de la pièce, souligne le dilemme qu’ils partagent avec Vladimir et Estragon : « Qu’est ce qu’on fait maintenant ? » 

Finalement ils se contentent de gueuler leur rage, de faire avouer leur bourreau et de lui donner pendant une journée une petite idée de tout ce qu’ils ont subi entre ses mains.   Entre-temps, ils ne restent pas sourds aux cris de détresse d’une petite fille, amenant la  femme du bourreau à l’hôpital pour qu’elle y accouche, ce qui montre que leurs souffrances n’ont pas eu raison de leur humanité.  Quant au fond sérieux, tout en ouvrant une interrogation sur les limites que doit prendre la vengeance, le film pose aussi la question de savoir comment un brave père de famille peut devenir un atroce bourreau.  Car on a l’impression à la fin d’une véritable prise de conscience de la part de la Guibole, dont le cri répété « Je regrette » semble finir par être sincère.  La photographe dit à un moment donné « Ce n’est pas lui, c’est la structure » (i.e. le système, le régime), avant de l’engueuler violemment à la fin, le traitant plusieurs fois de « merde ».  L’un n’empêche pas l’autre.   Avec un retour chez le garagiste, le film se termine sur une note ambigüe.  Le petit berceau qu’on voit  porter est-il destiné au fils nouveau-né du bourreau, dont le garagiste serait devenu un ami de la famille ?  Le clop clop de la prothèse qu’on entend tout à la fin est-ce dans la tête de garagiste ou est-ce le bourreau lui-même qui serait à l’étage ?  En tout cas, le drame a été évité, le cinéaste et ses personnage ont pu crier leur colère sans devenir « comme eux ». 

Don 

Berlinguer, la grande ambition d’Andrea SEGRE

A l’heure où l’extrême droite avec Georgia Meloni exerce le pouvoir en Italie depuis 3 ans (octobre 2022) et se propage comme une lèpre dans maints pays, où les hommes politiques français donnent le triste exemple de l’intransigeance démocratique ou des compromissions parlementaires pour former ou défaire un gouvernement, il est salutaire et surtout indispensable de voir Berlinguer, le dernier film d’Andra Segre, dont la projection a été pour moi le point d’orgue du festival italien des 11 et 12 octobre organisé par Georges et les Cramés et animé par notre fidèle et facétieux Jean-Claude Mirabella. Ce fut pour moi – et je crois pouvoir le dire pour la plupart des spectateurs, à en juger par la qualité et l’animation du débat – un grand moment de cinéma, tant ce film, qui mêle fiction et documentaire, chronique politique et familiale nourrie de nombreux documents d’archives, semble porté par un véritable souffle épique tout en nous faisant entrer dans l’intimité d’un homme intègre et chaleureux, déterminé et torturé, on le serait à moins : il s’agissait pour le leader incontesté du parti communiste italien, saisi dans une tranche de vie dramatique, entre 1973 et 1978, de tenter de bâtir un « compromis historique » entre la démocratie chrétienne et le « grand frère » soviétique, entre la bourgeoisie et les masses ouvrières, entre la corruption du libéralisme et la raideur doctrinale du communisme à l’époque de Brejnev. Autant dire que, sans tomber pourtant dans l’hagiographie ou le manichéisme – Berlinguer a ses moments de faiblesse et le parti ses pesanteurs d’appareil – Andrea Segre nous montre, avec ce leader et penseur communiste à visage humain, un héros intranquille de la politique qui nous réconcilie avec ce noble métier si souvent décrié pour les discours verbeux, les magouilles incessantes, et les promesses non tenues de quelques-uns.

Oui, un héros, Berlinguer l’est sans aucun doute, pas seulement pour avoir échappé à un attentat des services secrets lors d’un voyage à la rencontre du PC bulgare ou pour soutenir de ce fait et par son charisme la comparaison avec Salvador Allende, le président élu et renversé par le coup d’Etat de Pinochet en 1973 – jalon premier de ce film auquel renvoient les dernières images sur l’enterrement quasiment national de Berlinguer avec 1 million et demi de personnes. Pas seulement parce qu’il a voulu garder secrète la nouvelle de l’attentat manqué contre lui, pour ne pas nuire à la cause communiste ou offrir une sombre satisfaction à ses adversaires – ce qui n’a pas empêché le gouvernement italien de lui envoyer l’avion présidentiel comme pour un chef d’Etat : c’est dire le prestige et l’autorité morale de ce leader reconnu par ses adversaires et salué en haut lieu. Un beau sens du sacrifice et de la corde raide, de cette ligne de crête sur laquelle se tenait un homme droit et courageux, qui n’hésite pas à faire passer le sens de l’Etat avant ses intérêts privés, son bonheur, sa vie même : à cet égard, l’une des scènes les plus marquantes du film, d’une émotion sobre et vraie (je n’oublie pas que Jean-Claude a horreur de l’émotion) est celle où, après l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, chef de la démocratie chrétienne par les Brigades rouges, Enrico réunit dans le salon ses trois enfants après avoir longuement parlé avec son épouse. Au message implorant d’Aldo Moro (sincère ou dicté par ses geôliers ?), Berlinguer répond qu’à aucun prix, il ne faut céder aux ravisseurs, que sa vie importerait peu au regard de la raison d’Etat s’il venait lui aussi à être enlevé et que sa famille et son parti fussent soumis à un aussi odieux chantage…On admire, au-delà d’une question inquiète d’un garçon, la force d’âme et la dignité de cet homme qui semble se communiquer à ses proches dans une acceptation muette, confiante et inébranlable du destin et des servitudes de la vie publique où l’on ne s’appartient plus.

Ce moment est sans doute un climax du film – Jean-Claude ne m’en voudra pas d’utiliser un anglicisme : s’y rejoignent et y culminent l’itinéraire politique de cet homme accablé par la mort de son allié démocrate-chrétien, un leader plus pur et sincère que Giulio Andreotti, et avec lequel il aurait pu transformer ses 30 % d’électorat populaire en expérience unique de gouvernement conjoint, et le contexte familial, discret mais omniprésent. Enrico ne cesse de consulter sa femme, qui le soutient indéfectiblement et le recentre au besoin. Son bureau est aussi le salon où jouent ses enfants autour de lui ; il lève souvent le nez de ses dossiers ou de ses notes fébrilement jetées sur de petits carnets, pour prendre sa fille dans ses bras ; il fait de la voile avec ses enfants…C’est un homme empathique, un instant brisé par le sort d’Aldo Moro et la mort dans la voiture de l’attentat de ce traducteur bulgare qui s’épanchait sur Fellini.

Il faut aussi souligner la performance exceptionnelle de l’acteur qui l’incarne, Elio Germano, un beau rôle de composition quand on sait que le même comédien jouait le mafieux Matteo dans Lettres Siciliennes de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, propsé aux Cramés samedi après-midi…Elio Germano est littéralement habité par son personnage dont il rend la cordialité franche et fiévreuse – mains jointes, tête renversée, veines saillantes – l’humble charisme malgré sa corpulence moyenne, son sourire timide, ses épaules un peu voûtées – comme si ce corps ployait à la fois sous le poids du monde nouveau à construire et de l’élan spontané qui le porte toujours vers les autres. Oui, cet élan le porte et nous emporte grâce aux scènes de foule, aux images d’archives – de réunion en meeting, de poignées de mains aux ouvriers pour la Fiesta dell’unita en âpres débats de cabinet sur l’abstention, la participation ou l’opposition au pouvoir, de discussion sur Fellini dans une voiture bientôt heurtée de plein fouet par un camion assassin en prise de parole dans le silence glacial, à peine ponctué par deux séries d’applaudissments, d’un Soviet suprême. Pas un titan, pas un messie ni même un homme providentiel, mais un grand homme, porté par sa foi dans les lendemains qui chantent et ce sens infini du bien commun en vertu duquel, à l’âge de 62 ans, devant une assemblée, il finit de prononcer son discours, malgré un malaise cardiaque, jusqu’à son dernier souffle.

Claude

Diane Keaton 1946-2025

“J’ai toujours aimé les femmes indépendantes, les femmes qui disent ce qu’elles pensent, les femmes excentriques, les femmes drôles, les femmes imparfaites. Quand quelqu’un dit à propos d’une femme : ‘Désolé, mais ce qu’elle fait là, ce n’est pas bien,’ j’ai tendance à penser qu’elle doit sûrement être en train de faire quelque chose de bien.“ Diane Keaton

Diane Keaton
Captivante, élégante, drôle, délicate, singulière, lumineuse
La grande classe, tout simplement

Le Parrain, Annie Hall, Baby Boom, A la recherche de M. Goodbar, Reds, Meurtre mystérieux à Manhattan, Intérieurs, Tout peut arriver…

Une carrière immense. Cinq décennies de nos vies …
Merci de vous avoir rencontrée