« Eh ! frérot », « tu kiffes ces gadji (jeune femme extérieure à leur communauté pour les Gitans), « embrasse pas une prostituée, tu vas attraper l’herpès », « les putes, elles baisent au moins » : Les Filles désir, film cru et poétique de Princïa Car, au titre alléchant et ambigu (les filles qu’on désire ou les filles qui désirent être aimées ? libres ?), nous plonge d’emblée au coeur d’une bande de jeunes du quartier poupulaire de La Thys : ce groupe de six moniteurs de centre aéré (Omar – le chef – Tahar, Ismaël, Ali et Momo) se retrouve autour d’une verre, pour une baignade et une fête foraine mais leur belle complicité, leur jovialité bagarreuse et bavarde va vite se heurter à l’arrivée inopinée de Carmen, amie d’enfance d’Omar, dont le passé de prostituée et l’attitude séductrice, apparemment désinvolte, perturbe et déstabilise les garçons. Il faut dire qu’à la sensualité et à la provoc’ un peu facile elle ajoute un langage encore plus dru que celui des mecs qui, avec leurs préjugés sexistes et virilistes, se disent choqués par sa trivialité et son franc-parler quand elle donne des conseils de « drague » ou assène leurs quatre vérités à ces petits coqs frustrés et maladroits qui n’hésitent pas à interpeller les filles de loin…du bout du quai ou lui rappellent son passé « honteux » : « après la baise, tu restes ou tu ghostes ? » ou « les putes, ça baise au moins »…Ces mots peuvent surprendre le spectateur mais ils disent tout haut ce que beaucoup pensent tout bas et témoignent d’une belle maturité, d’une expérience vraie de la vie et de l’amour – paradoxalement pour une « pute » : l’amour, ce n’est pas qu’une question de physique, c’est d’abord de la tendresse, des préliminaires et de l’attention à l’autre, du dialogue après l’acte. Une telle fraîcheur, une telle spontanéité sans chichis ni fausse pudeur font du bien.
Car ces jeunes gens sont craquants et ce premier film attachant, fruit d’un travail collaboratif de 4 ans de 3 femmes (la réalisatrice, la scénariste Léna Mardi, l aproductrice Johanna Nahon) avec une troupe de théâtre et de cinéma créée il y a 8 ans improvisant sur une vague trame de situations et de rôles prédéfinis, filmés par la cinéaste dérushant ensuite en studio les scènes pour les retravailler le lendemain avec ces acteurs amateurs au prix parfois d’une vingtaine de prises, jusqu’à 4 h de travail pour une scène – le tout tourné en 24 jours à peine (sur septembre-octobre 2024), avec 15 jeunes et un éducateur tous associés à l’écriture (co-auteurs en somme) pour 1000 euros de budget : un film non seulement choral mais surtout collaboratif, sorti en juillet dernier, très remarqué à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes 2025. Un film d’une grande fraîcheur, solaire et amusant, qui, à rebours des représentations misérabilistes ou stérotypées de Marseille (drogue, violence, etc.) célèbre une cité de la mer et du soleil, où il fait bon se baigner – si dur qu’il soit de rendre le bruit des vagues par-delà le tumulte des voix – un microcosme de soin (pour les enfants), d’amitié et de sororité au-delà des incertitudes ou inquiétudes de l’amour et des blessures familiales – deuil d’un père pour une jeune fille du centre tendrement consolée par Omar, départ d’un mari qui inspire à la mère d’Omar la peur que ce schéma ne se reproduise si son fils « marie » Yasmine.
La force et l’originalité de ce film tiennent d’abord à la vision poétique et insolite de Marseille, loin des clichés véhiculés par les media et entretenus par les discours déclinistes en tous genres, même si l’on ne peut évidemment ignorer un contexte de misère et de violence, notamment dans les quartiers Nord, mis en exergue de façon sans doute réaliste et dramatique mais peut-être tendancieuse par un film comme Bac Nord de Cédric Jimenez. Princia Car a choisi de tirer le film du côté de Mektoub, my love d’Abdellatif Kechiche pour la lumière et la sensualité, ou de Bandes de filles de Céline Sciamma, voire du même Kechiche avec L’Esquive pour la fraîcheur et l’authenticité du langage, la camaraderie à la fois si vivifiante et sclérosante – magie et effet de groupe…La violence n’est que suggérée, en arrière-plan (l’oeil au beurre noir de l’amie de Carmen, prostituée niçoise, la peur d’Omar que Chérif, patron du bar, ne joue les proxénètes auprès de Carmen qu’il emploie dans son snack) ou domestiquée, telle cette rixe sur la plage lorsque Chérif veut régler son compte à un moniteur qui a touché sa soeur, laquelle aurait tourné autour de ce dernier…Désir légitime ou séduction un peu trop appuyée ? Jeu innocent ou maladroit qui se heurte au préjugé religieux du grand frère musuman sur la pureté des filles, lesquelles – explique Princïa Car dans son dossier de presse – sont soumises à des injonctions contradictoires, sommées d’être à la fois désirables et respectables, sexy mais pas trop, expérimentées et quelque peu vierges (si l’on ose dire), toujours cette oscillation, cette double postulation à laquelle est soumise la femme, entre « maman » et « putain »…Interrogations et interpellations timides et osées des filles qui passent par les garçons… à distance, pour meiux dissimuler leur gêne et leur inexpérience…Rodomontades d’un moniteur crânement décidé à se dépuceler avec une prostituée vers laquelle le déposent ses amis mais se défilant finalement (peur du sexe ou de sa réputation ?) pour aller acheter des burger avec les 100 euros qu’on lui a avancés !!
Ce premier film n’est donc pas pas aussi léger qu’il y paraît, malgré ses dialogues parfois brouillons, aux répliques en mitraillettes et pas trop articulées de ces ados craquants et frustrés, une psychologie plus complexe que nos représentations de la banlieue ou d’une certaine jeunesse nous le suggèrent, et des thèmes drôlement bien incarnés et subtilement traités par de jeunes acteurs (Housam Mohamed pour Omar, Leïa Haïchour pour Yasmine, Lou Anna Hamon pour Carmen la bien-nommée, femme fatale, insolente, perturbatrice) : la difficile affirmation de soi face au poids du groupe, les stéréotypes sociaux (sur Marseille), sexuels ou sentimentaux (le regard sur l’autre – male gaze ou female gaze – des garçons sur les filles qu’on « baise » ou celles qu’on « épouse », des filles aussi sur leur avenir, leur mektoub, etc.), religieux (sur le mariage et la virginité), le désir surtout et l’amour bien sûr, si proches et si différents, entre peur d’aimer et engagement sentimental, l’amitié fraternelle ou la sororité, nous en parlions…Comment montrer le désir, suggérer la sexualité de ces jeunes gens découvrant (ou jouant ?) l’amour sans les sexualiser, sans donner dans le sexe facile et racoleuse : le film, où pas une scène d’amour charnel n’est montrée, réussit ce pari !
Personne en effet n’est seulement ni vraiment ce que le groupe pense ou attend de lui (car l’assignation identitaire dont souffre globalement notre société commence là pour s’élargir aux communautés) ; personne surtout ne se réduit à l’image qu’il renvoie ou croit renvoyer, à l’étiquette qu’il se donne. Ainsi, Omar (Housam Mohamed) , qui apparaît d’emblée comme un garçon « carré », selon la formule ironique de Carmen, la femme fatale, sauvage et séductrice de Mérimée ou Bizet transposée ici dans les faubourgs marseillais, un responsable de centre aéré aimant at apaisant, prompt et habile à régler les querelles entre bandes, offre une belle façade qui se fissure : on le sent en effet perturbé, voire hostile face au retour de Carmen puis protecteur à son égard contre Chérif et le groupe rejetant cet élément étranger au risque de mettee en danger sa relation avec Yasmine qui se sent négligée, voire oubliée, surtout lorsqu’il cède à la demande de son amie d’enfance de la conduire à Nice pour récupérer ses affaires et en somme solder son passé. Ce faisant, il cède autant à son propre désir qu’au sien et dans une belle scène où il lui a procuré l’appartement d’une cousine, à peine sorti, il revient sur ses pas et se donne à la jeune femme.
Révélatrice et catalyseuse, Carmen l’est aussi avec Yasmine (Leïa Haïchour), jeune Magrébine effacée et timide, quelque peu gênée par ses rondeurs, qui se croit promise à Omar (il veut la « marier ») et ne comprend pas par quels préjugés le jeune homme ne veut pas céder à ses avances sur le pas de la porte (sans doute pour se préserver avant le mariage), se dit choqué quand elle se masturbe (comme…lui) ou la houspille lorsqu’il la surprend s’amusant en jeune femme épanouie à la fête foraine, sans lui, mais avec Carmen, de rivale devenue son… amie… Quant à Carmen, dont le prénom est tout un programme, le métier de prostituée un stigmate pour le moins marquant et infamant aux yeux du groupe, elle impose, grâce au jeu tout en nuances, entre séduction et émotion de Lou Anna Hamon, une tout autre vérité pour le moins paradoxale : fardée, provocante sur la plage ou la jetée, elle est aussi cette jeune femme brisée qui traîne la honte de son passé, la souffrance de ses parents séparés, tombe dans les bras de son amie niçoise, ou, avec son maillot de bain-papillon, incarne elle aussi le rêve commun d’une vie bien rangée – avec maison et mari – que lui inspire la vue de l’appartement prêté par Omar. Il n’est pas jusqu’à la mère d’Omar qui ne nous surprenne lorsque le jeune homme lui présente son amoureuse : long silence gêné, peur que son fils ne la quitte (comme elle a été elle-même abandonnée par son mari), peur d’un mariage, d’une vie commune précoces – tout l’inverse en somme du bonheur et de la bénédiction immédiate d’une mère par-delà la requête émouvante adressée finalement à la jeune femme : « prenez soin de mon fils, c’est le seul qui me reste à présent ».
Comme si dans ce conte poétique et naturaliste, le mektoub – le destin en arabe – demeurait toujours une promesse incertaine ou n’offrait jamais, selon la belle formule de Carmen, que des « rêves périmés » – fût-ce d’escalader un portail, de partir sur la route, direction Barcelone – comme dans le court métrage de 2019 de Princïa Car, avec la même équipe, Barcelona. Une amitié insolite, qui peut sembler un peu tardive, peu vraisemblable, pas assez préparée par le scénario entre les deux « meilleures ennemies » mais qui peut aussi apparaître comme l’échappée naturelle, à la fois inattendue et mûrie des deux jeunes femmes, l’image d’une émancipation féminine enfin assumée, qu’épouse une caméra plus fluide, passant de la caméra à l’épaule ou de plans-séquences laissant advenir le jeu improvisé, retravaillé et débordant des acteurs amateurs,aux plans larges sur la mer, à l’envol de ces deux hirondelles accompagné par la musique de Vendredi-sur-mer :
« J’ai fait une impasse sur les mots doux
Comme une terrasse en plein mois d’août (…)
J’ai loué une voiture j’suis parti à la mer
Toute seule j’te jure voyage en solitaire. »‘
Du désir subi, de femme-objet ou image stéréotypée, au désir de soi, soif de liberté, amour de la vie.
(Au contraire de mon Nokia précédent, je suis obligée de le laisser allumé si je veux avoir la fonction alarme, c’est malin)
… on m’a envoyé un message. Comme je suis entre deux phases de sommeil, je le consulte, on ne sait jamais : « Lauryne ? »
5h 09. « Non » (l’envoyeur du message a de la chance que j’aie un portable à touches : trop long d’en écrire davantage ; sinon, il aurait reçu un truc du genre, Non mais ça va pas la tête d’envoyer des sms à cette heure-ci, y’en a qui dorment).
5h 12. « Pardon, bonne journée ».
7h 15. Sonnerie du réveil. Je ne vais pas à la séance de 9h…
(La Loi du marché de Stéphane Brizé, autre réalisateur invité. Excellent film -vu à Troyes avec JC- mais dont la caméra mouvante m’avait donné mal au cœur : pas envie de retenter l’expérience)
… et reste tranquillement dans ma chambre afin d’écrire.
14h. A l’âge de 20 ans, un DUT électronique en poche, à part des Louis de Funès et des Belmondo le dimanche soir à la télévision, Stéphane Brizé…
(Seul cinéaste que N. T. Binh ait jamais vu venir présenter ses films AVANT la projection en plus d’être là après. Demain, Claire Burger fera de même. Bonne ‶contagion‶ ?)
… n’avait jamais vu de film…
(Quatrième enfant d’une famille qui en compte cinq, il vient d’un milieu modeste -père fonctionnaire-, sans appétence pour le cinéma. Pas d’argent pour y aller. « Ça n’est pas pour nous ». Mais en quoi ça ne l’est pas ?)
… ni (excepté Le Rouge et le noir, pour un cours de français) lu un livre.
1987. Il monte à Paris. Il écrit un long métrage et l’envoie à un producteur qui
l’accepte mais lui dit que ça serait bien s’il commençait par faire un court métrage. Ce sera
Bleu dommage (1993. « Mademoiselle Solange aime son travail, c’est bien dommage… ») de et avec (« J’avais. 27 ans et douze kilos de moins »). Pour faire sérieux, crée un story-board (ce qu’il ne refera jamais). Sur le tournage, il se rend compte que jouer ne l’intéresse pas : sa carrière d’acteur s’arrête au bout de trois jours. Au contraire, à l’instant où il est sur le plateau, il se sent chez lui.
Bleu dommageest suivi de
Quelques heures de printemps…
(2012. « A 48 ans, Alain Evrard est obligé de retourner habiter chez sa mère. Cohabitation forcée qui fait ressurgir toute la violence de leur relation passée. Il découvre alors que sa mère est condamnée par la maladie. Dans ces derniers mois de vie, seront-ils enfin capables de faire un pas l’un vers l’autre ?) »)
… second film de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon.
Le point de départ : un documentaire, Le choix de Jean, qui suit un protocole de suicide assisté. Cependant, le sujet du film est l’histoire d’amour entre un fils et sa mère.
Annie Cordy (elle avait tenu un rôle dramatique dans Les Passagers de la pluie) : pressentie pour jouer le rôle de la mère. Lorsque Stéphane Brizé la rencontre, elle tient un bichon dans les bras et lui dit qu’elle ne comprend pas comment on peut empoissonner son chien…
(Mais si tu n’as pas pigé qu’elle ne le fait pas par mauvaiseté mais que c’est un acte désespéré pour reprendre contact avec son fils sans perdre la face, c’est que tu es conne, Annie)
… alors le cinéaste sait que ce ne sera pas elle.
La mort d’Hélène Vincent. Les six premières prises, ça ne marchait pas. Histoire de timing : elle pleurait trop tôt, Il faut que tu retiennes la vanne et c’est quand tu lui prends la main que tu lâches tout. Seuls les très grands acteurs peuvent faire ça. Et la huitième prise fut magique. La totalité du film repose sur ce moment-là.
Le bébé. Filmer des bébés est très délicat. On ne peut tourner que très peu de temps (une demi-heure ?) avec eux dans une journée. C’est pourquoi on fait appel à des jumeaux. Encore faut-il qu’ils pleurent (si besoin) au moment voulu. Or les bébé pleurent quand ils ont faim → il faut tout calculer pour qu’ils soient affamés et décaler les biberons plusieurs jours avant. L’un d’eux ne pleurant quand même pas, Stéphane Brizé l’a regardé d’un air méchant et ça a marché. Il faut aussi que la mère ne soit pas dans la même pièce afin de ne pas distraire l’enfant.
N.T. Binh, qui anime la discussion, soulève la responsabilité des critiques. Il se souvient qu’au moment d’une projection, Stéphane Brizé lui avait recommandé de dire tout de suite s’il avait aimé son film mais d’attendre six mois dans le cas contraire.
Le cinéaste se rappelle un critique qui lui avait dit du bien d’un de ses films mais l’avait démoli lors d’une émission de télévision. Quand il lui en avait demandé la raison, le critique avait répondu qu’un autre ayant aimé le film il s’était senti obligé d’être négatif afin d’animer le débat.
Autre cas : une critique travaillant pour un journal de gauche lui avait pareillement dit du bien d’un de ses films. Aussi fut-il très surpris de lire un mauvais papier de sa part. Également questionnée, la journaliste avoua qu’avant d’écrire son article elle était allée voir ce qui avait été précédemment écrit sur le cinéaste dans son journal. Ne trouvant que du négatif, elle en avait suivi la ligne éditoriale.
Une mauvaise critique est quelque chose de très violent.
17h. Fille…
Il pleut.
(2023. « Nine et Thaïs, deux adolescentes de 16 ans, passent leurs journées au city stade. À l’approche du nouvel an, elles vont devoir faire tomber leur maillot de foot pour leur première soirée en boîte de nuit »).
… de Lili Cazals…
(Originaire de Leucate, a étudié à la Ciné Fabrique, école de cinéma établie à Lyon et Marseille)
… dont Bernard Payen, responsable de programmation à la Cinémathèque française et de Court-circuit sur Arte, dit beaucoup de bien.
Fille est suivi de
Hanami…
(2024. « Sur une île volcanique isolée que tout le monde veut quitter, la petite Nana apprend à rester. Sa mère Nia quitte l’île de Fogo, au Cap Vert, pour trouver une vie meilleure en Amérique du Nord. Nana grandit dans la famille de son père, elle est bien entourée. Un jour, Nia réapparaît soudainement après des années d’absence. La proposition de sa mère de quitter l’île avec elle pousse Nana à se demander où est sa place »)
… coproduction suisse, portugaise et cap-verdienne de Denise Fernandes, en compétition pour le prix Solveig Anspach. Joli film poétique dans lequel un vieil homme de l’île et un vulcanologue japonais conversent sans connaître la langue de l’autre. Note : 3, et je regretterai de ne pas lui avoir attribué un 4.
La projection de Hair…
(1979. Milos Forman. Vu il y a longtemps, je me souviens seulement qu’il y est question de la guerre du Vietnam pour laquelle un jeune s’apprête à partir)
… prévue dans le parc du château Pams, est rapatriée au Lido pour cause de risques d’intempéries. Elle conserve néanmoins son horaire tardif de 21h 30, et je reste sagement dans ma chambre.
Jeudi 24 juillet
9h 30. Je ne suis pas là pour être aimé…
(2005. « 50 ans, huissier de justice, le cœur et le sourire fatigués, Jean-Claude Delsart a depuis longtemps abandonné l’idée que la vie pouvait lui offrir des cadeaux. Jusqu’au jour où il s’autorise à pousser la porte d’un cours de tango »)
… de Stéphane Brizé qui, après avoir tourné Le Bleu des villes, se retrouve avec difficulté. Sentiment d’illégitimité. Tétanie absolue. Il se demande s’il va continuer.
C’est à la vision d’un documentaire sur un hôpital gériatrique qu’il retrouve son chemin, face à des gens qui racontent ce qu’ils n’ont pas fait de leur vie → il va s’accrocher.
Je ne suis pas là pour être aimé: plaisir de revoir ce film dont j’avais oublié des détails, par exemple la présence de Georges Wilson…
(Dont, malgré les années, je garde un souvenir ébloui dans Maître Puntila et son valet Matti au TNP du temps où il était à Chaillot, avec, aussi, Charles Denner -ah ! Charles Denner !- et Judith Magre)
… dans le rôle du père, brutal, de Patrick Chesnais. On retrouve quelque chose de cette rudesse dans la famille du cinéaste : Georges Wilson = son grand-père. A la mort de ce dernier, on a trouvé dans une malle des choses intimes qu’on n’aurait pas imaginé qu’il avait pu conserver (de même, le personnage d’Hélène Vincent dans Quelques heures de printemps est inspiré par sa mère).
Question casting masculin, tous les acteurs cotés à Paris reçurent le scénario et tous refusèrent le rôle…
(Jean-Pierre Bacri prétexta qu’il ressemblait à ceux qu’il avait l’habitude d’interpréter mais répondit dans la semaine quand d’autres mirent des mois à le faire)
… personne n’avait pensé à Patrick Chesnais.
Pour le casting féminin, on a fait danser des actrices avec lui pour voir avec laquelle ça fonctionnait le mieux → choix d’Anne Consigny dont la carrière, qui était au plus bas, fut relancée.
Dans le rôle du fils : Cyril Couton que Stéphane Brizé avait rencontré lors d’un stage. Tragique et drôle à la fois.
Le personnage de Patrick Chesnais exerce une fonction sociale mal aimée : huissier, avec l’idée d’aller voir ce qu’il y a derrière la rugosité affective. Ce sont des gens qui se font insulter dans l’exercice de leur métier : il faut savoir encaisser (une huissière a laissé tomber son boulot pour devenir directrice d’une maison de retraite).
Musique composée par deux des trois musiciens du groupe Gothan Project.
La caméra est toujours très loin des acteurs. Le cinéaste utilise une longue focale pour la faire oublier, ainsi que le dispositif cinéma.
Consignes données à Patrick Chesnais et Anne Consigny : vous allez oublier tout ce que vous avez appris. Se détacher de ce qu’on sait faire. L’important, c’est qu’ils vont bien ensemble.
Importance de la psychanalyse pour Stéphane Brizé. Il en commence une à l’âge de 27 ans, pour survivre, sinon il se serait éteint. C’est le début d’un chemin de liberté. Compréhension des mécanismes de la psyché.
14h. En guerre…
(2018. « Malgré de lourds sacrifices financiers de la part des salariés et un bénéfice record de leur entreprise, la direction de l’usine Perrin Industrie décide néanmoins la fermeture totale du site. Accord bafoué, promesses non respectées, les 1100 salariés, emmenés par leur porte-parole Laurent Amédéo, refusent cette décision brutale et vont tout tenter pour sauver leur emploi »)
… de Stéphane Brizé encore. Je ne l’avais jamais vu, sans doute rebutée par le titre, d’ailleurs le cinéaste avoue que le producteur n’en avait pas voulu (trouvait qu’il n’est pas porteur) → le change, provisoirement, pour Un autre monde, qui sera celui de son film suivant.
En guerre se nourrit du conflit de Continental et de son leader Xavier Mathieu, qui a inspiré le personnage de Vincent Lindon. Stéphane Brizé a rencontré une trentaine de personnes de chaque bord (dont Xavier Mathieu) afin d’avoir le point de vue de chacun.
Dans l’Est, aucune usine n’accepte d’accueillir le tournage. Finalement c’est dans la région d’Agen qu’on trouve une usine de métallurgie qui, après avoir employé plus de 3000 salariés, n’en comptait plus que 18.
Vincent Lindon : le seul acteur professionnel. Pour le casting, 600 personnes furent auditionnées pendant une heure (discussion d’une demi-heure suivie d’une autre demi-heure de bouts d’essai au cours desquels chacun joue ce qu’il est dans la réalité, cadre ou ouvrier). Ce sont deux langages qui s’opposent.
Dans le conflit d’Air France en 2015, les dirigeants se font déchirer leurs chemises. Dans le film, c’est une voiture qu’on retourne. Las ! Un peu avant ce moment-là, j’ai un gros coup de mou, je ferme les yeux (en continuant à entendre ce qui se dit mais alors, tout étant action, il n’a pas dû se dire grand-chose) et je loupe cette scène. Quand je rouvre les yeux, j’apprends que quelque chose s’est passé qui a fait capoter les négociations. Je ne saurai ce dont il s’agit que par le commentaire de Stéphane Brizé. Dommage. Il faudra que je revoie le film.
La caméra documentaire ne peut pas aller partout : le personnage incarné par Vincent Lindon (il pense qu’il ne sert à rien) n’a pas pu convoquer celle du film pour la scène de l’immolation → celle-ci est filmée avec un portable. Jamais personne ne va filmer le suicide de personnes licenciées en sachant ce qu’elles vont faire.
Cynisme du journaliste qui annonce que les personnes qui ont retourné la voiture ne seront pas poursuivies.
Stéphane Brizé pensait que son film allait provoquer une révolution mais rien ne s’est passé, tout comme les films de Ken Loach n’ont pas changé le monde. Il s’attendait néanmoins à un soutien des syndicats, mais son « tort » est d’avoir montré un combattant qui perd. Je ne peux pas me présenter devant les gens et leur annoncer des choses négatives, lui dit un syndicaliste qui joue dans le film.
En guerre n’a pas coûté très cher. Stéphane Brizé (il n’a gardé que le nécessaire pour la vie de tous les jours) et Vincent Lindon ont mis leur salaire dans la production.
17h. Les Talons de ma mère…
(2024. « Josée a dix ans, elle approche doucement de l’adolescence. Sa mère, Gloria, jusqu’ici peu présente, décide de la retirer de son terrain de foot pour l’emmener faire les boutiques dans un centre commercial »)
… court métrage de Lili Cazals, est suivi de
Under the volcano…
(2024. « Une famille recomposée ukrainienne passe les derniers jours des ses vacances sur l’île de Tenerife. Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ils se retrouvent alors coincés sur l’île et se confrontent à l’isolement, à leurs responsabilités, à leurs craintes… De touristes, ils passent à réfugiés »)
… film polonais de Damian Kocur, en compétition pour le prix Solveig Anspach. Note : 3.
Et c’est tout pour aujourd’hui : j’ai vu cette année le film de 21h, Langue étrangère de Claire Burger, troisième invitée des Ciné-Rencontres.
Vendredi 25 juillet
9h. Forbach…
(2008. « Samuel est comédien et vit à Paris. Il est de retour dans sa vile d’origine, Forbach, pour y recevoir une médaille d’honneur du maire -Forbach est une ville de l’Est de la France, qui vivait des mines de charbon et qui fait face à des difficultés économiques et sociales-. C’est aussi l’occasion pour lui de renouer avec sa mère et son frère »)
… ville natale de Claire Burger.
Ce court métrage (préquel de Partygirl) est suivi de
C’est ça l’amour…
(2018. « Depuis que sa femme est partie, Mario tient la maison et élève seul ses deux filles. Frida, 14 ans, lui reproche le départ de sa mère. Niki, 17 ans, rêve d’indépendance. Mario, lui, attend toujours le retour de sa femme »)
… que je revois avec plaisir.
Claire Burger continue à parler de Forbach à travers l’histoire de son père. Ses difficultés après que sa femme l’a quitté.
Elle recrée une famille avec des gens de milieux sociaux différents (l’interprète d’une des filles a des parents producteurs, l’autre vient d’un milieu plus modeste) et s’apparente à la plus jeune sœur, Frida.
Thèmes de prédilection : les bouleversements intimes et la société (la famille est une société).
Le père : un peu autiste (tout le monde se moquait de lui). Féru de culture. Mélomane et goût pour le théâtre. Emmenait ses filles à des expositions. N’expliquait rien mais leur a transmis quelque chose.
La culture : sa dimension sociale (elle crée des liens).
Bouli Lanners : a quelque chose d’enfantin. Il a voulu que la cinéaste et lui se rencontrent non pas à Liège ou à Paris mais à Forbach, dans la maison même où a elle grandi, avec son père à côté. Claire Burger brouille les frontières. Les femmes peuvent être fortes et les hommes avoir une part féminine.
Le spectacle final. Découverte du talent des gens → leur fierté. Dimension sociale : crée du lien. La chorégraphie est inspirée de Le Parc d’Angelin Preljocaj.
Il y avait des gens de toutes tendances politiques, dont le RN. Créer une utopie dans un film : envie que des habitants de la ville s’embrassent.
Envie aussi de faire dialoguer la poésie du réel et la poésie de la fiction. Claire Burger n’a pas envie de militantisme au premier degré.
Un film : ne peut pas changer le monde mais peut changer des personnes.
Le titre : manque peut-être un point d’interrogation. L’amour n’est pas la même chose pour tout le monde.
15h 45. Table ronde avec Claire Burger, animée par Bernard Payen.
Originaire, donc, de Forbach, ville minière de Moselle. Après la fermeture des mines, elle a vu le basculement de ses habitants dans le désœuvrement ce qui, ajouté à ses problèmes familiaux, lui a créé une enfance et une adolescence angoissées → son envie de partir.
Elle apprend à tourner en faisant des reportages pour une télé locale. Elle choisit de faire du cinéma pour creuser ses sujets. Etudie le montage à la Femis mais n’a pas envie de faire des films parisiens. Cherche à être authentique : propose aux gens de se représenter eux-mêmes.
Découvre John Cassavetes qui faisait des films avec sa famille et ses amis → elle tourne Forbach avec son ami Samuel Theis…
(Il donne des cours de théâtre à des enfants et monte avec elle à Paris afin de ne pas stagner à Forbach)
… et Party girl (projeté à 14h,
je ne le revois pas : je m’en souviens bien) qui s’inspire de l’histoire de la mère de Samuel et pour lequel on lui disait, Isabelle Huppert sera formidable dans le rôle, mais elle ne lui plaisait pas.
Party girl : difficile pour les comédiens non professionnels de dire un texte appris par cœur, il n’y a pas de spontanéité → Claire Burger leur expliquait les enjeux de la séquence et ils utilisaient leurs propres mots.
Angélique s’est comportée comme une star. Ainsi elle refusa que la demande en mariage de Michel se fasse au micro dans le car qui les emmenait à Strasbourg (c’était pourtant une bonne idée).
17h. Perla…
(2025. Autriche-Slovaquie. « Au début des années 1980 à Vienne, artiste et mère célibataire, Perla a reconstruit sa vie avec sa fille, Júlia, et son partenaire, Josef, un tibétologue. Vivant en exil, elle a essayé de laisser derrière elle les traumatismes de sa jeunesse en Tchécoslovaquie communiste »)
… d’Alexandra Makarova, elle-même slovaque-autrichienne qui a déménagé à Vienne pour vivre avec sa mère artiste.
Mais la mère du film est une idiote. Bien qu’ayant fait un mariage heureux avec un Autrichien, elle revient en Tchécoslovaquie pour revoir (ça peut se comprendre) le père de sa fille qui a été libéré du camp où il a été enfermé suite à leur tentative avortée de fuir le communisme. Il prétendait avoir un cancer mais dès qu’ils se retrouvent il lui annonce, Je suis guéri. Ça devrait lui mettre la puce à l’oreille mais, après un premier mouvement de révolte, elle s’obstine à le revoir et laisse mari et enfant repartir à Vienne pour aller retrouver le menteur dans leur village (ils font l’amour furieusement) sous le prétexte de rapporter les urnes de ses parents (deux gros trucs pas faciles à transporter).
Lors d’une fête (?), les filles sont poursuivies par les mecs (société de merde où ils ont tous les droits) qui, après avoir sonné dans une trompe, les aspergent d’eau en plein hiver (ça a l’air d’être une tradition). Alors qu’elle s’apprête à repartir malgré tout, Perla est rattrapée par son ‶amoureuxʺ. Il sonne à son tour dans une trompe pour appeler les aspergeurs qui lui mettent la main dessus et la portent jusqu’à un ruisseau dans lequel ils la jettent. Furax, elle récupère sa valise et s’en va (l’‶amoureuxʺ la suit sur la route et la supplie de rester) prendre le car afin de rentrer pour de bon à la capitale.
De retour dans sa chambre d’hôtel, elle téléphone à son mari pour lui dire qu’elle va prendre le train pour Vienne. A peine a-t-elle raccroché qu’on frappe à la porte, mais au lieu de la femme de chambre annoncée c’est une commissaire du peuple qui est là, encadrée par deux policiers. Qui m’a dénoncée ? Devinez.
J’entends un spectateur dire qu’elle n’est pas idiote, elle est naïve. Mais, parfois, quelle est la différence entre naïveté et bêtise ? (« … capable d’être aussi la première ado nunuche venue prête à prendre n’importe quelle mauvaise décision par désir et égoïsme » peut-on lire sur le site « Le Polyester »).
Note : 2.
Perla sortira en salle dans une quinzaine de jours et Le Canard enchaîné le classera dans « les films qu’on peut voir cette semaine ». « Tout est réussi dans ce film, fort bien accueilli dans les festivals où il a été présenté : scénario, construction, cadrage, musique, décor, costumes et interprétation d’un quatuor d’acteurs tout simplement impressionnants » Pourquoi pas.
19h et des poussières. Je rentre à la villa Lafabrègue et, pour la première fois depuis que nous venons, trouve la porte fermée. Je passe le bip devant la lumière rouge qui clignote au-dessus d’un digicode sans code connu : une lumière verte s’allume quelques secondes à côté de la lumière rouge mais j’ai beau pousser la porte, elle reste obstinément fermée. Après plusieurs tentatives…
(Jamais eu l’occasion de me servir du bip. Toujours trouvé la porte ouverte même de retour d’une séance à minuit et si Nick m’a un jour montré comment ça marche, j’ai oublié)
… je vais à l’Hostalrich où les copains doivent être en train de se restaurer afin d’emprunter un portable…
(J’ai laissé le mien dans la chambre. Le soir, Annie m’enverra un sms : « Puis-je me permettre de te recommander de prendre ton portable chaque jour avec toi même si on le ferme pendant le cinéma. Actuellement c’est un outil indispensable. Ce soir par exemple tu aurais pu appeler avec devant la porte sans être obligée de revenir jusqu’ici ». D’accord, ma cocotte, mais où ailleurs que là pouvais-je satisfaire l’envie de faire pipi qui me tenaillait les entrailles ? Et j’ai trop peur d’oublier d’éteindre mon portable au ciné, comme ça m’est arrivé le 5 juillet à la Cinémathèque où, cinq minutes avant le début de la séance, dring dring il a sonné -farfouiller dans mon sac afin de le trouver et l’éteindre- c’était toi qui m’appelais, heureusement que le film n’était pas commencé, ça aurait été la honte)
… et composer le numéro de mes hôtes. Personne ne décroche et je me vois déjà passer la nuit à l’Hostalrich où il doit bien rester une ou deux chambres libres.
Afin d’essayer de trouver ce qui cloche, Georges (je ne saurai jamais s’il aurait trouvé le truc, dommage) m’accompagne jusqu’à la villa. Mais entretemps Nick et Kate sont revenus. Nick me montre comment faire : après avoir passé le bip devant la lumière rouge, le descendre le long du digicode, voilà à quoi sert ce dernier !…
21 h. Je ne retourne pas voir Une Vie de Stéphane Brizé et le regretterai un peu.
Samedi 28 juillet
Ayant vu tous les films du matin (Hors saison et Un autre monde de Stéphane Brizé dont je me souviens bien), je ne vais pas au Lido avant
15h 45. Animée par N. T. Binh, table ronde avec Stéphane Brizé au cours de laquelle nous sont projetés des extraits de Le Bleu des villes, son premier long métrage.
1ère séquence : une contractuelle essaie de glisser un PV sur le pare-brise d’un très haut véhicule. Forme de cocasserie, de ridicule. Le cinéaste prête attention au travail des gens…
(Il raffole des émissions de télévision où on voit des gens passionnés par leur métier, qu’ils soient mécaniciens ou boulangers, même si lui-même n’y connaît rien)
… à ceux qui acceptent d’occuper une fonction dans laquelle ils ne sont pas aimés.
2ème extrait : présence de la mort. Il y a toujours quelque chose de trivial dans le fait de mettre un corps dans une boîte (voir aussi celui d’Hélène Vincent dans Quelques heures de printemps) puis le cercueil dans la tombe : nous ne sommes que « ça ». Fragilité de notre condition.
3ème extrait : la contractuelle retrouve une amie d’enfance devenue présentatrice météo. Se demandant si elle n’est pas passée à côté de sa vie, elle envisage de devenir chanteuse et, croyant que son amie a ses entrées dans le monde du spectacle, lui demande de l’aider à percer. Stéphane Brizé nous apprend qu’il a lui-même été sollicité et qu’il s’est trouvé bien embêté.
Une fois son DUT en poche, le cinéaste travaille trois mois à FR3 Le Mans. Il écrit des sketches et touche 2000 euros par mois, ce qui rassure son père. Puis il va à Paris où il a son premier choc en voyant Les Aventures de Reinette et Mirabelle d’Eric Rohmer. Quelque chose résonne en lui. Il s’inscrit au cours Florent et essaie ensuite toutes les écoles en tant qu’acteur. Refusé partout. Il écrit un scénario qu’il envoie par la poste à un producteur (voir le 23 juillet).
Il dit qu’il n’a pas beaucoup d’imagination mais a un grand sens de l’observation.
Je renonce également au film de 17h, Lumière, l’aventure continue (2025, Thierry Frémaux) parce que je l’ai vu cette année et que je me réserve pour ce soir.
21h. Soirée de clôture où sont annoncés :
• Le coup de cœur du jury jeunes : Une Vie de Stéphane Brizé qui, ému, vient recevoir son prix.
• Le prix du court métrage : Wesh Rimbaud…
(2024, France. « Arthur habite dans une ville de banlieue où tout le monde le surnomme Rimbaud, car il a toujours été un élève brillant. Il vient d’ailleurs d’être admis en hypokhâgne. Au cours d’un examen oral, son accent va trahir ses origines sociales »)
… de Dimitri Lucas. C’est mérité.
• Et le prix Solveig Anspach est attribué à :On vous croit. Bravo. L’un des deux réalisateurs, en vacances dans le sud de la France, fait le déplacement pour recevoir son prix. Sa co-réalisatrice, restée en Belgique, nous envoie une vidéo.
Après l’annonce des dates des prochaines Ciné-Rencontres (18-25 juillet 2026), place au film de clôture, la Palme d’or de Cannes :
Un simple accident…
(« Iran, de nos jours. Un homme croise par hasard celui qu’il croit être son ancien tortionnaire. Cependant, face à ce père de famille qui nie farouchement avoir été son bourreau, le doute s’installe »)
… de Jafar Panahi dont N. T. Binh nous retrace les problèmes (plusieurs arrestations, interdiction de quitter le territoire) qu’il a eus avec le régime iranien.
N. T. Binh nous dit aussi avoir fait partie du jury qui lui a attribué la Caméra d’Or à Cannes pour Le Ballon blanc en 1995.
Un simple accident : si le contexte et le traitement sont très différents, le sujet est le même que celui de La Jeune fille et la mort de Roman Polanski.
Surprise (et bonheur) de voir une femme dans la rue sans foulard.
Lilja Ingolfsdottir : Chef monteur, Chef costumier, Chef décorateur Sur Allociné, sur Loveable quand on clique sur le nom de la réalisatrice du film , c’est ce qui apparait en face de « métier ». Elle est réalisatrice désormais. Loveable est son premier film. Six ans pour trouver le financement ! Petit budget donc elle doit de facto assurer plusieurs postes : le montage, les costumes (les acteurs portent leurs vêtements perso), le décor (tourné chez des amis), mais confie la photo au chef op Øystein Mamen (à retrouver prochainement pour Cuidado con los ninos) et le son à Bror Kristiansen Le titre original est Elskling. Amour en norvégien. Amour c’était déjà pris. Loveable, le titre français, pipe les dés.
« Lilja Igolfsdottirr en avait assez des représentations idéalisées des rencontres amoureuses dans la pop culture. Elle a donc décidé d’en prendre le contre-pied (…) » En effet, la rencontre amoureuse n’est pas idéale puisque c’est un coup de foudre unilatéral … Maria flashe sur Sigmund qui ne la calcule pas. Elle s’obstine, s’acharne, le traque pendant des semaines et bingo finit par l’avoir. Il se laisse faire. Elle est légère et gaie, aimable a priori, il se love dans son moule, s’y colle et aime tout de suite les deux enfants qu’elle a d’une union précédente. Le bonheur.
Sept ans plus tard, rien ne va plus. On retrouve Maria à la caisse d’une superette, épuisée, flanquée de deux nouveaux enfants, ceux qu’elle a eus avec Sigmund, jeunes donc et ingérables (Caroline Goldman est traduite en Norvège ?), sa carte de crédit qui ne passe pas, une autre qui ne passe pas non plus. C’est chaud ! Obligée d’appeler Sigmund pour lui demander un virement pour pouvoir sortir de là. Maria semble être devenue une autre femme, dépassée par la charge familiale, dans une situation financière tendue, les nerfs à vif, éreintée, négligée. Le cadre est posé. Et il est où son Sigmund ? Parti. Six semaines absent, toujours musicos comme quand il se sont connus et qu’il lui chantait des airs sans doute, parti en tournée. Pas fou, Sigmund, il n’a rien lâché, il n’a pas renoncé à sa vie, à son identité, il n’a pas fait la concession d’abandonner sa passion, bien, mais ils avaient convenu qu’il ne voyagerait plus … Non ? Maria, elle, s’est mise entre parenthèses. On observe que c’est monnaie courante : la femme renonce à beaucoup, l’homme renonce à moins. Tant que ça tient. Quand Sigmund rentre au bercail, la bouche en coeur, le torchon brûle
Maria essaie de prendre sur elle, de se raisonner mais elle est au bord de la crise de nerfs, fatiguée, triste au fond de ne pas s’en sortir sans lui, de devoir s’en sortir sans lui, qu’il la laisse s’en sortir sans lui. La gestion des enfants, à la maison, à l’école … elle est désespérée de ne plus pouvoir penser à ses projets professionnels. C’était son tour pourtant mais il a repris un contrat, alors … il ne voit pas qu’elle est en train de se noyer ? Elle se rebelle (et Sigmund l’enregistre à son insu, au cas où !) Elle lui demande comment il imagine la suite. Il se tait et finit par répondre par sms. Courageux, son Sigmund ! Grande classe ! Elle part, il ne la retient pas. Elle s’enfonce, le menace, lui en veut de ne pas la retenir et lui en veut encore de l’encourager à rentrer. Et d’accord, il lui laisse les enfants ! Tu m’étonnes … Il a compris ce que c’était de s’en occuper H24 ! C’est autre chose que de donner un coup de main quand il a le temps et qu’il est là, surtout. L’histoire est à charge : c’est Maria le problème. C’est le problème. Maria avait toutes les raisons de se mettre dans un tel pétrin. Marquée par son histoire, même « à vide », sans mari ni enfants, elle était déjà bien chargée. C’est ce qu’on comprend dans les scènes, tellement caricaturales, avec sa mère. Le thé, la boite, l’autre thé, l’autre boîte, son image dans les yeux de sa mère … Maria est en colère depuis toujours. OK on a saisi : il faut qu’elle fasse un bon nettoyage, qu’elle se pose les bonnes questions, qu’elle s’aime pour pouvoir être aimable. Et qu’elle arrête son cirque. Ni une ni deux, un bon coup de psy, faire son mea culpa, s’explorer et se repasser les scènes clés de sa vie conjugale, se regarder dans une glace et se dire les mots bleus, les mots qui vont guérir son âme, et finir par se déclarer aimable. Tu verras Maria, si tu t’aimes, tu seras aimable. Si tu dis à ta fille que tu la comprends et que tu acceptes qu’elle te traite comme un chien, miracle, en deux deux, elle te serrera dans ses bras. A l’échelle du film, la thérapie est quand même rudement vite efficace … Mais les dés sont jetés. Ne me quittte pas, l’anti chanson d’amour, arrive à point : quand c’est trop tard. Sigmund part quand même mais Maria sait pourquoi et l’accepte, convaincue qu’elle l’a mérité et que la balle est bien dans son camp. Touché.
Insupportable.
Quid de Sigmund et de sa propension à la passivité, de son incapacité à regarder les choses en face, de sa faculté à fuir, à quitter les lieux, sans cesse. Même dans la dernière scène : pas même la courtoisie de prendre le temps de boire un café avec elle. Il se lève et part. Autre chose à faire.
Ce n’est pas à lui qu’il faut tendre la main. Lui ne lui tendra pas la sienne. Il ne faut pas vouloir changer les gens.
Film modeste qui raconte un amour ordinaire, pas l’anatomie d’une chute. Mais le travail est soigné donc, sans le conseiller, sur mon barème, je mettrais la moyenne.
Ilja Inggolsdottir a eu bien des difficultés pour réaliser son film, et certainement beaucoup de travail et de plaisir à le faire car elle y est de toutes les fonctions, réalisatrice, scénariste, décoratrice, elle a même choisi les costumes… et enfin monteuse. Son film n’était pas « bancable » et il a fallu 7 ans à son producteur pour le financer. Je ne sais pas si c’est une bonne affaire commerciale, mais le producteur peut se consoler en songeant que le film a obtenu le prix spécial du jury de Karlovy Vary. (Tchequie)
Son scénario, elle l’a écrit très rapidement, et si l’on juge de la complexité de l’histoire de Maria, son personnage principal devait lui trotter dans la tête depuis longtemps.
Maria est interprétée par Helga Guren. Pouvait-on rêver meilleur casting, meilleure interprétation ? Le jury du festival international de Karlovy Vary ne s’y est pas trompé, elle y a obtenu le prix de la meilleure interprétation féminine.
C’est une histoire de vie, également un film d’humeur, disons que les événements de vie de Maria impriment sur son visage spontanément tout ce qu’elle éprouve. Alors on remarque son expressivité, les rides d’affliction et de colère ou de tristesse sur son front, ou encore plus fugaces, ses sourires ébauchés souvent réprimés, souvent en demi-teinte, rarement radieux. Jusqu’à ce beau sourire au milieu de la peine, celui d’une femme qui dépasse sa souffrance et assure que sa vie sera belle, mais nous y reviendrons.
Mais ça commence par un coup de foudre, rapidement réciproque, et une belle histoire d’amour, pour nous emmener sept ans plus tard.
Sur cette séquence, dont une partie est en plan séquence, caméra portée, Ilia, la réalisatice dit :
J’étais un peu fatiguée de ce type de représentation issue de la pop culture, de ces histoires d’amour basées sur des récits dignes d’un Disney avec cette idée galvaudée : deux êtres humains trouvent enfin la personne qui va devenir le centre de leur vie. Je pense que tout ceci est faux, que c’est une grande blague.
Cette remarque lapidaire signifie que ce sentiment amoureux, on peut l’éprouver autant que le coeur nous en dit. Ce qui importe c’est l’engagement, l’acceptation de l’autre.
Ilja a voulu présenter une situation de femme, donc une situation complexe. Et c’est certainement ça qui lui tenait à coeur. Non qu’aucune situation humaine ne le soit, mais il y a une spécificité de la situation féminine et de celle de Maria. Ici, il s’agit de héroïsme ordinaire d’une femme mère de quatre enfants. Maria a un vécu frustrant et douloureux. Après sept ans de vie commune avec Sigmund son second époux, elle est devenue à son corps défendant irritable, colérique, explosive, conflictuelle. Sigmund devient une sorte de sparing partner dans le combat que Maria mène contre sa condition … Qu’elle mène durement par Sigmund interposé. Nous sommes au coeur de l’engagement et l’acceptation qui sont à ce moment mis à l’épreuve.
Sigmund son époux est un homme affectueux, joyeux, impliqué, il partage les tâches ménagères, fait ce qu’il sait faire, pas toujours bien, en tous les cas pas bien du point de vue de Maria. Et puis, il est absent, autant que son travail l’exige, mais absent avant toute chose. Surtout, contrairement à Maria qui ne réussit pas(*1), il a des contrats de travail. Il avait bien promis à Maria de ne plus voyager. Mais nécessité fait loi, un autre contrat devrait contre toute promesse, l’éloigner encore.
Alors la dissonance enfle dans le couple et la mécanique implacable de la séparation en plusieurs actes vaguement analogiques aux phases d’une maladie mortelle : déni, colère, marchandage, dépression et …l’acceptation. Mais cette mort annoncée du couple devient pour Maria, l’occasion de tout repenser, de ne pas être seulement victime d’une charge de travail et d’un burn-out flottant. Maria en cela aidée par une bonne psychologue familiale va pouvoir revisiter sur son histoire familiale, une histoire qui se répète … trois générations de femmes devenues seules, élevant seules leurs enfants. « Nous, nous sommes des femmes dures dit sa mère, ta grand-mère, moi, toi, Alma également ». Et si le rapport que Maria a avec sa mère qui pratique le « double lien *2», peuvent sembler caricaturaux, il est pourtant assez probable que ce soit du vécu.
Les rapports de Maria avec Alma sa fille aînée adolescente ne sont pas meilleurs. Alma la méprise, la dégoute presque, elle la trouve chiante… elle en a honte. Maria se regarde dans la glace et imagine qu’elle parle à sa fille, elle lui dit qu’elle l’aime, qu’elle est quelqu’un de bien. Et nous comprenons qu’elle s’adresse aussi à elle-même. Et plus tard dans un face à face avec Alma qui lui dira, je ne veux pas te ressembler, tu es une ratée, Maria accueillera ses mots de « jeune femme dure » avec douceur, et compréhension. Elles vont se rapprocher et s’aimer. C’est un peu comme si, à travers sa mère, Alma qui détestait la situation féminine qui lui était promise, voyait enfin l’amour et la vulnérabilité de sa mère. Alors, l’une et l’autre en rompant cette lignée de femmes dures, s’ouvrent à d’autres possibles.
Nous n’avons pas parlé de Sigmund cet homme un peu effacé et gentil, de bonne volonté, mais qui veut vivre sereinement, en fait, il faudrait revoir ce film encore, il semble qu’il soit particulièrement évitant et d’une manière inconsciente passif agressif, c’est à dire qu’il laisse l’autre avancer pour mettre en œuvre, en confort, son projet de se libérer !
C’est tout le talent de Ilja Ingolsdottir de tisser ensemble, la charge mentale d’une mère de famille, l’héritage familial avec la répétition des situations de génération en génération, les femmes et le travail, les rapports hommes femmes dans une société qui n’est pas neutre, une société capitaliste avec tout ce qu’elle comporte et dont la sociologue Eva Illouz parle mieux que quiconque.
La fin du film, c’est une dernière rencontre entre Maria et Sigmund, ils se parlent affectueusement, sans ressentiment. Elle lui dit, sourires et larmes, qu’elle accepte leur séparation, qu’elle ne l’a pas voulu, mais qu’elle est là, elle finit comme une promesse : « ma vie sera belle ». Et c’est une sorte de happy end en demi teinte et mieux que ça, ses enfants, Alma la première seront mieux protégés contre le retour du même…
*(1) Internet fournit moult études, qui indiquent les désavantages professionnels des femmes.
* (3) Double lien, forme de communication comportant pour l’essentiel des injonctions contradictoires (la plus simple et paradoxale : soit libre !)…