« L’établi » c’est d’abord un livre de Robert Linhart paru aux Éditions de Minuit à la fin des années soixante-dix. Sans doute Robert Linhart, normalien, puis docteur en sociologie savait qu’il savait écrire mais il ne se doutait pas que son livre-témoignage paru quelque dix ans après aurait un tel succès et serait traduit en plusieurs langues. Serait joué au théâtre, deviendrait un film. L’Etabli nous montre une histoire singulière, celle de Robert, dans une histoire plus générale, celle du mouvement « d’établissement » des maoïstes, dans le cadre plus général encore de l’industrie fordiste des « trente glorieuses » et du « progrès pour tous ». Un grand livre.
C’était un pari d’oser faire de ce livre un film et c’est pourtant ce qu’a fait Mathias Gokalp. Il y a bien entre le film et le livre des différences qu’Henri nous a exposé mais l’impression générale est que sans atteindre la beauté du livre, le film en respecte l’esprit.
Choisir Swann Arlaud pour le rôle principal nous apparaît (a posteriori) comme l’évidence même. On n’arrive pas à imaginer qui d’autre. C’est un acteur qui ne fait aucune concession, n’accepte que les rôles qui lui parlent, qui parlent à sa conception du monde et de la société. Lui confier le rôle de Robert était parfait. Le casting général est d’ailleurs excellent, Olivier Gourmet en prêtre-ouvrier CGT, Denis Podalydes en Chef du Personnel (quel rôle !), Mélanie Thierry en Nicole l’épouse de Robert, elle-même militante.
Il y a des choses qu’il faut vivre et éprouver pour les comprendre disent tous les reporters et chercheurs qui travaillent en infiltrant des milieux, il faut être acteur pour être témoin. Mais pour les maos, il s’agissait de l’être doublement , être celui qui partage la peine et en même temps l’acteur d’une révolution en marche et ainsi selon le précepte de Mao Ze Dong, de servir les masses ouvrières et paysannes afin qu’elles s’émancipent
Nous sommes en 1967, Robert qu’une brillante carrière universitaire attend y renonce. Maoiste, il est convaincu d’une seule solution, la révolution ! Il décide de se faire embaucher chez Citroën, une entreprise où l’on travaille à la chaîne, (un fordisme mâtiné de bricolage) afin de contribuer avec d’autres en d’autres lieux, à réveiller les masses laborieuses aliénées par leur travail et injustement traitées, d’y provoquer une grève. Pour lui, choisir Citroën, avec la dureté de son mode de production à la chaîne, son racisme institutionnel, ses rapports d’autorité martiaux , avec aussi son cortège de brimades et petites vexations, elles aussi institutionnelles…c’était si l’on peut dire « du pain béni ».
Comment déclencher une grève ? Il suffit d’attendre. Sur ce fond de dureté du travail avec ses souffrances et frustrations, il suffit d’attendre la mesquinerie de plus et de saisir au vol les expressions de colère, de les fédérer et de leur donner un sens. Au fond, même si la cause est bonne, il y a quelque chose d’assez instrumental et manipulateur dans cette démarche.
Et c’est un mérite de ce film de ne rien cacher des limites de l’exercice, tout autant de la stratégie de répression adverse, l’usure des grévistes et l’échec. Mais tout de l’échec ne peut figurer dans le film, particulièrement la culpabilité de Robert, pourtant elle est dans chaque ligne du livre. Robert Linhart sans doute parce que fils de rescapés juifs et rescapé lui-même se sent coupable de tout… De l’injustice du Monde, jusqu’à la naissance même de ces usines, coupable de l’indignité de la condition humaine qui en résulte. Il est donc coupable de l’échec, page 94, mais on pourrait trouver bien d’autres exemples : « à cet instant précis, l’idée de la défaite m’est insupportable. Les raisons se bousculent dans ma tête. Les demi-sourds des presses, les gazés de la peinture, les mouchards de la CFT, les fouilles des gardiens… » Le maoïsme pour quelqu’un comme lui, c’est l’espérance d’un monde meilleur où il serait par la même occasion, soulagé de cette foutue culpabilité.
Nous connaissons la suite, elle n’est pas dans le film, il y a eu Mai 68, à peine plus tard, des livres dénoncent le maoïsme en chine(1), à peine plus tard, à la contestation du travail aliénant se substitue un discours écologique antiproductiviste et anti-consommation(2)… Trois discours et bien davantage encore, réduits à autant d’épiphénomènes…
Mais il est bon qu’un film nous rappelle l’existence d’un Robert Linhart et de tous ceux qui à son image voient en premier chef l’injustice de l’ordre établi.
Hier à Paris, j’ai recherché un ouvrage en librairie, je ne l’ai pas trouvé mais partout où je suis passé, il y avait des petites piles « d’Établi » en poche, rutilants comme les 2 chevaux neuves figurant sur leurs couvertures. Le cinéma, c’est ça aussi…
Georges
Les habits neufs du président Mao et Ombres Chinoises de Simon Leys
Ce premier long métrage de la réalisatrice japonaise n’a pas manqué d’être remarqué à Cannes en 2022 puisqu’il y remporte une Caméra d’or mention spéciale.
Pourtant, Chie Hayawaka choisit un thème difficile mais qui, depuis une vingtaine d’années, est un sujet auquel toutes les sociétés sont confrontées : le vieillissement de la population, l’accompagnement des personnes en fin de vie, et l’aide à mourir dans la dignité. Sujet ô combien sensible auquel nous sommes tous, un jour ou l’autre, individuellement confrontés, soit pour nos proches, soit pour nous-mêmes…
En France, les révélations fracassantes sur les EPHAD et la façon dont les personnes âgées sont traitées, voire maltraitées, force nos gouvernants à se pencher de façon urgente sur la question – le font-ils vraiment ?- et donc à mettre en place des conditions d’accueil et d’accompagnement qui garantissent dignité et humanité. Ce sujet brûlant apporte chaque jour son lot d’écrit, comme le tout dernier ouvrage de Didier Eribon paru le 10 mai dernier, dans lequel il évoque sa mère qui mourut 7 semaines seulement après son entrée dans un EPHAD où elle était maltraitée. L’ouvrage s’intitule Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple.
Personne n’ignore que le Japon est le pays qui compte le plus grand nombre de personnes âgées et de centenaires. C’est aussi un pays dont la culture est très respectueuse des aînés et des ancêtres, considérés comme des sages, des modèles pour les jeunes générations et à qui on rend hommage de façon rituelle une fois qu’ils ne sont plus de ce monde.
Les premiers plans du film de Chie Hayawaka, sorte de prologue, nous ont été décodés par Dimitri Ianni, spécialiste du cinéma japonais contemporain qui a animé le weekend japonais des Cramés de la Bobine : ses explications ont levé le voile sur le massacre d’une personne en fauteuil roulant suivi du suicide de l’assaillant. Pourquoi ce prologue glaçant ? Il s’agit d’un rappel, celui d’une tuerie dans un centre pour handicapés qui eut lieu le 26 juillet 2016, à Sagamihara près de Tokyo un jeune homme s’étant introduit dans la nuit, tuant à l’aide de couteaux 19 personnes et en blessant gravement 25 autres. Ce fait, très rare au Japon, a profondément choqué la population. La réalisatrice utilise ce drame pour introduire son sujet dans la mesure où l’assassin qui, contrairement à celui du film ne s’est pas ensuite donné la mort mais a été arrêté, avait expliqué qu’il avait fait cela pour le bien des personnes handicapées, que ces personnes incapables de communiquer sont « un fardeau » pour la société, et qu’ainsi il estime avoir rendu service à tout le monde, et en particulier à ces personnes dont la vie n’avait, selon lui, plus aucun sens. Le jeune homme, condamné à mort, avait clairement répété qu’il ne ferait pas appel de la décision finale, quelle qu’elle soit.
Hitler n’avait-il pas lui aussi décidé de l’élimination systématique des handicapés et malades mentaux afin que ces personnes ‘inutiles’ aient une mort ‘charitable’ ?
Curieusement, cette scène d’ouverture violente sans être dans le voyeurisme, est accompagnée par la sonate n°5 de Mozart, produisant ainsi une forme d’oxymore entre ce qui se passe et ce que l’on entend, effet paradoxal, qui peut faire écho au contraste entre l’ultra violent Alex d’Orange Mécanique et la musique qu’il écoute sans cesse, la 9ème symphonie de Beethoven.
Qu’est-ce qu’un ‘plan’ dans le langage politique ? C’est tout simplement la mise en place d’une stratégie dont le but n’est autre que résoudre un problème. Quant au nombre 75 du titre, il représente l’âge à partir duquel un citoyen japonais peut légitimement prétendre au dit plan. Voilà donc ce que propose le gouvernement japonais dans le film de Chie Hayawaka : s’inscrire au Plan 75, c’est bénéficier d’une aide financière de 10,000 yens qui sera dépensée à loisir, d’une aide téléphonique quotidienne à raison de 15 minutes par jour, à condition d’accepter, le jour venu, votre propre mort assistée par injection létale. Bien sûr, le film se situe dans un avenir non déterminé mais qui semble pourtant si proche, une dystopie donc, mais est-on vraiment dans la science-fiction… Richard Fleischer n’avait-il pas déjà traité ce sujet dans Soleil vert où le dernier moment de vie du héros Solomon Roth incarné par E. G. Robinson, était à la fois une ode à la vie et le couperet glaçant et sans appel de la mort. Cette scène trouve d’ailleurs un écho dans le film de Chie Hayawaka, lorsque Hirumo pénètre dans le centre d’euthanasie à la recherche de son oncle qui a décidé d’aller jusqu’au bout du processus, tout comme Frank Thorn, incarné par Charlton Heston, cherche désespérément son ami Solomon dans une des salles d’euthanasie. Richard Fleischer allait bien au-delà de Chie Hayawaka en matière de recyclage des morts….
Ce plan 75 est savamment présenté et vendu par des fonctionnaires d’Etat dont le jeune Hirumo fait partie. Sourire aux lèvres, on le voit expliquer aux ‘clients’, futurs membres du plan en quoi ce dernier consiste, ce à quoi ils ont droit, le tout à l’aide d’une brochure rappelant celles que présenterait une agence de voyage…
L’héroïne du film, Michi, incarnée avec retenue et justesse par Chieko Baishō, actrice connue au Japon, travaille toujours à l’âge avancé de 78 ans pour pouvoir subvenir tant soit peu à ses besoins. C’est à partir du moment où elle n’a plus de travail, qu’elle croise un bénévole qui, distribuant des repas aux plus démunis, lui propose une soupe, c’est cet instant précis, sorte d’humiliation aux yeux de Michi, qui va la pousser à candidater au plan 75.
La douce Michi va prendre plaisir aux appels téléphoniques quotidiens de la personne dévouée à cette mission; plaisir qui va même l’amener à transgresser une règle : celle de ne pas tisser un lien avec cette jeune personne du téléphone. Et pourtant, l’employée tout comme Michi vont vivre ensemble des moments de joie au bowling par exemple, partageant une boisson ou une glace, des petits riens qui créent un lien social, extirpe Michi de la solitude et lui montre autre chose qu’un après-midi passé avec d’autres personnes âgées en moins bonne condition physique et mentale qu’elle. Ces scènes-là sont animées, et chaleureuses, mais aussi bouleversantes par l’émotion qu’elles suscitent chez Michi.
Ces scènes, dominées par la joie de vivre, la gaité et l’enthousiasme des jeunes qui se détendent au bowling, contrastent avec les moments plus sombres d’attente à des guichets par exemple, mais surtout avec les coulisses du plan 75. Car qu’y a-t-il derrière ce que présente la belle brochure que Hirumo tend à chaque ‘clients’ ? Il y a des cadavres que l’on dépouille de leurs possessions (objets personnels, montres, sacs, vêtements) : tout est soigneusement trié pour être envoyé ici ou là, les corps sont incinérés, de préférence en groupe, cela coûte moins cher, quant aux restes, aux ossements, ils sont aussi recyclés…. Toute cette procédure, avec sa mécanique implacable, rappelle celle des camps d’extermination mis en place par les nazis, ou plus tard par Khmers Rouge. Tout est terrifiant : circulez, il n’y a rien à voir…
Voilà donc une organisation bien huilée, rien n’est laissé au hasard, le tout est montré de façon sobre mais glaçante, ce qui permet à Hirumo et à la jeune Maria qui travaille dans le centre d’euthanasie où elle trie les objets récupérés sur les défunts, de s’interroger sur le bien-fondé d’une telle entreprise : jusqu’où peut-on accepter cette mort calculée, dont le processus est si rigoureusement codifié, sans affect ?
Au moment où il conduit son oncle au centre d’euthanasie, Hirumo ne cesse de lui demander s’il veut aller jusqu’au bout, l’oncle pourrait changer d’avis et renoncer, c’est ce que son neveu essaie de lui faire comprendre. Or, aller jusqu’au bout, c’est être pris dans un engrenage dont on ne peut plus échapper. Michi, quant à elle, saura trouver le grain de sable qui enrayera la machine…. Note d’espoir, enfin !
La nuit domine, le sombre est choisi presque pour chaque plan. On a beaucoup de cadrages géométriques, signe de la science-fiction sans doute : les poutres des bâtiments, les guichets qui s’alignent les uns après les autres, les ouvertures, cadres de portes et fenêtres, les box dans lesquels les candidats à la mort assistée sont allongés, séparés par un simple rideau presque transparent et parfois mal fermé permettant ainsi le coup d’œil de Michi sur l’oncle de Hirumo, avec son masque, les yeux déjà fermés….
Le film de Chie Hayawaka interroge beaucoup : la vieillesse, bien sûr, mais aussi la solitude, les difficultés économiques et sociales des personnes âgées : quel travail peut-on encore accomplir lorsqu’on a plus de 70 ans ? Une vie de travail bien remplie n’est-elle suffisante pour pouvoir espérer profiter au mieux de quelques années encore ? Comment l’euthanasie à grande échelle, organisée et planifiée pourrait- elle être envisagée par un gouvernement à priori ‘démocratique’ ? Comment peut-on envisager la vieillesse comme passage inutile de la vie, a fortiori dans une culture qui voue un respect aux aînés comme peu d’autres le font ? La jeunesse représentée par Hirumo, Maria et Yoko (l’employée au téléphone) sont les voix qui s’interrogent : jusqu’où est-il possible d’aller ? Peut-être se demandent-ils s’ils ne sont pas eux-mêmes les rouages qui rendent l’euthanasie et l’eugénisme possibles ? Prise de conscience à coup sûr pour Hirumo qui trouvera en Maria une complice pour éviter à son oncle une crémation de masse dans l’anonymat et l’indifférence totale.
Voilà un film dérangeant, qui pose des questions cruciales sur la vieillesse et la fin de vie. Chie Hayawaka reste sobre et filme des personnages dans leur dignité et leur humanité. On note beaucoup de silences, une bande son discrète et sans aucun effet lyrique. Il ne nous reste plus qu’à réfléchir sur notre propre condition et nos choix de fin de vie. Le dernier plan nous redonne espoir.
Les spectateurs étaient au rendez-vous de ce Week-End Japonais pour six films qui n’avaient qu’un point commun, durer plus de deux heures, pour le reste, dépaysement et sujets riches et variés garantis. Ajoutons que ces films étaient parfaitement présentés par Dimitri Ianni.
Vous êtes bienvenus, si vous souhaitez donner votre avis sur l’un où l’autre de ces films, nous serons heureux de vous lire ici-même. Mais commençons par lire les remarques d’Henri et de Marie-Annick, nos organisateurs de cet événement.
Henri :
Comme dans pratiquement tous les films japonais dans chacun des films que nous avons vus ce week-end, il y avait au moins un train qui passait au loin, quelque fois davantage. Il y avait aussi quelquefois un vélo, alors pour moi c’était presque parfait : j’ai adoré.
Par contre j’ai vu apparaître des autocars et des autobus, ça c’est nouveau et cela enlève beaucoup de charme, le Japon était un des derniers pays avec la Suisse à avoir conservé toutes ces lignes ferroviaires (rien que pour ça, je pourrais proposer à nouveau la programmation de « Notre petite soeur ») mais le gouvernement libéral de Abe fait beaucoup de dégâts, il a commencé à supprimer les petites lignes. C’est le seul reproche que je ferai à Dimitri Ianni : il n’a pas parlé de la suppression de ces lignes de desserte fine du territoire.😥
Quelque chose n’a pas changé dans ce cinéma : la place importante accordée à la famille, aux enfants … et ça je le regrette un peu.😜
Marie-Annick :
Normal que la famille ait toujours une grande place. C’est la base qui structure un Japonais puisque traditionnellement les ancêtres morts ont besoin d’être régulièrement honorés par les rituels des vivants (tu honoreras tes ancêtres, c’est la base), même dans une famille recomposée.
De même qu’il y a toujours un ou des trains, il y a toujours un repas et même des repas. Par contre, c’est la première fois que je vois au cinéma autant d’hommes pleurer. Signe perceptible pour moi d’une évolution majeure: l’homme est en train d’accepter de lâcher ses émotions . Ça va faire du bien à la planète et surtout aux femmes. Et pour parler des femmes je dirai qu’elles apparaissent toutes courageuses, dignes et sans aigreur.. Des vraies femmes qui utilisent leur pouvoir sans l’exercer sur l’autre. Bref j’ai passé un bon moment de cinéma.
N’hésitez pas à écrire ici vos commentaires… À paraître article(s) de Chantal. Ouvrez le blog prochainement.
Avec ce dernier film, Stephen Frears continue le travail commencé avec « Filoména » et « Florence Foster Jenkins », dressant le portrait de femmes ordinaires mais extrêmement courageuses. Filoména a recherché toute sa vie l’enfant qu’on lui avait retiré et Florence Foster Jenkins est parvenue à devenir cantatrice alors qu’elle n’avait que peu de talent.
L’héroïne de son film c’est Philippa Langley, une historienne amateur qui se met en tête de retrouver la tombe du roi Richard III, une aventure invraisemblable qui lui demandera huit ans de recherche obstinée et lui vaudra beaucoup d’incompréhension tant au niveau de son entourage qu’à celui des spécialistes. Persuadée avec d’autres ricardiens qui vont beaucoup l’aider, que Richard III n’est pas le monstre que décrit Shakespeare dans sa pièce, et que sa tombe se trouve dans le choeur de l’ancienne église de Greyfriars devenue parking, elle va soulever des montagnes pour parvenir à son but. Si le réalisateur prend des libertés avec la vie privée de la vrai Philippa, en revanche il montre la réalité du travail acharné qu’elle a mené, s’entourant de personnes sérieuses comme Annette Carson, John Ashdown Hill ou Audrey Strange qui vont lui donner de précieuses informations. Le film montre une Philippa parfois fragilisée (elle souffre de fatigue chronique accentuée par le stress) ou décrédibilisée mais toujours portée par une foi totale et une intuition qui ne la lâchera pas. Son obsession de réhabiliter ce roi maltraité par l’histoire est matérialisée par l’apparition de l’esprit de Richard III avec lequel elle prend l’habitude de parler, procédé contestable qui manque à mon goût de subtilité mais qui montre qu’en faisant ces recherches elle vit dans un autre monde, un monde où elle se sent bien.
Sally Hawkins parvient à nous toucher dans ce combat de femme passionnée mais sans déraison, armée de connaissances immenses mais sans diplômes qui affronte cinq cents ans de mensonges à l’encontre de ce roi. Stephen Frears filme une double réhabilitation . Celle de Richard III dont le squelette mis à jour ne révélera ni bosse, ni bras atrophié ni jambe plus courte mais seulement une scoliose sévère lui donnant une épaule plus haute que l’autre, qui aura enfin droit à une sépulture et sera reconnu roi légitime et non plus usurpateur . Celle de Philippa Langley qui renoue avec sa vraie valeur à travers ce parcours du combattant. Historienne sans titre, mise à l’écart par les sachants de l’université de Leicester quand enfin ses huit années d’ efforts sont couronnés de succès, il lui faudra attendre trois ans avant d’être récompensée de l’Ordre de l’Empire Britannique par la reine et cinq années de plus pour que Stephen Frears lui rende cet hommage.
Si « The lost king » ne fait pas partie des plus belles réalisations de Stephen Frears, il a du moins le mérite de rappeler que l’une des premières règles à appliquer dans la recherche, quel que soit le domaine, est de toujours remettre en cause ce qui semble être tenu pour vérité.
stoïcien, stoïcienne adjectif et nom (latin stoïcius) : qui témoigne d’une impassibilité courageuse devant le malheur, la douleur etc
Dog est donc stoïcien, sans aucun doute Et cela illustre toute l’ambiguïté des personnages de l’histoire où nous emmène Jean-Baptiste Durand. C’est l’histoire de Dog et Mirales. De Mirales et Dog. Et, un jour, arrive Elsa, l’étincelle, qui, par un concours de circonstances, va être le détonateur, un détonateur silencieux, pour une mise à feu que Mirales, et Dog aussi, avaient depuis longtemps en ligne de mire. Depuis la sixième, première année de collège, l’année de leur rencontre quand Mirales/Antoine arrive au Pouget chargé de son fardeau qu’il mettra tout ce temps à déposer, en partie seulement mais en grande partie, aux pieds de Dog/Damien et au prix d’un sacrifice. C’est Mirabar, son chien, qu’il sacrifie sur l’autel de l’âge adulte, Mirabar dont l’oraison funèbre nous émeut autant qu’elle nous fait sourire comme tant d’autres scènes de ce film rédempteur, salvateur, subtil, enthousiasmant. Comme souvent dans la vie, le plus en souffrance n’est pas celui qu’on croit. Jean-Baptiste Durand nous balade au bras de ses deux héros, nous invite chez eux, creuse leurs pluralités. On balance entre Dog, taiseux et introverti et Mirales hâbleur et provocateur, cruel, tragique lascar vendeur de shit, épris de littérature et de mots, il cite Montaigne, connait très bien l’œuvre de Hermann Hesse (cette scène aussi nous fige). Mirales aux manières impeccables et bien cachées (la scène d’anniversaire au restaurant !), Mirales, pianiste refoulé, échoué,qui se délecte des notes de sa voisine pianiste interprétées par Evelina Pitti (magnifique personnage !) qui répète la Tempête. Lui qui comme pour s’étourdir, met du rap à fond dans sa « caisse » vit avec sa mère fragilisée réfugiée dans sa peinture, il la nourrit … Mirales l’écorché vif, qui se la joue voyou, mâle toxique, se débat, fait du bruit, prisonnier en liberté, âme errante et maudite attachée à un lieu qu’il s’applique à faire son tombeau. Un écorché vif et dans ce rôle, Raphaël Quenard, un Dewaere en puissance ! Dog, son pilier, son ange gardien, quasi muet car que dire, que faire sinon attendre stoïquement le dénouement qu’il présage et finit par forcer, est joué par Antony Bajon dont la présence occupe l’espace de façon magistrale. Anthony Bajon (29 ans), repéré dans Les Ogres de Léa Fehner, retrouvé entre autres dans La Prière de Cédric Kahn, Tu mérites un amour de Hafsia Herzi. Une bombe !
Dans Chien de la casse, son 1er long métrage, Jean-Baptiste Durand nous parle de ce qu’il connaît, une jeunesse péri urbaine, nous invite chez lui dans un village de l’Hérault, hors saison, ses rues vides, ses volets clos, l’ennui qui rode, … où il fait si bon vivre la poésie au quotidien.
Chien de la casse dans la subtilité des relations entre ses personnages fascinants et touchants d’humanité, trouve son tempo, son existence et c’est magnifique !
Marie-No
Pour information : Si vous n’avez pas pu le voir ici à l’alticiné ces dernères semaines, Chien de la casse est toujours programmé et dans de plus en plus de salles (90 la semaine dernière, 152 cette semaine dont Fontainebleau)
Sixième film de Li Ruijun et premier à être distribué en France, « le retour des hirondelles rend compte de la relation ancestrale qui lie l’homme à la terre. Le réalisateur dépeint une Chine rurale contemporaine archaïque, en voie de disparition. La Chine avance à marche forcée et Xi Jing Piing ne laisse pas traîner les choses. Sa vision il entend l’imposer à tous et tous doivent prendre le train de la modernisation à outrance.
Li Ruijun montre un couple d’agriculteurs atypique et magnifique qui ne veut pas monter dans le train. Dans cette région du Gansu dont il est originaire et qui est une des plus pauvres, le cinéaste suit ce couple qui cultive un minuscule lopin de terre avec une araire et un âne. L’homme qui ne dit mot a passé sa vie, exploité par son frère et sa belle-soeur. La femme qui semble muette est handicapée physique à force de mauvais traitements. On les marie sans demander leur avis ( une pratique interdite mais tolérée), grâce à une marieuse qui obtiendra sans nul doute salaire pour être parvenue à débarrasser les deux familles de ces deux fardeaux encombrants. Avec un tel synopsis on aurait pu s’attendre à subir un drame misérabiliste pendant plus de deux heures. Il n’en sera rien. Les deux parias qui ne se connaissent pas et s’observent avec un intérêt plus que mitigé pour l’homme et avec crainte pour la femme, vont peu à peu nouer une relation profonde qui ne peut que toucher le spectateur. Considérés comme des moins que rien et des rebuts, ils vont patiemment et magnifiquement retrouver leur humanité. Et c’est magistralement beau même si j’ai eu le cœur serré durant toute la séance, devant ces humains qui se contentent d’être au lieu de rêver ce qu’ils n’ont pas. La relation puissante qu’ils vont créer se construit non pas avec des mots mais avec des gestes de respect et des actes de bienveillance qui parsèment tout le film. Il lui prépare à manger, il lui achète un manteau pour masquer son incontinence, lui dessine une fleur sur le poignet avec des grains de blé, la fait descendre dans la rivière qui l’effraie pour calmer la brûlure de son eczéma du blé. Elle l’attend un soir d’hiver avec un flacon d’eau chaude pour le réchauffer ; elle surveille ses moindres signes de fatigue et lui enjoint de se reposer ; surtout elle manifeste son opposition et son inquiétude à chaque fois qu’il doit donner son sang à un responsable local qui en a besoin.
Chassés de leurs familles puis de la maison abandonnée qu’ils ont investie, Ma Youtie entreprend de bâtir sa maison, leur maison, leur foyer bien à eux, un bonheur qui semblait inatteignable. Oui, je dis bien bonheur, un bonheur simple qui consiste à pouvoir se nourrir, s’abriter, se donner le respect et la dignité auxquels tout être humain à droit. Ce que les autres ne leur ont pas donné, ils se donneront à eux-mêmes, loin des autres.
Leur alliée suprême c’est la terre elle-même, la terre nourricière que Ma Youtie qualifie de « juste » car elle donne à tout le monde sans juger qui est bon ou mauvais. La travailler leur redonne valeur et fierté. Ce lien très fort qui unit Ma Youie et Cao Guying et celui qui les lie à la terre se découvre particulièrement au moment où la pluie torrentielle s’abat sur les briques de terre que Ma Youtie s’est éreinté à fabriquer et à faire sécher. Pataugeant et glissant dans la boue, incapables de se relever et de lutter ; ils s’accrochent alors l’un à l’autre comme des rescapés d’un cataclysme et ils éclatent de rire. Ne pas céder au désespoir et rire de ce mauvais coup du sort.
Dans le soin apporté au travail de la terre, le réalisateur exprime son attachement à cet endroit qui l’a façonné, qu’il aime et qu’il respecte. L’amour pour cette terre qui nous comble de ses richesses et de ses merveilles, Li Ruijun le distille à travers les gestes traditionnels : labourer, semer, désherber, récolter, dans l’amour et le respect du vivant. Patient travail au rythme des saisons que la caméra a suivi de mars à octobre. Pendant ces huit mois, le réalisateur et toute son équipe ont effectué les travaux des champs et construit la maison de terre. On comprend mieux pourquoi ses acteurs sont des membres de sa famille ou des amis. Quel acteur professionnel aurait accepté et su reproduire ces gestes ancestraux transmis et appris de génération en génération mais voués à la disparition avec la mécanisation à outrance ?
Impossible de ne pas parler de leur deuxième allié : l’âne, animal qualifié de misérable à plusieurs reprises mais sans lequel rien ne pourrait être réalisé. Moins noble que le cheval, il est pourtant le compagnon indissociable de l’homme depuis toujours et dans les endroits les plus pauvres et plus difficiles à cultiver. Un âne dur à la tâche et qui est respecté lui aussi. Symbole de la maltraitance et du mépris, il retrouve lui aussi sa dignité et la récompense, même maigre, de son travail. À la fin du film, la liberté lui sera rendue dans une scène de séparation où l’immensité à perte de vue renvoie à la solitude qui sera dorénavant le sort de Ma Youtie. Une solitude encagée dans un appartement tout neuf qui ne signifie rien d’autre que l’échec d’une tentative de vie en autarcie. Adam abandonné par sa Eve disparue, chassé de son paradis patiemment et courageusement construit par un extérieur impitoyable, Ma Youtie devient le symbole d’un combat inégal, celui de l’individu contre la collectivité, celui de la marginalité contre la conformité.
On aurait pourtant voulu y croire à cet univers sécurisant où l’humain, l’animal, le végétal et la terre pouvaient s’harmoniser. On aurait voulu y croire à cette possibilité de se prendre en charge et de choisir sa vie. Mais Ma Youtie le dit : « Que peut le blé contre la faucille ? » Que peut le malheureux paysan contre les dirigeants de coopératives qui ne paient pas les récoltes mais roulent en BMW ? Que peut le petit propriétaire vivement incité ou obligé d’abandonner ses terres, contre des élus gouvernementaux qui en profitent pour les acheter à bas prix ? Que peut-on contre des directives gouvernementales qui entendent déplacer tous les pauvres vers les villes où ils fourniront une main-d’œuvre bon marché ? Que peut Ma Youtie contre le projet de Xi Jing Ping d’éradiquer la pauvreté et dont le succès a été triomphalement annoncé au vingtième congrès du parti ?
Que peut cet être profondément bon qu’est Ma Youtie contre la cupidité ? Illettré mais riche de l’intelligence du cœur qui lui commande entre autres, de donner son sang sans contrepartie, il est le symbole d’un état qui vampirise son peuple.
C’est sans doute pour toutes ces raisons que le film a disparu brutalement des salles puis des plates-formes de cinéma après trois mois de succès. La censure chinoise ne peut autoriser un réalisateur à contredire même avec moult précautions, une vérité officielle.
Que peut une maison de terre contre un bulldozer ? Image effrayante d’un étatisme qui broie sans état d’âme.
Ce premier festival de cinéma Italien a eu lieu du 25 au 29 avril. Frustrés de la disparition du Festival de Tours, nous nous y sommes rendus. Une sympathique équipe s’est constituée en association 1901 pour réaliser cette première. Proposer au public des films italiens est un bon moyen de ne pas se tromper, surtout si comme cette bonne équipe, on a un goût sûr.
Cette même équipe promeut aussi le cinéma Russe. Mais le conseil général, la mairie, ou encore la Direction du cinéma où les trois à la fois, je ne sais, ont dit Niet. Interdire la présentation de films Russes ne démontre pas chez ces censeurs institutionnels une capacité de réflexion démesurée ni un courage exemplaire. Excusons-les, ce n’est de toutes les façons, jamais le cas. Nous leur suggérons de lire dans notre blog l’article de Sylvie Braibant : « le Cinéma Russe contre la Guerre en Ukraine ! »
Nombre de films italiens présentés sont ceux du patrimoine, chacun des cramés connaît la signification pratique de cette formule, il faut accepter de n’avoir qu’en moyenne 15 spectateurs par film… Des poètes, des esthètes, des nostalgiques amoureux du cinéma d’antan et des salles de cinéma. Les projections du patrimoine rappellent un peu les musées français des années 1970 ! Il leur faudra attendre la mode : « t’as vu l’expo ? »
On ne voit véritablement de films qu’au Cinéma. Les chefs-d’œuvre cinématographiques ont besoin de l’espace des grands écrans, du cadre des Salles de projection et de l’ambiance du public. Félicitons cette équipe de Niort, dont la programmation fut remarquable ! (à l’exception du nanarissime « le Lyonnais » projeté en l’honneur de l’invitée Valeria Cavalli qui y a tenu un « rôle féminin » (et c’est peu de le dire !).
Je vous épargnerai la liste des 18 films. Mais je voudrais dire tout le plaisir qu’il y a à revoir les films de Victorio de Sica,« Mariage à l’italienne » et « la Ciociara» tous deux avec Sophia Loren. Ensuite il y a eu ce cycle Valerio Zurlini dont nous avions présenté « la Fille à la Valise » aux cramés de la Bobine. Notons que ce cinéma Italien a offert aux artistes français quelques-uns de leurs plus beaux rôles à l’instar de A. Delon dans « le Professeur » ou de « Été Violent « à J-L Trintignant..
Et puis nous avons vu un autre chef-d’œuvre : « Je la connaissais bien » un film d’Antonio Petrangeli 1965 dont le rôle principal est tenu par Stefania Sandrelli, un beau et révoltant témoignage sur la condition des femmes actrices qui aggravent leur cas du seul fait d’être belles !
Trois films nouveaux ont été projetés, « Le Colibri » de Francesca Archibugi, rappelons-nous, ce film pour le WE Italien d’octobre et « Astolfo » de Giani di Grégorio… De lui, nous nous souvenons du malicieux « Citoyen du Monde ». « Astolfo », comme « Citoyen du Monde » prouvent qu’on peut faire de bons films avec de bons sentiments, des films qui mettent en joie. La recette ? l’AMITIÉ ! En revanche, nous ne nous battrons pas pour présenter « les amants super-héroïques » de Paolo Genovese, un navet en miettes plutôt boboïsant et dont le titre a si peu à voir avec le contenu…
Il y a des films qu’on peut voir et revoir et qui toujours procurent le même bonheur, en clôture, « Nos plus belles années » de Gabriele Muccino, ce film que nous avions projeté aux Cramés de la Bobine et que « nous avions tant aimé ».
Niort, une nouvelle ville pour le Cinéma Italien !