Le Retour des Hirondelles-Li Ruijun

                          

                                                    

Sixième film de Li Ruijun et premier à être distribué en France, « le retour des hirondelles rend compte de la relation ancestrale qui lie l’homme à la terre. Le réalisateur dépeint une Chine rurale contemporaine archaïque, en voie de disparition. La Chine avance à marche forcée et Xi Jing Piing ne laisse pas traîner les choses. Sa vision il entend l’imposer à tous et tous doivent prendre le train de la modernisation à outrance.

                                             

 Li Ruijun montre un couple d’agriculteurs atypique et magnifique qui ne veut pas monter dans le train. Dans cette région du Gansu dont il est originaire et qui est une des plus pauvres, le cinéaste suit ce couple qui cultive un minuscule lopin de terre avec une araire et un âne. L’homme qui ne dit mot a passé sa vie, exploité par son frère et sa belle-soeur. La femme qui semble muette est handicapée physique à force de mauvais traitements. On les marie sans demander leur avis ( une pratique interdite mais tolérée), grâce à une marieuse qui obtiendra sans nul doute salaire pour être parvenue à débarrasser les deux familles de ces deux fardeaux encombrants. Avec un tel synopsis on aurait pu s’attendre à subir un drame misérabiliste pendant plus de deux heures. Il n’en sera rien. Les deux parias qui ne se connaissent pas et s’observent avec un intérêt plus que mitigé pour l’homme et avec crainte pour la femme, vont peu à peu nouer une relation profonde qui ne peut que toucher le spectateur. Considérés comme des moins que rien et des rebuts, ils vont patiemment et magnifiquement retrouver leur humanité. Et c’est magistralement beau même si j’ai eu le cœur serré durant toute la séance, devant ces humains qui se contentent d’être au lieu de rêver ce qu’ils n’ont pas. La relation puissante qu’ils vont créer se construit non pas avec des mots mais avec des gestes de respect et des actes de bienveillance qui parsèment tout le film. Il lui prépare à manger, il lui achète un manteau pour masquer son incontinence, lui dessine une fleur sur le poignet avec des grains de blé, la fait descendre dans la rivière qui l’effraie pour calmer la brûlure de son eczéma du blé. Elle l’attend un soir d’hiver avec un flacon d’eau chaude pour le réchauffer ; elle surveille ses moindres signes de fatigue et lui enjoint de se reposer ; surtout elle manifeste son opposition et son inquiétude à chaque fois qu’il doit donner son sang à un responsable local qui en a besoin.

      Chassés de leurs familles puis de la maison abandonnée qu’ils ont investie, Ma Youtie entreprend de bâtir sa maison, leur maison, leur foyer bien à eux, un bonheur qui semblait inatteignable. Oui, je dis bien bonheur, un bonheur simple qui consiste à pouvoir se nourrir, s’abriter, se donner le respect et la dignité auxquels tout être humain à droit. Ce que les autres ne leur ont pas donné, ils se donneront à eux-mêmes, loin des autres.

     Leur alliée suprême c’est la terre elle-même, la terre nourricière que Ma Youtie qualifie de « juste » car elle donne à tout le monde sans juger qui est bon ou mauvais. La travailler leur redonne valeur et fierté. Ce lien très fort qui unit Ma Youie et Cao Guying et celui qui les lie à la terre se découvre particulièrement au moment où la pluie torrentielle s’abat sur les briques de terre que Ma Youtie s’est éreinté à fabriquer et à faire sécher. Pataugeant et glissant dans la boue, incapables de se relever et de lutter ; ils s’accrochent alors l’un à l’autre comme des rescapés d’un cataclysme et ils éclatent de rire. Ne pas céder au désespoir et rire de ce mauvais coup du sort.

Dans le soin apporté au travail de la terre, le réalisateur exprime son attachement à cet endroit qui l’a façonné, qu’il aime et qu’il respecte. L’amour pour cette terre qui nous comble de ses richesses et de ses merveilles, Li Ruijun le distille à travers les gestes traditionnels : labourer, semer, désherber, récolter, dans l’amour et le respect du vivant. Patient travail au rythme des saisons que la caméra a suivi de mars à octobre. Pendant ces huit mois, le réalisateur et toute son équipe ont effectué les travaux des champs et construit la maison de terre. On comprend mieux pourquoi ses acteurs sont des membres de sa famille ou des amis. Quel acteur professionnel aurait accepté et su reproduire ces gestes ancestraux transmis et appris de génération en génération mais voués à la disparition avec la mécanisation à outrance ?

Impossible de ne pas parler de leur deuxième allié : l’âne, animal qualifié de misérable à plusieurs reprises mais sans lequel rien ne pourrait être réalisé. Moins noble que le cheval, il est pourtant le compagnon indissociable de l’homme depuis toujours et dans les endroits les plus pauvres et plus difficiles à cultiver. Un âne dur à la tâche et qui est respecté lui aussi. Symbole de la maltraitance et du mépris, il retrouve lui aussi sa dignité et la récompense, même maigre, de son travail. À la fin du film, la liberté lui sera rendue dans une scène de séparation où l’immensité à perte de vue renvoie à la solitude qui sera dorénavant le sort de Ma Youtie. Une solitude encagée dans un appartement tout neuf qui ne signifie rien d’autre que l’échec d’une tentative de vie en autarcie. Adam abandonné par sa Eve disparue, chassé de son paradis patiemment et courageusement construit par un extérieur impitoyable, Ma Youtie devient le symbole d’un combat inégal, celui de l’individu contre la collectivité, celui de la marginalité contre la conformité.

 On aurait pourtant voulu y croire à cet univers sécurisant où l’humain, l’animal, le végétal et la terre pouvaient s’harmoniser. On aurait voulu y croire à cette possibilité de se prendre en charge et de choisir sa vie. Mais Ma Youtie le dit : « Que peut le blé contre la faucille ? » Que peut le malheureux paysan contre les dirigeants de coopératives qui ne paient pas les récoltes mais roulent en BMW ? Que peut le petit propriétaire vivement incité ou obligé d’abandonner ses terres, contre des élus gouvernementaux qui en profitent pour les acheter à bas prix ? Que peut-on contre des directives gouvernementales qui entendent déplacer tous les pauvres vers les villes où ils fourniront une main-d’œuvre bon marché ? Que peut Ma Youtie contre le projet de Xi Jing Ping d’éradiquer la pauvreté et dont le succès a été triomphalement annoncé au vingtième congrès du parti ?

Que peut cet être profondément bon qu’est Ma Youtie contre la cupidité ? Illettré mais riche de l’intelligence du cœur qui lui commande entre autres, de donner son sang sans contrepartie, il est le symbole d’un état qui vampirise son peuple.

 C’est sans doute pour toutes ces raisons que le film a disparu brutalement des salles puis des plates-formes de cinéma après trois mois de succès. La censure chinoise ne peut autoriser un réalisateur à contredire même avec moult précautions, une vérité officielle.

 Que peut une maison de terre contre un bulldozer ? Image effrayante d’un étatisme qui broie sans état d’âme.

Marie-Annick

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