Hors-Saison – Stéphane Brizé

À propos de Hors-Saison, Pierre Bourseiller, critique de France Inter dit « C’est une espèce de fable flottante, invertébrée, un peu comme un mollusque. On a trois films en un. 

Le premier, c’est l’histoire d’un acteur lâche, un homme sans qualités qu’on a tout sauf envie d’admirer et qui a laissé tomber une pièce de théâtre parce qu’il est en crise existentielle.

Ensuite, il retrouve cet amour de jeunesse, sauf qu’elle ne parle pas un mot de français quand, lui, ne parle que par grognements.

Quant au troisième film, elle fait du travail social dans un EHPAD et, avec son portable, elle filme une vieille dame très sympathique qui a découvert son homosexualité plus ou moins dans l’EHPAD. »

Chacun peut le remarquer, les journalistes critiques sont souvent jubilatoires lorsqu’ils « dézinguent » un film. Si la critique ci-dessus a le mérite de nous montrer les ingrédients de « Hors Saison », elle oublie ce qui les lie. Bien sûr, les liens ne sont pas explicites, ce n’est pas au réalisateur de le faire… Mais chaque critique, comme chaque spectateur peut le faire à sa guise.

D’abord, il y a cette musique suggestive de Vincent Delerme dont le titre est « ni avec, ni sans toi ». Ensuite il ya le décor, plage, mer, lumière, et la ville de Quiberon, jolie et triste à la fois.

Et il y a aussi cet hôtel prétentieux, à l’intérieur luxueux, calme mais qui suinte l’ennui : Une véritable aubaine pour un déprimé qui peut ainsi vivre pleinement sa dépression.


Or, Mathieu, comédien célèbre est déprimé. Il l’est assez pour se prêter (avec gaucherie) aux séances sophistiquées de remise en forme que lui propose l’établissement.

Et pendant que défilent en plans successifs et légers, les pans de sa vie quotidienne, un peu ennuyeuse, éventuellement curative dans ce centre kitch de thalassothérapie, on entend au téléphone, la voix acrimonieuse de son manager lui reprocher d’avoir renoncé à jouer une pièce de théâtre, laissé tout le monde en plan, bref d’avoir fuit lâchement.

Pour se consoler Mathieu téléphone à sa femme, une journaliste de télévision, une spécialiste de l’essentiel, elle est assez peu compassionnelle, une sorte d’I.A avant l’I.A, mais efficace.

Lorsque par un romanesque et improbable hasard, surgit Alice qui vit à Quiberon, elle est cette femme qui l’aimait et qu’il a fuie. Qu’il a fuie brutalement, sans explication. En avait-il une ?

Voici donc que se retrouvent, celui qui avait « oublié » et celle qui se souvenait. Mathieu confronté à sa lâcheté du moment, se trouve renvoyé à celle d’hier. D’ailleurs, « Lâcheté » est un terme moral, il maquille un fonctionnement humain qui ne se soucie pas toujours de la morale : Le doute, la peur de l’échec, les attaques de panique : Une gentille névrose en somme. D’ailleurs Alice vit à Quiberon mais elle aurait pu n’être réapparue que dans son imaginaire – le retour du refoulé —.

Quant à Alice, son personnage a quelque chose à voir avec celui du premier film de Stéphane Brizé, «Le bleu des villes »: « …L’amie d’enfance de Solange, Mylene, devenue présentatrice météo, est de passage pour dédicacer sa biographie. Elle lui consacre une soirée… Mylene repartie, Solange comprend qu’elle est passée à côté de ses rêves. Elle s’imaginait chanteuse, elle est contractuelle »

Alice de son côté, s’imaginait compositrice, elle est devenue l’épouse du Docteur , elle est aussi professeur de piano pour enfants et animatrice dans une maison de retraite. Et puis, elle est mère d’une jolie jeune fille rousse, rousse comme son père. C’est respectable, ce n’est pas à la hauteur de ses espérances. D’autant que son amour de jeunesse en filant à l’anglaise a aussi filé vers le succès… Il y a chez Alice, comme un léger fond de bovarysme. Depuis son crash sentimental, elle pense vivre dans un monde un peu trop petit pour elle (un trou).

Alors ces deux-là se rencontrent, se parlent, d’une manière sensible, avec une touche d’humour, autant pour se dire des choses que pour ne pas se les dire. Ils sont souvent à fleuret moucheté. Lui a quelques réactions de prestance car il n’ose avouer sa détresse du moment, (d’autant qu’elle n’est pas seulement du moment). Elle, plus sincère, peut enfin parler de sa douleur, de son ressentiment et de ses doutes. Ses doutes qui mieux que tout le reste, ont orienté ses choix de vie. Pour l’heure, ils (re)vivent des choses ensemble, cherchant à se séduire, tendrement, curieux l’un de l’autre.

Arrive l’histoire de Lucette, cette vieille et sage dame, qui vit dans la maison de retraite où exerce Alice, son amie. Lucette s’autorise en fin de vie à céder à son attirance, à aimer ouvertement une autre pensionnaire, à se marier avec elle. Son coming out est filmé au téléphone portable par Alice (il est plus vrai que nature). Alice et Mathieu sont parmi les invités de son mariage. Mais quel rapport a-t-elle avec eux ? Lucette montre à Alice comme à Mathieu très modestement son propre exemple : soyez ce que vous êtes.

Dans « Hors Saison » Stéphane Brizé montre un cheminement à la fois conjoint et parallèle de Mathieu et d’Alice : « il y a quelque chose où les deux personnages font un chemin de réparation, il y a une porte qui s’ouvre sur quelque chose de possible et les personnages vont mieux à la fin qu’au début. » Avec ce film délicat et optimiste, il montre que nous tendons tous à aller mieux et… que dès fois ça marche.

Georges

Une réflexion sur « Hors-Saison – Stéphane Brizé »

  1. Hors-saison
    Tout d’abord, la merveilleuse Alba Rochwacher : je l’adore. Nous avions présenté en 2015 Hungry Hearts où elle était la partenaire d’un petit nouveau au cinéma, Adam Driver. Depuis cette apparition, nous aimons la retrouver dans des films délicats, comme elle : Heureux comme Lazzaro, Vierge sous serment…
    Et Hors-saison m’a bouleversée quand j’ai entendu la chanson « Trois petites notes de musique » qui avait été écrite sur une musique de Georges Delerue par Henri Colpi pour son film Une si longue absence, un des plus beaux films ciné-culte proposé par les Cramés et qui résonne tout particulièrement avec le film de Brizé.
    La scène de l’interview de Lucette si inattendue m’a « cueillie ». Etait-ce une véritable interview ? Non. Et c’est cela qui est incroyable. Je pense au film de Lifschitz Les Invisibles ou à Deux de Filippo Meneghetti, tous deux d’une si grande sensibilité tout comme cette séquence, la scène du mariage à l’EPHAD avec la danse, les chanteurs d’oiseaux…
    Savez-vous quelle est la différence entre un critique qui cabotine en descendant un film et une Cramée ? La Cramée aime aimer.

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