Vu l’ultime film de Laurent Cantet réalisé par Robin Campillo. Avant de parler du film, je souhaiterais m’arrêter sur ce point, Laurent Cantet, cet homme si simple, ce grand réalisateur est tombé malade puis gravement malade. Robin Campillo l’a soutenu dans son projet, ils ont travaillé de concert, et puis Laurent Cantet est mort en avril… et c’est Robin Campillo qui a finalement réalisé Enzo…Pour les détails de leur collaboration qui est aussi celui de leur amitié, je vous invite à vous reporter au journal « Lille la nuit » d’où je tire cette citation de Robin Campillo : « Je ne suis pas sûr de faire le film que toi, tu aurais fait. » Et c’est vrai : je ne sais même pas ce que ça veut dire, faire « un film à la manière de Laurent Cantet », ni même ce que cela signifie faire un film à « ma manière ». Mais on peut se douter que pas un instant cette question ne l’a quitté.
Enzo, c’est la première fois que je vois un tel sujet au cinéma. Vous le connaissez : Enzo, 16 ans, est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C’est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu’Enzo va entrevoir un nouvel horizon.
Je songe à Annie Ernaux à cette question qui la tarabuste, celle de la honte des origines, à son insécurité face aux codes des classes aisées, bref je pense à toutes ces histoires transclasses dans leur ensemble, un peu douloureuses et surtout à sens unique, racontée longtemps après depuis un appartement chic. D’ailleurs, pour ceux des classes aisées, curieusement, on préfère un autre terme que transclasse, celui de déclassement.
Là nous sommes devant un cas de déclassement potentiel. Le sociologue Pierre Bourdieu aurait aimé ce film, il le traduit d’une certaine manière. En effet, « la distinction » y apparaît dès les premières images, lorsque le chef de chantier reconduit Enzo chez lui pour expliquer à ses parents qu’il n’est pas un apprenti appliqué.. Mais chez qui arrive-t-il ? Chez un couple de bourgeois au capital social et culturel supérieurs. Et ce sont des gens accueillants, attentifs, mais tout de même un peu intimidants pour un ouvrier du bâtiment. Et la tonalité de l’entretien est à la fois courtoise, empruntée et dérisoire, presque absurde tant il est patent que les parents, s’ils laissent Enzo faire son choix, savent, ils sont à la bonne place pour le savoir, que le choix de Enzo ne sera pas celui de devenir maçon.
Mais Enzo s’entête, et si sur le chantier il se fait charrier un peu, il ne s’en fait pas moins des amis, par exemple ces deux ukrainiens… Et là, je ne vous en dis guère davantage, disons que les fils de la vie professionnelle, celui de l’habitus social, et celui des amours forment une jolie tresse.
Les 17 et 18 mai nous avons présenté 6 films, latino américains… Nous avions choisi de sortir du cadre un pays un film pour pouvoir figurer des films de petits pays du cinéma à côté des grands que sont le Brésil et l’Argentine par exemple. Nous voulions également présenter des films de maintenant (à l’exception de la Cité de Dieu 2002, afin de profiter de sa ressortie.)
C’est Bibata Uribe O’ Mara de l’association Le chien qui aboie-El Perro que Ladra qui a animé ce Week-End, avec son association, elle est colombienne, elle se consacre justement à ce cinéma là. Elle est arrivée parfaitement préparée et le public ne s’y est pas trompé, de sorte que nous avons pu visionner des films remarquables et mieux comprendre les ressorts de leur création.
La cité de Dieu de Fernando Meirelles (Brésil) ouvrait donc ce Week-End. C’est le huitième des cents meilleurs films du cinéma brésilien. Nous nous plongerons dans les années 1970 en suivant le jeune Wilson apprenti photographe, acteur et témoins d’alors, si ce n’est pas une histoire vraie, elle dit une vérité, elle est inspirée du roman éponyme de Paulo Lins, de son enfance dans la favela Cidade de Deus à Rio de Janeiro. Ce film marqué du sceau de la violence, est filmé avec une infinité exceptionnelle de plans originaux et soignés. Voici un film qui nous permet constater comment cette violence est déterminée de l’extérieur, ces citées sont des espaces de relégation, le plus souvent celles des gens qui ont eu le malheur d’y naître… Ces lieux sont une permanence de l’histoire humaine, et rien n’a changé depuis l’antiquité. Rien, sauf la drogue et ça change tout. Ça structure la vie des gens dès l’enfance, leur offrant cette possibilité illusoire de devenir riche- Infiniment moins que de mourir, mais quelques fois, devenir un bref moment riche parmi les pauvres- Il ne suffit que d’accepter les codes changeants de cette société, faire sienne la violence effrénée des guerres de clans, et surtout de commencer jeune, très très jeune.
Ainsi, nous voyons une succession de petits caïds qui s’affrontent et s’entre-tuent, dans une logique dessinée d’avance, celle des territoires dans le territoire. La valeur de la vie, c’est vraiment trois fois rien, ni pour les tueurs ni pour l’entourage des victimes, au plus une fatalité. Cette cité livrée à la loi du plus fort de l’instant, nous la voyons à travers les yeux de Fusée, ce jeune amateur de photographie qui veut trouver son chemin et en deviendra le reporter. Ce film a produit ce qu’aucun documentaire ne pourrait faire, tourné dans une favela, avec et parmi ses habitants, il nous fait ressentir le climat de terreur de déliquescence d’une société humaine d’habitude hors champs. On mesure l’ironie même du nom de cette cité. A sa sortie, ce film avait fait plus de trois millions d’entrées dans le monde. Il méritait bien de réapparaître sur nos toiles.
Allons au Chili maintenant, avec Brujeria (sorcellerie) de Christopher Murray, plus exactement sur l’Île de Chiloé, au large du Chili, en 1880. Rosa Raín est une jeune fille huilliche dont le monde s’effondre le jour où son père se retrouve assassiné par des colons allemands. Ce film d’un rythme lent, contemplatif et superbement cadré n’est jamais ennuyeux, nous sommes immergés dans une histoire qui joue de la rationalité, de la pensée sauvage et du réalisme magique propre au cinéma latino…
Ce réalisme magique est une forme de surréalisme, on le retrouve dans la peinture dès la première moitié du vingtième siècle puis chez des écrivains tels que García Márquez ou Borges pour ne citer qu’eux. Les frontières entre le réel et l’irréel s’estompent, créant un univers paradoxalement familier… Le cinéma latino américain a lui aussi très souvent recours à cette forme et Brujeria n’y échappe pas. Ici le réalisme magique est au service d’autre chose, celui de montrer l’esprit colonial et le cheminement décoloniale d’une enfant parmi les plus humbles.
Et l’on voit comment Rosa (Valentina Veliz) se défait de vêtements dont on l’avait vêtue, celles d’une gentille enfant bonne à tout faire, celle d’une bonne chrétienne (sous condition) , celle qui devait croire en la justice, en l’ordre social…pour retrouver ses racines, l’animisme, sa magie et la solidarité du clan autochtone, persécuté, mais digne.
Ce film n’a pas eu de spectateurs en France, nous sommes une poignée à l’avoir visionnné et c’est regrettable, nous avons le sentiment d’avoir vu un grand film.
Mexico 86 de César Diaz est un film mexicano-guatémaltèque. Une femme, magistralement interprétée par Bérénice Bejo,
Mexico 86 distille chez le spectateur un sentiment de peur et de méfiance l’héroïne est une réfugiée politique. Or, des barbouzes recherchent partout sur le continent, les gens comme elle, pour les capturer ou les tuer, eux où leurs familles, et tous les moyens sont bons. Par exemple, ce qui est suggéré dans le film, torturer un enfant devant sa mère. Alors, peut-on être mère où le devenir au sens plein du terme, dans cette situation de tous les dangers, peut-on conjuguer la résistance avec une aspiration politique et sociale et offrir une enfance à sa progéniture? C’est tout l’objet du film d’où la peur suinte. Ce film est encore projeté à l’Alticiné, et c’est un grand mérite car ce film ne rencontre pas le public qu’il mérite. Bibata O’mara signale qu’hélas le prix à payer pour faire connaître ce film dans le monde était de ne pas prendre un premier rôle guatémaltèque. En revanche, elle nous rappelle que les parents de Bérénice Béjo ont quitté l’Argentine en pleine dictature militaire pour aller vivre en France, elle avait trois ans, elle est donc concernée par le sujet. Elle est remarquable par sa capacité à faire ressentir ce qui la meut, activisme patriotique, ténacité, méfiance de tous instants, amour maternel …
Bérénice Béjot est deux fois remarquable, comme actrice, et comme sésame pour une distribution. C’est une chance pour les spectateurs…mais disons le tout net, un bon scénario, historique, à la fois politique et thriller, une actrice sensible, qui sait transmettre ses inquiétudes, peurs autant que sa détermination, ne suffit pas et Mexico 86 connaîtra le même sort en France que Brujeria, un public averti, peu nombreux.
Manas, est une oeuvre de Marianna Brennand Fortes, est notre second film brésilien de la sélection, cette réalisatrice est une grande documentariste qui a eu recours à la fiction par efficacité. Ici pour nous montrer, nous parler de la condition féminine dans la société des hommes.Grand bien lui a pris.
Nous sommes en Amazonie, dans ce lieu de vie simple, d’une inquiétante beauté où chantent les oiseaux, rythmant la vie de tous, où les habitants vivent paisiblement leur dénuement, une sorte précarité ordinaire. Les jeunes n’entendent pas que les oiseaux dans les arbres, mais également celui des sirènes des grandes villes, mais pourquoi ? Ici, comme dans beaucoup d’endroits du monde, il y a la loi des mâles. Disons que la transgression est leur première loi, il n’y a pas de tabous quand on est père. C’est bien de pédophilie et d’inceste dont il sera question dans ce décor là !.
Pour cela, suivons cette petite fille, Marcielle, ( Jamilli Correa) qui d’un seul coup, à l’approche de l’adolescence, devient « la préférée » de son père…
Louons ici, le tact et la sensibilité de la réalisatrice, sa manière de manier le hors-champ, l’habile et intrigant décalage entre l’image sonore et l’image visuelle.
Voici donc un film qui arrive à exposer un sujet difficile pour les spectateurs d’une manière non spectaculaire et très éthique, qui ne prend pas les spectateurs pour des voyeurs… Qui sait montrer la loi des hommes et l’abnégation et le courage des femmes d’une manière pudique et convaincante. Et là encore, je vous invite à regarder le box office, si vous n’avez pas vu ce film aux cramés de la bobine, il y a peu de chances pour vous de le voir ailleurs. Et pourtant ce n’est pas seulement un beau film, c’est également utile à la cause des femmes.
Nous voici maintenant en Bolivie avec Le Grand Mouvement de Kiro Russo, un film majeur. Vous vous souvenez le synopsis : « Elder arrive à pied à La Paz après sept jours de marche pour protester avec ses amis mineurs contre leur renvoi des mines de Huanuni. Ce sont des gens en colère et usés qui arrivent. Bientôt Elder tombe malade et la métropole l’asphyxie peu à peu. Max, sorcier des rues, sillonne, lui, sans relâche les confins de la ville qui semble ancrée au plus profond de son être. » Ce synopsis décrit plutôt bien le grand mouvement, il n’y manque que le swing… A 3600 mètres, cette ville géante fascine d’autant que Kiro Russo nous la montre par une mosaïque de plan larges et rapprochés, à l’image de ces enchevêtrement de fils électriques, de murs crapoteux, ces gens, les couleurs, se conjuguent au fond sonore, la cacophonie urbaine. Et ici encore on retrouve une touche de réalisme magique.
Ce film sera lui aussi confidentiel en France, 5000 spectateurs en salle. … Pourtant c’est « un film monde », il a du souffle et du rythme. C’est l’œuvre d’un cinéaste nommé et récompensé dans de nombreux festivals. Si ce film ne déplace pas grand monde il est pourtant l’égal de grand films turcs, iraniens, chinois, indiens etc… il représente l’avenir du cinéma d’art et essai. Kiro Russo, retenons bien ce nom ! Ce film est un chef-d’oeuvre.
Nous finissons le progamme avec un film Argentin : Quelque chose de neuf, quelque chose de vieux, quelque chose d’emprunté de Hernán Rosselli. Voici un film surprenant et inventif, qui ne pouvait naître qu’en Argentine dont on sait le fonctionnement politique actuel. En récupérant des films familiaux, en les conjuguant avec un tournage au présent, Rosseli nous présente un film dans la lignée du Parrain, je vous livre le commentaire de la quinzaine : « Quelque chose de vieux, quelque chose de neuf, quelque chose d’emprunté constitue au final une expérience intrigante, bercée par un gros travail sur le son, qui égale presque celui du montage, particulièrement habile ».
Voilà l’état de la critique, cependant, après avoir vu ce film, je comprends vaguement qu’il utilise des films super huit, qu’il nous parle de l’héritage. Ici les enfants héritent des charges mafieuses familiales comme on hérite de n’importe quel capital… qu’il faut faire fructifier. Car dans cette affaire, il s’agit de paris clandestins. Mais les temps changent, rendant caduque les protections mafieuses de ces familles, alors jusqu’à quand et comment survivre ? En contrepoint, c’est aussi une histoire de recherche généalogique, comme une recherche un peu vaine sur l’origine du mal… C’est probablement le film le plus « OFNI, objet filmique non identifié « comme le dirait le Directeur de l’Alticiné. Et il faut être mordu de ciné pour le voir coûte que coûte… Si ce film appartient bien aux films d’art et essai, on ne peut pas dire qu’il soit inoubliable…
Mais au total , voici un Week-End où nous avons présenté des films rares, et souvent très beaux, nous aurions préféré y voir davantage de spectateurs, mais ceux qui étaient présents ont apprécié, et Bibata notre présentatrice en a été ravie. Nous n’en comprenons que mieux l’utilité de son association El Perro que Ladra qui promeut ce cinéma là. Qu’elle en soit remerciée. Et j’espère que nous aurons le plaisir de la voir de nouveau. Que dire de plus :
Harvest est un film germano-américano-britannique réalisé par Athina Rachel Tsangari, réalisatrice et productrice, sorti en 2024. C’est l’adaptation du roman de Jim Crace paru en 2013. Il a été présenté en compétition à la Mostra de Venise 2024. Il commence par un homme qui se baigne et dont on voit alternativement remonter les fesses à la surface de l’eau d’un beau lac. C’est Walter, (Caleb Landry Jones) et c’est à travers ses yeux que nous verrons l’histoire, c’est un garçon roux, un peu marginal, pour l’instant, il nage, plonge et nage…
Plan suivant, on voit une grange qui brûle et les villageois qui s’affairent à l’éteindre, plan suivant, trois personnes chasseuses munies d’arcs sont cernées par les villageois, elles risquent d’être lynchées…Elles se rendent, et après avoir été rouées de coups, se retrouvent pour les deux hommes au carcan et pour la femme tondue publiquement, puis relâchée…Ces trois pauvres hères ne sont pas tout à fait d’ici, ils sont aux marges du village. Pour la circonstance, ils vont y être menés, car à part eux , qui peut brûler une grange ? Mais pour l’instant, le carcan est sur la place du marché, et nous assistons à ce qu’il faut bien appeler une réaction de populace.
Ce film très beau, d’esprit moyenâgeux ne s’y situe pourtant pas , l’époque est indéterminée. (Pour ma part je le situe au 17ème siècle). Le chef du village Charles Kent (Harry Melling), est un brave homme un peu falot, dont l’ami d’enfance, le seul, est Walter « le nageur », fils de sa nourrice. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes féodal, la foi, l’obéissance de principe à Dieu et au Seigneur du cru, la loi sommaire du lieu, les fêtes, les moissons, des riches qui ne sont pas très riches, et les pauvres, pauvres. Le paysage c’est celui de l’Ecosse, vallonné, bois et collines, rivières, et champs, fruitiers, haies. On y vit paisible, à condition d’être d’ici et pas d’ailleurs. Le lieu ressemble à un tableau de Bruegel , ou Jérôme Bosch, peut-être. Et c’est curieux, arrive un quidam, un géomètre qui bientôt dessine les lieux avec précision et les nomme quand il ne le sont pas, c’est le cartographe, une sorte d’obligé de Kent. Le décor est planté si l’on peut dire, le quidam et l’incendie, les candidats au gibet sont les précurseurs de l’histoire.
Ainsi nous entrons dans sa seconde partie avec l’annonce puis l’arrivée de Jordan, le cousin ( Franck Dillane) , et sa troupe. C’est un homme de décision, brutal, autoritaire, l’exact contraire de son cousin en somme. (A ses troupes sans doute appartient l’incendie de la grange). Un homme de projet, de progrès, et s’il est d’accord sur les punitions qui s’exposent sur la place du marché, il les trouve trop clémentes, lui préférant le gibet…c’est juste par efficacité. Et si ses troupes, fouillent les maisons, volent, violent, elles ne font que mettre un peu d’ordre dans une population qui de toutes les façons n’est pas à sa place ici, dans un pays qui n’est pas ce qu’il devrait être. Les paysages après tout ne sont rien d’autre que l’expression des besoins de l’homme et du développement.
Je n’hésite pas à livrer ici le contexte même du film en citant longuement Wikipédia : « Le mouvement des enclosures comprend les changements qui, dès le XIIe siècle et surtout de la fin du XVIe siècle jusqu’au XVIIe siècle, ont transformé, dans certaines régions de l’Angleterre, l’agriculture traditionnelle, qui se faisait jusqu’alors dans le cadre d’un système de coopération et de communauté d’administration de terres appartenant à un seigneur local (openfield, généralement des champs de superficie importante, sans délimitation physique).
Cela a abouti à réserver l’usage de ces terres seigneuriales à quelques personnes choisies par le propriétaire, chaque champ étant désormais séparé du champ voisin par une barrière, voire une haie comme dans un bocage.
Les enclosures, décidées par une série de lois du Parlement, les Inclosure Acts, marquent la fin des droits d’usage, en particulier des communaux, dont un bon nombre de paysans dépendaient. »
C’est de cela dont il est question, ce sujet historique et économique, que Karl Marx a analysé et David Thoreau critiqué dans Walden… Mais Harvest s’il montre la dépossession et la paupérisation, nous parle aussi du rapport des pauvres entre eux avec leurs boucs émissaires dérisoires, puis avec l’arrivée du cousin, du rapport aux femmes (des sorcières).
Mais c’est d’abord l’histoire d’une colonisation intérieure dont il est question, il faut insister sur ce point, avec sa violence, son « there is no alternative » et l’expulsion en masse des habitants qui en résulte. Ce film nous montre en germe, un capitalisme qui déjà, fait flèche de tout bois. Et c’est pathétique de voir ces gens du cru, qui ont érigé l’étranger en bouc émissaire, devenir à leur tour, être définis comme étrangers à leurs propres terre. Pourront-ils comprendre qu’on a exploité leurs passions tristes pour mieux les asservir ?
Témoins et peut-être narrateur Walter, ce marginal à qui il appartient de voir et de témoigner. Ce Walter, c’est peut-être un peu la cinéaste qui nous parle d’aujourd’hui.
Mon regret, seulement 27 spectateurs pour ce très beau film, alors que dans la salle d’à côté, « la montée des marches » du festival de Cannes…Il faut plutôt nous féliciter des spectateurs qui sont venus.
Voici un film qui comporte sa part de mise en abyme, puisqu’il s’agit d’une fiction sur un père qui fictionne la vie de ses enfants plutôt qu’il ne la voit.
Mais vous avez tous lu l’article de Chantal et les spectateurs que nous sommes y retrouvent si bien retracé, le film et son esprit…et comme chaque fois avec la précision metronomique. C’est un grain de sel que j’y ajoute, en vous invitant tout de même, même si vous n’avez pas vu le film, à lire Chantal, histoire de regretter un peu de ne pas l’avoir vu. Pour ma part, en le voyant, j’ai songé à deux ou trois livres que j’ai lu ou feuilleté sur ce sujet et je vais me faire un peu citateur, ce qui n’est pas un moindre défaut.
Telle cette phrase de Julien Blanc, dans son livre si triste, « confusion des peines » où il disait quelque chose comme « erreurs de la part de ceux qui veulent des enfants comme ils les aiment au lieu de les aimer comme ils sont » ; Et c’est un peu ce qui arrive à Mattéo (Marcello Mastroianni).
Et d’une manière générale notre rapport à la réalité n’est pas un rapport facile.Clément Rosset, dans le réel et son double disait que « notre rapport à la perception du réel est toujours conditionnel et provisoire », il ajoute même que « la conscience se met à l’abri de tout spectacle indésirable » et de son côté Nancy Huston dans « l’espèce fabulatrice » dit : « nous voyons le monde en l’interprétant c’est à dire en l’inventant »…
Dans ce film, on s’habitue très vite à oublier la tragicomédie noire qui s’en dégage… En quelque sorte, on choisi son camp, on n’en ressent que le pathétique, en en oubliant l’ironie, qui est l’héritage de nombres trésors cinématographiques italiens d’alors.
Mattéo, veuf, obscure petit fonctionnaire provincial, élégant, courtois, très fin du 19ème siècle*, s’en va retrouver ses enfants, dans différentes villes de l’Italie. Là encore, je vais citer, cette fois Gilles.Deleuze, « on ne désire pas une chose en soi, on la désire dans un agencement », le voici : il imagine les réunir près de lui, autour d’une table dans un restaurant. D’ailleurs, il en a parlé à sa femme, qui gît au cimetière, n’a-t-elle pas toujours été là pour l’écouter ?
Tous ses enfants font leur vie ordinaire et médiocre, n’en déplaise à Mattéo, père sévère qui persévère dans ses fantasmes. Il leur invente avec ferveur des situations qu’ils n’ont pas, et fait tout ce qu’il peut pour qu’elles collent au réel… Hélas, la vie de ses enfants n’est pas rose …Il en manque même un, qui dit-on serait en vacances, le père sagace finit par en déduire qu’il est en prison… Mais non, bien pire, il est mort lui annoncent un frère et la sœur.
Et de l’autre côté, on remarque le jeu ambivalent des enfants, entre deux stratégies celle de l’évitement et celle de faire comme si : « d’avoir réussi professionnellement » et « d’être heureux », par respect, pour ne pas lui faire de peine et par amour filial tout de même, il ne faut pas oublier ce dernier point. Cette fratrie a dû user une belle énergie pour s’adapter à l’immaturité de papa ».Pour le repas final, c’est un fiasco, seuls trois seront là, dont un petit fils généreux, détaché (protégé) de la pesanteur d’une histoire familiale où la misère sociale et affective s’efface un tantinet pour laisser place à autre chose que la répétition. (Encore que… tout jeune adulte, sa petite amie, aussi jeune est enceinte!).
A ce prix, Mattéo, cet homme aveugle à lui même et au monde, aux ambitions débordantes, par progénitures interposées… peut s’en retourner, si tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, ça lui ressemble un peu quand même… D’ailleurs, il le dira à sa femme.
On ne s’étonnera pas qu’avant lui, on a pu voir les monstres, affreux sales et méchant etc… Sauf que Tornatorre administre une manière de faire, il filme les turpitudes humaines avec des gants de velours.
Georges
On retrouve entre autre un Marcello fantasque, rêveur, velléitaire dans « les yeux noirs » tourné en italien de N.Mikhalkov.
Je n’ai pas lu ce roman de S.Chalandon qui inspire ce film, mais j’ai vu le film, et c’est peu dire, comme chacun dans la salle, le sentiment mitigé qu’il m’a inspiré, et comme chacun, je suis demeuré dans le silence de mes pensées un peu sidérées, il faut bien le dire. Pour ceux qui ne l’ont pas vu, voici le bref synopsis :
« Liban, 1982. Pour respecter la promesse faite à un vieil ami, Georges se rend à Beyrouth pour un projet aussi utopique que risqué : mettre en scène « Antigone », afin de voler un moment de paix au cœur d’un conflit fratricide ».Et bien sûr, lisons l’article de Pierre, juste avant celui-ci , qui situe le film dans ses différents aspects.
Le « quatrième mur » par certains côtés, se présente comme une série de mise en abîme : faire du théâtre sur un théâtre de guerre, avec des acteurs qui jouent les acteurs qui préparent Antigone…..Et jusqu’au scénario qui conduit inéluctablement le personnage principal vers l’abîme. Notons le plus important, ce théâtre de guerre d’hier l’est de nouveau en ce moment même…
Donc l’action se situe au Liban, elle est figurée à quelques jours et quelques pas des anciens camps de réfugiés de Sabra et Chatila, de triste mémoire.
« le quatrième mur » repose essentiellement sur le personnage de Georges (Laurent Lafitte ) qui est de presque tous les plans. Pour l’essentiel, le début du film ne présente pas de réelles surprises, il illustre les difficultés de constituer une équipe d’acteurs dont les peuples d’appartenance se sont constitués en clans hermétiques et belligérants. Et la guerre rode, nous voyons donc les difficultés à travailler sous les explosions, les coupures de courant, les chekpoints partout…
Tout cela mime un documentaire, les scènes sont tournées en décor réel, dans les décombres de Beyrouth, cette ville martyr.
Remarquons que l’idée de cette pièce de théâtre mise en scène avec des acteurs de différentes nationalités et religions : palestiniens, arméniens, libanais, druze, chrétiens, musulmans, juifs, etc, n’est pas sans rappeler le West-Eastern Divan Orchestra, composé de jeunes musiciens arabes et israéliens – orchestre fondé et dirigé par Daniel Barenboim .
Ici, c’est d’un projet insensé dont il est question, pensez, une pièce de théâtre qui fait fi de la guerre…qui veut, quelle utopie, s’introduire dans un quasi champ de bataille, comme si la culture était toute puissante et forcément pacificatrice…
Mais ce film ne s’arrête pas là, bientôt apparaissent les fusées éclairantes à la fois prélude et outil de l’extermination des réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, plus tard, nous y entrerons en suivant Georges, nous marcherons parmi les morts, hommes, femmes et on le suppose, les enfants. Le film ne fait pas de politique et pas d’histoire, il ne cherche pas à connaître le pourquoi, ni le comment, il montre le résultat d’un massacre…
En final, après avoir renoncé d’un coup de pistolet à son idéal de vie, Georges qui vient de perdre Marwan (Simon Abkarian) son fixeur, qui vient de voir son actrice et amante, Imane (Manal Issa) violée et égorgée devra payer de sa vie ruinée le prix de son engagement, le film se clos sur Georges qui se rend à pied à son propre enterrement.
Mais « Le quatrième mur » c’est maintenant ! Ce n’est pas une fiction, chaque jour nous livre son lot de bombardements et de morts. Et on le sait, on le vérifie, s’il faut des quantités insensés, presque délirante de projectiles pour tuer un seul combattant, presque rien tue beaucoup de civils. Toutes les guerres le démontrent, et si par détournement du langage, on appelle cela pudiquement « effet collatéral » c’est de l’effet premier dont il est réellement question, et il s’appelle également crime de guerre. Les guerres d’aujourd’hui sont plus encore qu’hier tournées contre les populations civiles.
Pour nous spectateurs qui sommes déjà dans un moment de notre histoire, où les peuples, « dans leur grande sagesse » ont confié la marche du monde à des psychopathes, nous ne voyons pas seulement une fiction. La fiction est quelquefois un détour pour accepter de se confronter rétrospectivement à une réalité trop dure, mais ici, fiction et réel se conjuguent au présent. Alors, on peut se demander ce que le film veut signifier, ce qu’il apporte ? Imaginons que Georges et son équipe aient réussi leur projet, qu’en aurait-on pu espérer ? Une performance et un message ? Un message brouillé.
Avec Marmaille, nous avons été parmi les premiers spectateurs du premier long métrage de ce jeune réalisateur, en même temps ceux du premier film long métrage réunionnais. Un film qui a eu quelques difficultés à trouver ses producteurs entre ceux qui n’acceptaient pas que le film soit tourné à la Réunion et ceux qui le refusaient en créole. Et puis il y a eu Pierre Forette, Thierry Wong, Baptiste Deville… qui eux ont dit oui. Et au total avec un budget de 3,4 millions d’euros, un réalisateur peut travailler… et il le fera avec une équipe de tournage à 90% locale.
C’est l’histoire de deux jeunes, Audrey 18 ans mère célibataire et Thomas 15 ans B.Boy, (breakdance) fichus vertement à la porte de chez leur mère et qui doivent affronter l’adversité affective et matérielle qui en résulte.
Le casting est pour beaucoup dans la qualité du film, il est vrai que la Directrice de casting était Christel Baras, elle a un C.V impressionnant : Portrait de la jeune fille en feu, Emilia Perez, Ama Gloria, Chanson douce etc… C’est ainsi qu’elle a choisi d’abord Maxime Calicharane pour interpréter Thomas ce B.Boy en souffrance. Qu’en dit-elle ?
« J’ai commencé à faire du casting sauvage dans la rue, dans les associations de quartier et les battles de danse. J’ai trouvé Maxime Calicharane en le filmant discrètement quand il était sur scène pour une battle. Ce qui m’a marqué dans ces images, ce ne sont pas les moments où il était en train de danser mais ceux où il était en attente face à son adversaire. Il avait en lui cette énergie folle de l’impatience qui correspondait à la rage du personnage de Thomas. »
La soeur de Thomas c’est Audrey, le réalisateur en dit ceci : « Nous avons trouvé Brillana Domitile Clain par hasard. C’est sa professeure de français qui avait entendu parler du casting et lui a conseillé de le passer. Brillana est venue sans trop y croire trois heures avant que Christel ne reprenne la route pour l’aéroport. Quand Christel m’a envoyé ses essais, j’ai vu quelqu’un possédant une intelligence de jeu rare et en mesure d’emporter un texte complètement ailleurs. C’était elle et personne d’autre ».
Coquet Gregory Lucilly dans son propos ! La professeur de Français ? j’ai lu dans le journal.re, (journal réunionnais) ce professeur n’était autre que la mère de Maxime ! Et là encore bon choix, Audrey est une jeune fille dynamique : « je suis basketteuse (une championne si j’ai bien compris) depuis l’âge de 13 ans » dit-elle, ça collait très bien.
Le réalisateur a obtenu une monteuse talentueuse Jennifer Augé (La Famille Bélier, Petit Paysan…). Elle a su capter le dynamisme du récit de Grégory pour l’adapter au montage et protéger l’histoire.
Au total, voici une histoire qui nous raconte bien des choses sur la Réunion. Nous en voyons ses beaux paysages, nous approchons la situation sociale et économique du plus grand nombre, et en fouillant un peu, nous découvrons que l’abandon de certains enfants adolescents sur cette île dont un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté existe bel et bien, que les violences conjugales sont elles aussi courantes, c’est hélas le deuxième département sur ce sujet. Et encore, qu’une femme sur cinq élève seule ses enfants.
Mais l’abandon est également un sujet qui dépasse largement la Réunion. Il faut voir ce film commeun miroir de la société réunionnaise, abordant des thématiques universelles.
Marmaille nous montre ces jeunes se battre et se débattre face à cette adversité, avec volonté et, on le serait à moins, avec parfois colère et violence. Le scénario comme la vie même est complexe et les récits s’entremêlent, Audrey est une jeune mère célibataire, aimante, solide, accrocheuse et stable, elle est le centre de gravité de cette famille d’infortune.
Nous verrons également réapparaître le père (le géniteur en fait !) « chic type » (Vincent Vermignon) qui par la force des choses essaie d’être à la hauteur après avoir, pendant bien des années , abandonné sa femme pour une autre et tout de même acquitté une pension alimentaire pour Audrey et Thomas qu’il ne connaissait pas. Et cet homme après sa défaillance, patiemment essaie de retisser le lien.
Quant à Thomas, c’est un garçon en proie a une souffrance et à une violence intérieure qu’il ne contient pas toujours, me rappelant discrètement Steve dans Mommy de Xavier Dolan. Violence le plus souvent sublimée, (mais le plus souvent seulement), il danse, c’est un B.boy, un danseur de Breakdance, et donc il va de battle en battle avec une « gnaque » incroyable. Mon petit fils m’en a expliqué les figures et leurs noms, c’est un monde très codé : Top Rock, Spin Down, Six Step, Freeze , traks, frog ! (1). La breakdance est un exutoire, une joute symbolique, donc un combat, hautement sublimé comme le sont par exemple les joutes musicales. (Le Docteur Freud remarquait que tout se substitue à la violence réelle, constitue un progrès dans la civilisation).
J’ai lu les observations suivantes que je vous livre pour tenter de les nuancer :
« Il est regrettable d’ailleurs que cette dernière pâtisse d’une conception « genrée » de la parentalité. Le scénario la catalogue comme défaillante et agressive. Elle est celle qui mérite « deux baffes », dixit Marie-Anna, la tante d’Audrey et de Thomas, parce qu’elle laisse ses enfants livrés à eux-mêmes.
« une « bonne mère » est celle qui est présente inconditionnellement alors qu’un « bon père » peut choisir ses moments et même disparaitre pendant des années… «
il me semble qu’ici cette conception « genrée » de la critique trouve ses propres limites en ne coïncidant pas toujours avec toutes formes de réalités. Ce que nous dit Marmaille est documenté par le réalisateur. Il a enquêté scrupuleusement auprès d’assistantes sociales, de juges, de policiers, d’éducateurs qui en ont souligné la fréquence. Quant au cas qu’il nous présente, il n’est pas que fiction.
On pourra trouver des défauts à ce film, comme on en trouve dans tous ces premiers longs métrages où le réalisateur veut trop en dire, cependant, on en voit surtout les qualités : son sujet est rare, il dégage une réelle énergie, les rôles sont tenus avec délicatesse et profondeur, et le réalisateur sait finir son film, ce qui n’est pas si fréquent lors d’un premier film. Et puis la Réunion tout de même ! et avec de beaux cadrages sur une bande musicale dans le style mayola d’Audrey Ismaël.
Georges
(1) le magazine Milan : En musique, un break est une partie d’un morceau pendant laquelle tous les instruments s’arrêtent de jouer, sauf les percussions. C’est sur ces « break » que les gens dansent, pour évacuer leur colère et surmonter leurs conditions de vie difficiles. Ils se défient dans des « battles » et s’affrontent, à tour de rôle, à coups de mouvements spectaculaires. Ils tournent au sol sur une main, font courir leurs jambes autour de leur tête, se relèvent d’un bond puis se figent dans une pause stylée.
Le cinéma d’auteur est bien mystérieux, Alain Guiraudie, réalisateur et scénariste obtient un impressionnant succès avec Miséricorde ce polar rural qui réalise 164 000 entrées… et il n’a pas fini son cycle de distribution. Quant aux critiques à de rares exceptions, elles sont très élogieuses.
En 12 films dont 7 longs métrages, Alain Guiraudie qui n’a pas toujours eu que des succès, réalise son plus beau score, mais parlons de lui :
D’abord, c’est un enfant aveyronnais, (Villefranche-de Rouergue) fils de petits paysans, très pieux. Très tôt il est attiré par les romans de gare, les films populaires, la BD dont Pif le chien, les romans photo. Après son bac, il file à la fac de Montpellier pour des études de lettre ? bref, sans doute est-il alors plus intéressé par la politique, il est militant communiste.
D’Alain Guiraudie, la critique, comme lui même, nous livre une série d’étiquettes : Aveyronnais, d’éducation catholique très marquée, (adolescent il voulait devenir prêtre, Philippe le Prêtre du film est un peu lui ), puis communiste et homosexuel, photographe, cinéaste, écrivain (3 livres paru chez P.O.L, dont Rabalaïre qui inspire le scénario de Miséricorde).
Avec toutes ces images de lui réunies, nous ne sommes pas étonnés de lire dans l’Humanité cet énoncé politico-sexuel :
« J’ai beaucoup de tendresse pour ces personnages-là, j’aime les gros, les hommes confortables et les montrer, les érotiser, c’est politique. Depuis les années 80, l’image des corps s’est lissée : homosexualité, sexualité, sensualité, l’érotisme étaient réservés à des corps jeunes, bien foutus, urbains, habillés pareil. Des corps liés au business, à la mode, à une classe sociale bourgeoise. Moi, je redonne au peuple, aux ouvriers comme aux paysans, aux gens dont on ne sait pas trop ce qu’ils foutent dans la vie, la possibilité de désirer ».
Guiraudie est aussi un cinéaste des campagnes et de la nature, les causses du Larzac, l’eau et ses miroitements dans l’inconnu du Lac, presque toujours, il y a les bois et forêts, avec leurs clairières, leurs raies de lumières solaires. Ils sont autant de lieux de rencontres insolites ou de dragues homosexuelles et parfois de mauvaises rencontres. Le sexe et le danger de mort parfois se touchent (comme dans la fameuse chanson Monsieur William de Ferré et Caussimon). Dans les bois, ce lieu où on peut voir sans être vu, être vu sans le savoir, on glisse quelquefois du phantasme jusqu’aux alentours de la fantasmagorie . Fantasmagories ces morilles qui s’entêtent à pousser à l’endroit où caché sous les feuilles, dans la terre d’un corps fraîchement enterré. Des morilles qui poussent en même temps que les cèpes, en automne, du jamais vu. Des morilles donc, comme un indice ou peut-être une compulsion d’avouer. Également, comme les symboles phalliques qu’ils n’ont jamais cessé d’être, ici, ceux du désir homosexuel.
Dans Miséricorde, comme « le visiteur » du film Théorème de Pasolini, Jérémie attire et séduit tout le monde. Sauf peut-être Vincent avec qui régulièrement il se battait, car Vincent voulait le voir quitter les lieux, mais là encore Vincent semblait rechercher ces corps à corps, souvenirs du temps de leur adolescence -Hélas, devenus funestes à force de monter en violence-
Le désir, c’est aussi celui de Philippe, le curé du village, qui met Jérémie dans son lit pour le protéger d’une suspicion de meurtre, écoutons le : « Croyez-vous vraiment qu’il soit utile de punir les assassins ? Ce n’est pas un crime qui doit empêcher la vie de continuer. J’aurais alors le plaisir de voir l’assassin tous les jours, j’ai appris à aimer sans retour ».
Ici comme dans « l’inconnu du lac », le désir est plus fort que la dénonciation et… la justice et la société du « Surveiller et Punir » décrite par Michel Foucault s’en trouve subvertie. Curieusement, tout comme les champignons, ce thème parcoure également « Quand vient l’automne » le dernier film de François Ozon.
Avec Miséricorde, Alain Guiraudie réalise un film qui expose sa vision politique de la sexualité. Il le fait sur le mode d’une comédie ou l’humour grinçant voisine avec les bizarreries de personnages et parfois l’étrangeté des scènes. Il conjugue une homosexualité banalisée, la vie conviviale (les bouteilles de pastis que sert Martine en portent trace !) les décors rustiques et décroissants, (pas de signes de modernité électronique pas de téléphone portable, d’effets de toilette, les voitures sont anciennes et modestes, ce film aurait tout aussi bien pu être tourné dans les années 60), et surtout, il véhicule cette fameuse subversion de l’idée de justice au profit d’un éloge des passions altruistes et généreuses.
Mine de rien, comme François Ozon dans quand vient l’automne, mais plus encore, Alain Guiraudie subvertit la dramaturgie du film en annulant jusqu’à l’idée de justice et de peine , et la vie continue comme si de rien n’était. La vie est désir. De l’image finale, on se fait son hors-champ, Jérémie près de Martine, couchant à droite à gauche, selon, boulanger du village !
Georges
PS : Avez-vous remarqué, c’est un film avec du pastis, mais sans tabac !
Comme la plupart des films iraniens, ce film qui fut annoncé comme une possible palme d’or, prix spécial du jury tout de même, remplit ses salles. L’Iran, ce pays tyrannique, malgré ses intentions d’abêtissement de toute une population ne réussit pas à tuer, comme le tente chaque pays totalitaire, ce qu’il déteste le plus, la pensée. Et non plus, il n’empêche ces cinéastes de faire leur métier et surtout d’y exceller. Ils sont nombreux et les persécutions bien réelles qu’on leur fait subir n’y peuvent rien, au contraire, elles dopent les talents et la créativité.
Le film se situe donc au moment des protestations consécutives à la mort d’une jeune femme kurde iranienne, Mahsa Jîna Amini, arrêtée et potentiellement maltraitée par la police des mœurs de l’Iran … mais dont la presse toutou dit qu’elle aurait fait un malaise. Les étudiants iraniens n’entendent pas la chose de cette oreille, et la contestation grandit, les jeunes femmes par milliers sortent sans foulard. Dans ce climat, la police joue la pleine répression, en multipliant les arrestations, en utilisant des armes parfois mutilantes contre ce peuple en colère. Le décor est campé si l’on peut dire..
Les Figuiers…a pour arrière fond l’appareil répressif de l’Iran avec ses procès et ses prisons, ses exécutions capitales 853 en 2023, et sa répression des femmes. Au moment du film, les autorités iraniennes ont renforcé la répression des femmes qui ne portent pas le voile (ou le portent de manière inappropriée) dans les lieux publics en mettant en place une surveillance généralisée des femmes et des filles dans l’espace public et en procédant à des contrôles de police massifs, ciblant notamment les femmes qui conduisent, nous dit Amnesty Internationale.
Un homme, Iman (Mizach Zare) fonctionnaire, auxiliaire de justice, reçoit une promotion, il est nommé enquêteur. On lui remet une arme et des balles, il signe un reçu, c’est la première et magnifique image du film. Et c’est autour de ce personnage que le film s’articule. Qui est-t-il ? Allure costaude, élégante, il mène une vie de petit bourgeois de Téhéran, il a une jolie femme, soumise et parfaite et deux gentilles filles sérieuses, qui sont admises à l’université. Cette promotion professionnelle, c’est pour lui la promesse d’un logement de fonction plus grand et d’un meilleur revenu, tellement nécessaires pour que ces deux filles aient une chambre à elles et davantage de confort. Au plan narcissique, ce n’est pas rien non plus, sa nouvelle position hiérarchique c’est juste la marche qui le sépare du poste de Juge ! .
Iman est fier de lui-même, il s’estime intègre et travailleur et imagine a voir été choisi pour ces raisons. Il ne tarde pas à s’apercevoir qu’il est nommé contre d’autres, qu’il y avait des prétendants et qu’il ne doit cette place qu’à un appui, son ami Ghaderi (Reza Akhlaghirad, vous vous souvenez sans doute, il jouait dans un homme intègre). Il ne tarde pas à s’apercevoir également, qu’il n’est que l’agent d’une machinerie bureaucratique, il s’agit non pas d’y instruire des dossiers, mais de signer des condamnations, le plus souvent à mort. Il en est d’abord déçu, mais bon gré, mal gré, il accepte, après tout, comme lui suggère sa femme, il n’est qu’un modeste rouage. Pendant ce temps, dehors la jeunesse est révoltée, la police mutile et tue, et dans les prisons d’Iran, avec le concours des enquêteurs, on exécute.
Il y a des grains de sable dans la machine cependant, sur internet, des listes circulent ouvertes à tous, celles des enquêteurs par exemple, avec leurs noms, adresses, véhicules .
L’écart entre l’opinion qu’Iman se fait de lui et la réalité, sa femme l’a toujours bien mesuré, elle sait subtilement canaliser les violences et les peurs de son époux, les désamorcer. Tout va bien, jusqu’au moment où Iman « égare » son arme de service, ça risque 3 ans de prison, le déshonneur, et le désaveux de son ami Ghaderi…Et là ça ne marche plus cette affaire ! Secrètement, il panique, et il en vient à soupçonner ses propres filles. Désormais, il n’y a plus d’épouse ou de filles, plus d’amour ou ce qui lui ressemble dans son histoire, il n’y a que des obstacles à son beau parcours et la suspicion.
Alors, ce petit bureaucrate, faible mu par la peur se fait violent, inquisitorial. Il n’a qu’un pas à faire, il connaît un spécialiste des interrogatoires psychologiques. Il diligente un interrogatoire de son épouse et de ses filles. Enfin, il tient ou croit tenir la coupable !
Mais son propre nom circule partout, sur internet, Gadheri lui conseille de se mettre au vert (si l’on peut dire !). A cette occasion, Iman conçoit alors un moyen pour faire avouer « l’une de ses femmes »… Ce projet en tête, sa mutation intérieure de loyal sujet à tyran implacable s’achève, il n’est plus un simple agent du pouvoir, il en est devenu à son échelle, l’acteur, l’incarnation même. Il est le pouvoir.
Ce qui était ancré, latent, non dit, chez Iman apparaît dans sa brutalité primitive. Le pouvoir politico-religieux existe aussi par la participation de la multitudes de ses fidèles serviteurs masculins. Iman apparaît comme tous ces hommes par qui le pouvoir prospère, qui ont avantage à la domination des femmes.
La fin du film, dans le dédale du village abandonné de son enfance, est à la fois symbolique et optimiste, elle suggère que cette violence très ancienne finira par se retourner, mais ça c’est une autre histoire.
Autorisez-moi quelques notes sibyllines sur ce bon film que je ne veux pas risquer de divulgâcher, mais qui parleront à ceux qui l’on vu.
Dans cette belle histoire de vie, celle de deux vieilles dames, chargée d’un passé un peu lourd, inutilement mais efficacement culpabilisant, et d’un présent porteur d’une belle et solide amitié (Hélène Vincent, Josiane Balasco), de générosité quotidienne et de petits bonheurs simples, surviennent des événements parfois cruels, involontairement cruels, telle cette fille (Ludivine Sagnier) qui a tant (et symboliquement) besoin d’argent, et parmi ces choses de la l’a vie, l’une interroge davantage encore…
Rencontrant des fidèles de l’Alticiné, elles me demandent, vous avez vu ce film d’Ozon, alors que je répondais oui, elles me demandent : Alors l’a-t-il fait ou non ?
Chacun peut y aller de sa supposition.
Mais s’il avait été reconnu qu’il l’avait fait, que serait-il advenu ? Nous connaissons la réponse, au lieu de quoi, nul ne sait, et la vie continue. C’est ainsi qu’un jeune homme en difficulté (le remarquable Pierre Lottin) nous apparait gentil, toujours prêt à rendre service, bien inséré dans la vie de son village… Ce que ne lui aurait été aucunement permis s’il avait été reconnu qu’il l’avait fait. Ozon s’attaque sans en avoir l’air, en toute simplicité, à l’un des piliers de notre société, si bien analysé par le philosophe Michel Foucault.
On s’amuse aussi des vicissitudes de la mémoire d’enfance, qui décidément est une invention utilitaire au jour le jour (on a la mémoire dont on a besoin ici et maintenant). On suit les évocations douloureuses et chargées de ressentiments de la fille… jusqu’à l’épisode des champignons et un peu au delà..Et vers la fin du film on jubile d’entendre Lucas, le petit fils (Paul Beaurepaire) dire qu’il a toujours aimé les champignons.
Si vous avez eu la patience de lire ces lignes, ce qui est méritoire, allez voir ce film modeste qui l’air de rien fait son oeuvre.
Georges
PS : 3/11, Maintenant que ce film est passé, je me sens un peu plus libre pour en parler, j’ai aimé dans ce film les différentes possibilités de lecture qu’il offrait aux spectateurs. Il y a des sortes de fourches (chiasmes?) dans le récit alors, vous prenez une route ou l’autre. Michelle ramasse des champignons, Marie-Claude lui fait remarquer qu’elle en a ramassé un qui n’était pas comestible, elle continue sa cueillette…Prépare ses champignons que seule sa fille aime, et empoisonne sa fille… qui en réchappe ! Volontaire ou involontaire ? le spectateur a le choix. S’il considère que l’acte est volontaire, il se dit que cette grand-mère veut son petit fils pour elle seule et ou que sa fille qui la juge mal et lui demande de l’argent sans cesse, lui est insupportable. Mais on peut aussi estimer que c’est un accident et continuer, d’ailleurs, c’est le plus probable. Mais survient une seconde fourche, Vincent (fils de Marie-Claude) se rend chez Valérie (la fille de Michelle), elle va sur le balcon, elle monte sur un tabouret pour prendre des cigarettes, cachées là… et elle tombe par la fenêtre. Là encore, le spectateur peut choisir, accident ou meurtre ! De sorte qu’il y a autant de film que de spectateurs, les A-B , les ni A ni B, les A et non B, les B et non A …et s’il y a meurtre, il n’est pas puni. Et ici, qu’il ne le soit pas rend la vie de tous, tellement plus belle…
Tous les amateurs du cinéma de Thierry de Peretti attendaient ce film, le voici, en ce moment même à l’ALTICINE, il est inspiré du roman éponyme de Jérome Ferrari, c’est une histoire à la fois fragmentaire et très construite, qui laisse le spectateur tisser ses propres liens.
Tous ceux qui ont vu la remarquable tragédie « une vie violente » seront plus à l’aise avec cette histoire Corse fin de siècle, toile de fond de ce dernier film qui est avant tout une brève histoire de femme.
Nous sommes dans cette sanglante période Corse avec ses revendications indépendantistes, ses combats contre le pouvoir central français, (I Francesi Fora) ces luttes intestines où se retrouvent et s’affrontent diverses tendances, où se mêlent fatalement, barbouzes et gangsters opportunistes divers. Pendant ce temps, en Europe, c’est la guerre dans l’ex-Yougoslavie.
Bref, pour Antonia, il s’agit de vivre et devenir dans cet univers tourmenté et dangereux. Depuis toujours elle aimait la photographie, (enfant, son parrain, un prêtre lui avait offert un appareil photo), jeune femme, elle a eu la chance d’être embauchée par Corse-Matin. Elle rencontre également Pascal son premier et unique amour. Or Pascal est un indépendantiste, et c’est souvent comme ça, il va largement déterminer l’univers relationnel d’Antonia. Mais ce Pascal est avant tout un activiste et une belle partie de sa vie se passe en prison. Leur relation se distend, Antonia part pour Belgrade.
À son image, est un film de mouvement et d’action, mais c’est aussi une réflexion sur la violence, (De Peretti est un lecteur avisé de Léonardo Sciascia), sur l’image et ses limites*, et le plus important sur la vie d’Antonia 24 ans, jeune femme de son temps, quelque part à Ajaccio, Corse, dans ces années là.
Georges
*À son image est un titre qui exprime divers signifiants.