Viva Il Cinéma 2024, suite (2)

Dante de Pupi Avati, ce réalisateur, nous l’avions rencontré lors d’un festival précédent… C’est un homme joyeux, volubile, démonstratif… qui a réalisé de grands films. Là il s’attaque à la vie de Dante. Son portrait est largement inspiré des écrits de Boccace, et dans le film, Boccace marche sur les pas de Dante, mort en exil, il est chargé de dédommager sa fille, il en profite pour rencontrer ceux qui l’ont connu. Le grand cinéaste nous promène dans des décors campagnards et villageois qui ont dû exiger un énorme travail de repérage, on est au moyen-âge. Notons le très bon choix d’acteurs pour incarner Dante (Alessandro Sperduti) et Boccace (Sergio Castellitto). Hélas, le film ne sera pas distribué en France, cela attriste beaucoup Pupi Avati, et nous qui avons vu son film, nous comprenons sa tristesse et on se demande pourquoi on ne distribue pas un tel film ?

Il signore delle formiche de Gianni Amelio, dont voici le synopsis : « Biopic sur le poète, dramaturge et metteur en scène italien Aldo Braibanti, emprisonné en 1968 en vertu d’une loi de l’époque fasciste qui criminalise les activités homosexuelles. L’informateur est le père de son partenaire, qui oblige son fils à subir une thérapie de conversion par électrochocs ». Très beau film, qui comme « Stranizza d’Amuri » nous parle de l’homosexualité interdite, persécutée. Luigi lo Cascio qui joue Braibanti (et le panache de ce personnage) et Léonardo Maltese le jeune étudiant « le soigné » sont également remarquables de dignité dans cette société et ce système judiciaire qui veulent à toute force prendre une place dans les lits.

Grazie Ragazzi de Riccaro Milani, voici un film agréable malgré quelques longueurs. Un acteur sans rôle depuis longtemps, double des films pornographiques pour gagner sa vie, jusqu’au jour ou son ami lui propose d’animer des sessions théâtrales pour des détenus. Ce film est un remake d’« Un triomphe » d’Emmanuel Courcol (acteur principal Kad Mérad), mais ici c’est Antonio Albanese qui joue le professeur, d’une manière convaincante. Et comme l’idée du film est sympathique, le film se regarde avec plaisir et… à la rigueur !

C’è ancora domani (Il reste encore demain) de Paola Corteles, là attention, j’écris sur un des petits bijoux du festival. En tous les cas, nombre de spectateurs le pensent. Le film fait un tabac en Italie. C’est un film en noir et blanc, on ne l’imagine plus autrement… D’autant que c’est la fin de la guerre de 39-45, il y a encore les Américains, les cartes de rationnement, et la pauvreté de tous. Le personnage principal est une femme (Paola Corteles interprete ce principal rôle féminin, et l’actrice et à la hauteur de la réalisatrice). Un homme, Valério Mastrandéa joue son époux, un tyran domestique. « Ce couple » a une fille aînée « bonne à marier », et deux plus jeunes garçons qui, puisque tels, peuvent être à chaque instant turbulents et grossiers. Brosser ce film à grands traits ne rend pas compte de son originalité,   et c’est tant mieux ! Allez le voir ! Il sort en France le 13 mars 2024 et espérons-le aux Cramés de la Bobine.

Pour finir L’Ordine del Tempo de Liliana Cavani réalisatrice qui vient de fêter ses quatre-vingt-dix ans et vient d’obtenir un Lion d’Or pour l’ensemble de son œuvre. Ce n’est pas sa propre fin qu’elle imagine, mais celle du Monde qui devrait, c’est une probabilité sérieuse, être heurté par un astéroïde qui arrive à une vitesse folle. Pendant ce temps, des gens qui sont réunis pour un week-end, dans une luxueuse villa de bord de mer discutent. Ils discutent notament de cette probabilité, et il faut le noter, par instant ça les émeut. Alors puisqu’on en est là, les personnages entrent dans les confidences.
Notons une jolie scène qui dure le temps d’une chanson . Léonard Cohen chante à la télé « Dance me to the end of Love »… il porte son éternel chapeau (c’est le passage que je préfère). Les personnages qui le regardent, se lèvent tour à tour, et ils se mettent à danser… donc dansent de jolies dames quinquagénaires de beaux messieurs également « quinqua », ces gens sont selon : médecin, astrophysicien, psychanalyste, avocat, trader, professeurs renommés et…au milieu de tout ça, il y a une bonne qui tout compte fait, tient absolument à retourner en Amérique du Sud pour voir son enfant qu’elle n’a quasiment jamais vu…
Pour le reste, par des séquences brèves entrecroisées façon zapping, nous passons d’un groupe à l’autre pour voir ces gens qui se parlent, entendre leurs dialogues insipides à propos de leurs cocufiages respectifs et autres sujets du même tonneau …Alors, on se demande à quoi sert cet astéroïde qui dans cette histoire ne précipite que des réactions faiblardes et à quoi servirait cette histoire sans l’astéroïde. Mais peut-être que Liliana Cavani est une pince-sans-rire ? ou peut-être que je n’y ai rien compris, ça ne serait pas la première fois !

Pour finir, deux fois hélas, l’une, c’est le choix de ce dernier film du festival, et l’autre parce que se termine Viva Il Cinéma n°10 qui était chouette, vraiment!

Georges

Viva Il Cinema de Tours 10 ème edition (1)

Stranizza d’Amuri (L’étrangeté de l’Amour) de Giuseppe Fiorello qui est un acteur, réalisateur, scénariste et qui là réalise son premier long-métrage. Le film s’inspire d’un fait divers des années 1980. C’est une très belle interprétation sensible et touchante d’une histoire dramatique, un film a bien repérer, ça serait tellement bien que le voyiez.

Una Femmina de Francesco Costabile, c’est son deuxième film et autant vous le dire, c’est du bon cinéma, un film sur la mafia calabraise, oui, mais lisons ce qu’il dit de son film dans ciné-europa : c’est aussi un film universel sur l’autodétermination des femmes face à la violence exercée par d’autres femmes. Et c’est un film sur les tentatives des femmes de se libérer des mêmes modèles patriarcaux qui m’ont aussi marqué, dans un certain sens… » Dans ce film, il n’y a rien a jeter, mais les dernières images… elles sont magistrales, Francesco Costabile sait aussi finir un film.

Lubo de Giorgio Diritti qui est un réalisateur déjà multi-récompensé particulièrement pour « Il vento fa il sol Giro » « le vent fait son tour » projeté pour la circonstance de la sortie de son dernier film, Lubo. Suisse, hiver 1939 : Le jeune yéniche, Lubo, est appelé pour rejoindre l’armée suisse pour protéger la frontière. Il est bientôt rejoint par son cousin qui lui apprend que la police a emmené ses enfants, au motif qu’ils sont des enfants de gitans, conformément au programme national de rééducation, les  » Kinder der Landstrasse ». Cet événement historique est aussi vrai que celle des enfants volés du Franquisme. Voici dans un style très classique, léché, une pièce de plus concernant la persécution des gitans, et en même temps, l’aventure passionnante d’un homme que rien ne préparait à devenir ce qu’il fut.

Amanda Film d’une jeune réalisatrice Coralina Cavalli, un film qui a séduit le jeune public qui lu a accordé son prix du Jury Jeune. Amanda, est une fille solitaire et antipathique qui veut renouer avec une amie de sa prime enfance. C’est bien vu.

Bassifondi (Bas fond) de Francesco Pividori, c’est un film dont on peut douter qu’il sera distribué en France, c’est le combat pour survivre de deux sans-abri romains, Roméo et Callisto. L’extérieur qui est la vie des clochards est leur huis clos … D’ailleurs ce film pourrait aussi bien être une pièce de théâtre. Francesco Pividori n’est pas seulement un bon cinéaste, c’est d’abord un fin observateur des ces gens de peu, pas les pauvres, les misérables, un fossé! Mais je pense que vous ne verrez pas ce film, et je le regrette, d’abord pour le numéro d’acteur, pour le scénario sans complaisance d’une chute sans fin, le réalisme des relations humaines.

A Suivre…

Georges

Blackbird, Blackberry – Elene Naveriani

Quelques mots en commençant par la fin. Ethero, cette femme qui approche la cinquantaine qui se croyait atteinte d’un cancer de l’utérus (et qui sait, déjà morte !), apprend d’une manière un peu expéditive qu’en réalité elle est enceinte.

Elle est seule face à elle même, de sa gorge sort un son qui  hésite entre plainte et horreur, puis elle s’apaise progressivement, redevient calme, légèrement souriante et grave à la fois. Alors on repense à sa naissance conjointe avec le déclenchement de la maladie de sa mère, (si fine, pas comme elle, mais il faut voir ce qu’elle était devenue disent ses amis) puis sa mort.

Il y a des enfants sur qui pèsent les secrets familiaux, comme  encryptés (1*), d’autres à qui l’on assigne une faute, (si tu n’étais pas née, elle ne serait pas morte).

Seule fille dans une famille d’hommes, elle grandit dans une affleurante et permanente réprobation. Vivre avec ces hommes, père et frères,  autonomise si l’on peut dire, mais surtout la vaccine.

Adulte, elle devient, contrairement à sa mère, une femme forte (aux deux sens du terme) célibataire et commerçante, elle a des amies dont elle est la souffre douleur, mais elle ne se laisse pas faire.
Un jour, un livreur qu’elle connaît bien, entre comme d’habitude dans la boutique,  un paquet à la main. Elle le fixe,  s’approche de lui, se campe, le hume littéralement, et c’est ainsi qu’à 48 ans, tout s’enchaîne, elle perd sa virginité. Elle la perd comme une réponse à une question : « qu’est-ce que ça fait ? N’en parlons plus !» Mais il y a davantage dans cette aventure, la naissance de sentiments partagés. L’homme qu’elle a choisi l’aimait secrètement. D’ailleurs il lui fera une proposition sérieuse qu’elle refusera. S’est-elle  donnée la peine d’être libre pour finir  femme d’un homme ?

Mais revenons à cette salle d’échographie, où Ethero enceinte, « cause » de la mort de sa mère, qui voulait elle-même mourir d’un cancer, déjoue le signe indien et va donner la vie. Elle sort de ce jeu de forteresse assiégée dans laquelle elle s’était laissée enfermer. Elle renaît.

La caméra comme à l’époque du muet  ne s’assigne rien d’autre que de filmer  le langage des corps et des visages, l’inflection, l’evanescence des sentiments, les tourments, les frissons et les joies indiscibles.

…et l’avenir c’est l’autre a dit un philosophe (2).

Georges

  1. Nicolas Abraham et de Maria Torok 
  2. Emmanuel Levinas

Le dernier des Juifs de Noé Debré

Le dernier des juifs de Noé Debré est un remarquable premier film, une sympathique tragicomédie. Il est tourné dans les quartiers de Noisy-le-Sec [Seine-Saint-Denis], Agnès Jaoui et un petit nouveau, Mickael Zindel (retenez ce nom) dont Noé Debré dit : « je l’ai rencontré par l’intermédiaire d’une amie, qui me l’a présenté comme un cousin, apprenti acteur, qui bossait dans un kebab et inquiétait beaucoup sa famille ». Et l’apprenti acteur devient maître, ce jeune homme interprète Bellicha, un petit juif de banlieue, originaire d’Afrique du Nord, il est parfait dans son rôle, plutôt dégingandé, discrètement fantasque, rêveur, velléitaire, distrait et…unique dans son quartier, car il y est le dernier des juifs et seul auprès de sa mère (Gisèle), malade qui a perdu l’habitude de sortir.

Tous deux ont bien conservé les rituels de leur religion, juste ce qu’il faut pour marquer leur appartenance communautaire, et donc assez peu. Bellicha a pour Gisèle sa mère, fragile, malade, un peu nostalgique, la dévotion d’un fils unique vivant seul avec sa mère. Ils mangent casher et Maman envoi son fiston faire des courses, hélas, la dernière boutique casher ferme définitivement ses portes.

Un peu comme dans « Good-Bye Lenine », il ne veut pas que sa mère le sache, il achète donc du poulet halal dans une boucherie halal, mais le stratagème fait long feu. C’est ainsi qu’on découvre que ce fiston raconte à sa mère toute sorte de fabulations : qu’il travaille, qu’il fait du krav maga. (On verra d’une manière assez drôle que Gisèle n’est pas dupe, mais que les aventures imaginaires de son fils lui conviennent.) Au lieu de quoi, il va passer du temps avec sa maîtresse, Mira, mariée, mère de famille, tout comme lui en mal de tendresse et qui s’ennuie.

Gisèle de l’appartement dont elle ne bouge plus depuis longtemps sent bien que les choses se délitent, entre son attachement à sa banlieue et la disparition de sa communauté, elle cherche où partir avec son fils, d’autant que sa santé décline, et c’est pathétique de les voir hésiter entre Saint Mandé, et Le 17ème arrondissement, où vivent des communautés bourgeoises juives, parmi les bourgeois. Mère et fils de condition modeste savent au fond d’eux-mêmes qu’aucun de ces lieux n’est à leur portée ; comme ils sont ambivalents, voulant rester et partir à la fois, tout va bien.

Un jour, Gisèle tombe plus gravement malade. C’est curieux, au fil de ces lignes je me rends compte à quel point la trame dramatique m’occupe alors que ce film est aussi tout le contraire, drôle, tendre, léger dans ce monde parfois rude où racisme est bien là, mais un monde parfois généreux. Je tais les dernières images, sinon qu’elles se présentent pour Bellicha comme un rituel de passage, une sorte d’interrogation et de promesse.

Georges

Les Filles vont bien- Itsaso Arana

Avec le concours des Cramés de la Bobine, les filles vont bien atteignent presque les 5000 spectateurs en France, voici un film, dans la veine de ceux de Jonas Trueba, dans lequel il ne se passe presque rien. Presque rien, sinon un instant de vie.

Le cinéma d’Itsaso Arana est dans la veine de celui de Jonas Trueba, mais plus radical encore. Pas l’ombre d’un drame, ni d’un effet comique à l’horizon. Cinq filles viennent séjourner à la campagne, dans une vieille demeure, un ancien moulin de la région de Leon. Elles y font du théâtre, l’une est Metteuse en scène, les quatre autres sont des artistes, certaines sont déjà célèbres, d’autres moins, comme dans la vraie vie.

Elles décident de filmer les répétitions et leur vie, ainsi les dialogues de répétition se mêlent à ceux de leur vie ordinaire. (Nous avions vu une amorce de cela dans Vania 42ème rue de Louis Malle). Un film où il ne se passe presque rien donc, et de plus pour aggraver la situation, les actrices sont belles. Et s’il y a une chose qu’on ne pardonne pas à la beauté, c’est de l’être sans être exploitée. Alors, si l’on peut se demander par quel miracle ce film a été distribué, on peut aussi se demander pour qui ?

Hasardons un début de réponse : Pour ceux qui ont vu les films de Trueba, ceux qui aiment les belles images, la musique de Bach par Keith Jarret, pour tous les autres qui aiment également la grâce et l’aisance de ces filles. Ce film veut transmettre le simple bonheur d’exister, d’être et de faire des choses ensemble, la sororité aussi, (comme le dit Françoise)-. Je me demande ce que Vladimir Jankelevitch, le philosophe du « je-ne-sais-quoi et du presque rien » aurait dit de ce film, sans doute des choses positives, j’en suis sûr.

Dans « les filles vont bien », il y a cette mise en abyme, où des actrices jouent des actrices qui jouent. Itsaso qui assure la Direction d’acteur en est le comble. Elle quitte la réalisation (la réalité) pour devenir une actrice qui joue la réalisatrice. Et son personnage nous donne une leçon de Direction d’acteur, elle partage, laisse vivre, favorise l’expression des émotions de ses artistes. Elle crée des conditions pour que leur travail continu de construction et d’amélioration de leur personne comme de leur personnage advienne. Elle fait en sorte que chacune mette dans son rôle le meilleur d’elle même, et ce meilleur attendu, c’est la joie. Et en effet, les filles vont bien.

En fait ce film aux allures cool, sans la moindre provocation, qui semble plat, nous montre aussi à quel point nos attentes cinématographiques sont conditionnées par le drame et la comédie, par les passions en somme. Alors oui, ce film n’a pas de succès, il ne propose rien que de montrer des jeunes qui vivent et travaillent, tout au plaisir d’être et d’être ensemble…

Georges

The Old Oak- Ken Loach

Le jour même où la CMP s’accordait cette loi nommée en « novlangue » immigration, intégration, asile, nous avons vu The Old Oak, de Ken Loach.

Nous sommes dans un village qui fut minier et qui n’est plus habité que par des familles pauvres et en déclassement (l’immobilier s’y effondre). Arrive en car dans ce village, des familles Syriennes fuyant la guerre et les tortures d’Al Assad. Elles sont affectées là. Pourquoi chez nous se disent des habitants ? (Ils savent bien pourquoi). Très rapidement se forme un conflit dans cette population entre les « pro- accueil », les « anti » et les « indifférents ».

Les « anti » sont le plus souvent les plus pauvres parmi les pauvres et ils voient d’un mauvais œil l’attention qu’on porte à ces Syriens tandis qu’eux sont délaissés… En fait c’est la thèse principale de Ken Loach : Le racisme des pauvres serait pour l’essentiel la peur que de plus pauvres viennent leur prendre le peu qu’ils ont, où pire encore, qu’ils soient mieux reconnus qu’eux.

Yara, une jeune syrienne qui parle parfaitement anglais, qui n’a pas froid aux yeux, exige qu’un villageois opposant violant qui avait cassé son appareil photo lors de sa sortie de l’autocar, le lui rembourse. Et c’est ainsi qu’elle fait connaissance de Ballantyne propriétaire du pub « The Old Oak ». Alors se développe une belle histoire d’amitié, puis d’intégration par le courage, la fraternité, et la convivialité.

C’est donc un film gentil, où les bons sentiments ne manquent pas, qui cherche à unir, il est bienvenu, tant la tendance xénophobe est encouragée de toutes parts et pas seulement dans cette Angleterre qui est le pays le moins accueillant d’Europe. (Précisons-le).

Pendant ce temps, en France, les spécialistes de la démographie ont eu beau montrer que le nombre d’étrangers pour 10 000 habitants n’a quasi pas varié en France depuis des décennies qu’importe les faits !

De notre côté, nous avons  eu ce jour là, le film de Ken Loach et en rentrant chez nous, cette loi de préférence nationale !

L’Arbre aux papillons d’or-Thien An Pham (2)

On demandait à Thien comment le public vietnamien avait réagi en voyant son film, il répondit quelque chose comme : « il y a eu trois sortes de réactions, celles des amateurs de cinéma d’auteur qui l’ont bien accueilli, celle de ceux qui sont sortis en cours de projection et puis il y a les spectateurs qui ont dormi ». (rire). En effet, ce long film est aussi beau que déconcertant.

J’ai lu les critiques, souvent excellentes, nombre d’entre elles parlaient de la beauté des images, des délicats mouvements de caméra, de l’élégance de la juxtaposition des plans, des plans séquences et des panoramiques circulaires, du montage, de la rareté des cuts.

D’autres encore ont aimé son parti pris de lenteur, l’impression d’immersion qui s’en dégage. Le film met en scène la beauté du monde, la nature, les arbres, l’eau, les montagnes avec de beaux plans larges et d’autres brumeux et ressérés.

Nous avons aussi observé cette césure dans la vie de Thien à Saïgon, cette ville trépidante. Thien y partage travail et distractions, amis et masseuses, puis au cours du voyage de Thien, la campagne vietnamienne, la nature, la pauvreté ordinaire des gens qui y vivent.

Thien le jeune homme de la ville, autrefois élevé dans cette simplicité de la vie paysanne (qui ressemblerait un peu à l’angélus de Millet, travail, prière) la retrouve en compagnie de Dao, l’enfant de sa belle-sœur et la dépouille de celle-ci, morte dans un accident de moto. Ils l’accompagnent à son village pour la cérémonie d’enterrement.

Le film montre alors d’une manière quasi documentaire, les paysages, les villages, les us et coutumes, la foi catholique et ses rites au Vietnam.

Mais arrêtons-nous sur les événements de la vie de Thien, marqués par des ruptures et des pertes, pas seulement celle de la campagne pour la ville, mais ses pertes affectives humaines.

Qu’apparaît-il en effet ? Thien a perdu ses parents, rompu avec sa petite amie qui lui a préféré une congrégation, vu disparaître de l’un de ses frères… et au moment où commence le film, perdu sa belle-sœur par accident, celle-là même qui a été délaissée par son frère… Thien assure désormais la garde de Dao, le fils de sa belle-soeur qui a miraculeusement survécu à l’accident. Et c’est le début d’une prise de conscience qui prend la forme d’une quête, Thien confie Dao aux Sœurs d’une école religieuse, le temps de rechercher le frère disparu.

Cette quête en cache une autre qui s’insinue à l’occasion de rencontres et de rêves « providentiels ». Des rencontres comme en offre la vie :

Revoir puis rêver de Thao cette fiancée qu’il aimait et comprendre pourquoi elle a fait un autre choix.

Rencontrer un vieillard ancien militaire qui après avoir fait la guerre, tué et échappé à la mort consacre sa vie aux morts, confectionne leurs linceuls.

Rencontrer une vieille dame réputée un peu folle qui lui parle de l’âme, que fais-tu pour ton âme lui demande-t-elle ?

Il y a aussi cet autre rêve, comme l’inconscient aime en placer aux moments clés de la vie : revoir en rêve cette belle-sœur qu’il vient de perdre, elle lui place le bébé (Dao nourrisson) dans les bras pour aller chercher son époux qui ne devait pas tarder… mais que hélas elle ne reverra jamais.

Les paysages du film sont comme l’âme de Thien, soleil après l’ondée, brumes, immensité du monde puis petitesse, comme replié sur lui-même, comme contenu en chaque chose. Ces visions culminent à la découverte fugace d’une trouée de lumière après l’averse, d’un arbre aux papillons d’or. Thien progressivement a reconnu la disparition, la rupture, toutes choses qu’il avait tenues hors de ses pensées. Ce faisant, il a découvert la vie, il est devenu capable de percevoir ce monde sensible, d’entendre le chant des oiseaux et les bruissements du vent, lui, le magicien qui faisait apparaître disparaître cartes pour Dao conçoit enfin qu’il ne disparaîtra pas pour Dao. Qu’il se chargera de ce petit enfant.

Cette histoire en forme de quête spirituelle et existentielle, est en même temps celle de la reconnaissance des pertes de la vie et une tension inconsciente vers le mieux-être, celle où nous nous reconnaissons précaires mais conscients d’être là, et responsables pleinement.

Georges

W.E Italien – Giulia de Ciro de Caro

Le temps a passé depuis le W.E Italien, et tout de même, j’ai aimé « Giulia » ce film touchant et sobre. Je voulais laisser une trace dans le blog.

Gros plan sur son visage joli mais un peu triste, sur sa chevelure intense remontée en ananas et sa robe d’été à bretelles. (Admirablement interprétée par Rosa Palasciano)

 Elle est face à deux personnes pour un entretien d’embauche :

– Chi è Giulia ?

– Sono Io

Elle sort trois curriculum vitæ, tous différents, les deux recruteurs ont un léger mouvement…

– Comment vous voyez-vous dans l’avenir Giulia ?

– Avec une famille, un mari des enfants…

– À quoi rêvez-vous ?

– À la mer…

On devine la suite…

On la voit ensuite faire les poubelles, elle ne cherche pas à manger, non elle y ramasse des jouets d’enfants. On sent qu’elle les trouve précieux et beaux, qu’elle les aime.

Autre plan, elle est chez un jeune type, peut-être contacté par internet,

Ils ont fait l’amour, ils ne se connaissent pas mais au moins, elle a dormi quelque part. Déjà, il change les draps car sa copine doit venir. En partant, elle veut s’emparer du préservatif…

Elle fait des petits boulots, des courses pour une vieille dame et quelques heures d’animation dans une maison de retraite.

Là elle organise une partie de loto avec le jeu qu’elle a trouvé dans la poubelle. Elle chante aussi a cappella « Funiculi funicula »…(une chanson napolitaine à la gloire d’un funiculaire qui bien après fit un flop, car il n’a pas résisté aux coulées de lave). Sergio un jeune homme lui aussi précaire et admiratif de ses talents, lui propose de s’associer. Elle refuse.

Autre plan, elle va retrouver son ancien compagnon :

-Toi et moi, c’est fini lui dit-il, d’ailleurs j’ai rendez-vous chez ma sœur.

-J’y vais avec toi…

-Mais tu n’as jamais aimé ma sœur !

L’ancien compagnon est attablé avec sa sœur, son mari, et d’autres invités, arrive Giulia, elle dit : « J’ai apporté le dessert », elle sort des biscuits industriels sous célophane, récoltés çà et là… L’accueil est froid, réprobateur et gêné.

On ne sait de sa bizarrerie et des événements de sa vie, comment ils se confortent pour aboutir à tant de précarité matérielle et morale. La vie de Giulia est ainsi faite, peu adaptée à la vie sociale en général et très adaptée et même fantaisiste dans les espaces de combats et de survie où elle est confinée.

Son rêve d’une vie comme tout le monde, de mère de famille, ce Graal se heurte à la réalité. Sergio, un type qui lui ressemble éprouve des sentiments pour elle, et sans doute, une histoire aurait pu naître, mais elle se méfie. On ne sait si c’est la peur de perdre ou l’anticipation de la vie future avec ce garçon, une vie faite de mouise et d’échecs, de petits boulots et de petites combines, une fuite sans fin.

Tout le film nous montre les élans de vie et de joie de Giulia, et leurs impasses, toujours…

En final de cette vie entrevue, on la voit de dos, gracieuse, son épaisse chevelure remontée sur le dessus de la tête, comme à son habitude. Elle plonge dans la mer, (la mer!) elle nage, elle nage d’un style gracieux et décidé…la caméra la suit sur la gauche, puis elle se décale pudiquement sur la droite… La plage, la mer calme, il fait beau.

Laissant les spectateurs sur leur fin… 

Georges

En Bref, vu ailleurs

Les feuilles mortes, après Les tournesols sauvages, Les herbes Sèches, les titres sont champêtres en ce moment.

Les feuilles mortes (qui a reçu le prix du jury à Cannes) est un film de Aki Kaurismäki qui vient de sortir mais le Cinéma Indépendant Le Balzac en faisait son avant-première, et les deux acteurs du film étaient là, pour le présenter.

Deux êtres solitaires, chacun dans sa solitude, se rencontrent, se perdent, se rencontrent et… C’est un film simple et insolite à la fois. Poétique et émouvant comme le sont les films de Charlot de notre enfance.

Aki Kaurismäki, qui avait annoncé qu’il ne ferait plus de films, revient avec « Un film humble, une épure, l’affirmation d’une foi inébranlable dans le cinéma » nous dit Christophe Kantcheff.

Les Filles d’Olfa de Kaouther ben Hania

Olfa, une Tunisienne, est mère de quatre filles. Un jour, ses deux filles aînées disparaissent. Pour combler le vide laissé, la réalisatrice Kaouther Ben Hania invite des actrices professionnelles dans ce qui devait être initialement un documentaire et fait découvrir au spectateur l’histoire de la vie d’Olfa et de ses filles.

Kaouther Ben Hania est une documentariste reconnue et récompensée pour son travail qui en 2017 a réalisé sa première fiction, la Belle et la Meute que nous avons sélectionné aux cramés de la bobine, ce film qui se présente comme un film policier, il est en fait une dénonciation de la culture violente et machiste de son pays.

En 2019, suit « l’homme qui a vendu sa peau » nommé aux oscars du meilleur film étranger. Un film hélas devenu très confidentiel du fait de son mode de diffusion, un film original dont voici le synopsis : Sam est un Syrien réfugié au Liban. Il rêve de gagner l’Europe, où s’est rendue sa bien-aimée, mariée à un riche diplomate. Pour obtenir un visa, il accepte l’offre d’un artiste controversé, qui propose de lui tatouer le dos. Son corps devenu une oeuvre d’art, Sam est exposé partout en Europe.

Les films de Kaouther Ben Hania montrent et dénoncent la violence, la manipulation et l’exploitation à ses différents niveaux (interpersonnels, institutionnels). Tout comme les filles d’Olfa montre derrière une affaire familiale une histoire institutionnelle.

Ce qui est institué c’est le statut des femmes. En 1956 Habib Bourguiba promulgue le statut personnel, qui assure l’égalité entre les femmes et les hommes. L’éducation égale pour tous est le dispositif essentiel de cette réforme et le dévoilement des femmes devient le symbole de cette émancipation institutionnelle. S’il n’est plus possible pour les hommes d’être polygames ou de répudier, d’obliger les femmes à porter une tenue, le mariage lui demeure traditionnel, c’est-à-dire d’abord une histoire de familles et de patriarches.

Comment montrer une mère dont deux filles ont revêtu le Niqab pour un beau jour  fuir en Libye pour Daech. (Elles y seront capturées et condamnées à 16 ans de prison). Comment alors lui permettre de raconter cette histoire douloureuse ?  

Ce documentaire n’est pas un reportage. Le dispositif choisi par Kaouther Ben Hania pour montrer cet événement traumatique est élégant : psychodramatique dans la mesure où il permet avec les jeux de rôles,  la distanciation et donc une forme de réparation pour les protagonistes, tout en étant démonstratif sans peser ni alimenter des formes de voyeurisme. Ce choix formel n’exclut nullement le film de la « case » documentaire, mais bien au contraire ouvre des perspectives dans le genre.

Olfa cette femme de la cinquantaine au regard marquant, au si beau sourire, nous apprendrons que Sa vie comme celle de sa mère fut une rude bataille et un long tourment. Si nous avions été à sa place, nous aurions certainement, tout comme elle, aimé d’un immense amour nos enfants, chaque jour nous nous serions débattus pas toujours avec succès, pour qu’ils puissent manger, et nous les aurions peut-être punis à sa manière, parfois violente, débridée, folle. Un curieux mélange de sentiments où se mêlent l’amour de ses filles, la haine de la condition féminine, et la peur!

Déjà dans le ventre de sa propre mère, Olfa portait en elle tous les interdits faits aux femmes. Très vite elle dut épouser les devoirs de son sexe, jusqu’à se marier avec un homme qu’elle ne connaissait pas, et pire encore d’avoir expressement un rapport sexuel qui demontre qu’elle n’en avait eu aucun avant lui ! Le « statut personnel »s’efface discrètement par grignotage continuel, la force réactionnaire de ce qui se prétend tradition, tout cela Olfa l’exprime par le seul fait d’exister. D’ailleurs Olfa n’est-elle pas un symbole possible des Tunisiens qui respiraient le jasmin avant d’obtenir la loi du sabre et d’une certaine forme de religion ? Ce que Kaouther montre dans ses films c’est l’emprise de la loi et cette loi c’est celle des patriarches.

Olfa a perdu deux de ses filles en voulant les sauver des dangers d’être femmes, d’une manière paradoxale, elles ont pris l’une des pires marques d’aliénation pour une ultime liberté. Le Niqab est en effet magique, une femme peut enfin devenir digne dès qu’elle le porte et …en même temps ne plus paraître femme.

Deux filles d’Olfa sont condamnées à 16 ans de prison… l’une d’entre elle a une petite fille qui a déjà 8 ans sur 8 en prison. La encore, la justice masculine dessine pour ces femmes un avenir où les perdants sont des perdantes.

Parmi les filles d’Olfa les deux dernières qui aimaient tant leurs grandes sœurs, vont devoir vivre avec tout ça, déjà elles sont des jeunes filles, et elles ont compris beaucoup, elles représentent l’avenir et le changement. L’avenir comme toujours, se dessine à la marge.

Georges