La petite dernière- Hafsia Herzi

La Petite Dernière, seul film d’une réalisatrice française récompensé à Cannes en 2025 est toute une histoire, ça commence en 2020, Julie Billie une productrice de film féministe (50/50), elle se donne pour mission « de permettre d’ouvrir les voix des femmes cinéastes , issues de la diversité, jeunes, aux regards singuliers – et de leur offrir les moyens nécessaires pour que leur voix soit la plus libre possible ».

Elle vient de lire « La petite Dernière » roman éponyme de Fatima Daas … Elle cherche quelqu’un qui serait capable de scénariser et réaliser un tel livre. Ce n’est pas si facile : écriture fragmentaire, non chronologique.

Elle pense à Hafsia Herzi, qu’elle ne connaît pas mais qui l’a séduite par sa créativité, son talent lors de son premier long métrage « tu mérites un amour »… Elle lui téléphone, Hafsia est en train de tourner Bonne Mère, elles font connaissance. Hafsia lit le livre, elle aime cette histoire et se met au travail.

Si vous avez lu ce roman, vous avez remarqué que souvent les paragraphes commencent par des variations autour du prénom Fatima :

« Je m’appelle Fatima, je porte le nom d’un personnage symbolique en Islam, je porte un nom auquel il faut rendre honneur, un nom qu’il ne faut pas salir comme on dit chez moi, Fatima est la plus jeune des filles du prophète Mohammed ». « Je porte bien mon nom si je ne le salis pas »

« Je m’appelle Fatima Daas, je porte le nom d’une clichoise qui voyage de l’autre côté du périph pour poursuivre ses études »

« Fatima signifie petite chamelle. »

Ce mélange d’ affirmation et de doute de soi, cette question de l’identité en somme, va être différemment traduite par Hafsia. Voici ce qu’elle en dit « J’ai d’abord évacué tout le volet de l’enfance qui est très présent dans le livre en me disant qu’on comprendrait l’enfance qu’elle a eue en voyant la famille. J’ai tout rassemblé sur un an de sa vie et j’ai trié en prenant ce qui m’inspirait dans le roman : un personnage de jeune femme lesbienne, musulmane, en contradiction avec sa foi, qui a des désirs, qui se cherche, un personnage qui se sent mal intérieurement parce qu’elle se sent différente, car elle sait qu’elle est attirée par les femmes depuis toujours. Mais il y a la société… Elle s’en veut aussi par rapport à sa famille et par rapport à sa religion ».

Parallelement, il faut trouver des fonds, or le sujet du livre n’inspire pas les financeurs, Julie dit : «  la sexualité et la religion sont deux sujets tabous en soi, donc en les cumulant, on savait qu’on cumulait aussi les obstacles ». Et puis cela ne risquait-t-il pas d’être un sujet de niche, un sujet LGBT ? Elle trouve des financeurs en Allemagne et auprès de programmes européens puis la CNC.

Fatima c’est une origine, une religion, une banlieue du 93, comme bagage pour la route. Autant le roman insiste sur les rapports au péché, autant le scénario, ouvre sur la question du désir, de la difficile acceptation de soi et de la transgression de l’interdit. Fatima Daas l’écrivaine et ravie cette lecture que donne le scénario à son œuvre. (Cf belle interview dans Médiapart)

Fallait-il encore trouver l’actrice pour incarner Fatima. Et ça a pris deux ans et demi. C’est Audrey Gini qui avait assuré le casting de « Bonne mère » qui en a été chargée. Un jour de juin, quartier de l’hôtel de ville, lors d’une fête des fiertés, elle aperçoit une grande jeune fille, c’est Nadia Melitti.

Elle lui propose le casting, elles se revoient pour des photos… 

– Peux-tu me refaire voir cette fille avec des nattes qui ressemble à Cléopâtre ? demande Hafsia. Nadia, son regard, c’est elle. Hafsia et Nadia vont se rencontrer, l’une et l’autre parlent peu mais elles se font confiance. Elles le sentent.

Nadia n’a jamais joué au cinéma. Elle est d’origine algérienne, elle a 23 ans, elle grandit à la cité Gagarine de Romainville (Seine-Saint-Denis) où elle se passionne pour le football. C’était une future professionnelle de foot, malheureusement, elle s’est cassée la maléole, et ne pourra pas l’être. Elle étudie pour devenir professeur d’éducation physique. Pour le film elle sera Fatima, une clichoise (clichy-sous-bois 93).

C’est autour d’elle que va s’articuler le film. Il n’y a pas de foot dans le roman de Fatima Daas, il y en aura dans le film. Ensuite vous connaissez l’histoire. Cannes, les marches, le prix d’interprétation féminine. La gloire. La suite…  son entraineur de foot à la fac nous la dit : « On la voit le vendredi sur les marches au milieu des stars et le mardi elle était avec nous sur le terrain, c’était insensé. Elle est restée les deux jours parce qu’elle savait que c’était important pour nous.»

Les rôles secondaires offrent de beaux personnages tels : l’infirmière Ji-Na (Park Jin-Min) cet amour qui surgit. Ou encore Amina Ben Mohamed, policière municipale à Vitry-sur-Seine, dans la vraie vie, elle joue avec tendresse le rôle de la mère de Fatima.

Hafsia Herzi actrice, tout comme Fatima ou Nadia, originaire d’afrique du nord, venues de leurs banlieues lointaines sont des transfuges de classe et le film montre également une transfuge qui quitte à la fois le monde des cités et l’orientation sexuelle attendue.

Avec la petite dernière, qui atteint désormais les 330 000 entrées, Hafsia Herzi sort du cinéma confidentiel pour se compter parmi les réalisateurs reconnus, et elle le fait en transformant un sujet prétendu « de niche LGBT », en un film universel, de ceux qui font progresser la compréhension des humains entre eux, dans leur diversités et leurs différences. Un film donc qui à son niveau fait progresser la civilisation, il n’y en a pas tant que ça.

Georges

Put your Soul on Your Hand and Walk-Seoideh Farsi

Soirée réussie, de nombreux spectateurs présents avec la belle présentation/débat par Pierre Tartakowski.

Voici un film bouleversant et glaçant qui nous renvoie à notre impuissance collective. Un témoignage de plus, pour qui veut les voir sur cette guerre dont les ressorts fascistes sautent aux yeux.

Oui, on peut renvoyer dos à dos les fanatiques de Netanyahu et ceux du Hamas, mais au milieu, un peuple, une culture vivante, broyée, assassinée, en voie de destruction totale.

Fatma Hossana 24 ans et Sepideh Farsi échangent, Fatma s’est assignée à témoigner de cette guerre, en photographiant comme une journaliste de guerre, elle voulait documenter gaza, au péril de sa vie, et sa vie, comme celle de tous les gazaouis, c’est pas grand chose.

Elle sait cela, ses amis, ses parents enfants et adultes sont morts… et les journalistes par centaines. Or, elle fait oeuvre de journalisme, l’armée israélienne cible particulièrement les journalistes. Ce qui nous frappe, c’est le sourire qui ne la quitte presque jamais même lorsqu’elle est triste. Nous qui voyons le film, savons comment il va se terminer, et nous sommes renvoyés à ce que nous sommes, des spectateurs.

Le beau sourire de Fatma a pu nous paraître discordant, si peu en rapport avec la situation, comme chacun je me suis interrogé sur ce sourire, que dit-il ? La présence à l’autre, le courage, la dignité. A cette folie meurtrière, par son sourire, elle oppose sa dignité d’être humain. Fatma, au fond, c’est un peu Anne Franck, actrice et témoin.

Oui – Nadav Lapid

Je regrette de ne pas avoir pu être dans la salle ce mardi pour la projection/débat de Oui, voir un tel film sans en débattre est toujours moins bien.

D’autant qu’autour de Oui, il y a eu une contestation politique, celle de Ciné-Palestine reproduite dans libération du 17/9 qui dit : « Sous une apparence critique, OUI  participe en réalité à la normalisation de l’Etat israélien, en donnant une image culturelle légitime à un système colonial ». C’est dommage et injuste. Cette critique rejetante ne devrait pas ébranler Nadav Lapid. J’avais noté sur son film « Synonymes » qui a des traits autobiographiques  : Israel est contenu dans Yoav, et Israël le rend fou ! Renoncer à son identité est une tentative séduisante et perdue d’avance, une façon d’y penser sans cesse pour se dire qu’on la rejette ».

Dans Synonymes son personnage Masculin s’appelait YOAV, dans OUI, comme dans « le genou d’Ahed » son précédent film, il est devenu Y.

Depuis le massacre du Hamas le 7 octobre Israel est en guerre, ce Y là, comme dit le synopsis, « est un musicien de Jazz précaire qui avec sa femme Jasmine, danseuse, donnent leur art, leur âme et leurs corps aux plus offrants » Le film commence par une folie, une fureur cinématographique, avec les déplacements virevoltants de l’image sous des lumières multicolores sur fond de musique frénétique, on distingue sous la lumière des bouts de corps dansants, puis apparaît une danse érotique, folle, à la fois sexuelle et inquiétante. Les danseurs sont Y (Ariel Bronz) et Jasmine (Efrat Dor).

Nous sommes à Tel Aviv, ville de la fête à quelques dizaines de km de la bande de Gaza. Et cette société en fête que montre Nadav Lapid n’est pas Tel Aviv en général, mais une population très riche dans une fête orgiaque. Nous verrons que ces mêmes personnes se prétendent opportunément nationalistes dans une société de débauche illimitée- Au loin, dans l’indifférence générale, les bombes explosent, on pourrait les entendre, si l’on y prêtait attention.

Quand il n’anime pas ces fêtes, Y est en recherche d’inspiration musicale, il espère avoir su succès afin que lui et sa femme et son enfant ne vivent plus de leur job quasi prostitutionnel. « Bientôt, Y. se voit confier une mission de la plus haute importance : mettre en musique un nouvel hymne national » nous dit le synopsis. Pour être précis, un homme riche et influent le lui confie. Il accepte, c’est le début du naufrage. Dans sa quête d’inspiration, Y retourne dans son village et revoit sa fiancée d’alors, elle lui raconte les exactions du 7 octobre, elle les récite comme un poème affreux. Ensuite, ils se rendent le long de la frontière d’où l’on peut observer et entendre les bombardements… un peu comme au spectacle. (Mais nous sommes également ces spectateurs)

Les paroles vengeresses de l’hymne composé par Y. sont quasi documentaires, elles sont une reproduction d’une chanson nationaliste qui a circulé en vidéo après le 7 octobre. Nadav Lapid dit que lors du tournage de la chorale, les enfants le chantaient en présence de leurs parents, parents bien plus préoccupés de vérifier que leurs enfants étaient dans le cadre, si on les voyait bien, que des paroles assassines de l’hymne. Plus tard on verra Y se livrer au sens propre, à un léchage de pompes de milliardaires… La chaussure se métamorphose et le talon devient phallique, il continue, toute honte bue.

Nadav Lapid ne dénonce pas seulement une société jouisseuse et indifférente à la guerre, nationaliste par intérêt, une société donc qui n’est pas celle de la « libération des otages », mais celle de Netanyahu et consorts, celle du business et de la conquête coloniale, celle qui considère que les otages sont des objectifs secondaires et les morts palestiniens des dégâts collatéraux. OUI comme d’ailleurs les interviews de Nadav dénoncent l’indifférence générale envers la population pour Gaza, le déni, son absence totale d’empathie pour les victimes en masse palestiniennes.

Enfin, il en revient sur l’homme Y et son mobile. Ce Y là est certainement doué, mais il est aussi naïf, sans consistance, manipulable. Tandis que Jasmine son épouse, de son côté « veut en sortir »  comme on dit . Finalement, elle souhaite partir en Europe, elle ne veut pas que son enfant vive et grandisse en Israel. Sa détermination à partir contient en raccourci un thème récurent de Nadav Lapid, qu’on retrouve aussi bien dans les différentes interviews qu’il a donné que dans Synonymes et le genou d’Ahed.

Nadav Lapid fut autrefois un enfant précoce, un poète et il conserve une approche poétique du réel. C’est un artiste dans différentes disciplines et ses références picturales et musicales en témoignent, lui qui les utilise allègrement : William Black dont la frontière entre le réel et l’imaginaire a toujours été inexistante, la musique du film qu’il utilise quelquefois de manière ironique, Love me tender devient un chant de guerre, quant au révolutionnaire jazz be-bop de Thélonious Monk, il est écouté par des agents nationalistes…L’art comme citation où la corruption de l’art… pour montrer la corruption générale, celle de l’argent, celle des âmes.

OUI ne nous prend pas dans le sens du poil. Sur la forme c’est un film d’une beauté rugueuse et poétique. Sur le fond, Il dénonce une société malade, avec ses affairistes et autres sybarites, s’habillant de nationalisme. Celle des maîtres et de leurs serviteurs, parfois veules. Tout cela sur fond de belle indifférence d’un peuple centré sur ses propres malheurs, indifférent à celui des autres. OUI juge moins qu’il ne décrit, mais se plaçant à contrepied de l’avis du plus grand nombre, Nadav Lapid prend le risque d’être un paria en devenir

Georges

PS / Avec ce film complexe, avec un box office de près de 50 000 spectateurs en France, encore distribué dans de nombreuses salles en France, nous reverrons certainement d’autres films de Nadav Lapid.

Loveable-Ilja Ingolfdottir

Ilja Inggolsdottir a eu bien des difficultés pour réaliser son film, et certainement beaucoup de travail et de plaisir à le faire car elle y est de toutes les fonctions, réalisatrice, scénariste, décoratrice, elle a même choisi les costumes… et enfin monteuse. Son film n’était pas « bancable » et il a fallu 7 ans à son producteur pour le financer. Je ne sais pas si c’est une bonne affaire commerciale, mais le producteur peut se consoler en songeant que le film a obtenu le prix spécial du jury de Karlovy Vary. (Tchequie)

Son scénario, elle l’a écrit très rapidement, et si l’on juge de la complexité de l’histoire de Maria, son personnage principal devait lui trotter dans la tête depuis longtemps.

Maria est interprétée par Helga Guren. Pouvait-on rêver meilleur casting, meilleure interprétation  ? Le jury du festival international de Karlovy Vary ne s’y est pas trompé, elle y a obtenu le prix de la meilleure interprétation féminine.

C’est une histoire de vie, également un film d’humeur, disons que les événements de vie de Maria impriment sur son visage spontanément tout ce qu’elle éprouve. Alors on remarque son expressivité, les rides d’affliction et de colère ou de tristesse sur son front, ou encore plus fugaces, ses sourires ébauchés souvent réprimés, souvent en demi-teinte, rarement radieux. Jusqu’à ce beau sourire au milieu de la peine, celui d’une femme qui dépasse sa souffrance et assure que sa vie sera belle, mais nous y reviendrons.

Mais ça commence par un coup de foudre, rapidement réciproque, et une belle histoire d’amour, pour nous emmener sept ans plus tard.

Sur cette séquence, dont une partie est en plan séquence, caméra portée, Ilia, la réalisatice dit :

J’étais un peu fatiguée de ce type de représentation issue de la pop culture, de ces histoires d’amour basées sur des récits dignes d’un Disney avec cette idée galvaudée : deux êtres humains trouvent enfin la personne qui va devenir le centre de leur vie. Je pense que tout ceci est faux, que c’est une grande blague.

Cette remarque lapidaire signifie que ce sentiment amoureux, on peut l’éprouver autant que le coeur nous en dit. Ce qui importe c’est l’engagement, l’acceptation de l’autre.

Ilja a voulu présenter une situation de femme, donc une situation complexe. Et c’est certainement ça qui lui tenait à coeur. Non qu’aucune situation humaine ne le soit, mais il y a une spécificité de la situation féminine et de celle de Maria. Ici, il s’agit de héroïsme ordinaire d’une femme mère de quatre enfants. Maria a un vécu frustrant et douloureux. Après sept ans de vie commune avec Sigmund son second époux, elle est devenue à son corps défendant irritable, colérique, explosive, conflictuelle. Sigmund devient une sorte de sparing partner dans le combat que Maria mène contre sa condition … Qu’elle mène durement par Sigmund interposé. Nous sommes au coeur de l’engagement et l’acceptation qui sont à ce moment mis à l’épreuve.

Sigmund son époux est un homme affectueux, joyeux, impliqué, il partage les tâches ménagères, fait ce qu’il sait faire, pas toujours bien, en tous les cas pas bien du point de vue de Maria. Et puis, il est absent, autant que son travail l’exige, mais absent avant toute chose. Surtout, contrairement à Maria qui ne réussit pas(*1), il a des contrats de travail. Il avait bien promis à Maria de ne plus voyager. Mais nécessité fait loi, un autre contrat devrait contre toute promesse, l’éloigner encore.

Alors la dissonance enfle dans le couple et la mécanique implacable de la séparation en plusieurs actes vaguement analogiques aux phases d’une maladie mortelle : déni, colère, marchandage, dépression et …l’acceptation. Mais cette mort annoncée du couple devient pour Maria, l’occasion de tout repenser, de ne pas être seulement victime d’une charge de travail et d’un burn-out flottant. Maria en cela aidée par une bonne psychologue familiale va pouvoir revisiter sur son histoire familiale, une histoire qui se répète … trois générations de femmes devenues seules, élevant seules leurs enfants. « Nous, nous sommes des femmes dures dit sa mère, ta grand-mère, moi, toi, Alma également ». Et si le rapport que Maria a avec sa mère qui pratique le « double lien *2», peuvent sembler caricaturaux, il est pourtant assez probable que ce soit du vécu.

Les rapports de Maria avec Alma sa fille aînée adolescente ne sont pas meilleurs. Alma la méprise, la dégoute presque, elle la trouve chiante… elle en a honte. Maria se regarde dans la glace et imagine qu’elle parle à sa fille, elle lui dit qu’elle l’aime, qu’elle est quelqu’un de bien. Et nous comprenons qu’elle s’adresse aussi à elle-même. Et plus tard dans un face à face avec Alma qui lui dira, je ne veux pas te ressembler, tu es une ratée, Maria accueillera ses mots de « jeune femme dure » avec douceur, et compréhension. Elles vont se rapprocher et s’aimer. C’est un peu comme si, à travers sa mère, Alma qui détestait la situation féminine qui lui était promise, voyait enfin l’amour et la vulnérabilité de sa mère. Alors, l’une et l’autre en rompant cette lignée de femmes dures, s’ouvrent à d’autres possibles.

Nous n’avons pas parlé de Sigmund cet homme un peu effacé et gentil, de bonne volonté, mais qui veut vivre sereinement, en fait, il faudrait revoir ce film encore, il semble qu’il soit particulièrement évitant et d’une manière inconsciente passif agressif, c’est à dire qu’il laisse l’autre avancer pour mettre en œuvre, en confort, son projet de se libérer !

C’est tout le talent de Ilja Ingolsdottir de tisser ensemble, la charge mentale d’une mère de famille, l’héritage familial avec la répétition des situations de génération en génération, les femmes et le travail, les rapports hommes femmes dans une société qui n’est pas neutre, une société capitaliste avec tout ce qu’elle comporte et dont la sociologue Eva Illouz parle mieux que quiconque.

La fin du film, c’est une dernière rencontre entre Maria et Sigmund, ils se parlent affectueusement, sans ressentiment. Elle lui dit, sourires et larmes, qu’elle accepte leur séparation, qu’elle ne l’a pas voulu, mais qu’elle est là, elle finit comme une promesse : « ma vie sera belle ». Et c’est une sorte de happy end en demi teinte et mieux que ça, ses enfants, Alma la première seront mieux protégés contre le retour du même…

*(1) Internet fournit moult études, qui indiquent les désavantages professionnels des femmes.

* (3) Double lien, forme de communication comportant pour l’essentiel des injonctions contradictoires (la plus simple et paradoxale : soit libre !)…

Enzo- Laurent Cantet-Robin Campillo

Vu  l’ultime film de Laurent Cantet réalisé par Robin Campillo. Avant de parler du film, je souhaiterais m’arrêter sur ce point, Laurent Cantet, cet homme si simple, ce grand réalisateur est tombé malade puis gravement malade.  Robin Campillo l’a soutenu dans son projet, ils ont travaillé de concert,  et puis  Laurent Cantet  est mort en avril… et c’est  Robin Campillo qui a finalement réalisé Enzo…Pour les détails de leur collaboration qui est aussi celui de leur amitié,  je vous invite à vous reporter au journal « Lille la nuit » d’où je tire cette citation de Robin Campillo : « Je ne suis pas sûr de faire le film que toi, tu aurais fait. » Et c’est vrai : je ne sais même pas ce que ça veut dire, faire « un film à la manière de Laurent Cantet », ni même ce que cela signifie faire un film à « ma manière ». Mais on peut se douter que pas un instant cette question ne l’a quitté.

Enzo,  c’est la première fois que je vois un tel sujet au cinéma. Vous le connaissez :  Enzo, 16 ans, est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C’est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu’Enzo va entrevoir un nouvel horizon.

Je songe à Annie Ernaux à cette question qui la tarabuste, celle de la honte des origines,  à son insécurité face aux codes des classes aisées,  bref je pense à toutes ces histoires  transclasses dans leur ensemble, un peu douloureuses et surtout à sens unique, racontée longtemps après depuis un appartement chic. D’ailleurs, pour ceux des classes aisées, curieusement, on préfère un autre terme  que transclasse, celui de déclassement.

Là nous sommes devant un cas de déclassement potentiel.  Le sociologue Pierre Bourdieu aurait aimé ce film, il le traduit d’une certaine manière. En effet, « la distinction » y apparaît dès les premières images, lorsque le chef de chantier reconduit Enzo chez lui pour expliquer à ses parents qu’il n’est pas un apprenti appliqué.. Mais chez qui arrive-t-il ? Chez un couple de bourgeois au capital social et culturel supérieurs. Et ce sont des gens accueillants, attentifs,  mais tout de même un peu intimidants pour un ouvrier du bâtiment. Et la tonalité  de l’entretien est à la fois courtoise, empruntée  et dérisoire, presque absurde tant il est patent que les parents, s’ils laissent Enzo faire son choix, savent, ils sont à la bonne place pour le savoir,  que le choix de Enzo ne sera pas celui de devenir maçon.

Mais Enzo s’entête, et si sur le chantier il se fait charrier un peu, il ne s’en fait pas moins des amis, par exemple ces deux ukrainiens… Et là, je ne vous en dis guère davantage, disons que les fils de la vie professionnelle, celui de l’habitus social, et celui des amours forment une jolie tresse.

Georges

Week-End Cinéma d’Amérique Latine -17 et 18 mai 2025

 Les  17 et 18 mai nous avons présenté  6 films, latino américains… Nous avions choisi de sortir du cadre un pays un film pour pouvoir figurer des films de petits pays du cinéma à côté des grands que sont  le Brésil et l’Argentine par exemple. Nous voulions également présenter des films de maintenant (à l’exception de la Cité de Dieu 2002,  afin de  profiter de sa ressortie.)

C’est Bibata Uribe O’ Mara de l’association Le chien qui aboie-El Perro que Ladra qui  a animé   ce Week-End,  avec son association, elle est colombienne, elle se consacre justement à ce cinéma là.  Elle est arrivée parfaitement préparée et le public ne s’y est pas trompé, de sorte que nous avons pu visionner des films remarquables et mieux comprendre les ressorts de leur création.

La cité de Dieu de Fernando Meirelles (Brésil) ouvrait donc ce Week-End. C’est le huitième des cents meilleurs films du cinéma brésilien. Nous nous plongerons dans les années 1970 en suivant le jeune Wilson apprenti photographe, acteur et témoins d’alors, si ce n’est pas une histoire vraie, elle dit une vérité, elle est inspirée du roman éponyme de Paulo Lins, de son enfance dans la favela Cidade de Deus à Rio de Janeiro. Ce film marqué du sceau de la violence, est filmé avec une infinité exceptionnelle de plans originaux et soignés. Voici un film qui nous permet constater comment cette violence est  déterminée de  l’extérieur, ces citées sont  des espaces de relégation, le plus souvent celles des gens qui ont eu le malheur d’y naître…  Ces lieux sont une permanence de l’histoire humaine, et rien n’a changé depuis l’antiquité.  Rien, sauf  la drogue et ça change tout.  Ça structure la vie des gens dès l’enfance, leur offrant cette possibilité illusoire de devenir riche- Infiniment  moins que de mourir, mais quelques fois, devenir un bref moment  riche parmi les pauvres-   Il ne suffit que d’accepter les codes changeants de cette société,   faire sienne la violence effrénée des guerres de clans,  et surtout  de commencer jeune, très très jeune.

Ainsi, nous voyons  une succession de petits caïds qui s’affrontent et s’entre-tuent, dans une logique dessinée d’avance, celle des territoires dans le territoire. La valeur de la vie, c’est  vraiment trois fois rien,  ni pour les tueurs ni pour l’entourage des victimes, au plus une fatalité. Cette cité livrée à la loi du plus fort de l’instant,  nous la voyons à travers  les yeux de Fusée, ce jeune amateur de photographie  qui veut trouver  son chemin et en deviendra le reporter.  Ce film a produit ce qu’aucun documentaire ne pourrait faire, tourné dans une favela, avec et  parmi ses habitants, il nous fait ressentir le climat de terreur  de déliquescence d’une société humaine d’habitude  hors champs.  On mesure  l’ironie même du nom de cette cité. A sa sortie, ce film avait fait plus de trois millions d’entrées dans le monde. Il méritait bien de réapparaître sur nos toiles. 

Allons au  Chili  maintenant, avec Brujeria (sorcellerie) de Christopher Murray, plus exactement sur l’Île de Chiloé, au large du Chili, en 1880. Rosa Raín est une jeune fille huilliche dont le monde s’effondre le jour où son père se retrouve assassiné par des colons allemands. Ce film d’un rythme lent, contemplatif et superbement cadré n’est jamais ennuyeux, nous sommes immergés dans une histoire qui joue de la rationalité, de la pensée sauvage et du réalisme magique propre au cinéma latino…

Ce réalisme magique est une forme de surréalisme,  on le retrouve dans la peinture dès la première moitié du vingtième siècle puis  chez des écrivains tels que García Márquez ou  Borges pour ne citer qu’eux. Les frontières entre le réel et l’irréel s’estompent, créant un univers paradoxalement familier… Le cinéma latino américain a lui  aussi très souvent recours à cette forme et Brujeria n’y échappe pas. Ici le réalisme magique est au service d’autre chose,  celui de montrer l’esprit colonial et le cheminement décoloniale d’une enfant parmi  les plus humbles.

Et l’on voit comment  Rosa (Valentina Veliz) se défait de vêtements dont on l’avait vêtue,  celles d’une gentille enfant bonne à tout faire, celle d’une bonne chrétienne (sous condition) , celle qui devait croire en la justice, en l’ordre social…pour retrouver ses racines, l’animisme, sa magie et la solidarité du clan autochtone, persécuté, mais digne.

Ce film n’a pas eu de spectateurs en France, nous sommes une poignée à l’avoir visionnné et c’est regrettable,  nous avons le sentiment d’avoir vu un grand film.


 Mexico 86 de César Diaz est un film mexicano-guatémaltèque. Une femme, magistralement interprétée par Bérénice Bejo,

Mexico 86 distille chez le spectateur un sentiment de peur et de méfiance l’héroïne est une réfugiée politique. Or, des barbouzes recherchent  partout sur le continent, les gens comme elle, pour les capturer ou les tuer,  eux où leurs familles, et tous les moyens sont bons.  Par exemple, ce qui est suggéré dans le film,  torturer un enfant devant sa mère. Alors,  peut-on être mère où le devenir au sens plein du terme, dans cette situation de tous les dangers, peut-on conjuguer la résistance avec une aspiration politique et sociale et offrir une enfance à sa progéniture? C’est tout l’objet du film d’où la peur suinte. Ce film est encore projeté à l’Alticiné, et c’est un  grand mérite  car ce film ne rencontre pas le public qu’il mérite. Bibata O’mara signale qu’hélas le prix à payer pour faire connaître ce film dans le monde était de ne pas prendre un premier rôle guatémaltèque. En revanche,  elle nous rappelle que les parents de Bérénice Béjo  ont quitté l’Argentine en pleine dictature militaire pour aller vivre en France, elle avait trois ans, elle est donc concernée par le sujet. Elle  est remarquable par sa capacité à faire ressentir ce qui la meut, activisme patriotique, ténacité, méfiance de tous instants, amour maternel … 

Bérénice Béjot est deux fois remarquable, comme actrice, et comme sésame pour une distribution. C’est une chance pour les spectateurs…mais disons le tout net, un bon scénario, historique,  à la fois politique et thriller, une actrice sensible, qui sait transmettre ses inquiétudes, peurs  autant que sa détermination, ne suffit pas et Mexico 86 connaîtra le même sort en France  que Brujeria, un public averti, peu nombreux. 

 Manas, est une oeuvre  de Marianna Brennand Fortes, est notre second film brésilien de la sélection,  cette réalisatrice est une grande documentariste qui  a eu recours à la fiction par efficacité. Ici pour nous montrer, nous parler de la condition féminine dans la société des hommes.Grand bien lui a pris.  

Nous sommes en Amazonie,  dans ce lieu de vie  simple, d’une inquiétante beauté où chantent les oiseaux, rythmant la vie de tous,  où les habitants vivent paisiblement leur dénuement, une  sorte précarité ordinaire.  Les jeunes n’entendent pas que les oiseaux dans les arbres, mais également celui  des sirènes des grandes villes, mais pourquoi ?   Ici, comme dans beaucoup d’endroits du monde,  il y a la loi des mâles. Disons que la transgression est leur première loi, il n’y a pas de tabous quand on est père.   C’est  bien de pédophilie et d’inceste dont il sera question dans ce décor là !.

Pour cela,  suivons cette petite fille, Marcielle, ( Jamilli Correa) qui d’un seul coup, à l’approche de l’adolescence, devient « la préférée » de son père…

Louons ici, le tact et la sensibilité  de la réalisatrice, sa manière de manier le hors-champ, l’habile et intrigant décalage entre l’image sonore et  l’image visuelle.

Voici donc un film qui  arrive à exposer un sujet difficile pour les spectateurs d’une manière non spectaculaire et très éthique, qui ne prend pas les spectateurs pour des voyeurs… Qui sait montrer la loi des hommes et l’abnégation et le courage des femmes d’une manière pudique et convaincante.  Et là encore, je vous invite à regarder le box office, si vous n’avez pas vu ce film aux cramés de la bobine, il y a peu de chances pour vous de le voir ailleurs. Et pourtant ce n’est pas seulement un beau film, c’est également utile à la cause des femmes.
 

Nous voici maintenant en Bolivie avec Le Grand Mouvement de Kiro Russo,  un film majeur. Vous vous souvenez le synopsis : « Elder arrive à pied à La Paz après sept jours de marche pour protester avec ses amis mineurs contre leur renvoi des mines de Huanuni. Ce sont des gens en colère et usés qui arrivent.  Bientôt Elder tombe malade et la métropole l’asphyxie peu à peu. Max, sorcier des rues, sillonne, lui, sans relâche les confins de la ville qui semble ancrée au plus profond de son être. » Ce synopsis décrit plutôt bien le grand mouvement, il n’y manque que le swing… A 3600 mètres, cette ville géante fascine d’autant que Kiro Russo nous la montre par une mosaïque de plan larges et rapprochés, à l’image de ces enchevêtrement de fils électriques,  de murs crapoteux, ces gens, les couleurs,  se conjuguent au fond sonore, la cacophonie urbaine. Et ici encore on retrouve une touche de réalisme magique. 

Ce film  sera lui aussi confidentiel en France,  5000 spectateurs en salle. … Pourtant  c’est « un film monde », il a du souffle et du rythme.  C’est l’œuvre d’un cinéaste nommé  et récompensé dans de nombreux festivals. Si ce film  ne déplace pas grand monde il est pourtant l’égal de grand films turcs, iraniens, chinois, indiens etc… il représente l’avenir du cinéma d’art et essai. Kiro Russo, retenons bien ce nom ! Ce film est un chef-d’oeuvre.

Nous finissons le progamme avec un film Argentin :  Quelque chose de neuf, quelque chose de vieux, quelque chose d’emprunté de Hernán Rosselli. Voici un film surprenant et inventif, qui ne pouvait naître qu’en Argentine dont on sait le fonctionnement politique actuel. En récupérant des films familiaux, en les conjuguant avec un tournage au présent, Rosseli nous présente un film dans la lignée du Parrain, je vous livre le commentaire de la quinzaine : « Quelque chose de vieux, quelque chose de neuf, quelque chose d’emprunté constitue au final une expérience intrigante, bercée par un gros travail sur le son, qui égale presque celui du montage, particulièrement habile ».

Voilà l’état de la critique, cependant, après avoir vu ce film, je comprends vaguement qu’il utilise des films super huit, qu’il nous parle de l’héritage. Ici les enfants  héritent  des charges mafieuses familiales comme on hérite de n’importe quel capital… qu’il faut faire fructifier.  Car dans cette affaire, il s’agit de paris clandestins. Mais les temps changent, rendant caduque les protections mafieuses de ces familles, alors jusqu’à quand et comment survivre ? En contrepoint, c’est aussi  une histoire de recherche généalogique, comme une recherche un peu vaine sur l’origine du mal…
 C’est probablement le film le plus « OFNI, objet filmique non identifié « comme le dirait le Directeur de l’Alticiné. Et il faut être mordu de ciné pour le voir coûte que coûte… Si ce film appartient bien aux films d’art et essai, on ne peut pas dire qu’il soit inoubliable…

Mais au total , voici un Week-End où nous avons présenté des films rares, et souvent très beaux, nous aurions préféré y voir davantage de spectateurs, mais ceux qui étaient présents ont apprécié, et Bibata notre présentatrice en a été ravie. Nous n’en comprenons que mieux l’utilité de son association El Perro que Ladra qui promeut ce cinéma là. Qu’elle en soit remerciée.  Et j’espère que nous aurons le plaisir de la voir de nouveau. Que dire de plus :


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Harvest-Athina Rachel Tsangari

Harvest est un film germano-américano-britannique réalisé par Athina Rachel Tsangari, réalisatrice et productrice, sorti en 2024. C’est l’adaptation du roman de Jim Crace paru en 2013. Il a été présenté en compétition à la Mostra de Venise 2024.  Il commence par un homme qui se baigne et dont on voit alternativement remonter les fesses à la surface de l’eau d’un beau lac. C’est Walter, (Caleb Landry Jones) et c’est à travers ses yeux que nous verrons l’histoire,   c’est un garçon roux, un peu marginal, pour l’instant,  il nage, plonge et nage…

Plan suivant, on voit  une grange qui brûle et les villageois qui s’affairent à l’éteindre, plan suivant,  trois personnes chasseuses munies d’arcs  sont cernées par les villageois, elles risquent d’être lynchées…Elles se rendent, et après avoir été rouées de coups, se retrouvent pour les deux hommes au carcan et pour la femme tondue publiquement, puis relâchée…Ces trois pauvres hères ne sont pas tout à fait d’ici, ils sont aux marges du village. Pour la circonstance, ils vont  y être menés, car à part eux , qui peut brûler une grange ? Mais pour l’instant, le carcan est sur la place du marché, et nous assistons à ce qu’il faut bien appeler une réaction de populace.

Ce  film très beau, d’esprit moyenâgeux ne s’y situe pourtant pas , l’époque est  indéterminée.  (Pour ma part je le situe au 17ème siècle). Le chef du village Charles Kent (Harry Melling), est un brave homme un peu falot, dont l’ami d’enfance, le seul, est Walter « le nageur », fils de sa nourrice. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes féodal, la foi,  l’obéissance de principe à Dieu et au Seigneur du cru, la loi  sommaire du lieu,  les fêtes, les moissons,  des riches qui ne sont pas très riches, et les pauvres, pauvres. Le paysage c’est celui de l’Ecosse, vallonné, bois et collines, rivières, et champs, fruitiers, haies. On y vit paisible, à condition d’être d’ici et pas d’ailleurs. Le lieu ressemble à un tableau de Bruegel , ou Jérôme Bosch, peut-être. Et c’est curieux, arrive un quidam, un géomètre qui bientôt dessine les lieux  avec précision et les nomme quand il ne le sont pas, c’est le cartographe, une sorte d’obligé  de Kent. Le décor est planté si l’on peut dire, le quidam et l’incendie, les candidats au gibet sont les précurseurs de l’histoire.

Ainsi nous entrons dans sa seconde partie avec l’annonce puis  l’arrivée de Jordan, le cousin  ( Franck Dillane) , et sa troupe. C’est un homme de décision, brutal, autoritaire, l’exact contraire de son cousin en somme. (A ses troupes sans doute appartient l’incendie de la grange). Un homme de projet, de progrès, et s’il est d’accord sur les punitions qui s’exposent sur la place du marché, il les trouve trop clémentes, lui préférant le gibet…c’est juste par efficacité. Et si ses troupes,  fouillent les maisons, volent, violent, elles ne font que mettre un peu  d’ordre dans une population qui de toutes les façons n’est pas à sa place ici, dans un pays qui n’est pas ce qu’il devrait être. Les paysages après tout ne sont rien d’autre que l’expression des besoins de l’homme et  du développement.

Je n’hésite pas à livrer ici le contexte même du film en citant longuement  Wikipédia : « Le mouvement des enclosures comprend les changements qui, dès le XIIe siècle et surtout de la fin du XVIe siècle jusqu’au XVIIe siècle, ont transformé, dans certaines régions de l’Angleterre, l’agriculture traditionnelle, qui se faisait jusqu’alors dans le cadre d’un système de coopération et de communauté d’administration de terres appartenant à un seigneur local (openfield, généralement des champs de superficie importante, sans délimitation physique).

Cela a abouti à réserver l’usage de ces terres seigneuriales à quelques personnes choisies par le propriétaire, chaque champ étant désormais séparé du champ voisin par une barrière, voire une haie comme dans un bocage.

Les enclosures, décidées par une série de lois du Parlement, les Inclosure Acts, marquent la fin des droits d’usage, en particulier des communaux, dont un bon nombre de paysans dépendaient. »

C’est de cela dont il est question, ce sujet historique et économique, que Karl Marx a analysé et David Thoreau critiqué dans Walden…  Mais Harvest s’il montre la dépossession et  la paupérisation, nous parle aussi du rapport des pauvres entre eux avec leurs boucs émissaires dérisoires,  puis avec l’arrivée du cousin, du rapport aux femmes (des sorcières).

Mais c’est d’abord  l’histoire d’une colonisation intérieure dont il est question, il faut insister sur ce point, avec sa violence, son « there is no alternative »  et l’expulsion en masse des habitants qui en résulte. Ce film nous montre en  germe, un capitalisme qui déjà, fait flèche de tout bois. Et c’est pathétique de voir ces gens du cru, qui ont érigé l’étranger en bouc émissaire, devenir à leur tour, être définis comme étrangers à leurs propres terre.  Pourront-ils comprendre qu’on a exploité leurs passions tristes pour mieux les asservir ?

Témoins et peut-être narrateur Walter, ce marginal à qui il appartient de voir et de témoigner. Ce Walter, c’est peut-être un peu la cinéaste qui nous parle d’aujourd’hui.

Mon regret, seulement 27 spectateurs pour ce très beau film, alors que dans la salle d’à côté,  « la montée des marches » du festival de Cannes…Il faut plutôt nous féliciter des spectateurs  qui sont  venus.

Georges

 Ils vont tous bien de Giuseppe Tornatore (2)

Voici un film qui comporte sa part de mise en abyme, puisqu’il s’agit d’une fiction sur un père qui fictionne la vie de ses enfants plutôt qu’il ne la voit.

Mais vous avez tous lu l’article de Chantal et les spectateurs que nous sommes y retrouvent si bien retracé, le film et son esprit…et comme chaque fois avec la précision metronomique. C’est un grain de sel que j’y ajoute, en vous invitant tout de même, même si vous n’avez pas vu le film, à lire Chantal, histoire de regretter un peu de ne pas l’avoir vu. Pour ma part,  en le voyant, j’ai songé à deux ou trois livres que j’ai lu ou feuilleté sur ce sujet et je vais me faire un peu citateur, ce qui n’est pas un moindre défaut.

Telle cette phrase de Julien Blanc, dans son livre si triste,  « confusion des peines » où il disait quelque chose comme « erreurs de la part de ceux qui veulent des enfants comme ils les aiment au lieu de les aimer comme ils sont » ; Et c’est un peu ce qui arrive à Mattéo (Marcello Mastroianni).

Et d’une manière générale notre rapport à la réalité n’est pas un rapport facile.Clément Rosset, dans le réel et son double disait que « notre rapport à la perception du réel est toujours conditionnel et provisoire », il ajoute même que « la conscience se met à l’abri de tout spectacle indésirable » et de son côté Nancy Huston dans « l’espèce fabulatrice » dit : « nous voyons le monde en l’interprétant c’est à dire en l’inventant »…

Dans ce film, on s’habitue très vite à oublier la tragicomédie noire qui s’en dégage… En quelque sorte, on choisi son camp, on n’en ressent que le pathétique, en en oubliant l’ironie, qui est l’héritage de nombres trésors cinématographiques italiens d’alors.

Mattéo, veuf, obscure petit fonctionnaire provincial, élégant, courtois, très fin du 19ème siècle*, s’en va retrouver ses enfants, dans différentes villes de l’Italie. Là encore, je vais citer, cette fois Gilles.Deleuze, « on ne désire pas une chose en soi, on la désire dans un agencement », le voici : il imagine les  réunir près de lui, autour d’une table dans un restaurant. D’ailleurs, il en a parlé à sa femme, qui gît au cimetière, n’a-t-elle pas toujours été là pour l’écouter ? 

Tous ses enfants font leur vie ordinaire et médiocre, n’en déplaise à Mattéo,  père sévère  qui persévère dans ses fantasmes. Il leur  invente avec ferveur des situations qu’ils n’ont pas,  et fait tout ce qu’il peut pour qu’elles collent au réel… Hélas,  la vie de ses enfants n’est pas rose …Il en manque même un,  qui dit-on  serait en vacances, le père sagace finit par en déduire qu’il est en prison… Mais non, bien pire, il est mort lui annoncent un frère et la sœur.

Et de  l’autre côté, on remarque le jeu ambivalent  des enfants, entre deux stratégies celle de l’évitement et celle de faire comme si :   « d’avoir réussi professionnellement » et « d’être heureux », par respect, pour ne pas lui faire de peine et  par amour filial tout de même, il ne faut pas oublier ce dernier point. Cette fratrie a dû user  une belle énergie pour s’adapter à l’immaturité de papa ».Pour le repas final, c’est un fiasco, seuls trois seront là, dont un petit fils généreux, détaché (protégé) de la pesanteur d’une histoire  familiale où la misère sociale  et affective s’efface un tantinet pour laisser place à autre chose que la répétition. (Encore que… tout jeune adulte, sa petite amie, aussi jeune est enceinte!). 

A ce prix, Mattéo, cet homme aveugle à lui même et au monde, aux ambitions débordantes, par progénitures interposées… peut s’en retourner, si tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes,  ça lui ressemble un peu quand même… D’ailleurs, il le dira à sa femme.

On ne s’étonnera pas qu’avant lui, on a pu voir les monstres, affreux sales et méchant etc… Sauf que Tornatorre administre une manière de faire, il filme les turpitudes humaines avec des gants de velours.

Georges

  • On retrouve entre autre un Marcello fantasque, rêveur, velléitaire dans « les yeux noirs » tourné en italien de N.Mikhalkov.

Le quatrième Mur-David OELHOFFEN (2)

Je n’ai pas lu ce roman de S.Chalandon qui inspire ce film, mais j’ai vu le film, et c’est peu dire, comme chacun dans la salle, le sentiment mitigé qu’il m’a inspiré, et comme chacun, je suis demeuré dans le silence de mes pensées un peu sidérées,  il faut bien le dire. Pour ceux qui ne l’ont pas vu, voici le bref synopsis :

Donc l’action se situe au Liban, elle est figurée  à quelques jours  et quelques pas des anciens camps de réfugiés de Sabra et Chatila, de triste mémoire.

« le quatrième mur »  repose essentiellement sur le personnage de Georges (Laurent Lafitte )  qui est de presque tous les plans. Pour l’essentiel, le début du film ne présente  pas de réelles surprises, il illustre  les difficultés de constituer une équipe d’acteurs dont les peuples d’appartenance se sont  constitués en clans hermétiques et belligérants.  Et  la guerre rode, nous voyons donc  les difficultés à travailler sous les explosions, les coupures de courant, les chekpoints partout…

Tout cela mime un documentaire,  les scènes sont  tournées en décor réel,  dans les décombres de Beyrouth, cette ville martyr.

Remarquons que l’idée de cette pièce de théâtre  mise en scène avec des acteurs de différentes nationalités et religions :  palestiniens, arméniens, libanais, druze, chrétiens, musulmans, juifs, etc, n’est pas sans rappeler le West-Eastern Divan Orchestra, composé de jeunes musiciens arabes et israéliens – orchestre fondé et dirigé par Daniel Barenboim .

Ici, c’est d’un projet insensé dont il est question, pensez,  une pièce de théâtre qui fait fi de la  guerre…qui veut, quelle utopie,   s’introduire dans un quasi  champ de bataille, comme si la culture était  toute puissante et forcément pacificatrice…

Mais ce film ne s’arrête pas là, bientôt apparaissent les fusées éclairantes  à la fois prélude et outil de l’extermination des réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, plus tard, nous y entrerons en suivant Georges, nous marcherons parmi les morts, hommes, femmes et on le suppose,  les enfants. Le film ne fait pas de politique et pas d’histoire, il ne cherche pas à connaître le pourquoi, ni le comment, il montre le résultat d’un massacre…  

En final,  après avoir renoncé d’un coup de pistolet à son idéal de vie, Georges qui vient de perdre Marwan (Simon Abkarian) son fixeur, qui vient de voir son actrice et amante,  Imane (Manal Issa) violée et égorgée  devra payer  de sa vie ruinée  le prix de son engagement, le film se clos sur Georges qui se rend à pied à son propre enterrement.

Mais « Le quatrième mur » c’est maintenant ! Ce n’est pas une fiction, chaque jour nous livre son lot de bombardements et de morts. Et on le sait, on le vérifie,  s’il faut des quantités insensés, presque délirante de projectiles pour tuer un seul combattant, presque rien tue beaucoup de civils. Toutes les guerres le démontrent, et  si par détournement du langage, on  appelle  cela pudiquement «  effet collatéral » c’est de l’effet premier dont il est réellement question, et il s’appelle également crime de guerre.  Les guerres d’aujourd’hui sont plus encore qu’hier tournées contre les populations civiles.

Pour nous spectateurs qui  sommes déjà  dans un moment de notre histoire, où les peuples, « dans leur grande sagesse » ont confié la marche du monde à des psychopathes, nous ne voyons pas seulement une fiction. La fiction est quelquefois un détour pour accepter de se confronter  rétrospectivement à une réalité trop dure,  mais ici, fiction et réel  se conjuguent au présent. Alors, on peut se demander ce que le  film  veut signifier, ce qu’il apporte ?  Imaginons que Georges et son équipe aient réussi leur projet, qu’en aurait-on pu  espérer ?  Une performance et un message ? Un message brouillé.

Marmaille- Gregory Lucilly

Autour du film…

Avec Marmaille, nous avons été parmi les premiers spectateurs du premier long métrage de ce jeune réalisateur, en même temps ceux du premier film long métrage réunionnais. Un film qui a eu quelques difficultés à trouver ses producteurs entre ceux qui n’acceptaient pas que le film soit tourné à la Réunion et ceux qui le refusaient en créole. Et puis il y a eu Pierre Forette, Thierry Wong, Baptiste Deville… qui eux ont dit oui. Et au total avec un budget de 3,4 millions d’euros, un réalisateur peut travailler… et il le fera avec une équipe de tournage à 90% locale.

C’est l’histoire de deux jeunes, Audrey 18 ans mère célibataire et Thomas 15 ans B.Boy, (breakdance) fichus vertement à la porte de chez leur mère et qui doivent affronter l’adversité affective et matérielle qui en résulte.

Le casting est pour beaucoup dans la qualité du film, il est vrai que la Directrice de casting était Christel Baras, elle a un C.V impressionnant : Portrait de la jeune fille en feu, Emilia Perez, Ama Gloria, Chanson douce etc… C’est ainsi qu’elle a choisi d’abord Maxime Calicharane pour interpréter Thomas ce B.Boy en souffrance. Qu’en dit-elle ?

Le réalisateur a obtenu une monteuse talentueuse Jennifer Augé (La Famille BélierPetit Paysan…). Elle a su capter le dynamisme du récit de Grégory pour l’adapter au montage et protéger l’histoire.

Au total, voici une histoire qui nous raconte bien des choses sur la Réunion. Nous en voyons ses beaux paysages, nous approchons la situation sociale et économique du plus grand nombre, et en fouillant un peu, nous découvrons que l’abandon de certains enfants adolescents sur cette île dont un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté existe bel et bien, que les violences conjugales sont elles aussi courantes, c’est hélas le deuxième département sur ce sujet. Et encore, qu’une femme sur cinq élève seule ses enfants.

Mais l’abandon est également un sujet qui dépasse largement la Réunion. Il faut voir ce film comme un miroir de la société réunionnaise, abordant des thématiques universelles.

Marmaille nous montre ces jeunes se battre et se débattre face à cette adversité, avec volonté et, on le serait à moins, avec parfois colère et violence. Le scénario comme la vie même est complexe et les récits s’entremêlent, Audrey est une jeune mère célibataire, aimante, solide, accrocheuse et stable, elle est le centre de gravité de cette famille d’infortune.

Nous verrons également réapparaître le père (le géniteur en fait !) « chic type » (Vincent Vermignon) qui par la force des choses essaie d’être à la hauteur après avoir, pendant bien des années , abandonné sa femme pour une autre et tout de même acquitté une pension alimentaire pour Audrey et Thomas qu’il ne connaissait pas. Et cet homme après sa défaillance, patiemment essaie de retisser le lien.

Quant à Thomas, c’est un garçon en proie a une souffrance et à une violence intérieure qu’il ne contient pas toujours, me rappelant discrètement Steve dans Mommy de Xavier Dolan. Violence le plus souvent sublimée, (mais le plus souvent seulement), il danse, c’est un B.boy, un danseur de Breakdance, et donc il va de battle en battle avec une « gnaque » incroyable. Mon petit fils m’en a expliqué les figures et leurs noms, c’est un monde très codé : Top Rock, Spin Down, Six Step, Freeze , traks, frog ! (1). La breakdance est un exutoire, une joute symbolique, donc un combat, hautement sublimé comme le sont par exemple les joutes musicales. (Le Docteur Freud remarquait que tout se substitue à la violence réelle, constitue un progrès dans la civilisation).

J’ai lu les observations suivantes que je vous livre pour tenter de les nuancer :

« Il est regrettable d’ailleurs que cette dernière pâtisse d’une conception « genrée » de la parentalité. Le scénario la catalogue comme défaillante et agressive. Elle est celle qui mérite « deux baffes », dixit Marie-Anna, la tante d’Audrey et de Thomas, parce qu’elle laisse ses enfants livrés à eux-mêmes.

« une « bonne mère » est celle qui est présente inconditionnellement alors qu’un « bon père » peut choisir ses moments et même disparaitre pendant des années… « 

il me semble qu’ici cette conception « genrée » de la critique trouve ses propres limites en ne coïncidant pas toujours avec toutes formes de réalités. Ce que nous dit Marmaille est documenté par le réalisateur. Il a enquêté scrupuleusement auprès d’assistantes sociales, de juges, de policiers, d’éducateurs qui en ont souligné la fréquence. Quant au cas qu’il nous présente, il n’est pas que fiction.

On pourra trouver des défauts à ce film, comme on en trouve dans tous ces premiers longs métrages où le réalisateur veut trop en dire, cependant, on en voit surtout les qualités : son sujet est rare, il dégage une réelle énergie, les rôles sont tenus avec délicatesse et profondeur, et le réalisateur sait finir son film, ce qui n’est pas si fréquent lors d’un premier film. Et puis la Réunion tout de même ! et avec de beaux cadrages sur une bande musicale dans le style mayola d’Audrey Ismaël.

Georges