
Voici un film qui comporte sa part de mise en abyme, puisqu’il s’agit d’une fiction sur un père qui fictionne la vie de ses enfants plutôt qu’il ne la voit.
Mais vous avez tous lu l’article de Chantal et les spectateurs que nous sommes y retrouvent si bien retracé, le film et son esprit…et comme chaque fois avec la précision metronomique. C’est un grain de sel que j’y ajoute, en vous invitant tout de même, même si vous n’avez pas vu le film, à lire Chantal, histoire de regretter un peu de ne pas l’avoir vu. Pour ma part, en le voyant, j’ai songé à deux ou trois livres que j’ai lu ou feuilleté sur ce sujet et je vais me faire un peu citateur, ce qui n’est pas un moindre défaut.
Telle cette phrase de Julien Blanc, dans son livre si triste, « confusion des peines » où il disait quelque chose comme « erreurs de la part de ceux qui veulent des enfants comme ils les aiment au lieu de les aimer comme ils sont » ; Et c’est un peu ce qui arrive à Mattéo (Marcello Mastroianni).
Et d’une manière générale notre rapport à la réalité n’est pas un rapport facile.Clément Rosset, dans le réel et son double disait que « notre rapport à la perception du réel est toujours conditionnel et provisoire », il ajoute même que « la conscience se met à l’abri de tout spectacle indésirable » et de son côté Nancy Huston dans « l’espèce fabulatrice » dit : « nous voyons le monde en l’interprétant c’est à dire en l’inventant »…
Dans ce film, on s’habitue très vite à oublier la tragicomédie noire qui s’en dégage… En quelque sorte, on choisi son camp, on n’en ressent que le pathétique, en en oubliant l’ironie, qui est l’héritage de nombres trésors cinématographiques italiens d’alors.
Mattéo, veuf, obscure petit fonctionnaire provincial, élégant, courtois, très fin du 19ème siècle*, s’en va retrouver ses enfants, dans différentes villes de l’Italie. Là encore, je vais citer, cette fois Gilles.Deleuze, « on ne désire pas une chose en soi, on la désire dans un agencement », le voici : il imagine les réunir près de lui, autour d’une table dans un restaurant. D’ailleurs, il en a parlé à sa femme, qui gît au cimetière, n’a-t-elle pas toujours été là pour l’écouter ?
Tous ses enfants font leur vie ordinaire et médiocre, n’en déplaise à Mattéo, père sévère qui persévère dans ses fantasmes. Il leur invente avec ferveur des situations qu’ils n’ont pas, et fait tout ce qu’il peut pour qu’elles collent au réel… Hélas, la vie de ses enfants n’est pas rose …Il en manque même un, qui dit-on serait en vacances, le père sagace finit par en déduire qu’il est en prison… Mais non, bien pire, il est mort lui annoncent un frère et la sœur.
Et de l’autre côté, on remarque le jeu ambivalent des enfants, entre deux stratégies celle de l’évitement et celle de faire comme si : « d’avoir réussi professionnellement » et « d’être heureux », par respect, pour ne pas lui faire de peine et par amour filial tout de même, il ne faut pas oublier ce dernier point. Cette fratrie a dû user une belle énergie pour s’adapter à l’immaturité de papa ».Pour le repas final, c’est un fiasco, seuls trois seront là, dont un petit fils généreux, détaché (protégé) de la pesanteur d’une histoire familiale où la misère sociale et affective s’efface un tantinet pour laisser place à autre chose que la répétition. (Encore que… tout jeune adulte, sa petite amie, aussi jeune est enceinte!).
A ce prix, Mattéo, cet homme aveugle à lui même et au monde, aux ambitions débordantes, par progénitures interposées… peut s’en retourner, si tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, ça lui ressemble un peu quand même… D’ailleurs, il le dira à sa femme.
On ne s’étonnera pas qu’avant lui, on a pu voir les monstres, affreux sales et méchant etc… Sauf que Tornatorre administre une manière de faire, il filme les turpitudes humaines avec des gants de velours.
Georges

- On retrouve entre autre un Marcello fantasque, rêveur, velléitaire dans « les yeux noirs » tourné en italien de N.Mikhalkov.