Tito et les oiseaux, de Gustavo Steinberg, Gabriel Bitar et André Catoto Dias

Académie de Nancy-Metz
Affiche du film

Tito et les oiseaux de Gustavo Steinberg, Gabriel Bitar, André Catoto Dias, avec Denise Fraga, Mateus Solano, Matheus Nachtergaele, Titre original : Tito e os Pássaros, Brésil, sorti en France le 3 avril 2019, 1h 13min, Animation

Tito et les oiseaux est un long métrage d’animation (oui, oui… Encore !) sorti en 2019, présenté à Annecy. Si, comme beaucoup de dessins animés, il est passé assez inaperçu, le contexte un an plus tard pourrait/aurait pu lui redonner une visibilité tant il semble actuel.


C’est d’ailleurs comme ça que je l’ai découvert par une proche me conseillant  » Tu verras, ça fait réfléchir  » avec un sourire conspirationniste complice assez glaçant.

Et en effet, le film fait réfléchir…
Mais à quoi ? Je pense qu’il mérite de s’arrêter quelques secondes pour y voir plus clair car en fonction de son propre point de vue sur le/la covid, le spectateur peut y voir des choses très différentes.
Tito est un jeune garçon de dix ans dont le père, scientifique un peu loufoque (c’est rien de le dire), le laisse à la garde de sa mère suite à un accident lors de ses recherches. Elle, est fascinée voire médusée par la télévision et son nouveau présentateur qui propage sur les ondes des idées obscures (pour ne pas dire obscurantistes) pour vendre des villes idylliques surprotégées, sans criminalité ni oiseaux. À l’image, cette diffusion obscure se fait par de larges et rapides coups de pinceau qui viennent rapidement recouvrir l’image de couleurs radioactives et sombres dont l’effet fonctionne particulièrement bien.

L’horizon s’obscurcit encore davantage quand une terrible épidémie se répand sur le pays. Les rues sont désinfectées, les écoles fermées, les chaînes de télévision sont en boucle pour diffuser les informations glaçantes de l’évolution de la pandémie, un couvre-feu est instauré, les gens se cloîtrent chez eux, les malades sont placés en quarantaine dans des mouroirs…
Alors, difficile de ne pas penser, image par image à l’année écoulée, aux premières images de Chine où les agents de décontamination aux étanches combinaisons étaient filmés en train de désinfecter les rues. Aux « bonnes vacances » de mes élèves quand on leur a annoncé la fermeture des écoles à cause de la pandémie. Aux annonces quotidiennes pour suivre l’évolution chiffrée de l’épidémie.
Et un an après, ce nouveau confinement… Alors on se dit en effet, comment en est-on arrivé là ?

Tito et les Oiseaux de Gustavo Steinberg, Gabriel Bitar ...
Tito et les oiseaux, photogramme du film.


Et pourtant…

Et pourtant, nous n’en sommes pas arrivés à ce point de rupture du film justement. Peut-être parce que ce coronavirus n’est pas irrémédiable, que les malades peuvent dans la majorité des cas être soignés, que seuls de très rares patients ont été isolés et abandonnés. Nous sommes donc très loin du film comme du sublime livre de José Saramago : L’aveuglement.
La peur n’a pas complètement hystérisé la population, au contraire. Difficile donc de donner crédit à un éventuel message qui serait donné par le film. Sur le sujet de l’épidémie, du moins.


Mais est-ce vraiment son sujet ?
Ce serait à la fois anachronique et simpliste que de penser que Tito et les oiseaux parlent de pandémie. Ou du moins de la pandémie que nous vivons. Et pour aller encore plus loin, le message que semble délivrer à première vue par le film : nos libertés sont mises à mal par la peur de l’épidémie, est un énorme contre sens du film.
Le vrai sujet du film, c’est la peur. C’est l’un des premiers dialogues du film qui l’annonce :


Quand j’étais petit, mon père m’a dit que le pire fléau du monde c’était la peur. Elle ne se transmet ni par l’air, ni en buvant dans le même verre.
La peur se transmet par les idées.


Pas une peur de l’épidémie.
Une épidémie de peur.
En effet, la pandémie qui touche les personnages dans ce film, est une peur tétanisante qui se propage. Et c’est là où le film prend tout son sens… Les gens sont littéralement paralysés par leurs peurs. Et notamment la peur des autres. Comment devient-elle virale ? Par la télévision avec ses chaînes d’information en continue, par les réseaux sociaux, par cette parole simpliste dite et redite jusqu’à ce qu’elle s’infiltre partout. Le film traite aussi des fausses informations et de l’instrumentation de la défiance face à la science. Finalement, le vrai sujet du film, c’est la montée du populisme.
Et s’en souvenir alors que ce film a été réalisé au Brésil en plein essor du Bolsonarisme est particulièrement porteur, car le président brésilien, comme celui des États-Unis au début de la crise a eu la réaction inverse de celle présentée par le film. S’en est fascinant. Ils ont déployé l’arsenal classique de fake news et de décrédibilisation scientifique, non pas pour répandre la peur, dont l’objet est ici fondé et légitime, mais au contraire, l’ironiser. Parce que cette peur-là, contrairement à la haine, n’a rien à faire gagner aux populistes, ni financièrement ni politiquement, contrairement à la peur des uns ou des autres, contrairement à la haine des uns contre les autres.

Tito et les oiseaux est un très beau film pour jeune et moins jeune public, qui fait réfléchir, non pas sur la perte de nos libertés personnelles en tant de pandémie bien réelle, mais sur la peur virale et médiatisée des autres qui pousse à un repli identitaire et à une perte des piliers du vivre ensemble tels que la solidarité ou la tolérance.
Rien n’est plus beau que d’être ensemble, même si pour l’instant, certaines distances sont nécessaires pour se protéger les uns et les autres.

Une photo de Pauline

Amis Cramés de la Bobine bonsoir,

Pauline qui suit le blog nous fait remarquer que parfois les films que nous avons vu à l’Alticiné aux Cramés de la Bobine résonnent avec des événements actuels. Et elle nous fait parvenir cette image . Notre question du jour est : Quel film, quel réalisateur et quel événement ? Nous publierons les réponses.

Question difficile, mais tout de même deux bonnes réponses, Laurence et Henri. De Laurence nous reproduisons la réponse : Le vénérable W de Barbet Schroeder présenté par Eliane en juin 2017. J’ai retrouvé par association d’idées: des moines boudhistes, la situation actuelle en Birmanie et j’ai pensé à ce doc qui m’avait beaucoup impressionnée et inquiétée à l’époque. Bravo Pauline!

Antigone, de Sophie Deraspe

Avec Nahéma Ricci, Rachida Oussaada, et Nour Belkhiria

Bande-annonce Antigone

C’est étrange la vie. Surtout en ce moment.

Mettre son masque sur le nez. 
Descendre quelques marches d’escaliers pour sortir de chez soi. 
Avancer. 
Et se retrouver ailleurs.
Loin ailleurs.
Proche de cet ailleurs de Wajdi Mouawad qui a réécrit la tragédie œdipienne dans le froid canadien d’un exil Incendiaire. 
Mais plus loin encore. 
Dans un monde parallèle.
Un Québec alternatif. 
Un espace où l’histoire de la fille de celui qui s’est aveuglé, ébloui par la vérité n’a pas encore été écrite. 
Dans un monde où Antigone n’est pas un texte de la littérature classique.
Mais un prénom. 
Un simple prénom. 
Un prénom contemporain. 
Un prénom d’exilée (fine reprise du statut de la jeune fille dans Œdipe à Coline). 
Et c’est là toute la magie de cet univers cinématographique aussi beau qu’étrange et complexe.

Le fait d’avoir conservé les prénoms de la tragédie grecque intacts créée une inquiétante étrangeté surprenante, plaçant cet univers dans une familiarité forte de par notre connaissance de la pièce, doublée d’une sensation d’étrangeté car la réalisatrice prive le spectateur de la sensation de réel, voire de naturel, que le cinéma essaye habituellement de créer, sans pour autant – et c’est une vraie performance – être à un seul moment superficiel. Ce choix de conserver les prénoms offre un décalage poétique qui place le langage et les dialogues du film dans un univers étrangement proche mais radicalement singulier où la beauté et le symbole comptent plus que le naturel, et ce au profit de la profondeur. En cela, le film se rapproche étonnamment du symbolisme tel qu’il a ébranlé la deuxième partie du 19e siècle tant en poésie qu’en peinture (en illustrant notamment les grandes héroïnes des textes classiques). Cette poétisation du langage et ce symbolisme permettent au film de tenir. En effet, sans cela, le caractère excessif de l’histoire la dévoierait comme incroyable, rendant le spectateur incrédule et le laisserait à l’extérieur de toute émotion ou empathie… Mais la réalisatrice nous place d’emblée dans une tragédie (jouant ainsi avec le potentiel du théâtre à forger des mondes imaginaires) où les mots, les personnages et les actes se révèlent plus fort que la recherche d’un réalisme, qui passe tout à coup, elle, pour superficielle. Loin du naturalisme habituel du cinéma, on ne se demande pas face à Antigone si ce qui se passe à l’écran est vraisemblable. C’est beau, et c’est la seule chose qui compte. Nous sommes, très vite débordés par l’émotion quand Antigone interprète devant sa classe dans une sublime mise en abyme le récit de sa propre histoire. Celle d’une réfugiée qui a vu, au moment de partir, au moment de l’exil, le corps de ses parents inanimés jetés devant ce qui bientôt ne sera plus son foyer. Cet événement, raconté, nous laisse imaginer le drame et nous montre ces enfants, accompagnés par leur seule grand-mère à l’aéroport. On s’attache très vite à ces cinq-là, même à Polynice qui apparaît déjà comme l’opposé de sa sœur, petite frappe d’un gang, violent, superficiel, mais aimant sa famille. 

Mais le spectateur est intranquille, la réalisatrice joue sur notre connaissance de l’histoire et sait que nous nous préparons au pire. Pire qui ne tarde pas à arriver. Alors que Polynice se fait violemment interpeller par la police (bien que ces actes ne semblent pas si graves), son frère tente de s’interposer. L’image s’arrête. On entend un coup de feu. On ne comprendra la suite que par les bribes d’images montées sur des musiques de rap, des vidéos virales au buzz offert par internet et les réseaux sociaux (ces scènes qui ponctuent le film sont d’une force tant sonore que visuelle et rythme le film tout en proposant une critique de la société des images contemporaines de manière très pertinentes). La police a tiré sur Étéocle. Le bel Étéocle, le gentil, l’idole des supporters de l’équipe de foot locale. Tué parce qu’il a sorti… Un téléphone ! L’actualité brute, les blessés, les morts, les manifestations, les Black lives matter se rappellent à nous dans une violence incroyable. Et c’est cet incroyable qui fait de cette scène la pièce maîtresse du film, elle est la grande réussite du long-métrage. Et ce parce qu’elle semble particulièrement ratée et bâclée. En effet, si le film se plaçait dans notre monde, tentant de se rapprocher d’un naturalisme documentaire pour faire état de ce problème sociétal qu’est la violence policière, en voyant cette scène, son raccourci, l’absence de réalisme du contexte qu’elle met en scène, son aspect gratuit, le public serait sorti de la salle en s’offusquant qu’il est impossible qu’un jeune homme soit tué ainsi, que c’est délirant et caricatural, que la scène est creuse et beaucoup trop superficielle alors qu’elle traite d’un problème aussi important qu’actuel. Et pourtant, devant Antigone, le spectateur reste. Parce que depuis le début du film, il a été préparé. Ce qui se passe devant ses yeux n’est pas la réalité. C’est une tragédie avec tous ses excès. Une dramaturgie qui cherche davantage à nous toucher et à nous faire penser politiquement un état de notre société dans sa complexité qu’à paraître réel. Et en ça, elle fonctionne parfaitement. Et elle fonctionne d’autant mieux qu’elle est excessive, presque caricaturale. C’est presque magique. Et alors, quand plus tard dans le film, la superficialité de la scène se rompt au profit d’une nouvelle vision, celle de la police, qui par ses enquêtes et sa connaissance des deux frères, a tout les éléments et toutes les raisons de croire qu’Étéocle est dangereux et certainement armé, on reste abasourdi. Le portrait dressé à sa sœur de Polynice est attendu, bien que comme elle, nous le découvrons bien plus dangereux que nous le pensions. Mais c’est la découverte du passif d’Étéocle comme chef de gang responsable de trafics de drogues et d’armes qui brise l’irréalisme premièrement affiché de la scène, sa présentation de frère génial nous avait aveuglés et même fait oublié que sous la plume de Sophocle déjà, comme le disait un ami, « Étéocle c’est quand même un sacré salopard ». On se laisse prendre à cette adaptation, croyant en des divergences mais la tragédie nous rattrape dans une sublime profondeur.

Comme dans la pièce classique, Antigone sait (après coup ici certes) que ses frères n’ont rien des héros qu’elle aurait aimé admirer. Et pourtant, elle va défendre leur honneur et leur dignité, coûte que coûte, quitte à se faire emmurer. Elle le fait pour sa famille, pour le souvenir des drames qu’ils ont vécus, pour l’image inoubliable de son frère lorsqu’il était petit qui pleurait et que l’orphelinat condamnait à n’avoir ni père ni mère pour être consolé. Elle n’explique pas, elle ne justifie pas, mais elle fait passer l’amour avant la rationalité. La famille avant sa vie. Elle est fidèle à son personnage. Et on peut en dire autant d’Ismene, qui, dans un très beau monologue, explique à sa sœur que tout ce qu’elle veut c’est une vie normale, avoir le droit d’être aimée, de vivre libre, de faire le métier qu’elle a choisi. De choisir sa vie avant sa famille. Est intacte aussi la colère de sa sœur qui refuse ce qu’elle trouve superficiel et d’un triste manque d’ambition. Tout comme l’apparition de l’oracle dans une vision fantasmatique et rêvée qui ajoute à l’étrangeté mais permet de mieux comprendre le choix esthétique fort de la réalisatrice précédemment mis en relief. Et Hémon aussi est incroyablement fidèle, magnifiquement interprété lui aussi va coller, afficher les portraits d’Antigone pour la faire sortir de derrière les murs, lui redonner la parole, une image et une humanité. Seul le nom de Créon si important dans la pièce n’est pas mentionné, s’il est le père d’Hémon, il ne peut être l’oncle tyrannique d’Antigone. Cependant on retrouve avec ce personnage la rhétorique politicienne, l’idée que l’image passe avant les sentiments, que l’ordre de la cité passe avant sa propre famille.

C’est une fabuleuse réécriture d’une tragédie sublime, qui ne cesse de nous faire réfléchir sur la cité, la politique, la famille, soi… dans des échos toujours plus profonds.

Une question est restée cependant en suspens après la séance, mais l’actualité l’a finalement malheureusement tranchée : est-ce qu’un masque mouillé de larmes a encore un sens ? Ceci dit, nous étions 9 dans l’immensité de la salle.

Quel film avez-vous détesté ? Aujourd’hui : Elle de Paul Verhoeven

Thalia nous confessait son ennui face à Barry Lyndon, pourtant salué par la critique.

Inspirée par son article, j’ai décidé de revoir un film que j’avais détesté au cinéma pour être sûre de ne pas avoir changé d’avis tant la critique est dithyrambique.

Et bien non, je le confesse, je déteste… Elle de Paul Verhoeven que tout le monde a trouvé génial, m’a recommandé et qui a eu des prix nombreux.

Elle (#1 of 4): Extra Large Movie Poster Image - IMP Awards

Non mais, Elle ? Vraiment ? Je suis peut-être passée à côté du film, il y a peut-être deux films éponymes avec Isabelle Huppert, je cherche à comprendre parce que ça me semble insensé qu’on puisse apprécier cette mascarade. Je vais tenter de défendre mon point de vue sans demi mesure, quitte à irriter ceux qui l’ont aimé, le film m’ayant tellement irrité moi-même (deux fois), qu’ils me doivent bien ça !

D’abord, le propos du film lui-même me semble douteux.

Après avoir donné l’impression de banaliser le viol, tellement la violence vécue ne semble pas avoir touché la protagoniste principale qui en a été victime (qui est certes, de par son histoire, particulièrement insensible), cette agression devient carrément désirable et désirée par cette dernière. 

Ce qui me pose deux problèmes.

Un problème d’abord éthique, je trouve discutable l’idée de mettre en scène une histoire où le viol est au mieux anodin, au pire enviable : le fantasme du viol, belle invention masculine. Mais la qualité d’un film ne doit pas être évalué à son éthique. Ce n’est donc pas le plus grave.

Le deuxième problème l’est plus. Cette banalisation est absolument irréaliste et sort le spectateur de toute empathie pour le personnage, mais pire encore, de toute foi en l’histoire. Dès les cinq premières minutes, les scènes sont si peu crédibles qu’il est impossible d’y croire. MichElle (je vous laisse imaginer mes yeux monter au ciel pour tenter de se délester de tant de lourdeurs) se fait agresser chez elle, peut-être violer dit elle à ses proches au restaurant, reçoit des messages d’un manque de finesse affligeant, mais continue sa petite vie. L’empathie étant l’un des moteurs du cinéma, je ne peux m’empêcher de hurler intérieurement en me disant «non mais sérieusement, tu te fais violer et tu travailles tranquillement dos à une baie vitrée d’où est venu ton agresseur ?» «Tu fais changer les serrures mais quand on te dit que la porte cassée restera ouverte, tu réponds « ah, tant pis. » » « Après avoir stigmatiser (au sens chrétien du terme) avec une paire de ciseaux le violeur avec son masque de ninja, c’est lui que tu appelles pour venir te sauver après avoir eu un accident ???».

‘Elle,’ Starring Isabelle Huppert as a Rape Victim Who ...

Et Paul Verhoeven pousse cet irréalisme à un niveau jamais atteint. J’aime l’absurde, au théâtre notamment. Mais malheureusement, ce n’est pas l’absurde qui dérange dans ce film, mais les trop nombreuses absurdités. Le point culminant étant quand le fils de Michelle et sa petite amie, tous deux blancs comme neige donnent naissance à un bébé noir, et que personne ne trouve rien à y redire. Et comme le scénariste n’a absolument pas confiance en son public, il en rajoute encore en montrant le meilleur ami du dit papa, noir bien sûr, sourire bêtement en attendant l’accouchement. Mais Paul, franchement, tu nous prends pour quoi ?

Sans compter que :

  • Les personnages n’ont pas la moindre profondeur, ils sont caricaturaux et stéréotypés au possible : la voisine catholique pleine de bienveillance qui installe une crèche géante pour noël, le fils décérébré, la belle fille hystérique, la mère cougar et son gigolo, la meilleure amie avec qui elle fonde un studio de jeux vidéos aussi peu crédible que cliché et à qui elle fait des petits bisous lors d’une soirée pyjama improvisée, et son mari débile mais avec qui elle couche pour parfaire le manque d’originalité.
  • Les dialogues sont dignes du café du commerce :

– J’ai une bombe lacrymogène.
– C’est bon à savoir !

– Montrez moi, j’ai fait du foot, les blessures à la jambe ça me connaît !

À son ex mari :

«Tu dirais que je suis étroite pour mon âge ?».

  • Les acteurs pourraient essayer de leur donner un peu de profondeur, mais non, on touche le fond à grand renfort de mouvements de mains guignolesques et de regards beaucoup trop appuyés. Isabelle Huppert m’est depuis devenue insupportable et Laurent Lafitte n’a fait que confirmer ce que je pensais de son regard creux et de son sourire niais.
You Couldnt Make It Up Isabelle Huppert GIF by Film ...

Rien n’est à sauver.

Les critiques disent que c’est drôle. En effet j’ai ri devant le film. Mais nerveusement tellement le ridicule des scènes et du jeu des acteurs sont affligeants. Mais ça dure tellement et c’est tellement tordu que la dernière parole de Virginie Efira : « Merci de lui avoir donné ce dont il avait besoin, pour un temps au moins» donne moins envie de rire que de vomir.

Bref, j’ai détesté Elle, et je laisse ceux qui l’ont aimé détester cet article comme doux retour de bâton. 

Cinémathèque imaginaire et cinéma animé

La crise que nous vivons actuellement est certes historique, elle ne donnera cependant peut-être pas de grands films. Notre grande épopée, notre dramatique aventure nous poussant à nous isoler, rester seuls sans pouvoir quitter la maison, il est difficile d’imaginer que ce huis clos puisse se transformer en un long métrage palpitant et riche.

Pourtant, elle n’en est pas moins cinématographique tant elle renvoie par certains aspect à des images vues sur petit ou grand écran. Je vous propose un (très) petit tour du cinéma imaginaire que cet inédit à ouvert en moi. 

Mauvais sang - film 1986 - AlloCiné

L’ambiance générale, d’abord, fait toucher celle particulière de Mauvais sang. Dans une moiteur semblant préparer l’apocalypse, Paris est ravagée par une nouvelle maladie.

Pas d’amour sans amour, le virus se répand sans qu’on ne comprenne encore comment, faisant planer le doutes sur les sentiments et sur les raisons qui poussent aux rapprochements. Il faut aller vite, être le premier à trouver le vaccin quitte à dérober le germe du virus au laboratoire concurrent. Pour Alex (magnifiquement interprété par Denis Lavant) et son incroyable dextérité, cette course internationale sera son salut. Vite, avant que la mélancolie n’emporte tout. Courir imaginairement dans les rues vides avec l’amour moderne de David Bowie, le confinement est une belle occasion de replonger dans la belle version restaurée du film de Leos Carax et surtout dans sa bande sonore, aussi originale que sublime.

World War Z (filme) – Wikipédia, a enciclopédia livre

Dans sa dimension internationale, cette crise n’est pas sans rappeler le road trip de Brad Pitt pour comprendre avec le spectre de chaque pays la terrible épidémie de … zombies ! Dans World War Z.

Les gestes barrières et notamment la distanciation sociale évoquent les images de la Servante Écarlate.

Jamais plus de deux, un mètre de distance, des balades contrôlées et la nécessité de laisser passer, non pas pour lutter contre un virus, mais contre la propagation de la liberté dans une société totalitaire où la femme privé de tout droit devient un outil de procréation (je signale sur le sujet le très intéressant documentaire : Tu seras mère ma fille, qui retrace 100 ans de réappropriation de la femme de son corps et plus particulièrement de son ventre -à voir en replay sur France 5-).

L'Effondrement - Série (2019) - SensCritique

L’effondrement, cette série qui lorsque nous l’avons regardée me paraissait absolument improbable voire impossible malgré le réalisme sordide auquel il nous confronte raconte comment la société s’écroule après une brutale pénurie de pétrole. Ces ambiances apocalyptiques que je ne pensais jamais vivre deviennent palpables, presque réelles.

Se rendre au supermarché est devenu aussi romanesque qu’un épisode d’Indiana Jones, la ferme autosuffisante un Éden à envier et les maisons de retraites, un mouroir infernal abandonné (cet épisode est presque prophétique de scènes rapportées par les journaux espagnols).

Pourtant, n’affectionnant pas le genre apocalyptique, j’ai le regret d’avoir épuisé toutes mes références cinématographiques.


Il restait ainsi un grand vide, un vide à combler par l’imaginaire. Quoi de mieux pour cela que les dessins animés. Rattrapant notre retard, nous nous sommes lancés dans un visionnage des pépites de l’animation que nous avions manquées. Mais bien loin de Disney, dans les dessins animés aussi, une centaine noirceur règne. 

https://snahp.it/wp-content/uploads/2020/02/another-day-of-life-movie-cover.jpg

Another day of life, d’après le témoignage dans le livre éponyme du journaliste Ryszard Kapuscinski nous plonge au cœur du confusao de l’Angola de 1975 entre image d’archives, interviews contemporaines des victimes et acteurs principaux du conflit et images animées. Le style graphique se mêle étonnamment bien avec les images d’archives, ainsi que les images filmées contemporaines, il suggère sans trop de réalisme l’essence des personnages que l’on découvre avec intensité dans les rares photographies et vidéos tournées à l’époque. On suit au plus près de la pensée du journalisme, la guerre civile (qui se révèle n’avoir rien de civile tant elle est instrumentalisée par les deux blocs de la guerre froide) qui ravage le pays, l’évolution des situations, et cet européen qui a grandi dans une Pologne déchirée par la seconde guerre mondiale. Laissant progressivement son devoir de neutralité, il accepte difficilement d’avoir un impact sur la situation, de devoir agir, quitte à cacher une partie des informations à son éditeur. Ce point crucial le fait chavirer, il était parti journaliste, il reviendra en Pologne pour devenir écrivain. La force du film tient certes à l’aspect historique de cette guerre oubliée pour une indépendance fantasmée, mais aussi à son animation qui permet à la fois de synthétiser et de toucher au plus près du réel la situation, comblant les intervalles vides des scènes d’archives, avec une vision très personnelle : les images, doublée par un discours à la première personne, se défont, se détruisent, explosent, épousant la pensée du protagoniste. Le dessin prend alors une expressivité filmique rare. Une force qu’on lui connaissais notamment grâce à la magnifique Valse avec Bachir. Mais cet objet cinématographique est atypique par le mélange de sources et de styles d’image, ce qui lui confère une intensité et une puissance impressionnante.

Cinemamed - BUNUEL APRES L'AGE D'OR | Palace


Dans un style très différent, mais rejoignant la volonté biographique et le maillage entre image animée et images documentaires filmées, le long métrage Buñuel après l’âge d’or nous permet fictivement de suivre le cinéaste surréaliste et sa (petite) équipe en el laberinto de las tortugas – titre en espagnol. Ce labyrinthe de carapaces métaphorise les hameaux aux rues serrées perdus dans les Hurdes, région très défavorisée au nord d’Estrémadure en Espagne. C’est là que Buñuel a tourné son incroyable documentaire Terre sans pain en 1932. C’est ce tournage improbable que retrace le film d’animation, le documentaire étant à plusieurs reprises donné à voir montrant ce que filme la caméra d’Éli Lotar. On découvre le cinéaste espagnol, tiraillé entre la volonté de répondre au mythe du génie surréaliste et celle de voir et donner à voir une misère sociale insupportable dans l’espoir de changer les choses. La mort rode dans ce film d’animation, tout comme l’onirisme cauchemardesque, tous deux s’invitent sans crier gare au détour d’une image, d’une libre association d’idées, des personnages rencontrés ou du film terres sans pain lui même. Plus qu’un making off du film, on se retrouve dans la tête de Buñuel, partageant autant son imaginaire, les rouages de création des images surréalistes pourtant presque inconscientes, sa phobie des poules, mais aussi et surtout, son besoin de reconnaissance artistique notamment aux yeux de son père (Dali étant en miroir de cette relation, comme une figure tutélaire à admirer et à tuer pour la dépasser, montrant toute l’ambiguïté de cette amitié.)


Le surréalisme n’est pas complètement absent du très beau J’ai perdu mon corps. Comment ça, ma transition serait tirée par les cheveux ? Une main s’y balade, d’abord accompagné d’un œil bientôt crevé (comme dans Le chien Andalou ?), à la recherche du reste de sa chair, tantôt attaqué par des fourmis (si avec ça, on ne pense pas à Dali…), tantôt dans un nid avec des œufs (toujours pas ?), avant de tordre le coup au pigeon maman venant protéger ses oisillons à naître. Pourtant, malgré ce début étrange et inquiétant, cette main sans corps ne fait jamais virer le film dans le genre de l’horreur ou de l’angoisse. En effet, le caractère très poétique du film rendent ces scènes très émouvantes et cette main seule va devenir véritablement le personnage central de l’histoire pour qui va naître une véritable empathie et offrir des scènes d’une réelle beauté (notamment la scène du briquet, celle où la main vole seule attaché à un parapluie, ou celle où elle s’accroche au grillage rappelant l’iconographie forte de l’enfermement). Une chorégraphe belge fait elle aussi de la main un objet expressif et un personnage de danse à part entière, Michelle Anne de May, qui signe avec le réalisateur Jaco Van Dormael une série de pièces incroyables, dont voici un extrait du premier opus : Kiss and Cry.

Comme dans ces pièces, très vite, dans le film d’animation de Jérémy Clapin, la narration se centre sur la main, mais pas seulement la main coupée, celle aussi d’avant. On pourrait presque dire qu’on voit à travers les yeux d’une main. Celle de Naoufel, d’abord enfant à qui le père explique que pour attraper une mouche, il faut viser là où elle n’est pas, et non là où elle est. Puis ses mains sur un piano, ceux sur un magnétophone pour tout enregistrer, jusqu’au plus dramatique, puis ceux sur un interphone (le son est aussi particulièrement important dans le film, tant par la bande musicale que sonore : mettre ses deux mains sur les oreilles et se balancer jusqu’à entendre ses pas marcher dans la neige) d’une pizza livrée avec trop de retard et trop accidentée pour être acceptée. Puis les mains sur un téléphone pour composer le numéro de celle à qui il a parlé lors de cette livraison si spéciale pour la retrouver, et faire vriller le destin qui promettait à Naoufel un avenir aussi raté que cette première rencontre. Comme avec la mouche, il s’agit de le piéger. Suivre son destin comme si de rien n’était, continuer à marcher droit devant, et quand il ne se doute de rien, prendre la tangente, un mouvement improbable, imprévisible. Et se dérober. Se cacher pour ne pas qu’il nous retrouve. C’est ce que Naoufel fait en suivant cette voix de l’interphone, qui le conduira à devenir menuisier, construire l’igloo rêvé et tout avouer avant d’avoir la main coupée.Cette main coupée est le signe du destin qui l’a rattrapé ? Peut-être. Mais peut-être est-ce aussi une nouvelle tangente à saisir pour enfin effacer les regrets. C’est finalement une sublime leçon de vie que ce film livre à ceux qui le laissent les bouleverser.

1res images de "L'Extraordinaire Voyage de Marona" de Anca ...

C’est un tout autre destin que nous offre L’extraordinaire voyage de Marona d’Anca Damian, celui d’une petite chienne, neuvième d’une fratrie, tâche d’encre noir sur fond blanc. Je n’aime pas particulièrement les films sur les animaux, surtout sur les chiens et les chevaux, il faut bien l’avouer. Alors le pitch de Marona qui à l’heure de sa mort va revivre son histoire et raconter ses différents humains, c’était loin de m’enthousiasmer. Mais Thierry Chèze m’avait heureusement prévenu dans La dispute du 17 janvier (il était temps de se lancer) : « Cette histoire qui pourrait être mièvre, larmoyante au possible devient par son côté visuel quelque chose d’extrêmement ludique, d’extrêmement joyeux, d’extrêmement ambitieux ». Et en effet, l’animation de ce film est juste incroyable. La ligne, toujours grandement colorée, n’est jamais illustrative, certes expressive, mais surtout mouvante, vibrante… Vivante.
L’architecture de la ville de Paris grouillante de vie dans chaque partie de l’image se transforme à l’image des œuvres de Poliakoff, Miro, Mondrian, Bosch, Matisse, Picasso (les références sont aussi omniprésentes que finement citées), nous plongeant dans un tableau moderne et dynamique. Les personnages imaginés par le bédéaste Brecht Evens, que l’on reconnaît à son style mêlant encre et acrylique dans des dessins très graphiques et colorés, se forment et se déforment, emportant avec eux les lignes de leurs visages, de leurs corps et de leurs vies (les rayures de l’acrobate – rappelant les sculptures en fil de fer de Calder et son cirque – tournoient, zigzaguent, ondulent et sinuent avec lui, les rides d’une vielle dame affiche ses rêves alors qu’elle assoupie…). Et chaque personnage emporte avec lui son style graphique et sa technique, ainsi que son univers pictural. Le rendu est absolument fabuleux.Mais en plus de cette richesse dans l’animation, le scénario est lui aussi très subtilement mené. L’écriture d’une grande finesse nous chahute d’une émotion à l’autre, les abandons de Marona sont certes très durs, mais ils ne sont jamais dramatisés. La tristesse est tout de suite contrebalancée par beaucoup d’amour et de bonheur et la tendresse générale qui en découle donne à ce long métrage une narration très sensible, à l’image de son personnage principal. Marona ne s’apitoie jamais sur son sort, cherchant toujours à rebondir (comme la balle qu’elle court chercher au plus vite pour faire plaisir à son humain et voir son visage se remplir de joie quand elle lui ramène) et inscrit dans sa boîte à mémoire toutes les joies aussi intenses qu’éphémères : avoir un nom rien qu’à elle, un humain à veiller pendant qu’il dort, un petit coin pour dormir. Car, cette chienne est aussi la narratrice et sa lucidité est un régale : «Chez les chiens, le bonheur est l’inverse de celui chez les hommes. Nous voulons que les choses restent exactement comme elles sont, les humains eux, ils veulent toujours autre chose que ce qu’ils ont. Ils appellent ça rêver. Moi j’appelle ça ne pas savoir être heureux.» Un film qui donne envie d’aimer sans retenue ses proches mais aussi tous les instants intenses de nos vies, même les plus subtiles et intimes. C’est très certainement le film d’animation le plus audacieux qu’il m’a été donné de voir, un véritable régale visuel, sonore et sensible.

Une semaine au cinéma, du 4 au 8 juin.

Cinq films cette semaine…

(… C’est leurs regards dans mes yeux, et je suis avec euuux…
Hum, pardon, j’arrête les références à Indochine).

Une semaine avec les cramés, ou plus exactement à l’AltiCiné.
Semaine de rêve car entre le 4 et le 8 juin, j’ai pas vu pas moins de cinq films, tous de qualité, et qui ont été, mine de rien, un sacré bouleversement de mes goûts cinématographiques… D’habitude j’aime les drames, pas les comédies, j’aime les films lents, très lents, où on voit les gens vivre, vraiment, juste respirer et vivre, regarder les êtres plus que les personnages… mais ça, c’était avant cette semaine, je crois…

 

Date de sortie : 2 mai 2018 (1h 07min)
De Danielle Jaeggi, Ody Roos
Genre Documentaire
Nationalité français
Présenté par Danièle Sainturel
  Ça a commencé avec Pano ne passera pas, un film de Danielle Jaeggi et Ody Roos sur mai 68, tourné en mai 68. Cet objet cinématographique nécessite toute notre attention, rien que d’un point de vue formel, se concentrer sur l’image et son demande un tel effort qu’on ne peut pas sortir du film, puisqu’il ne supporte pas la moindre seconde d’égarement. Le film se mérite. Et finalement, petit à petit, on se laisse entrer dans ce docu-fiction, malgré ces défauts. Le plus flagrant, le jeu des acteurs, parce que ce documentaire est en effet joué, n’est absolument pas crédible. Les dialogues ne sont du tout travaillés, de manière volontaire les réalisateurs ont donné un thème aux acteurs, qui improvisent dessus. Mais ça ne prend pas, ils hésitent, sont à cours d’idées, se contredisent. Et c’est assez décevant de voir ça au cinéma…

Pourtant, comme je le disais, on finit par s’attacher à ce qui fonctionne, tout d’abord, l’actualité qui semble se faire (défaire, refaire) sous nos yeux. La liberté formelle prise dans le film ensuite. Les idées n’y sont pas juste exposées, elles font partie prenante de l’esthétique du film, partant dans tous les sens, certes, mais se donnant des possibilités inédites : Passer un film sur l’esthétique du vivre ensemble d’un autre réalisateur au milieu de celui-ci, dont les décors sont le seul point commun. Filmer dans l’urgence sans vraiment savoir où l’on va. Faire une coupe au milieu d’une scène pour expliquer la censure telle qu’elle était pratiquée, et la commenter textuellement.…

Un point particulièrement fort parce que oui, le vrai sujet et le vrai intérêt du film est la censure, ces mécanismes et les grèves des journalistes et des techniciens de l’ORTF pour y remédier. La liberté d’expression s’écrit alors sur les murs, dans la rue, mais pas encore à la télévision. Et puis on pense à la télévision actuelle, aux anges, à TPMP et aux mots de Patrick Le Lay sur l’équation entre notre cerveau et le Coca-Cola, et on se demande si cette dernière s’est beaucoup améliorée.

Pano ne passera pas, est donc à la fois rude, déceptif scénaristiquement, mais très stimulant intellectuellement, jouissif dans la liberté esthétique qu’il s’offre et passionnant sur le regard historique qu’il nous livre.

La Mort de Staline

Date de sortie 4 avril 2018 (1h 48min)

De Armando Iannucci
Avec Steve Buscemi, Simon Russell Beale, Jeffrey Tambor
Genres Historique, Comédie dramatique
Nationalités américain, français, britannique.

 

 

Très stimulant intellectuellement, historiquement passionnant, traitant de la censure, le film que j’ai découvert le lendemain l’était aussi… le divertissement en plus !

Je suis d’habitude très très mauvais public pour les comédies, regardant d’un air dépité les gens riant à gorges déployés, parce que vraiment, je ne comprends pas ce qui est drôle. Ça partait donc mal pour le film de Armando Iannucci : La mort de Staline.

Et pourtant, j’ai ri comme rarement, du début à… non pas la fin, mais presque. Parce qu’avec un brio rare, le réalisateur change le ton du film, le côté noir de la période historique qui était jusqu’alors traité avec dérision et caricature prend tout à coup tout le relief de l’enjeu politique qu’il traite.

Se basant sur la géniale bande dessinées éponyme de Thierry Robin et Fabien Nury, on est témoin à travers ce moment historique, des coulisses du système stalinien, son effrayante épuration humaine, les listes quotidiennes de personnes à arrêter, torturer, tuer, sa corruption et son système de censure extrême… et le Petit Père du peuple qui continue à l’effrayer même après l’annonce de sa mort. Si le ton est humoristique, contrairement à la bande dessinée, le ton n’enlève rien au sérieux des recherches qui ont été menées pour faire le film. Historiquement, c’est très fort.

Et d’un point de vue cinématographique, les acteurs sont fabuleux (notamment Steve Buscemi, incroyable comme toujours), les décors et l’ambiance semblent pleinement réalistes, et le scénario nous plonge dans l’histoire grâce à une intensité dramatique parfaitement maîtrisée. Le système stalinien est présenté dans toute son absurdité, grâce à un humour de situation grotesque, virant parfois même au burlesque, mais toujours de manière fine et intelligente. Le film moque pour mieux révéler les aberrations saugrenues dans lesquelles le régime plonge lorsqu’il se veut autoritaire. Le culte de la personnalité du Soviétique en prend un coup, son agonie (puisque tous les bons médecins ont été envoyés au Goulag, il ne lui reste plus qu’à mourir), sa mort et ses funérailles sont autant de moments absolument hilarants tellement le décalage entre la recherche de grandiloquence et la platitude des ambitions personnelles et politiques de chacun est aux antipodes. Les conseillers du Feu Staline n’attendent pas un instant pour conspirer, se placer et tenter de prendre la place du mort, le film montre comment ce panier de crabes va sévir, prêt à tout, non pas pour libérer le Peuple, mais pour prendre le pouvoir.

Même le générique de fin est absolument génial. Bref un grand moment.

Film américain (vo, mars 2018, 1h45)
De Chloé Zhao,
Avec Brady Jandreau, Tim Jandreau et Lilly Jandreau.

Primé au Festival de Deauville et à la Quinzaine des Réalisateurs 

 

 

 

Présenté par Marie-Annick Laperle

 

J’ai enchaîné avec The Rider, formidablement présenté par Marie-Annick.

Avant le film, j’étais partagée, autant le drame que vit ce jeune indien m’intéressait, autant les chevaux peinent à me passionner. Et finalement, c’est le contraire que j’ai ressenti.

Les conditions de tournage sont vraiment enthousiasmantes, voir au plus proche l’intérieur d’une réserve indienne, y regarder les conditions de vie mais surtout observer les gens chercher, souvent non sans difficulté, un semblant de sens à leur existence, avec un minimum d’artifice, c’est véritablement incroyable. Ce film touche un degré de réel davantage qu’il cherche le réalisme. La réalisatrice chinoise Chloé Zhao filme sans concession, non pas des personnages mais de vrais humains, abîmés par la vie. La famille Landreau y est montrée dans toutes ces difficultés mais avec une grande tendresse. Notamment la (vraie) petite sœur (Lilly Jeandrau) de l’acteur principal (Brady Jeandrau), dont on sent vite le poids de problème psychologique, sera traitée avec force, joie, et sans le moindre misérabilisme, ce qui fait d’elle le plus sublime personnage du film. Mais aussi Lane (Lane Scott, le personnage interprète lui aussi son propre rôle) l’ami, le maître, le frère du personnage, qu’on découvre après un accident qui l’a détruit et laissé tétraplégique, qu’on rencontre aussi avant, dans sa carrière de Rodéo, à travers les vidéos des exploits du cow-boy indien, des séquences filmiques toutes aussi fortes et sans un excès de pathos qui voudrait nous tirer les larmes coûte que coûte.

Henry en sortant du film disait humoristiquement que le problème des films aujourd’hui, c’est qu’on n’y fait plus la différence entre les cow-boys et les indiens. Et, sans humour, c’est un excellent résumé de l’impression qui m’a traversée et jamais quittée pendant tout le film. La culture et l’histoire des indiens, et les hommes avec, ont été tellement anéanties, piétinés, niés, démantelés, qu’ils ne savent plus ce qu’ils sont eux-mêmes. Chacun cherche alors le sens de son existence, souvent noyée dans l’alcool et le jeu pour s’anesthésier d’une réalité insupportable, se réfugiant aussi dans le rêve d’un avenir fleurissant, à l’image des jeunes de cette réserve présentés dans le film. Ils rêvent donc de devenir à l’image des colons qui les ont oppressés, cadre structurant d’une réussite aussi éphémère que destructrice, à l’image d’un rêve américain promettant la réussite de tous, une réussite aussi hasardeuse qu’exceptionnelle, devenir célèbre, coûte que coûte, vite, trop vite, jusqu’à la chute.

Ils quittent alors le costume de jeunes indiens (un costume très loin de celui à plume des westerns mais que le film ne nous permettra pas de découvrir) pour se singer en cow-boy dans tout ce que ça peut avoir de caricatural : Chapeau, bottes en cuir, lasso, drapeau américain, et forcément cheval !

Et c’est là, dans l’ambivalence du rapport au cheval que se joue l’ambiguïté d’hybridation de la culture américaine et indienne dans le film. En effet, il y a le côté traitant l’insensibilité de la relation à l’animal dans une recherche d’une productivité perpétuelle où la marchandise est traitée comme un pur produit à gagner, faute de quoi, elle sera vendue ou plus certainement amenée à l’abattoir car jugée sur le seul facteur de sa rentabilité – un aspect qu’on retrouve de manière forte dans un autre film de cheval du moment : La route sauvage, histoire cinématographique magnifique, dans lequel on retrouve, ce qui n’enlève rien à notre plaisir, Steve Buscemi évoqué plus tôt.
Mais au-delà, il y a le côté indien, plus naturel, plus sensible. On la découvre dans la relation que Brady entretient avec l’animal, une relation d’une sensibilité incroyable. Je me suis surprise à avoir été aussi touchée par les scènes de débourrage où sous nos yeux naissent la confiance conjointe du garçon et du cheval, grâce à une relation basée sur la douceur, la parole et l’écoute, mais la magie tient à la fois à l’acteur qui a des compétences dans le domaine hors du commun, et la captation très subtile de la réalisatrice.

Malheureusement, la posture sensible du film se noie dans un excès dramatique, notamment au sujet de l’animal, que la réalisatrice avait par ailleurs su éviter alors que les personnages de la sœur ou de Lane aurait pu devenir facilement des pièges. Cette lourdeur pathétique nous laisse totalement en dehors de beaucoup d’émotions du jeune homme. En effet, on se lasse rapidement du sentimentalisme et du perpétuel aboutissement larmoyant. On attend et on prévoit le drame avant même qu’il passe à l’écran puisque tout y semble toujours destiné.

D’habitude, disais-je, j’adore les films dramatiques, c’est pourtant définitivement ce caractère qui m’a fait décrocher du film pourtant plein de qualités et de très jolis moments. Si seulement il en était resté à ça…

 

Film français (juin 1935, 1h44)
de Richard Pottier
Avec Pierre Brasseur, Max Dearly, Pierre Larquey et Monique Rolland
Assistant réalisateur : Pierre Prévert
Scénario et dialogues : Jacques Prévert

 

 

 

Présenté par Danièle Sainturel

La semaine s’est poursuivie avec Un oiseau Rare, de Richard Pottier, sorti en 1935, une période où le mot slogan faisait son apparition et où il n’était pas encore compris par une grande partie de la population.

Cette comédie est à la fois une vraie surprise et une belle découverte. Le film empreinte beaucoup aux codes du théâtre. L’histoire se déroule (en tout cas dans un deuxième temps qui occupe la majorité du film) dans le huit clos d’une station de ski. L’écriture se situe entre celles de deux maîtres français des comédies scéniques à fortes charges sociales : les deux M ! Molière, à qui le film empreinte à la fois le caractère des personnages écrits comme de véritables caricatures sociales jouissives et drolatique, on retrouve notamment des caractères proches de ceux du Misanthrope ou de l’Avare, mais aussi des quiproquo et des retournements de situation fous. Et Marivaux, auteur auquel on doit l’idée d’expérience à grande échelle pour tenter de percer le mystère de ce drôle d’oiseau qu’est l’homme. On pense alors beaucoup au Jeu de l’amour et du hasard, puisque les valets se font passer pour des maîtres, et les maîtres pour des valets, mais aussi à La dispute, pièce dans laquelle une grande expérimentation est menée dès la naissance de quatre enfants pour savoir, non sans humour, qui de l’homme ou la femme à commis le premier adultère, sur une île reproduisant un semblant de jardin d’Éden. L’histoire est celle d’un riche aristocrate, la cinquième fortune de France précise-t-on, dont le valet gagne par erreur des vacances au ski, lors d’un concours de Slogan. Le noble décide de l’accompagner et de mettre en place un jeu de rôle : se faire passer l’un pour l’autre pour voir comment les hommes sont, indépendamment de sa richesse. Mais par un quiproquo, c’est un jeune marchant d’oiseau, intelligent, cultivé mais pauvre, qui va s’attirer les faveurs du personnel de l’hôtel qui pensent que c’est lui le milliardaire. Si la caricature sociale est si forte que chacun reste enfermé dans son rôle, la fin, elle, offre la liberté aux jeunes de choisir leurs destinées indépendamment des critères sociaux qui tentaient de les contraindre et les emprisonner, ce qui est un très beau coup de théâtre.

Ce qui donne aussi un côté à la fois théâtral et jouissif au film, c’est le jeu d’acteur, un jeu très expressif et enlevé qui donne aux personnages une candeur rare, on y retrouve un Pierre Brasseur encore plus jeune que dans Les enfants du Paradis (qui occupe une belle place le top 5 de mes films préférés), et Jean Tissier, les deux se partagent à merveille l’affiche.

Mais la vraie qualité du film réside dans les dialogues, ce qui n’est pas surprenant quand on sait que c’est Prévert qui les a rédigés. Ils sont véritablement écrits comme des répliques de théâtre, le mot y est toujours drôle, poétique, subtilement choisi, et le scénario est ainsi finement mené.

Le rythme, notamment basé sur le comique de répétitions, ne faiblit pas et on passe un très bon moment du générique à la fin. La blague la plus savoureuse étant la gouvernante qui ne comprenant pas le mot slogan, pense qu’il s’agit du perroquet, et ne cesse de s’étonner de la responsabilité du drôle d’oiseau dans ce drame.

Plaire, aimer et courir vite
Date de sortie10 mai 2018 (2h 12min)
DeChristophe Honoré
AvecVincent Lacoste, Pierre Deladonchamps, Denis Podalydès
GenreComédie dramatique
Nationalité français

 

 

 

Et la semaine s’est finie avec le film de Christophe Honoré Plaire, Aimer et courir vite. Je n’attendais rien de ce film, si j’avais aimé passionnément les Biens Aimés, j’avais trouvé horripilent Dans Paris, et Les chansons d’amour était la réunion de ces deux points de vue en un même film, si j’adore les passages musicaux, le reste me laisse plutôt froide.

Mais là, j’ai plongé la tête la première, complètement fascinée par le personnage de Jacques, interprété avec force par Pierre Deladonchamps. Sa manière de poser les mots, d’exprimer sa sensibilité dans la fragilité de sa voix et de ses souffles, et la manière du réalisateur de le filmer, sans rien dévoiler, juste l’observer, regarder l’intime de sa respiration sans vouloir lui imposer trop tôt une histoire, mais l’évoquer par bribes, petites touches surgissant du réel et non de l’explicatif sont fantastiques. Qui il est, ce qu’il fait dans la vie, qui est la mère de l’enfant dont il semble être le père, tout ça est seulement balayé, quasiment évacué de la première séquence. Seul l’être, ses perceptions, sensations et sentiments comptent dans les scènes d’ouverture du film et c’est magnifique. On quitte avec regret Jacques pour le jeune Arthur, (Vincent Lacoste) le film devient alors beaucoup plus bavard, moins intéressant, on regrette la froideur de glace au cœur sensible. Alors, quand le destin, ou plutôt Christophe Honoré va les réunir tous les deux, Jacques arrivera à insuffler la magie à son futur amant, et le couple fonctionne finalement très bien. On s’ennuie un peu après, on se lasse du rire un peu gras de Vincent Lacoste et on se demande parfois où l’auteur veut en venir. Mais c’est tellement beau, qu’on se laisse emporter par cette belle histoire d’amour, mais surtout par ses fabuleux personnages.

Et puis il y a la chanson magnifique : J’aime les gens qui doutent, chantée par Anne Sylvestre,

J’aime les gens qui doutent
Les gens qui trop écoutent
Leur cœur se balancer
J’aime les gens qui disent
Et qui se contredisent
Et sans se dénoncer

Ceux qui, avec leurs chaînes
Pour pas que ça nous gêne
Font un bruit de grelot

Et puis il y a les mots de Bernard-Marie Koltès tirés de « Dans la solitude des Champs de coton ».

L’absolue cruauté n’est pas qu’un homme blesse l’autre, ou le mutile, ou le torture, ou lui arrache les membres et la tête, ou même le fasse pleurer ; la vraie et terrible cruauté est celle de l’homme ou de l’animal qui rend l’homme ou l’animal inachevé, qui l’interrompt comme des points de suspension au milieu d’une phrase, qui se détourne de lui après l’avoir regardé, qui fait, de l’animal ou de l’homme, une erreur du regard, une erreur du jugement, une erreur, comme une lettre qu’on a commencée et qu’on froisse brutalement juste après avoir écrit la date.

La mise en voix comme le texte sont incroyablement forts, pourtant Arthur évacue totalement le tragique en répondant simplement et affectueusement « ça me fait plaisir que tu lises les livres que je t’offre». Comment ne pas tomber sous le charme quand sans dramatiser, les personnages se parlent, partagent, se désirent, s’aiment ? C’est très juste et très beau.

Et puis, pour conclure ce film d’une sensibilité rare, la fin est absolument sublime et achève de conquérir l’adhésion totale.

Et puis il y a la sonorité de ce titre qui nous emmène déjà dans cette folie insouciante qu’est l’amour, cette rapidité, cette vitesse fulgurante. Aimer vite, faute de pouvoir aimer longtemps, contrairement à ce que dit Louis Garrell dans Les chansons d’amour  « Aime-moi moins mais aime-moi longtemps. » On est dans ce film au contraire dans une urgence à vivre cette dernière passion. On pense alors au grand absent de ce film, celui qui m’a manqué, même si la musique choisie est parfaite… Alex Beaupain. Un film de Christophe Honoré sans le Bisontin, ça perd quelque chose.

Mais il est bien là, en creux de cette fabuleuse histoire et en résonance notamment du titre par ses chansons :

Vite, « Devant cet amour on hésite / Je voudrais qu’on s’y précipite / Vite / Tout va vite» et Couper les virages, magiquement interprétée par Clotilde Hesme.

Couper les virages
Mettre le feu au poudre
Et rouler et rouler
Beau comme l’orage
Et vif comme la foudre
S’en aller
Couper les virages
Ne plus suivre les lignes
Et rouler et rouler
Sortir de la cage
Décoller la résine
S’en aller
S’en aller

Cette chanson est né d’un projet sublime, qui a donné un livre écrit par Isabelle Monnin, Les gens dans l’enveloppe, accompagné d’un disque réalisé par Alex Beaupain, une œuvre plurielle que je vous recommande chaudement à l’approche des vacances d’été si vous ne le connaissez pas. Isabelle Monnin a acheté à un brocanteur 250 photographies d’une famille à qui elle a inventé une vie dans un roman écrit à partir de l’intimité de ces images, avant de partir à leur recherche pour rétablir une vérité, au-delà de celle de la fiction.

Quelques jours plus tard, j’ai découvert pleine d’enthousiasme le film Milla, et l’ennui qu’il m’a (mortellement ?) procuré n’a malheureusement pas su être contre-balancé par la jolie poésie qui émane du film, notamment grâce aux mots mis en voix par l’acteur, Luc Chessel. Ce n’était peut-être pas le moment après cette épopée filmique, ou peut-être que c’est moi qui ai changé, que ce film qui m’aurait beaucoup touché hier, peine aujourd’hui à me passionner aujourd’hui…

Mais restons sur cette magnifique semaine, pleine de la superbe diversité que nous offre, en général, le monde du cinéma, et en particulier, les cramés de la bobine ! Même si je n’aime pas toujours tout, c’est toujours de grande qualité.

Call me by your name de Luca Guadagnino (3)

 

Prix du jury international au Festival de la Roche sur Yon 2017, Oscar 2018 du meilleur scénario adapté, et Meilleur scénario adapté aux BAFTA 2018
Soirée débat mardi 1er mai à 20h30
Film italien (vo, février 2018, 2h11) de Luca Guadagnino
Avec Armie Hammer, Timothée Chalamet, Michael Stuhlbarg, Amira Casar, Esther Garrel et Victoire Du Bois

Distributeur : Sony Pictures

Présenté par Pauline Desiderio

Le film nous entraîne, sans qu’on le réalise vraiment, dans cet été 1983. Tout à coup, on est en Italie, il y a 35 ans, au cœur d’une maison chaleureuse, avec une famille rêvée dans un décor paradisiaque.
Quelque part en Italie, Élio s’incarne plus vrai que nature sous les traits de Timothée Chalamet. Il vide sa chambre avant d’aller à la fenêtre jeter un coup d’œil à Oliver : «L’usurpateur», brillamment interprété par Armie Hammer. Celui-ci viendra, le temps d’un été, lui voler son lit, son cœur, et laissera une marque indélébile dans sa vie. Il sera le premier, peut-être pas le dernier, mais le seul à avoir autant compté. Mais à ce moment du film, ni lui, ni Oliver, ni nous, ne le savent.

Pourtant, dès ses deux premiers mots d’Élio, la salle de cinéma, nos voisins, la fiction volent en éclat. Timothée Chalamet disparaît. Définitivement. Pour le rencontrer, le voir, il faudra regarder des interviews et se laisser surprendre à réaliser que lui et son personnage ne font pas qu’un, qu’ils sont bien différents, qu’il existe. Parce que pendant deux heures, la seule personne qui vit à nos yeux, qui crève l’écran, qui respire, joue du piano et de la guitare, nous enchante de ses mots en anglais, italien ou français. C’est ce jeune Élio, intelligent, vif et cultivé.
Il faut dire que depuis ses dix-sept ans, Timothée Chalamet a un peu grandi avec le projet de ce film.

L’histoire de ce film, c’est une histoire de coup de foudre, ou plutôt d’une multitude de coups de cœur. Celui d’abord d’André Aciman pour les personnages de son premier roman, le poussant à écrire plus vite qu’il ne l’avait jamais fait, pris dans l’urgence débordante d’un Élio alors âgé qui doit raconter l’été de ses dix-sept ans, et surtout cette aventure qui l’a, à jamais, changé.
C’est par la suite le coup de cœur de milliers de lecteurs , en 2007 aux États-Unis, dans le monde, et en France, sous le nom de Plus Tard ou Jamais, qui saluent le film pour son érotisme brut et son impact émotionnel. Il touche particulièrement deux de ses lecteurs : Peter Spears et Howard Rosenman, qui en achètent les droits, avant même la sortie du roman, ayant la chance d’avoir découvert le livre en avant-première.  Le premier expliquera ce choix :

«Il fait vibrer la corde sensible de ceux qui le lisent parce qu’il évoque non seulement le premier amour, mais également l’empreinte indélébile qu’il laisse et la douleur qui lui est associée. Ce que tout le monde peut comprendre, indépendamment de son âge ou de son orientation sexuelle. »

Le projet va alors mettre huit ans à voir le jour, ils contactent des réalisateurs et des acteurs, sans réussir à stabiliser une équipe claire. Ils se tournent finalement en 2008 vers l’actuel réalisateur : Luca Guadagnino qui leur semble garant de retranscrire une authenticité italienne dans le film. Mais le réalisateur qui travaille alors à son long-métrage : Amore, décline l’offre, acceptant cependant de repérer les lieux de tournage. La réalisation est confiée en 2014 à James Ivory, mais très vite Luca Guadagnino le rejoint à l’écriture.

Le scénario fini, malgré une production internationale (Americano-Intaliano-Franco-Brésilienne), le budget du film doit être revu à la baisse afin d’être divisé par trois. C’est alors que James Ivory est invité à quitter le projet, il sera crédité seul au scénario, alors que Luca Guadagnino en assurera la réalisation. Des changements sont alors opérés.
La Lombardie remplacera la Ligurie côtière du livre. Le réalisateur tourne tout près de chez lui, dans la ville de Créma, ce qui lui permet de rentrer chaque soir à la maison. Le lieu accueillera 5 semaines avant le début du film Timothée Chalamet pour y consolider son jeu du piano et de la guitare (les scènes musicales ne sont pas doublées, et c’est un véritable régal de le voir s’exercer à l’écran) et y apprendre l’italien.
Les scènes de nus explicites sont retirées du scénario, ce qui est pour James Ivory un véritable scandale. Il dénonce une censure puritaine.
La voix off, reprenant l’idée du livre d’un Élio vieux qui raconte à posteriori cette histoire est supprimée. L’émotion est donnée sans le filtre de la description, ce qui fera dire à l’auteur du livre, Aciman « Waouh, ils ont dépassé le livre ».
Le réalisateur ne veut aucun filtre entre la caméra et l’émotion des personnages, et c’est là, la grande réussite du film. Il impose alors à son directeur de la photographie de n’utiliser qu’un objectif à focale fixe, en pellicule de 35 mm. Il explique :

« J’aime les limites. (…) Je ne voulais pas que la technologie interfère avec la trame émotionnelle du film. »

Le résultat est saisissant, certaines scènes sont floues, d’autres ont un cadrage parfois tranchant tant la caméra semble proche de son sujet. Le charnel prend le dessus sur l’image, ajouté à la prise de son et à la performance d’acteurs, le spectateur peut sentir les corps vibrer, les peaux s’appeler, les souffles se retenir. Il rentre dans la peau des personnages tant la photographie rend forte l’empathie. Lorsque Oliver prend par exemple le train, disant « Adieu » à Élio, on voit la mâchoire du jeune homme se déformer tant l’air semble déjà lui manquer, et la douleur nous prend au même endroit.

La performance des acteurs rend alors absolument bouleversant le film, Élio a su s’effacer totalement dans son personnage, en épouser l’intelligence, la bonté, la souffrance. Il a beaucoup influencé le scénario. On doit notamment à l’acteur Franco-Américain la pénétration du français dans le film et l’origine hexagonale d’une partie du Casting ( Amira Casar et Esther Garrel).
L’aspect polyglotte déjà présent dans le livre, se renforce alors d’une langue additionnelle à l’anglais et l’italien. Le grec ancien et l’allemand s’ajoutent à cet univers multiculturel ouvert sur le monde et sur le temps, dans une espèce d’hédonisme voire d’épicurisme éternel, où la jouissance de la nature, du savoir, de la culture et de l’autre semblent la seule chose qui compte. Les références artistiques, littéraires, musicales, philosophiques abreuvent le film sans jamais être gratuite, pompeuse ou élitiste.

À l’image du personnage d’Oliver, venu des États-Unis pour passer l’été dans la maison d’un chercheur Italien, il profite du cadre sublime pour, à la fois, finir la rédaction d’un texte sur Héraclite, jouir de la fraîcheur de l’eau et de la nature, enchaîner les parties de Poker, devenant ainsi magiquement ami avec les vieux du village, et se laissant aller au plaisir charnel féminin ou masculin, quitte à tomber amoureux et se laisser prendre au piège des sentiments sachant qu’il doit partir car sa vie est ailleurs. Armie Hammer s’incarne parfaitement dans cet éternel étudiant, acceptant de redevenir un adolescent pour les quelques semaines de cet été, avant de se marier et devenir définitivement adulte. Cet été-là, il répondra au nom d’Élio, et Élio répondra à son nom.
Quand

Quant à la fin du film, il appellera le jeune homme pour lui annoncer, après des mois sans lui avoir donné de nouvelles, qu’il se marie, son amant répétera ce mantra « Élio, Élio, Élio, Élio », jusqu’à ce qu’Oliver l’appelle à son tour « Oliver » reprenant alors le jeu de leur amour estival, trace de la marque indélébile de leur histoire.

Mais, Call me by your name, c’est aussi un très bel hommage au père, Aciman, l’auteur du roman raconte qu’il a eu des parents géniaux, et qu’il est sûr qu’à pareille situation, son père aurait dit mot pour mot, ce que M. Perlman dit à son fils pour le consoler. Incarner par le fabuleux Michael Stuhlbarg, le personnage fait alors un éloge sublime de la douleur. La douleur n’est alors plus à percevoir comme négative parce qu’elle est la trace de l’expérience incroyable qui a été traversée. Il faut la cajoler, car sinon, on arrache avec elle tout ce qu’il y a pu avoir de bon, comme aime le résumer Timothée Chalamet.
Durant tout le film, accompagné de tous les autres personnages allant dans le même sens que lui, Michael Stuhlbarg incarne la bonté à l’état pur, cette bonté qui n’évitera pas la souffrance, mais qui saura la consoler quand elle arrivera, une bonté qui consiste à profiter pleinement des choses qui arrivent, car la force de ce que chacun ressent doit être chérie et non jugée. Une véritable leçon de vie. Il est le père, comme le dit Luca Guadagnino que tous rêveraient d’avoir.
Mais c’est aussi un hommage que Luca Guadagnino dit livrer à ses pères de Cinéma : Renoir, Rivette, Rohmer et Bertolucci. Il glisse aussi dans la bouche d’Esther Garell les mots de son père : « Amis pour la vie. »

C’est pour finir, le coup de cœur de milliers de spectateurs qui se sont surpris à tomber amoureux, comme quand ils avaient dix-sept ans, revivant toutes les émotions de leur première histoire d’amour ; comme s’ils avaient dix-sept ans sentant leurs poils se dresser comme ceux d’Élio, leur cœur se serrer de le voir souffrir de l’attente, le souffle manquer, et finalement les larmes monter comme celle de ce fabuleux acteur, laissant l’émotion à nouveau le déborder sur la sublime musique de Sufjan Stevens : Visions of Gideon.

Je fais partie de ces spectateurs qui n’ont pas tenté d’intellectualiser « cet univers trop beau », l’âge ou le genre des personnages mais qui se sont laissés envahir par son flux d’émotions brutes, d’une sensibilité et d’une justesse extrême, et par la beauté de ses personnages : ces deux jeunes amoureux prêts à tout pour vivre ces quelques semaines comme une magnifique parenthèse, les parents d’Élio qui choisissent de fermer les yeux et apporter des mots et des gestes réconfortants le moment venu pour ne rien abîmer, et Marzia, qui à l’image de Nathalie dans Les Enfants du Paradis– ce qui fait du personnage interprété par Maria Casares le plus beau protagoniste de Marcel Carné – a confiance, terriblement confiance, parce qu’elle, elle restera pour partager la petite vie de tous les jours, la vie simple et belle qu’Oliver va lui aussi retrouver, avec sa future femme. (Comme semble le dessiner la suite, au prochain épisode).

J’espère que vous vous êtes laissé chavirer par cette sublime histoire d’amour, car comme le disait Prévert : « Les seuls films contre la guerre sont les films d’amour ». Se montrer sensible à une telle histoire serait alors, peut-être, un petit acte de résistance face aux discriminations et à certaines barbaries contemporaines.

 

Gaspard va au mariage, Antony Cordier

Gaspard va au mariage

De Antony Cordier

Avec Félix Moati, Laetitia Dosch, Christa Théret, Guillaume Gouix, Marina Foïs, Yohan Heldenbergh et Élodie Bouchez

Film français (janvier 2018, 1h43)

Distributeur : Pyramide

 

On entre dans ce film comme Laura va au mariage, en se laissant aller de rencontre en rencontre, de coup de cœur en coup de foudre, du bonheur de recevoir une viennoiserie à la folie de s’enchaîner aux rails d’un train… Mais pas trop longtemps, car il faut le saisir ce train qui nous entraînera loin, très loin de nos horizons bouchés par l’affligeante banalité de notre vie morose. Laura nous emmène au zoo, voir de drôles d’animaux aux personnalités flamboyantes et aux pelages chatoyants.

L’histoire, les personnages, le décor, tout est absolument improbable.

Pourtant, dès les premières secondes de films, on plonge la tête la première dans cette fiction totalement barrée, sans jamais se poser de questions, sans jamais douter, sans jamais en sortir, sans jamais vouloir en sortir.

À quoi tient le charme ? Se demande-t-on quand la lumière se rallume.
La réponse est d’une simplicité évidente : la sincérité.

Antony Cordier a fait ce film avec une telle sincérité qu’on y croit pleinement, les acteurs le jouent avec une telle authenticité qu’on oublie que ce n’est pas leur histoire qu’ils interprètent – Félix Moati est adorable dans ce rôle de rêveur, Laetitia Dosch absolument rayonnante dans ce rôle de fille paumée d’une rare luminosité, Christa Théret nous fait vivre dans la peau de cette femme ours sublime, et Johan Heldenberg est incroyablement génial en chef de zoo et de meute délurée – et même les personnages sont d’une telle véracité dans leurs excentricités, dans leurs sentiments et dans leurs mots qu’il est impossible de ne pas succomber à leurs défauts charmants et leurs folies douces.

Plus qu’une franche comédie qui nous tire les rires du nez, la palette d’émotion que nous fait traverser le film est celle que parcourent aussi les personnages, car un tel acte de sincérité de toute part amène le spectateur à une empathie totale avec ce qui leur arrive. On aime alors regarder Laura tomber, mine de rien, amoureuse de Gaspard, on est surpris de le voir tout étonné quand après qu’elle se soit laissée renifler, elle lui suggère de faire jouer son ingéniosité pour passer l’excitation seule, on est charmé par le vieux Max quand il tente maladroitement de quitter ses conquêtes par téléphone, finissant par placer l’objet au micro-ondes, on a envie de grogner en sentant l’appel de la nature nous saisir à la vue de cette femme ours jalouse de sa future-belle-sœur, on a envie de renifler, sentir, vivre, vivre, vivre, comme le font Laura, Gaspard, Colline, Max et Peggy. Vivre comme si nous n’avions peur de rien, comme si la vie s’offrait enfin à nous dans l’improbabilité des possibles qu’elle nous promet. On se sent bien dans ce zoo, et dans cette famille.

Pourtant, tout n’y est pas rose, les rapports familiaux sont parfois très tendus, Virgil, incarné par Guillaume Gouix, l’acteur ayant été choisi pour sa faculté à tout rendre réel quand celui qui incarne son frère Félix Moati est si lunaire qu’on croit parfois rêver avec lui, Virgil dit par exemple à Gaspard, son petit frère, celui qui a toujours été le préféré que son succès était immérité, allant jusqu’à affirmer : «je ne t’aime pas». Les mots sont durs, violents, comme ceux qu’on a avec nos frères et sœurs quand on sait que toute vérité instinctive peut-être dite car jamais rien ne pourra briser le rapport du sang. Et alors, malgré la dureté des mots, la dureté des maux, la parole est dite et semble aussitôt pardonnée.

Les rapports ne sont pas plus simples entre Félix et sa sœur tant le rapport de séduction entre eux semble être et avoir été destructeur, mais jamais l’auteur ne tombe dans le facile, le scabreux ou le dérangeant, l’amour entre ces deux-là et d’une beauté interdite qui restera subtile sans passage à l’acte charnel. Jamais le film ne tombe dans la vulgarité, la finesse est le maître mot du film qui lui donne son ton si particulier et son timbre si délicat.

Les rapports entre le père et ses enfants sont aussi compliqués, ils semblent tout partager les uns avec les autres, l’absence de pudeur sur les questions de nudité, l’assiette dans laquelle tous ensemble ils vont manger, les détails sexuels des aventures extra-conjugales paternelles, ils partagent tout au point qu’il semble difficile pour chacun de vraiment trouver sa place.

Et puis, il y a le sujet du Zoo, le zoo qui est à la fois le souvenir d’enfance rêveur du réalisateur qui se souvient avoir eu enfant un livre narrant la vie de Claude Caillé, créateur du zoo de la Palmyre, le fils de cet aventurier n’avait pas de peluches mais de vrais fauves comme animaux de compagnie. Au-delà de ce souvenir, le zoo est un formidable réservoir de fiction puisque le réalisateur a pu y faire grandir des personnages hauts en couleur qui n’auraient jamais pu être crédibles ailleurs. Pourtant, comme le dit Antony Cordier, le zoo offre une approche animale qui déplace les limites de l’éros. Il explique que dans beaucoup de film de zoo, l’inceste est sous-jacent, comme dans le film de Peter Greenaway, Zoo, A Zed and Two Noughts. Et en effet, en sortant, une référence m’a envahie, non pas au cinéma mais au théâtre : Wajdi Mouawad qui avec sa pièce Forêts, nous entraîne dans une famille ayant voulu recréer un Zoo comme arche de Noé fuyant les atrocités du début du XXe siècle, mais qui se confronte à la question de l’inceste de manière déchirante et dramatique dans une tragédie comme aime les mener le libano-québecois.
Pourtant le zoo est aussi aujourd’hui, où notre rapport à l’animal change, le symbole de la fin d’une époque, on cesse de regarder les animaux comme des bêtes de foire et on leur accorde des droits de plus en plus humains. Mais le Zoo n’est pas juste, comme on pourrait le penser, un lieu d’exhibition d’animaux rejouant un orientalisme, mais, dans notre époque sinistrée par les extinctions d’espèces, il est aussi un lieu de protection quand faute de pouvoir les préserver à l’état naturel, on peut au moins, paradoxalement, les sauvegarder en «milieu artificiel».

Ce zoo polymorphe est à l’image du film allant dans une multitude de directions et épousant une pluralité de thème. Alors, sous l’apparente spontanéité de l’univers, le travail du réalisateur s’est révélé très compliqué, puisqu’il fallait mener dans une même narration le retour d’un fils prodigue, une histoire d’amour naissante, celle incestueuse d’un frère et une sœur, un mariage finalement annulé et un zoo mourant.
Il a de plus été difficile de trouver les producteurs nécessaires tant le projet semblait irréaliste, sept ans se sont écoulés entre son film précédant et celui-ci pour cette raison.
Et en parlant d’irréalisme, il a fallu aussi concilier la réalisation très réaliste d’une part et la magie du conte de fée d’autre part.
Ces difficultés de tisser tous les liens ont été résolues par la présence très forte de la structure du film. L’histoire se déroule en quatre chapitres, présentant chacun un personnage. Avant d’être coupé au montage, un cinquième chapitre était consacré à Peggy. Un personnage rendu, pour le réalisateur, intéressant par sa profession, car le vétérinaire est dans un zoo celui qui aime les animaux mais que les animaux n’aiment pas. Ainsi Peggy aime sans rien attendre en retour. Cette analyse d’une subtilité incroyable transparaît de manière si délicate dans le film qu’elle est quasiment imperceptible, sublimée.

Et on découvre, à la lecture ou à l’écoute du réalisateur, que tout le film à ce niveau de finesse, que les références à la mythologie (cerbère, le chien à trois têtes condamnant ce zoo et ses animaux à la mort), au cinéma (Pauline va à la plage, d’Erci Rohmer, Margot va au mariage, de Noah Baumach, Princesse Mononoké, d’Hayao Miyazaki), etc., rien n’est choisi au hasard. Il explique par exemple, au détour d’une explication sur la citation de Peau d’âne, que comme le personnage de Jacques Demy incarné par Catherine Deneuve s’enlaidit d’une peau d’âne pour échapper à l’amour de son père, Colline se cache sous une peau d’ours pour essayer d’être repoussante aux yeux de son frère qu’elle ne peut s’empêcher d’aimer. Son frère, Gaspard de la même manière va saboter son potentiel génie pour n’être enfin plus désirables aux yeux de sa sœur qu’il aimera infiniment. C’est aussi pour cette raison qu’il entraînera Laura dans cette loufoque aventure voyant en elle celle grâce à qui il pourra potentiellement dire :

Je suis sauvé « car le plus important dans la vie c’est de trouver quelqu’un qu’on aime plus que sa famille ».

Elle réussit le test avec brio et est aussi la seule qui va sortir indemne du film, la seule à continuer la route qu’elle s’était tracée, quand tous les autres ont fini par accepter de se décharger des poids de Sisyphe qu’ils s’imposaient de porter.

Le dernier fil qu’à tirer le réalisateur pour tisser le désir de cette famille est celui du dessin. Le trait est d’abord celui de la mère sur le visage de Gaspard, puis le sien sur le dos de sa sœur dans une scène d’une sensitivité incroyable, puis ceux d’un Okapi tatoué sur le buste de Max à côté du nom de Peggy et enfin celui de la tatoueuse végétarienne que Virgil choisit d’épouser.

L’infinie beauté et tendresse ne cessent de nous surprendre et de nous toucher durant le film et encore longtemps après.

Alors, laissons les derniers mots à la Tendresse chantée par Bourvil.

Dans le feu de la jeunesse
Naissent les plaisirs
Et l’amour fait des prouesses
Pour nous éblouir
Oui mais sans la tendresse
L’amour ne serait rien
Non, non, non, non
L’amour ne serait rien

Quand la vie impitoyable
Vous tombe dessus
On n’est plus qu’un pauvre diable
Broyé et déçu
Alors sans la tendresse
D’un cœur qui nous soutient
Non, non, non, non
On n’irait pas plus loin.

Pauline

 

Ciné d’ailleurs,vu par Pauline

 Trois petites critiques de très beaux films (je vous épargne donc celle de Wonder Wheel) que j’ai eu l’occasion de voir à Avignon et que je vous recommande vivement. Les voir, tous trois, passer à Montargis me laisse rêveuse…

Lady Bird
Lady Bird

De : Greta Gerwing

Avec : Saoirse Ronan, Laurie Metcalf, Tracy Letts, Lucas Hedges, Timothée Chalamet

Aller voir Lady Bird, c’est comme prendre place à bord d’une machine à voyager dans le temps. À voyager dans son propre temps…
Car même si les époques différent, on se retrouve à revivre notre propre adolescence, cette dernière année de lycée, ce moment si particulier où tout s’emballe. Les nouveaux amours, les amis qui comptent plus que les apprentissages et surtout, surtout, l’orientation. Rêver de rester, de partir, d’université, de culture, d’ailleurs…
Tout va se jouer, rien n’est fait, tout est encore possible et il s’agit de profiter de cet instant de félicité.
Le film nous entraîne dans l’univers de cette renommée Lady Bird qui a besoin d’affirmer sa singularité pour avoir l’impression d’exister, exister pour elle, et enfin, peut-être trouver le sens de son être au monde.
Mais y-a-t’il vraiment un sens ?
J’ai été cette Lady Bird. Et à entendre les critiques, je ne suis pas la seule. Nous avons tous un peu été une Lady Bird, dans cette recherche de soi. Quand il a s’agit de tout faire pour être unique quand parfois, souvent, c’était la seule chose rassurante à affirmer.

« Je veux que tu sois la meilleure version de toi-même. » dit la mère de Lady Bird.

Faute d’être la meilleure version de soi, être la plus singulière.

La Forme de l'eau - The Shape of Water

 

La Forme de l’Eau,

De : Guillermo del Toro

Avec : Sally Hawkins, Doug Jones, Michael Shannon, Richard Jenkins, Michael Stuhlbarg

 

Plonger dans l’univers d’Elisa, une femme de ménage muette qui va faire confiance pour la première fois, aimer et aider la seule personne qui va la voir comme un être à part entière. Et qu’importe si elle n’est pas humaine.

La photographie et l’interprétation sont absolument sublimes, on est totalement immergé dans cet univers fantastique et aquatique, les décisions des personnages ne sont jamais hasardeuses ou scénarisées, elles sont le fruit d’un cheminement d’une rare richesse et justesse. C’est redoutablement efficace. Pendant deux heures, on est au cœur de cette histoire d’amour improbable qui semble pourtant incroyablement réelle quand elle est mise en scène par Guillermo del Toro.

 

Call Me By Your Name

 

Call me by your name

De : Luca Guadagnino

Avec : Timothée Chalamet, Armie Hammer, Michael Stuhlbarg

Ça faisait longtemps, très longtemps, que je n’avais pas été bouleversée comme ça au cinéma. Cette histoire d’amour, et qu’importe qu’elle soit homosexuelle, touche à une universalité de la passion tellement humaine…. Chaque souffle, chaque toucher, chaque regard nous couvrent d’empathie de manière incroyable. À travers Elio, c’est toutes les sensations qui traversent notre être lorsqu’on tombe amoureux, lorsqu’on vit une passion dévorante, que l’on revit avec une puissance fulgurante. Et c’est fascinant. Le cœur s’accélère, la gorge se noue, les yeux se chargent de larmes… Le réalisateur a su transmettre toutes ces émotions, non pas avec des mots comme dans le livre dont il est tiré, mais avec des sensations brutes. La caméra est proche de son sujet au point de toucher un point d’intime fabuleux. Et la performance de Timothée Chalamet tient à la virtuosité. Il fait exister Elio, et avec lui, tout ce que l’on ressent quand on sent grandir le feux dévorant des sentiments pour l’autre. C’est tellement fort. Du reste, le cadre du film (une Italie érudite et luxuriante), la vibrante musique de Sufjan Stevens  et la beauté du personnage du père sublimement interprété par Michael Stuhlbarg nous font définitivement basculer dans cet univers. On aimerait que ça ne finisse jamais.
J’en tremble encore.

« 3 Billboards, Les Panneaux de la vengeance » de Martin McDonagh

 

 

Durée 115 mn

.Nationalité : Grande-Bretagne – Etats-Unis

Avec Frances Mac Dormand (Mildred Hayes) , Woody Harrelson  (Bill Willoughby) , Sam Rockwell…

Genre Drame

Nationalités : Britannique, Américain
Synopsis : Après des mois sans que l’enquête sur la mort de sa fille ait avancé, Mildred Hayes prend les choses en main, affichant un message controversé visant le très respecté chef de la police sur trois grands panneaux à l’entrée de leur ville.

 

Après avoir fait sensation au BAFTA en ne remportant pas moins de quatre prix, je ne voudrais pas que Three Billboards Outside Ebbing, Missouri, renommé en français Les panneaux de la vengeance, échappe à un article sur le blog des Cramés de la Bobine, je veux dire un vrai article, un plein article. Un article où lui seul a la vedette. Car il le mérite.

Ce film nous présente les trajets de vie de trois personnages d’Edding, une petite ville du Missouri, essayant tant bien que mal de trouver des réponses et un sens aux éventements traumatiques qui les a touchés. Le scénario se cristallise autour de trois panneaux dont le rouge va faire saigner cette petite route déserte du centre des États-Unis, panneaux dont la violence va trancher avec la tranquillité des paysages brumeux et impassibles, panneaux incriminant la police, et notamment son chef, de ne pas avoir arrêté le bourreau d’ Angela Hayes, violée et assassinée sept mois auparavant.

Dans un film classique, les personnages de la petite ville se demanderaient : « Mais qui a bien pu poser ces panneaux ??? », une enquête serait menée et à la fin du film, on trouverait le coupable. Mais pour son réalisateur, Martin McDonagh, la question n’est pas de savoir qui est coupable, ni pour les panneaux, ni pour le meurtre, mais comment on survit au traumatisme.

Et en effet, pas la peine de se demander qui a commandé cet affichage funèbre, puisque la réponse est évidente, la police, les élèves du lycée, les médias qui viennent l’interroger le savent, seule la mère d’Angela, Mildred Hayes est capable d’un tel passage à l’acte. Et même elle, lorsqu’elle est interrogée ne s’en cache, elle veut faire avancer l’enquête, que le criminel soit enfin trouvé, arrêté et jugé et pour se faire, l’omniprésence médiatique est sa seule arme pour que l’affaire ne sombre pas dans l’oubli.

Cette femme, dont l’interprétation de Frances McDormand est absolument remarquable – on a eu la chance pendant le week-end de rétrospective des frères Cohen de la voir dans des films déjantés tels que Sang pour Sang et Burn After Reading, elle livre ici une prestation subtile et dramatique – a une révélation en empruntant sa route quotidienne, celle où sa fille a été violée pendant son agonie avant de mourir. Utiliser les vieux panneaux publicitaires abandonnés quand cette route a arrêté d’être fréquentée et mettre en valeur pour y inscrire les messages : « RAPED WHILE DYING », « AND STILL NO ARRESTS » et « HOW COME, CHIEF WILLOUGHBY? » (« VIOLÉE PENDANT SON AGONIE », « TOUJOURS AUCUNE ARRESTATION » et « POURQUOI, CHEF WILLOUGHBY ? ». Elle va donc faire une offre que le publicitaire propriétaire des panneaux ne peut refuser (pour l’argent mais aussi par empathie, cette histoire a vraisemblablement marqué douloureusement toute la ville).

C’est comme ça qu’elle se lance dans ce qu’on pourrait appeler la BillboardsGate, sans vraiment réaliser la souffrance qu’elle va occasionner, ou pire, en la faisant passé au second plan. Au second plan de sa douleur, de son désir de justice, de son besoin de savoir qu’on n’oublie pas.

Car, certes les policiers incriminés vont en souffrir, la ville va la détester, mais c’est sur les amis de Mildred, le publicitaire, et surtout son fils que ça va retomber.

Son fils, qui fait face à la mort de sa sœur, explique ainsi au révérend qui vient faire la morale à sa mère, que la journée a été difficile au lycée, que les élèves sont choqués du comportement de sa génitrice et lui font payer à lui. Mais là n’est pas le plus important, il souffre lui-même de ces panneaux. Il explique dans une magnifique scène de huis clos forcé par les trajets en voiture sur cette fameuse route, que leur présence, plusieurs fois par jour, le ramène aux conditions horribles dans laquelle sa sœur a été tuée, détails qu’il aurait préféré ne pas connaître. Sa souffrance est immense, mais contrairement à sa mère qui explose de violence, il se replie dans sa coquille et essaye de ne pas faire de vagues qui dévoileraient sa colère. Pour éclairer les rapports entre lui, sa mère et sa sœur une scène de flash-back nous donne à voir ce qui s’est passé juste avant le meurtre. Ce qui aurait pu être une scène de dispute banale avec l’éclairage que nous connaissons de la fin qu’elle va prendre, devient terrible. Difficile pour la mère de ne pas culpabiliser quand elle a laissé partir sa fille à pied en lui disant « J’espère aussi que tu te feras violer. » Cette phrase résonne. Pour le spectateur, pour cette mère, mais aussi pour son fils qui l’a entendu, qui sait, et qui sait aussi que la dernière chose que lui a dite sa petite sœur c’est « Pourquoi n’es-tu jamais de mon côté ? ».

Mais le réalisateur n’en rajoute pas, il laisse juste cette brèche ouverte. La violence de cette famille est autrement plus compliquée. Notamment par le père des enfants, un policier violent, qui a visiblement tâché de se racheter une conduite en s’amourachant d’une gamine et en convainquant sa fille de venir vivre avec lui. Et ces panneaux vont inévitablement le toucher et le ramener dans la vie de Mildred, ce qu’elle avait cru pouvoir éviter…

Pourtant, si des plaintes sont posées et que tous lui en veulent, elle n’est étonnamment pas inquiétée par le chef de la police qu’elle cite pourtant nominativement sur un panneau. Et c’est là, la grande force du film : ne pas tomber dans les clichés, jamais. Les choses sont toujours radicalement différentes de ce qu’on connaît, et de ce qu’on s’imagine, comme dans la vie. Et si c’est souvent une grande force, c’est malheureusement aussi de ce côté que le film pêche un peu. Certains lui ont trouvé des lourdeurs, je préfère penser que le film a un problème de rythme. Que trop de choses sont amenées et que le réalisateur aurait pu arrêter le film avant. Mais en étant tout à fait honnête, oui, on doit pouvoir appeler cette démesure lourdeur… À chaque rebondissement je priais pour que le film s’arrête tellement on avait atteint une justesse qui inévitablement retombera comme un soufflet si on continue à souffler sur les braises de cette tragédie déjà trop développée. Et pourtant, à chaque fois Martin McDonagh arrive à nous faire découvrir une réelle subtilité amenée précisément par cette démesure. C’est fort. Très fort.

Alors même si je n’ai pas été toujours d’accord avec l’ajout d’un événement, finalement, en comprenant la possibilité sous-jacente qu’il implique, je ne peux que m’incliner.

Et pour l’expliquer, il ne me reste qu’à développer les deux autres personnages principaux.

Face à ce personnage de Mildred Hayes, il y a donc la police, et plus particulièrement deux hommes : le chef de la police : Willoughby, respecté de tous et mourant, et le policier américain lambda (non ce n’est pas à souhaiter) : violent, raciste et alcoolisé : Dixon. On a donc le bon policier et le mauvais policier… – Ça aurait pu être un sketch des inconnus, le bon policier, bon il mène son enquête et il boit, alors que le mauvais policier, il fait son enquête et bon, il boit !

Mais non, aucune caricature. Il faut s’enfoncer dans le film pour comprendre les subtilités des rapports entre ces deux-là.

Le film s’attarde d’abord sur le personnage de Willoughby, le chef de brigade, celui qui est responsable de l’enquête qui n’aboutit pas. Mildred cite son nom sur les affiches sans pourtant sembler avoir vraiment quelque chose à lui reprocher. Alors, il va venir la voir, lui expliquer une fois de plus qu’il n’y a pas d’élément et que dans ces conditions, l’enquête ne peut aboutir. Il est à l’écoute, presque réconfortant. Il finit par lui dire qu’il est mourant, espérant ainsi trouver chez elle l’empathie qui lui fera enlever ces panneaux. Qu’il puisse mourir en paix, sans ombre au tableau, en tout cas publiquement parce qu’il aurait vraiment aimé résoudre cette enquête. Mais alors là, elle lui rit au nez en lui répondant que toute la ville le sait, et que ce n’est pas ça qui va l’arrêter.

Alors, pour que sa famille ne le voie pas décliner, il décide de mettre fin à ses jours, finir dignement, dans la joie d’une belle journée arrosée et en famille. Et dans un rebondissement génial, il explique dans une lettre à Mildred qu’il a payé pour que les panneaux continuent à afficher son inaptitude à boucler l’affaire. Il dit le faire avec beaucoup d’humour pour que tout le monde la pense coupable de son suicide, mais on sent bien qu’il l’a fait à la fois pour se racheter de son impuissance et parce qu’il a entendu la démarche de Mildred. Cette affaire lui tient à cœur, et plus elle fera parler, plus la police aura une chance de coffrer le meurtrier. Ce sera son dernier geste dans l’affaire, comme un coup de pouce posthume. Et en effet, par deux fois, titillé par la médiatisation, un odieux personnage va se mettre dans la peau du tueur pour titiller son ego et se faire mousser. C’est lui le vrai méchant de l’histoire.

Et non pas cet horrible policier, réputé pour avoir tabassé des noirs parce qu’ils étaient noirs – comme quoi, Détroit, bien que film historique résonne toujours fort dans l’actualité du pays. Mais petit à petit, la personnalité de ce Dixon s’affiche dans ses failles et ses faiblesses. On le pardonnerait presque d’être violent et raciste aux vues de cette mère castratrice, violente (c’est elle qui lui souffle presque toutes ses mauvaises idées) et elle aussi alcoolique. Les chiens ne font pas des chats…

À l’annonce du suicide de son chef, qui on le comprend, est plus qu’un simple patron mais un véritable mentor qui le tient et le maintient à son poste pour ne pas qu’il plonge définitivement, il décide d’agir, de prendre les choses en main, «d’être un bon flic, d’aider les gens.». Et là. À l’écran, chose géniale qui ne se passe que trop rarement, la voix off est totalement opposée à ce qui se passe sur l’écran. Le personnage explique qu’il va être honorable, et on le voit dans un débordement de violence défenestrer le propriétaire des panneaux. Il n’a pas besoin de le chercher bien loin puisque son bureau est en face du sien. Il est fier de son acte, il explique même à sa victime «Tu vois, j’ai des problèmes avec les blancs aussi…». Ensuite, en effet, ça déborde de tous les côtés, il est viré, quelqu’un brûle les fameux panneaux, et Dixon se retrouve dans le commissariat alors que Mildred y met le feu.

Mais, comme je le disais, cette lourdeur n’est pas totalement veine, parce qu’il lit la lettre que son feu mentor lui a écrite pour lui dire qu’il pouvait devenir un bon flic, et qu’il avait besoin qu’enfin quelqu’un lui fasse confiance. Et à partir de là il va se donner totalement pour améliorer les choses. Pour commencer, il sauve le dossier (en effet bien maigre pour un homicide sur une adolescente) des flammes. Ça aurait pu être niaiseux, plein de bon sentiment, mais non, quand Mildred le voit, le visage et le corps brûlé, et découvre qu’il a sauvé le document, on comprend, sans le moindre mot, sans le moindre regard, qu’elle lui pardonne. Le film aurait pu (dû ?) s’arrêter là. Mais non, il se retrouve dans la même chambre que celui qu’il a lui-même défenestré, et il s’excuse. Mais genre sincèrement. Et on a envie de le croire tant on a l’espoir que sa vie a basculé entre ces deux instants. Mais l’autre ne pardonne pas. Pourtant, en bon samaritain, sans le moindre mot, avec un mépris tellement compréhensible, il lui offre un verre de jus d’orange.

J’ai envie de m’arrêter là dessus, sur cette sublime faculté de l’auteur à faire évoluer ses personnages, à les rendre plus humains qu’il ne l’était au début, de nous surprendre aussi en toute subtilité, alors qu’il déployait précédemment la grosse artillerie.

Mais ce serait oublier l’humour… Les touches d’humour dans cet univers tragique sont incroyablement succulentes. La rupture avec le drame est finement mise en œuvre pour nous faire sortir de tout le pathos qui se joue à l’écran. Et immanquablement, on suit. Ça tient surtout à deux personnages, James, Peter Dinklage qu’on adore dans Game of Thrones et qui manie l’autodérision de manière sublime, mais surtout, surtout, par la magie de celle qui joue Pénélope, Samara Weaving, la nouvelle petite amie de l’ex-mari de Mildred (tout est devenu tellement compliqué depuis que le divorce s’est démocratisé…). Cette fille a une capacité à capter l’attention pour déblatérer des absurdités déconcertantes avec une aisance absolument fabuleuse. Même si son petit ami étrangle son ancienne femme, lui-même menacé par son fils avec un couteau, elle arrive avec ses histoires de zoo et de chevaux pour handicapés, et on rit. Espérons la revoir dans d’autres rôles car sa prestation est incroyablement prometteuse.

Bref, Trhee Billboards nous plonge dans un drame d’une puissance dévastatrice et le réalisateur arrive à nous surprendre par sa justesse et son sens de l’humour qui rompent avec une certaine démesure narrative, le tout est brillamment interprété. Martin McDonagh nous offre un regard complexe sur la violence qui entache les États-Unis et sur la manière dont chacun gère personnellement le problème.