Les spectateurs étaient au rendez-vous de ce Week-End Japonais pour six films qui n’avaient qu’un point commun, durer plus de deux heures, pour le reste, dépaysement et sujets riches et variés garantis. Ajoutons que ces films étaient parfaitement présentés par Dimitri Ianni.
Vous êtes bienvenus, si vous souhaitez donner votre avis sur l’un où l’autre de ces films, nous serons heureux de vous lire ici-même. Mais commençons par lire les remarques d’Henri et de Marie-Annick, nos organisateurs de cet événement.
Henri :
Comme dans pratiquement tous les films japonais dans chacun des films que nous avons vus ce week-end, il y avait au moins un train qui passait au loin, quelque fois davantage. Il y avait aussi quelquefois un vélo, alors pour moi c’était presque parfait : j’ai adoré.
Par contre j’ai vu apparaître des autocars et des autobus, ça c’est nouveau et cela enlève beaucoup de charme, le Japon était un des derniers pays avec la Suisse à avoir conservé toutes ces lignes ferroviaires (rien que pour ça, je pourrais proposer à nouveau la programmation de « Notre petite soeur ») mais le gouvernement libéral de Abe fait beaucoup de dégâts, il a commencé à supprimer les petites lignes. C’est le seul reproche que je ferai à Dimitri Ianni : il n’a pas parlé de la suppression de ces lignes de desserte fine du territoire.😥
Quelque chose n’a pas changé dans ce cinéma : la place importante accordée à la famille, aux enfants … et ça je le regrette un peu.😜
Marie-Annick :
Normal que la famille ait toujours une grande place. C’est la base qui structure un Japonais puisque traditionnellement les ancêtres morts ont besoin d’être régulièrement honorés par les rituels des vivants (tu honoreras tes ancêtres, c’est la base), même dans une famille recomposée.
De même qu’il y a toujours un ou des trains, il y a toujours un repas et même des repas. Par contre, c’est la première fois que je vois au cinéma autant d’hommes pleurer. Signe perceptible pour moi d’une évolution majeure: l’homme est en train d’accepter de lâcher ses émotions . Ça va faire du bien à la planète et surtout aux femmes. Et pour parler des femmes je dirai qu’elles apparaissent toutes courageuses, dignes et sans aigreur.. Des vraies femmes qui utilisent leur pouvoir sans l’exercer sur l’autre. Bref j’ai passé un bon moment de cinéma.
N’hésitez pas à écrire ici vos commentaires… À paraître article(s) de Chantal. Ouvrez le blog prochainement.
Annie m’a raconté qu’il y a quelques mois, Michel, déjà très malade et affaibli par la maladie, s’était remémoré une chanson de Hugues Aufray, écoutée alors qu’il avait une vingtaine d’années, et qu’il désirait qu’on lise le texte le jour de ses obsèques.
Annie lui en avait fait la promesse, et je l’aide à la tenir.
Voici le texte intitulé
« Près du cœur les blessures »
Un jour ou l’autre sur sa route, Alors qu’on s’est cru le plus fort L’angoisse vient et puis le doute On est debout parmi les morts. Deux fleurs fanées sur une tombe On se souvient que l’on aimait. Près du cœur, les blessures Ne se ferment jamais.
Michel était doué d’une grande sensibilité et bon photographe. Je le reverrai toujours dans le jardin, à 4 pattes dans l’herbe, à photographier les petites bêtes et les fleurs, entre 2 parties de ping-pong.
Avec moi il s’était inscrit au cercle Pasteur de Montargis, où il était apprécié. Il ne venait pas pour gagner, mais pour jouer et s’amuser.
Et j’imagine qu’au golf il a passé autant de temps à photographier les écureuils qu’à taper dans la balle…
Doux et lunaire, du côté de la poésie et de la beauté du monde, c’est pour cette raison qu’on l’appréciait et qu’on ne l’oubliera pas.
C’est d’abord par son élégance distinguée, son côté dandy que nous le remarquions. Michel était sensible et cultivé, souvent original. C’était un fin connaisseur d’art moderne et un cinéphile acompli. Quand il aimait un film, il ponctuait ses commentaires de « oh » et de « ouah ! », le pouce levé, en revanche lorsque le film n’était pas trop à son goût il se contentait de « ouais bon… ». Jamais chez lui de longs commentaires, il saisissait en deux mots ce qu’il avait trouvé épatant.
Après ses études au Lycée Louis Le Grand, sans doute a-t-il été saisi par l’envie de se libérer des choses connues, d’aller vers d’autres paysages et d’autres gens. De sa jeunesse aventureuse et cosmopolite, sans doute a-t-il tiré son absence de préjugés, son ouverture d’esprit. Ses qualités ont dû faire de lui un éducateur du tonnerre ! A la fois chaleureux et à bonne distance. De ses voyages, il a aussi fait une provision d’images. Michel était aussi photographe, il a mis sa technique et son talent au service des Cramés de la Bobine. Comme tous les photographes, il aimait shooter au bon moment, saisir une expression, une ambiance…Vous pouvez le retrouver sur le site des Cramés de la Bobine.
Et nous nous souvenons tous, pour l’avoir souvent vu, Michel cherchant du regard dans la foule « Où elle est Annie ? ».
Ces jours-ci sont plutôt « Sans Filtre », Monica, Pierre, Henri, Georges : autant de commentaires et par chance, autant de points de vue. Qu’à cela ne tienne, à toutes ces réactions, un point commun, le plaisir d’être au cinéma, de voir des films, de laisser leur aura nous accompagner. Les films comme les rêves sont tellement mieux mis en mots. Lisez, écrivez dans ce blog.
Notre amie Sylvie Braibant contributrice du Blog des Cramés de la Bobine a publié ce très beau livre :
« Journaliste indépendante, après 40 ans de carrière dans l’audiovisuel public – TF1, jusqu’à sa privatisation, puis TV5MONDE jusqu’en 2019, et aussi au Monde Diplomatique… Sylvie Braibant est la fille du juriste communiste Guy Braibant » « Voilà quelques années, alors que je lisais la notice du Maitron, le Dictionnaire biographique du mouvement social, consacrée à la biographie de Guy,
j’ai été stupéfaite par une absence, celle de Michla, qui fut sa femme durant près de 40 ans, sa compagne de lutte, une résistante, la mère de ses enfants. Nulle trace de cette histoire d’amour et de désamour, de victoires et de défaites, dans laquelle se lisent aussi les aléas de l’engagement politique, et l’effacement des femmes du récit historique », écrit Sylvie Braibant.
Aussi son livre rend-il justice à ses deux parents militants hors pair chacun dans son genre.
J’ai beaucoup aimé les Promesses d’Hasan. Formidable film, construit comme un long travelling à facettes multiples, tant au plan esthétique qu’aux réflexions auxquelles nous invite Semih Kaplanoglu dans ses superbes paysages…
La question du progrès de l’agriculture, des techniques de plus en plus productives qui entrainent l’entrée de jeunes exploitants dans un capitalisme qui se veut sans faille et oblige à des ruses, des arnaques et des compromissions, finissent par déposséder les travailleurs de la terre de toute moralité. Mais le système est ainsi fait que pour gagner des marchés (ceux de l’UE en l’occurence), il faudra toujours faire plus, traiter davantage quitte à empoisonner… Pourtant que d’humanité dans le traitement des personnages, et quel grand rôle que celui d’Hasan se démêlant de sa propre adversité, celle construite au fil d’une vie jalonnée de renoncements et de trahisons.
Alors vient le temps du pardon obligé mais qui s’avère (finalement) impossible vers les plus proches. Le vent chaud dessèche tout. L’image est soignée. Les plans fixes comme des photos (j’ai pensé aux plans d’ouvertures de séquences qu’avait choisis A.Varda dans « Sans toit ni loi”). Portraits, silhouettes, paysages et gros plans sur la nature sont remarquablement soignés ; l’image est magique… et ajoute encore par des effets spéciaux faisant surgir le rêve à l’écran.
Bref, c’est un superbe long long métrage que je recommanderai volontiers.
Ce film surprenant composé en trois parties est une délicieuse mise en abîme.
Le réalisateur Park Chan-Wook fait feu de tout bois, c’est comme si dans les deux premiers tableaux, il avait patiemment accumulé pièces à conviction et tension érotique telles des brindilles et des branchages savamment agencés sur le sol, à seule fin de produire au final la combustion parfaite entre bois et air. Tout cela avec une maîtrise et une économie de moyens remarquables.
Quand ce dispositif s’embrase c’est l’apothéose. Le feu de camp prend avec une subite incandescence dans un décor de bord de mer démontée. La tempête s’intensifie au fur et à mesure que l’immanence du dénouement saute à la gorge du spectateur. L’ondée lave toute la pression accumulée et donne sa dimension tragique à l’intrigue inéluctablement nouée dès les premiers instants. Dans la séquence finale toutes les digues cèdent en même temps.
« Decision to leave » est un film complet. Son titre lui-même est révélateur de la dramaturgie de l’œuvre. Les deux protagonistes sont Hae-Joon, un policier coréen obsessionnel et insomniaque et Seo-Rae, une aide-soignante chinoise énigmatique, suspectée de meurtre à plusieurs reprises. Ils se comportent comme deux araignées. Dans une minutieuse chorégraphie chacune imperturbablement tisse sa toile autour de son araignée partenaire. Elles finissent chacune prisonnière de la toile tissée par l’autre dans une figure d’une grande puissance poétique. Car le choix est cornélien. La « décision de quitter », c’est à-dire le renoncement est au cœur du film, il n’est pas négociable et emporte tout le reste.
Les ficelles du genre sont tirées avec une maestria hitchcockienne en diable. Les ressorts psychologiques des personnages se déploient dans un labyrinthe où chemine le cours implacable de l’enquête policière. Evidemment intervient le grain de sable qui vient à la fois détourner l’enquête officielle et propulser le sentiment amoureux au-delà des limites autorisées. La quête amoureuse qui s’apparente à une quête de sens se superpose à l’enquête, aux enquêtes plus exactement.
Quant à la fresque sociale, elle est portée par une brochette de personnages caricaturaux sur fond de vengeance, de malversations et de manipulation. Hormis le policier, les hommes sont violents, calculateurs et dénués d’empathie. Dans ce bestiaire se retrouvent notamment pêle-mêle un homme respecté mais loin d’être respectable, sa moralité douteuse et son machisme n’ont d’égal que l’auto-culte de sa personnalité. Ou encore un magouilleur opportuniste aux abois. Un imbécile aveuglé par son complexe d’Œdipe. Un voyou incontrôlable incapable de lâcher la bride à son ex petite amie. Bref des portraits sans concession d’hommes lâches confrontés à la mort et pour lesquels la femme n’est qu’un objet de possession. Dans ce monde brutal frapper une femme apparaît presque anodin.
Face à cet univers impitoyable les femmes incarnent toutes une forme de résistance passive. La sénilité d’une mémé, le pragmatisme d’une salariée en centrale nucléaire, le caractère tour à tour blasé, borné ou vulgaire d’employées mal dégrossies, toutes ces femmes touchantes par leurs qualités tout à fait ordinaires sont taillées pour une vie tranquille sans excès. Les questions effrontées d’une jeune assistante sagace apportent un peu de piment à l’ensemble. Mais surtout l’héroïne bouscule ce jeu de quilles avec sa formidable présence. Par son intelligence, sa vaillance et sa logique diabolique de mante religieuse aussi, elle semble racheter la résignation de la plupart de ses consœurs. De la même manière que son alter ego masculin, par son élégance et l’élan par lequel il se laisse « briser » rachète le machisme et l’obscénité de ses congénères. En définitive leur duo impossible nous oblige à placer amour et dignité au-dessus de la morale. Le couple se frôle en permanence, la chair est sublimée plutôt que consommée.
Enfin le prix mérité de la meilleure réalisation qu’a remporté le film à Cannes lui donne encore une place à part, une place de podium. Les jeux de miroir, le don d’ubiquité que la caméra confère à ses personnages principaux, la beauté de la photographie également font que le spectateur est immergé dans ce polar sans égard pour la fatigue qu’engendre pour lui toute cette complexité. Oui ce film est passionnant et éreintant. Et je ne parle pas de l’ombre de Confucius lui-même qui plane sur les éléments de décor que sont la montagne et la mer. Ni du parti-pris esthétique qui affaiblit la vigilance du spectateur devant la narration en mode fusil de Tchekhov. Pour ma part j’en redemande.