Bavardage

En bref pour finir l’année,  nous n’avons pas pris le temps de parler des derniers films, et de celui de Kosta  Gavras, « Adults in the room » et le second de Ken Loach, « Sorry  We Missed You ». L’un et  l’autre se complètent, j’ai éprouvé le même  plaisir mitigé à les voir. Leur sujet nous absorbe, nous place dans un état émotionnel propice à la compassion, nous trouvons les situations injustes, nous qui sommes nécessairement justes.

D’abord la Grèce, cette pauvre Grèce.  Frédérique nous avait campé le décor,  d’abord la faillite de Lehman Brother, (dans laquelle l’ombre de Goldman Sachs se profile).  Survient alors, l’effondrement des banques grecques puis les révélations sur ses finances publiques. On se souvient des formules répétées dans la presse, « les  grecques ne paient pas d’impots, corruption, fraude fiscale, magot de l’église orthodoxe etc ». Puis il y a  ce qu’on  voit indirectement se profiler  dans le film, coupes sauvages dans les finances publiques, hausse des taxes en tous genres, réforme de la sécurité sociale, abaissements drastiques des pensions de retraite, privatisation de tout,   et plus généralement, interdiction  de toutes les marges de manœuvre, particulièrement envers les plus modestes. Le talon de fer disait Jacques London… Et le film de Costa Gavras reprend le livre d’un acteur de premier plan Yanis Varoufakis. Costa Gavras s’entoure pour l’essentiel d’acteurs professionnels, il n’y a en effet pas de place pour l’improvisation,  on suit le texte, et les personnages, jusqu’au physique,  sont ressemblants ( Pour la France, Sapin, Moscovici sont très crédibles). Et on assiste à ce qui pourrait être une sorte de vaudeville,  avec son balai  de portes qui s’ouvrent et se ferment, des postures, des réactions de prestance, des mots, des formules, de la communication de presse etc… Mais là s’arrête la comparaison, car il n’y a aucun humour dans cette histoire. Et cette histoire est sinistre pour tous les grecs, elle n’est pas seulement celle de la chèvre de Monsieur Seguin.   Les spectateurs qui ont suivi Costa Gavras, se remémorent des films. Pour ma part je pensais à « Z », ce que le régime des Colonels avait établi par la répression et la torture, soit l’asservissement d’un peuple pour, ou à cause de profits qui ne sont pas les siens, le management moderne l’obtient sans effusions de sang. Mais puisque  j’en suis à « Z », il y avait dans ce film une tentative de sortie au grand air, on voyait des manifestants, des militants,  un peuple. Dans « Adults in the room », on est  invité à une sorte de kriegsspiel de bureau… à une danse macabre, ou une valse dans les allées du pouvoir (ce que C.Gavras illustre superbement). Il nous montre des gens qui se disent des choses abstraites mais terriblement inquiètantes, devant laquelle nous sommes invités à nous indigner. Bien sûr c’est prenant, mais tout de même on peut souhaiter que ce film en inspire d’autres qui  exploreront les conséquences concrètes et vécues de cette histoire. 

Pour les conséquences concrètes, on a Ken Loach avec « Sorry We Missed You », là on sait  tout de suite à quoi s’en tenir. Le choix des acteurs, est essentiellement constitué de « non professionnels ». « L’acteur non acteur » apparaît souvent dans les films sociaux. Ils ont un effet leur esthétique, les réalisateurs souhaitent de l’authentique,  de la tête de pauvre, des réactions et des phrases naturelles et populaires. Autant il faut des acteurs pro pour jouer les riches (voir ci-dessus Costa Gavras), autant, pour les pauvres, c’est pas terrible. 

Nous avions été bouleversés par le précédent film « Moi Daniel Black », qui était un film sur l’oppression bureaucratique néolibérale. Et ce film avait en effet l’avantage de montrer que cette forme de pouvoir est aussi une bureaucratie. La trame était simple, la loi de l’emmerdement maximum, autrement dit,  un enchaînement inéluctable et  fatal,  pour ce pauvre Daniel B. Pour « Sorry We Missed You », même modèle, encore cette bonne vieille loi.  Ricky un brave jeune homme va devoir  accepter de devenir « travailleur indépendant associé » d’une société de livraison rapide.  En 1971, (ça ne me rajeunit pas plus que ça !) je voyais mon premier Ken Loach, « Family Life », c’était l’époque de l’antipsychiatrie, et la famille était alors abominable, et Ken Loach, nous le confirmait. Aujourd’hui, chez Ricky, la famille est devenue le dernier lieu solidaire, aimant et viable. Et quand Ricky en sort,  ce qui valait pour  Daniel Black vaut pour lui, il sera également victime de la loi en question. Et cette loi est le produit de choix politiques qui pour la bonne cause de la rentabilité, du prétendu client roi, autrement dit du profit, opprime les gens modestes comme lui. Bien sûr on approuve la démonstration. On se dit tout de même qu’au plan cinématographique et du scénario, on est resté sur le modèle du précédent film. 

D’un film à l’autre, on est passé du dedans au dehors, des salons diplomatiques bruxellois au grand large  des routes anglaises, ça se complète, mais tout de même,  c’est un peu déprimant. Existe-t-il un sujet actuel où les victimes ne le demeureraient pas ? Vous savez comme les Q. Tarantino « Inglourious basterds » ou de  « Django Enchained » ;  mais en vrai !

Anna Karina (1940-2019)

Un charme fou

« qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire … »

Vous l’entendez sa voix ? Douce et rapeuse avec cet accent qui ondule dans sa gorge et suggère que les mots, elle les pense aussi dans la langue de Hamlet, prince de Danemark.

Quand elle parlait, quand elle marchait, bougeait, chantait , quand elle apparaissait, tout s’arrêtait. Elle fascinait autant qu’ Anne fascinait.

Jean-Luc Godard a perdu ses deux Elles.
On est cloué au sol.

Le traitre- Marco Bellochio

Titre original : Il Traditore

Film italien (octobre 2019, 2h31) de Marco Bellocchio avec Pierfrancesco Favino, Maria Fernanda Cândido et Fabrizio Ferracane

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs

Au début des années 1980, la guerre entre les parrains de la mafia sicilienne est à son comble. Tommaso Buscetta, membre de Cosa Nostra, fuit son pays pour se cacher au Brésil. Pendant ce temps, en Italie, les règlements de comptes s’enchaînent, et les proches de Buscetta sont assassinés les uns après les autres. Arrêté par la police brésilienne puis extradé, Buscetta, prend une décision qui va changer l’histoire de la mafia : rencontrer le juge Falcone et trahir le serment fait à Cosa Nostra.

D’abord, il y a le style magnifique de Marco Bellochio, la beauté de son cinéma, son souffle. Chez lui, il n’y a pas d’images pour l’image,  elles sont au service du sens. Ses scénarios sont rigoureux,  pour ce film  les coscénaristes sont au nombre de 3, dont deux sont des experts de la Mafia.  (L’un romancier et l’autre historien). 

J’ai eu l’avantage de voir ce film deux fois, mais pour les esprits lents dont je suis,  trois auraient été mieux, car il me vient quelques conclusions que je vais vous soumettre tout à l’heure et que tout de même, j’aurai mieux fait d’avoir au moment de la présentation !

Comme j’ai eu l’occasion de le dire,    ce film comporte des reconstitutions quasi documentaires, tels le maxiprocès de Palerme  ou les crimes mafieux,  d’autres scènes sont  plus romanesques, elles servent à préciser des rapports aux personnes ou au monde, par exemple l’échange de cigarettes entre Falcone et  Buscetta n’a pas existé, mais cet artifice  permet de signifier la naissance d’une estime réciproque (réciproque mais nous le verrons, pas de même nature). Où encore la citation de Butor, qui est fictive mais qui permet de souligner l’importance du non verbal et du regard dans la Mafia. 

Je me propose de rapprocher certains éléments du film avec des données biographiques que je connais concernant Tommaso Buscetta(magistralement interprété par Pierfrancesco Favino,) afin de cerner la nature du rapport de ces deux personnages Buscetta /Falcone.

On est d’abord saisi par « l’extradition » du Brésil  de Tommaso Buscetta qui se fait  en toute sérénité, sans contention, en classe affaires et donc il  débarque de l’avion avec une couverture  sur les avant-bras pour cacher… L’absence de menottes. 

Revenons en arrière dans la vie de Buscetta, avant la partie  filmée : Il est le 17ème  et dernier  enfant d’une famille de braves gens, le père est miroitier,  évolue dans les  quartiers pauvres de Palerme.  Il commence  par des petits larcins et adolescent, comme beaucoup de jeune, en 1943,  il participe à l’aide du débarquement allié. Plus tard, il  rencontre la famille Bontate plutôt spécialisée dans le trafic de cigarettes. Ensuite, comme tout bon Sicilien, il part découvrir   le vaste monde. En 1949 il est au Brésil,  il y retourne en 1956. Le reste du temps, la rue et la prison seront ses écoles. Il est intelligent, il  a aussi une faculté remarquable à se fondre dans différents milieux, il parle l’italien, le dialecte sicilien, l’espagnol, le portugais, l’anglais, et je peux faire des oublis.

En 1957, un certain Giuseppe Bonano dit Joe Bananas, arrive des USA à Rome, il est lié à la mafia sicilienne  de New York de Luchi Luciano, il y est accueilli par le ministre du commerce italien. Ensuite, il se rend à Palerme, il y rencontre les mafieux,  entre autre Buscetta qu’il connaît bien. Ce Joe Bananas cherche des débouchés  nouveaux pour son transport international,   Cuba vient  de tomber aux mains de Fidèle Castro.  A Bananas, la mafia de Palerme lui doit pour une large part, l’intensification du trafic d’héroïne, et l’organisation dans sa forme pyramidale de la Cosa-Nostra, avec ses conseils, ses cantons, ses régulations.  À partir de 1962, nouveaux débouchés, nouvelles convoitises, une guerre se déclenche entre deux familles mafieuses, les Greco et les La Barbera, elle fait moult morts (environ 2000). Dans ce contexte, en  1966 Buscetta file à New-York pour y « ouvrir une Pizzeria ». En 1968, il est condamné en Italie par contumace pour un double meurtre. Il est arrêté à New-York, mais l’administration italienne, (sans doute distraite,  ne réclame pas son extradition !). Il part au Brésil d’où il finit tout de même par être extradé et emprisonné en Italie. En 1980 bénéficiant d’une permission pour  bonne conduite, il fugue,  repart au Brésil,  échappant du même coup à une nouvelle  guerre entre les clans palermitains et le clan Corléonesi dirigé par Toto Riina. (Extrait de CV : premier assassinat à 19 ans, suivent 40 autres et 110  commandités). 

En 1982 Toto Riina fait assassiner le Général Delachiesa qui avait décidé d’en finir avec la mafia, (sans doute était-ce réciproque).

En 1983, Buscetta est  de nouveau « extradé » et là commence le corps du film. Lorsqu’on lit son  parcours, les heureuses conjonctions de sa vie de mafieux, on a le sentiment qu’il est né sous une bonne étoile… Voilà un homme qu’on oublie d’arrêter et qui quand on l’arrête pour ses crimes, peut bénéficier de  permission, se sauver…et voyager.  Mais entre-temps, durant cette guerre mafieuse,  Toto Riina a fait assassiner le fils Bontate, Stefano, son ami ;   deux enfants de Buscetta ;  son frère ;  son beau-frère ;  son neveu.

Le juge Falcone attend Buscetta, ces deux hommes ne sont pas de même  milieu, mais ils ont en commun d’être tous deux de Palerme. Ils vont se jauger, et se juger puis s’estimer.  Très vite Buscetta instaure des règles  d’échange, « ne me parlez pas de mon passé », « je n’ai jamais fait de trafic de drogue », « je suis un simple soldat ». Et surtout « Je ne suis pas un repenti, je suis un homme d’honneur »… Et la Cosa-Nostra a trahi, elle tue les femmes, les enfants et les juges ».

Falcone ne peut lui donner tort sur ce dernier point,  en 1979, les juges Cesare Terranova puis plus tard, Rocco Chinicci ont été assassinés.  Et le film fait apparaître en filigrane les qualités du juge Falcone. Moyennant ces concessions, avec  patience et complicité, il va pouvoir mettre en accusation 474 mafieux, obtenir 360 condamnations et occasionner 2265 années de prison.

Mais à la fin  on meurt et puis basta ! dit le juge Falcone, conscient que sa mission était plus grande que sa vie. Et  il sera assassiné par 600 kg de TNT placés sur son chemin,   sous l’autoroute, le 19 juillet 1992.  Il le sera sur ordre de Toto Riina qui a échappé au Maxi procès de Palerme. Dans sa folie furieuse,  à peine deux mois plus tard, ce mafieux fera assassiner le juge intègre Paolo Borsellino  et d’autres personnes de renom mais moins cleans, prêtre, hommes de lois et politiciens, tous en lien avec la Mafia. Arrêté en 1993, ce petit homme de 1m58,  qui a épousé son institutrice, fidèle, aimant la vie familiale,  sans charisme, humble, croyant,  et bien élevé, mais qui étrangle et torture sans état d’âme,  aime l’argent sans limite, et par n’importe quel moyen, va enfin  pouvoir aller  en prison jusqu’à sa mort. Buscetta témoignera contre lui. 

En dépit de la mort du juge Falcone et en son honneur, Buscetta témoignera  contre l’ex Président du conseil  Giulio Andreotti soupçonné de complicité avec la Mafia.  Lors de sa déposition, comme il tient ses informations contre l’accusé par ouïe-dire, comme il n’a plus le statut  de mafieux d’honneur  que Falcone lui prêtait, il sera disqualifié. Andreotti  est trop  grand pour lui dans cette hiérarchie sordide.

Dans ce film, il y a une histoire dans l’histoire. Celle de l’homme à l’enfant.  Celle d’un homme condamné à mort par la mafia, et que Buscetta devait exécuter.  Le devinant, il se couvre en tenant son enfant contre son cœur.  Dès lors toute sa vie jusqu’au mariage de son fils, il l’utilisera comme bouclier.  Mais au départ du fils, Buschetta surgit de l’ombre…deux coups de feu. 

Cette scène de meurtre de cet homme à l’enfant qui est présentée à la fin du film est essentielle. D’abord, c’est un meurtre. Mais c’est aussi un meutre honorable. On ne tue pas un père devant son enfant !  C’est une fable, une légende ! Aucun chef mafieux, qui ordonnerait une exécution ne tolérerait que l’exécution attende 15ans.  Donc en racontant cette histoire,  Buscetta invente. Si Bellochio  filme cette scène qui repose sur  l’allégation de  Buscetta ce n’est pas pour faire beau dans le film.  C’est comme si Buscetta nous disait : «  je suis un meurtrier, mais tout de même, j’ai  une conscience et de l’honneur » et c’est ce besoin de légitimité et de reconnaissance que le juge Falcone remarquera avant même de le rencontrer.   

Ce que suggère Bellochio, c’est que  de même qu’on peut douter que Buscetta  soit un tueur raisonnable, on peut douter qu’il soit allé au Brésil ou à NYC juste pour le tourisme, mais que peut-être le trafic d’héroïne y est pour quelque chose… Il y a chez Buscetta un besoin constant de justification morale.

Le juge Falcone a compris cela avant de le voir. Son  témoin, a besoin de sa recouvrer sa  dignité perdue,  besoin de manifestations d’estime, besoin de reconnaissance.  Alors la procédure  d’extradition en Classe Affaires participe déjà de tout cela.

Le juge va apprendre à connaître en lui un homme intelligent, solide, ferme et cohérent, qui a toutes les qualités pour devenir sa pièce maitresse. Il a deux objectifs premiers, inspirer confiance (les regards, la cigarette, le respect du silence,  la sobriété)  et réparer cet homme, il accepte donc les termes qui feront de Buscetta non pas un repenti ordinaire, un simple traitre, mais un homme d’honneur. Il l’aide à reconsidérer son jugement sur la traîtrise. Le traître, c’est  Giuseppe Calo et consorts et non lui car lui, il est fidèle à la vraie tradition mafieuse. 

Mais il fait mieux que ça, il aide Buscetta à se débarrasser de ses ennemis mieux qu’il n’aurait pu le faire avec un revolver. En ce sens ce film sur la vie de Buscetta serait aussi  et surtout un film sur la sagacité du Doctor Giovani Falcone, et son courage aussi. 

Au vu de ses éléments, très parcelaires, j’en conviens, on peut s’interroger sur « les coups de chance de Buscetta», qui au total l’ont toujours préservé du pire, et jusqu’à la fin de sa vie. 

Martin Eden- Pietro Marcello (2)

Présenté par Marie-Annick Laperle

Film italien (octobre 2019, 2h08) de Pietro Marcello Avec Luca Marinelli, Jessica Cressy et Carlo Cecchi 

Synopsis : À Naples, au cours du 20ème siècle, le parcours initiatique de Martin Eden, un jeune marin prolétaire, individualiste dans une époque traversée par la montée des grands mouvements politiques. Alors qu’il conquiert l’amour et le monde d’une jeune et belle bourgeoise grâce à la philosophie, la littérature et la culture, il est rongé par le sentiment d’avoir trahi ses origines.

Entreprendre l’adaptation du roman de Jack London, Martin Eden, au cinéma paraissait difficile, sans le moderniser et le déplacer géographiquement à Naples et sa banlieue déshéritée. 

Pari d’autant plus réussi que les principaux personnages sont conservés et que l’intrigue romanesque du film est celle du roman.

La politique économique, très dure, du monde des affaires industrielles se conjugue avec la vie familiale et amoureuse des protagonistes. 

Tombé amoureux d’une jeune femme oisive  de la bourgeoisie napolitaine, Martin Eden veut surmonter son inculture en s’appropriant les connaissances d’un milieu plus développé, au prix d’un effort souvent maladroit qui trahit ses origines modestes d’aventurier. Aujourd’hui, on parlerait plus volontiers de “déclassé” …

Il se vit dans un monde de l’entre-deux. Journaliste, il peut témoigner de conditions sociales humiliantes qu’il fréquente sans les partager réellement.

L’une des scènes centrales du film se déroule pendant un repas familial où les différences sociales s’affrontent sans ménagement. Martin Eden en vient paradoxalement à reprocher à la bourgeoisie d’affaires d’être “socialiste”. Elle fait toujours davantage d’efforts, voire de compromissions, pour intégrer les travailleurs à la production industrielle. Ce qu’il appelle une morale d’esclave, de chien lors d’un meeting improvisé devant des ouvriers manifestants, en grève. Surtout incultes …

Son discours agressif résonne comme une mise en garde contre une dérive potentiellement totalitaire du progrès économique et social. Ce qui s’est effectivement produit dans le passé de l’Europe … Nationale-socialiste puis nationale-communiste …

Mais de quel passé historique parle-t-on dans le film ? Aucune allusion à la religion qui semble absente, ni à l’Europe contemporaine, oubliée. Alors s’agit-il de réhabiliter insidieusement la vieille Italie nationale-communiste, qui a sombré avant même d’avoir gouvernée un jour ?  

L’aspect libertaire de Martin Eden s’affirme, alors que la rupture amoureuse le laisse blessé, dans un échec d’autant plus grand que les références qui l’agissaient s’effondrent autour de lui … Transfuge social plutôt que trahison d’une  classe qui lui importe peu. Ce que l’on appelle aussi bénéficié de l’ascenseur social.

Les dernières images montrant Martin Eden nageant vigoureusement vers le grand large, renvoient aux dernières phrases du roman, énigmatiques. La mer, source de vie sur terre, le ramène-t-elle à un agrandissement de lui-même, le régénérant ?

Une tentative désespérée pour atteindre la Terre toujours promise …Traverser la mer pour entrer dans l’océan. Un sentiment océanique …

Quel rôle joue ici la langue italienne dans son passage de l’anglais à l’italien  ? Bien que foncièrement italien, ce film manifeste quelque chose d’américain, la Californie étant à l’origine de la vie de London.

Michel Grob
novembre 2019

Atlantique-Mati Diop

Soirée débat mardi 3 décembre à 20h30

Film franco-sénégalais (octobre 2019, 1h45) de Mati Diop avec Mama Sané, Ibrahima Traore et Abdou Balde

Synopsis : Dans une banlieue populaire de Dakar, les ouvriers d’un chantier, sans salaire depuis des mois, décident de quitter le pays par l’océan pour un avenir meilleur. Parmi eux se trouve Souleiman, qui laisse derrière lui celle qu’il aime, Ada, promise à un autre homme. Quelques jours après le départ en mer des garçons, un incendie dévaste la fête de mariage d’Ada et de mystérieuses fièvres s’emparent des filles du quartier. Issa, jeune policier, débute une enquête, loin de se douter que les esprits des noyés sont revenus. Si certains viennent réclamer vengeance, Souleiman, lui, est revenu faire ses adieux à Ada.

Présenté par Marie-Christine Diard

Dans une banlieue populaire de Dakar, les ouvriers du chantier d’une tour futuriste, sans salaire depuis des mois, décident de quitter, sans prévenir, le pays par l’océan pour un avenir meilleur.

Parmi eux, se trouve Souleiman, l’amant d’ADA, promise à un homme riche qu’elle n’aime pas. Quelques jours après le départ des garçons, un incendie dévaste la fête de mariage de la jeune femme et de mystérieuses fièvres s’emparent des filles du quartier.

Ce film, qui tient à la fois du documentaire et du film fantastique, et dont l’originalité consiste à suivre celles qui restent les yeux rivés sur l’océan houleux : les petites amies, les sœurs, les mères de ces migrants, a été réalisé par  la franco-sénégalaise, Maty Diop et est soutenu :par Claire Mathon, cheffe opérateur habituée des démarches documentaristes,

par Fatima Al Qadiri dont la musique électronique prend en charge toute la dimension invisible du film. Tout ce qu’on ne voit pas et qu’on ne peut pas filmer : le monde des esprits. Cette musique qui est sombre, sensuelle, hantée tout en étant ancrée dans une réalité géopolitique très précise, est nourrie d’éléments populaires et folkloriques qui incarne la tension de ce film déchiré et coupé entre l’Afrique et l’Europe.

Le choix du genre cinématographique provient des dimensions documentaire et fantastique inhérente à la réalité vraie ou simplement fantasmée. C’est aussi un film sur la hantise, l’envoûtement et l’idée que les fantômes prennent naissance en nous : les garçons morts en mer reviennent en prenant possession des femmes aux yeux révulsés, zombifiés car ils n’ont pas de sépulture mais aussi parce qu’ils ne seront pas en paix tant que l’argent qu’on leur doit ne sera pas rendu.

En effet, pour la réalisatrice, il n’y a pas d’un côté, les morts en mer et de l’autre les jeunes en marche. Les vivants portent en eux les disparus qui en partant avaient emporté quelque chose des vivants restés à terre. Les fantômes qui hantent ce film et les vivants, représentent toute une génération sacrifiée, condamnée à l’errance, à l’exil ou à la mort.

En ce qui concerne les interprètes, un casting sauvage a eu lieu à Dakar, dans l’environnement social des personnages du film, ce qui n’était pas une nouveauté pour la réalisatrice car elle n’avait jusqu’à présent travaillé qu’avec des acteurs non professionnels.

Le personnage d’Ada, trouvé après 7 mois de recherche, est interprété par Mama Sané, une actrice non professionnelle. Ada qui passe de la vie d’adolescente à femme. Autre acteur non professionnel : Ibrama Traoré qui interprète Souleiman.

Enfin, il est à remarquer que les plus beaux moments du film sont matérialisés par :

des plans larges de la périphérie de Dakar surplombée par la fameuse tour géante, un fantôme architectural, 

un champ-contrechamp amoureux séparé par le passage d’un train,

la mer agitée comme une séduisante chimère, le soleil dont la couleur des rayons résonne avec les sentiments des personnages.