Présenté par Marie-Annick Laperle
Film italien (octobre 2019, 2h08) de Pietro Marcello Avec Luca Marinelli, Jessica Cressy et Carlo Cecchi
Synopsis : À Naples, au cours du 20ème siècle, le parcours initiatique de Martin Eden, un jeune marin prolétaire, individualiste dans une époque traversée par la montée des grands mouvements politiques. Alors qu’il conquiert l’amour et le monde d’une jeune et belle bourgeoise grâce à la philosophie, la littérature et la culture, il est rongé par le sentiment d’avoir trahi ses origines.
Entreprendre l’adaptation du roman de Jack London, Martin Eden, au cinéma paraissait difficile, sans le moderniser et le déplacer géographiquement à Naples et sa banlieue déshéritée.
Pari d’autant plus réussi que les principaux personnages sont conservés et que l’intrigue romanesque du film est celle du roman.
La politique économique, très dure, du monde des affaires industrielles se conjugue avec la vie familiale et amoureuse des protagonistes.
Tombé amoureux d’une jeune femme oisive de la bourgeoisie napolitaine, Martin Eden veut surmonter son inculture en s’appropriant les connaissances d’un milieu plus développé, au prix d’un effort souvent maladroit qui trahit ses origines modestes d’aventurier. Aujourd’hui, on parlerait plus volontiers de “déclassé” …
Il se vit dans un monde de l’entre-deux. Journaliste, il peut témoigner de conditions sociales humiliantes qu’il fréquente sans les partager réellement.
L’une des scènes centrales du film se déroule pendant un repas familial où les différences sociales s’affrontent sans ménagement. Martin Eden en vient paradoxalement à reprocher à la bourgeoisie d’affaires d’être “socialiste”. Elle fait toujours davantage d’efforts, voire de compromissions, pour intégrer les travailleurs à la production industrielle. Ce qu’il appelle une morale d’esclave, de chien lors d’un meeting improvisé devant des ouvriers manifestants, en grève. Surtout incultes …
Son discours agressif résonne comme une mise en garde contre une dérive potentiellement totalitaire du progrès économique et social. Ce qui s’est effectivement produit dans le passé de l’Europe … Nationale-socialiste puis nationale-communiste …
Mais de quel passé historique parle-t-on dans le film ? Aucune allusion à la religion qui semble absente, ni à l’Europe contemporaine, oubliée. Alors s’agit-il de réhabiliter insidieusement la vieille Italie nationale-communiste, qui a sombré avant même d’avoir gouvernée un jour ?
L’aspect libertaire de Martin Eden s’affirme, alors que la rupture amoureuse le laisse blessé, dans un échec d’autant plus grand que les références qui l’agissaient s’effondrent autour de lui … Transfuge social plutôt que trahison d’une classe qui lui importe peu. Ce que l’on appelle aussi bénéficié de l’ascenseur social.
Les dernières images montrant Martin Eden nageant vigoureusement vers le grand large, renvoient aux dernières phrases du roman, énigmatiques. La mer, source de vie sur terre, le ramène-t-elle à un agrandissement de lui-même, le régénérant ?
Une tentative désespérée pour atteindre la Terre toujours promise …Traverser la mer pour entrer dans l’océan. Un sentiment océanique …
Quel rôle joue ici la langue italienne dans son passage de l’anglais à l’italien ? Bien que foncièrement italien, ce film manifeste quelque chose d’américain, la Californie étant à l’origine de la vie de London.
Michel Grob
novembre 2019