(« Eh ben, en voilà, un nanar ! […] Nicolas Pariser a souhaité aborder l’univers de la comédie. Pourquoi pas ? […] Entre deux clins d’œil à Hitchcock et à Tintin, il est question d’extrême droite en Europe, d’antisémitisme, de souvenirs de la Shoah, rien que ça… Vincent Lacoste est cette fois mauvais comme un cochon » -ce qui est méchant pour les cochons, comme dirait Groucho Marx- « et la talentueuse Sandrine Kiberlain ne parvient pas à sauver le film ; elle a même l’air, parfois, de s’ennuyer. Comme nous »)
… que Le Canard enchaîné classe dans la rubrique « Les films qu’on peut ne pas voir » et les propos dithyrambiques de Laurent Delmas sur France Inter…
(« J’ai surtout vu Le Parfum vert de Nicolas Pariser, troisième film de ce cinéaste français extrêmement talentueux et là, il nous propose une revisitation […] c’est un peu Tintin en hitchcockie, Tintin chez Alfred Hitchcock, c’est réussi, c’est formidablement interprété par Vincent Lacoste et Sandrine Kiberlain, ça va à toute allure, c’est brillantissime, ça parle aussi de choses beaucoup plus graves comme la géopolitique et comme le faisait Hitchcock aussi en son temps avec par exemple Les 39 marches ou ses grands films d’espionnage, non vraiment pour la période il faut aller voir ce film parce qu’il est à la fois intelligent, brillant, drôle, sensible et il va à toute allure »)
… qui encourage les auditeurs à offrir en un billet comme cadeau de Noël, et n’ayant trouvé à la médiathèque, afin d’en savoir plus (ces avis contraires, ça nous intrigue) ni Le Monde de mercredi ni Télérama (le dernier remonte à octobre et non, je ne suis pas abonnée à cette revue) et encore moins Positif dont il ne subsiste qu’une page de couverture, reste à nous faire notre propre opinion sur Le Parfum vert de Nicolas Pariser. C’est pourquoi nous nous retrouvons pour la séance de 14h 10 dans la salle 9 de l’Alticiné où nous retrouvons nos places « attitrées »…
(Dernier rang à droite, la salle est petite, 74 places, c’est ce qu’affiche l’écran dans le hall avant que nous n’achetions nos billets, et comme nous sommes les seuls spectateurs…)
… du temps où les séances du jeudi des Cramés s’y tenaient.
Alors ? Ça commence comme du Hitchcock (le chignon de Kim Novak dans Vertigo),
ça continue comme du Hitchcock…
(Vincent Lacoste se retrouve face au méchant -Rüdiger Vogler qui semble, après Rio ne répond plus, être voué à jouer les méchants germanophones, tel Gert Fröbe en son temps- dans une maison « squattée » comme, me semble-t-il, Cary Grant face à James Mason dans La Mort aux trousses)
… ça se poursuit (idem) dans des trains (La mort aux trousses encore, Une femmedisparaît) et ça finit dans un théâtre comme dans L’Homme qui en savait trop. Le tout sur un rythme soutenu : n’en déplaise au Canard, on ne s’ennuie pas.
Là où ça pêche :
• Le discours de Sandrine Kiberlain sur Israël et l’Europe. Si Hitchcock faisait de la géopolitique, c’était de façon discrète, sans s‘appesantir, comme en passant. On comprenait sans qu’on nous assène un exposé lourdingue.
• Le couple Vincent Lacoste/Sandrine Kiberlain ne fonctionne pas. Trop de différence d’âge entre les deux. Ça n’est pas que me gênent les couples où la femme compte plus d’années que l’homme, ça les regarde, mais ici on n’y croit pas, manque de glamour → pas hitchcockien.
Et surtout Vincent Lacoste me semble une erreur de casting. Pas (assez ?) de charme. J’aurais bien vu, à la place… Raphaël Personnaz ? Avec Noémie Merlant ? Oui Raphaël Personnaz et Noémie Merlant, celle de L’Innocent, voilà en tout cas qui aurait été bien plus excitant.
Excitante : la belle maison Art Nouveau où sont logés, à Bruxelles, le duo Lacoste/Kiberlain. Il nous semble bien (oui, c’est elle, aucun doute) reconnaître, à son pavage, la maison Flagey…
(Située en face d’un plan d’eau. Aucune rivière ne coulant -du moins de façon visible- à Bruxelles même, on ne peut être qu’à Ixelles)
… « qu’Ernest Blérot édifia en 1904 au 39 de ce qui est aujourd’hui l’avenue du général de Gaulle » comme je l’écrivais le 12 mars 2017 lors de notre dernier BANAD.
Et comme la maison accueille désormais des chambres d’hôtes, il se pourrait même que s’y trouve vraiment l’appartement qui sert de planque à nos héros. Dans ce cas ça donnerait envie d’y passer quelques nuits si ça n’était si loin du centre. Non, décidément, le mieux c’est encore l’hôtel Métropole.
Quand les lumières se rallument, la dame assise devant moi se retourne, et nous nous regardons et nous remettons à rire (autour de nous, rien que des visages hilares), elle dit, On a bien fait de les restaurer ces films.
Il est d’abord heureux que « l’imbroglio juridique qui bloquait depuis de nombreuses années la ressortie des films de Pierre Etaix » ait trouvé une « fin heureuse et définitive »[1], sans quoi il n’y aurait eu pas plus de restauration que de ressortie en salle et nous aurions loupé quelque chose !
Aujourd’hui, découverte de Tant qu’on a la santé, composé de quatre courts métrages. C’est tout particulièrement le quatrième et dernier intitulé Nous n’irons plus aux bois qui fait notre bonheur. Soit, lâchés dans des champs et bosquets, trois individus ou groupes d’individus :
A = un chasseur
B = un paysan qui répare sa clôture
C = un couple de pique-niqueurs BCBG
Le comique réside dans des gags visuels ressortant de la plus pure tradition burlesque (la tentative de franchir un ruisseau sans se mouiller les pieds ; une chaussure qui flotte au fil de l’eau, son propriétaire cherchant à la récupérer sans poser par terre le pied déchaussé etc.) mais aussi (schéma utilisé à plusieurs reprises, sans qu’on s’en lasse) de l’absurde : une action de A (ou B, ou C) a des répercussions sur B (ou A, ou C) qui croit C (ou A, ou B) fautif parce que c’est lui qui apparaît alors dans son champ de vision.
Il en résulte tout naturellement qu’au sortir de la salle, me semblent parfaitement comiques des situations qui communément m’agacent (la rébellion des objets, loin de m’amuser ou de titiller mon imagination, m’exaspère m’énerve m’horripile), à savoir :
aux toilettes, le papier WC dissimulé sous une coquille métallique et dont l’extrémité, au lieu de pendre à portée de main, est collée au rouleau
l’absence de distributeur de savon, que je ne remarque qu’après m’être mouillé les mains
dans le métro, la porte fermée du tourniquet à laquelle je me heurte parce que, plongée dans mes plaisantes pensées, j’ai oublié d’insérer le ticket (que par ailleurs j’ai pensé à sortir de mon sac et que je tiens à la main) dans la fente qui en déclenche l’ouverture.
Si la musique adoucit les mœurs, le cinéma peut, un moment, rendre la vie plus légère.
Juliette Gréco est morte.
Deux jours plus tôt, Michael Lonsdale tirait sa révérence dans la plus grande discrétion, il me semble en avoir entendu l’annonce après celle, divulguée avec fracas, de Juliette quand il est mort le premier, par une phrase lancée aux infos de 23 heures sur France Inter et puis plus rien. Seule, me semble-t-il, la chaîne France 5, en la personne de Dominique Besnehard, lui rendra hommage en remplaçant, dans son émission Place au cinéma, la projection de Chantons sous la pluie par Des hommes et des dieux, c’est quoi ça, des hommes et des dieux, pourquoi il n’y a pas Chantons sous la pluie, je fulmine jusqu’à ce que me revienne le titre du film de Xavier Beauvois dans lequel joue Michael Lonsdale, alors d’accord, c’est bien.
Et Arte diffusera India song de Marguerite Duras, le jeudi suivant à 23h 40. Souvenir lointain du film où j’avais entraîné Claudine, et de celle-ci commentant, après la séance : « Je m’endormais pendant un quart d’heure et quand je rouvrais les yeux, il y avait toujours la même image… ». C’est sûr que les plans sont longs, il y en a un qui dure six minutes, caméra fixe braquée sur les personnages figés comme dans un tableau, d’ailleurs c’est un tableau, artistiquement composé, Delphine Seyrig allongée alanguie sur un canapé, quatre hommes assis debout autour d’elle, rien ne se passe à l’image, tout est dans les voix off, ce film, c’est de la littérature. Et si rien ne bouge ou si peu ou si lentement, n’est-ce pas parce qu’il fait si chaud « Cette chaleur ! Le seul remède, l’immobilité, la lenteur, ralentir le sang » dit une voix qualifiée au générique de fin d’ »intemporelle », on ne sait pas qui parle. Usage d’un grand miroir pour agrandir l’espace et dédoubler les personnages, lesquels ne sont que des reflets, « J’ai tiré sur moi à Lahore sans en mourir » dit Michel pas encore Michael en 1975 Lonsdale, interprète du vice-consul de Lahore qui a été rapatrié à Calcutta où il se retrouve en présence de son grand amour, Anne-Marie Stretter, née Anna Maria Guardi d’une mère vénitienne, et s’éclaire pour moi le mystère du titre d’un autre film de Marguerite Duras Son nom de Venise dans Calcutta désert que je n’ai pas vu et que j’aimerais bien voir, maintenant que j’ai revu India Song
Et bientôt sur le blog des Cramés je lirai ceci : « Pour les scènes du couple Tabard, François Truffaut avait demandé à Michael Lonsdale la permission de tourner dans son grand appartement pour sa belle lumière et la vue sur la tour Eiffel. On imagine Michael Lonsdale, alors, profondément heureux : il tournait avec Delphine Seyrig. Il s’appelait Georges Tabard, elle était Fabienne Tabard, et elle était là, chez lui, avec lui. On sait [eh bien non, je ne savais pas] qu’elle fut la seule femme de sa vie : “J’ai vécu un grand chagrin d’amour et ma vie s’en est trouvée très affectée. La personne que j’ai aimée n’était pas libre… je n’ai jamais pu aimer quelqu’un d’autre. C’était elle ou rien et voilà pourquoi, à 85 ans, je suis toujours célibataire ! Elle s’appelait Delphine Seyrig.” Le dictionnaire de ma vie, 2016. Aussi, quand le vice-consul de Lahore crie Anna Maria Guardi par les rue de Calcutta, je découvre avec émotion que par sa voix Michael Lonsdale hurlait son propre désespoir.
Le film d’Alberto Lattuada intitulé Mission top secret et dont la projection est prévue à 19h, est ainsi résumé dans la brochure de la Cinémathèque : « Un agent secret, qui possède un anneau d’invisibilité, part à la poursuite d’un génie du crime ».
18h 45 : les portes de la salle Henri Langlois sont toujours fermées.
18h 50 : grand bruit dans la queue devant nous, un jeune homme est tombé, on l’allonge sur le dos, des membres de la sécurité arrivent, on fait le vide autour de lui, le jeune homme est immobile, il va très mal, une vieille bonne femme morbide remonte la queue pour voir, elle parle de pistolet électrique, elle non plus ne va pas bien mais elle c’est dans sa tête.
18h 55 : les portes s’ouvrent, c’est pas trop tôt.
19h 05 : ça commence.
Prisonnier de Chinois qui le prennent pour un espion, un journaliste américain est attaché à un truc qui tourne à toute allure. Les Chinois parlent couramment italien entre eux ce qui, on l’avouera, n’est pas banal. Le journaliste, qui répond au nom de Perry Liston, résiste à la torture et est jeté dans une geôle où se trouvent déjà un véritable espion (joué par Henry Silva) vicieux et un vieux chinois qui, avant de mourir, lui remet une bague qui peut le rendre invisible pendant 20 minutes toutes les 10 heures, grâce à quoi il échappe au peloton d’exécution, tout d’un coup on ne voit plus qu’un tas de vêtements sur le sol, car bien sûr chemise et pantalon ne bénéficient pas du même traitement…
(d’ailleurs plus tard dans un taxi new-yorkais Perry apparaît dans un imper remonté jusqu’au cou, avec gants, lunettes de soleil et chapeau, tel Claude Rains dans le film de James Whale, mais comme il n’a pas bandé son visage il y a des vides entre le col, les lunettes et le chapeau, et le chauffeur lui jette des coups d’œil effarés)
… et il se réfugie chez une nana, il prend une douche, les robinets tournent tout seuls, et la nana est une espionne pour le compte des Américains (qui parlent italien entre eux tout comme les Chinois) et c’est comme ça qu’il se retrouve à New York où il est engagé pour retrouver un truc très dangereux (ce que c’est au juste je ne saurais le dire, une arme ? de vilaines bactéries ? en tous cas, c’est un liquide rouge contenu dans des fioles) détenu par un vilain très méchant, et comme par hasard c’est Donald Pleasance qui l’incarne.
Et voilà Perry parti pour Londres où une espionne brune l’attend à l’aéroport (Henry Silva, qui veut s’emparer de l’anneau d’invisibilité, lui a téléphoné -depuis la Chine ?-) pour le suivre en catimini, et où il reçoit l’aide d’Ira de Furstenberg qui marche avec les Américains et a réussi à faire partie du lot de belles filles dont aime à s’entourer Donald, lequel organise le soir même un combat de boxe, occasion pour Perry de le rencontrer.
Mais soudain voilà l’espionne brune qui atterrit dans la cour d’un château (d’où il sort, ce château ?) en deltaplane. Elle se coule dans la chambre de Perry qu’elle entreprend de séduire et qui se laisse faire sans trop rechigner (il enlève ses chaussettes). Pendant ce temps-là, Ira se glisse jusque dans la pièce où se trouvent un très très (nous sommes en 1967) gros ordinateur qu’elle veut faire disjoncter, un informaticien chargé de le faire fonctionner et un écran de surveillance de la chambre de Perry où il apparaît allongé sur son lit avec la brune.
Arrivés là, ça fait déjà quelques minutes que les sous-titres ont disparu de la bande électrique sous l’écran (bon, ça n’est pas trop dur à comprendre mais quand même) et alors la lumière se rallume dans la salle, c’est la deuxième coupure depuis le début (il y en aura encore une autre, ce qui fera trois au total) et je me tourne vers JC que ce changement n’a pas réveillé, il dort comme un nouveau-né, et au bout d’une ou deux minutes l’obscurité revient.
Les préparatifs du combat de boxe annoncé battent leur plein, les paris vont bon train et Perry mise 1000 livres contre le champion de Donald, lequel se marre parce que le combat est truqué bien sûr, un de ses complices hypnotise le challenger, le rendant tout mollasson et incapable de rendre les coups qu’il encaisse. Mais Perry a l’œil ! Se rendant invisible, il subtilise la grosse épingle qui retient fermé le kilt d’un spectateur écossais et en pique les mollets et les fesses du champion, permettant à l’autre boxeur de reprendre ses esprits et le dessus et à Perry de gagner 10 000 livres. Donald fulmine. Comme il n’a pas une aussi grosse somme sur lui, il invite son créditeur à l’accompagner en hélicoptère dans son château en Ecosse.
Sur ce, l’espionne brune atterrit dans la cour du château en deltaplane et là, les bobines ayant été remises dans le bon ordre, tout redevient (si on peut dire) logique. Elle se coule dans la chambre de Perry etc. et Ira qui a tout vu sur l’écran se précipite à sa rescousse, on croit que c’est par jalousie mais non, elle a deviné que la brune prépare un mauvais coup, elle sauve Perry et tous deux vont ouvrir le coffre de Donald qui ne contient que de l’argent, pas trace des fioles rouges mais celle d’un coffre-fort dans une banque allemande. Par là-dessus arrive Henry Silva qui, on ne sait pas comment, a réussi à se libérer des geôles chinoises. Il sème la pagaille parmi les sbires de Donald qui le prennent pour Perry, lequel s’enfuit avec Ira en hélico.
En Allemagne, tous les indigènes parlent italien (sauf deux conducteurs de locomotives, on se demande bien pourquoi), celui de l’employé de banque mâtiné cependant d’un fort accent allemand, sans doute pour faire réaliste. Les talents conjugués de Perry et d’Ira leur permettent de voler la mallette aux fioles rouges et, après s’être donné rendez-vous dans le port de Hambourg, chacun essaie d’échapper aux tueurs de Donald qui ont retrouvé leur trace (c’est ainsi que Perry et ses poursuivants se retrouvent avec leurs voitures respectives sur les wagons d’un train de marchandise dont les conducteurs parlent allemand, voir en début de paragraphe).
Perry et Ira se retrouvent au point de rendez-vous avec les Américains qui arrivent sur une vedette rapide, mais qu’est-ce que cela ? les Chinois et les Russes apparaissent aussi. Il ne reste plus à nos deux héros qu’à jeter la mallette au fond du port afin qu’elle ne tombe pas dans de mauvaises mains, ce que voyant Donald, entrant dans l’eau tel James Mason dans Une Etoile est née, se suicide avec beaucoup de dignité et Perry jette aussi sa bague, laquelle est récupérée par un individu dont nous ne connaîtrons pas l’identité (Donald ?), on ne voit que ses mains et le doigt sur lequel il l’enfile (prémices d’un deuxième opus ?).
Dans son documentaire A la recherche d’Ingmar Bergman, Margarethe Von Trotta nous apprend qu’un de ses films (Les Années de plomb, je crois) figure dans la liste des dix ou onze films préférés du cinéaste.
Quels films figureraient dans ma liste à moi ? me suis-je demandé. La chronique d’Anne-Lorraine datée du 29 janvier, qui m’est dédiée ainsi qu’à deux autres amoureux du cinéma de sa connaissance, me pousse à me lancer à retardement. Voici donc :
• Le Limier de Joseph L. Mankiewicz, avec Michael Caine et le génial Laurence
Olivier qui se délecte à incarner Andrew Wyke, auteur de romans policiers, personnage abject qu’on adore détester. Ses sous-entendus méprisants envers Milo Tindolini, anglicisé Tindle (« become English… », murmure-t-il en jetant un regard torve à son rival) sont un régal. Quant à sa passion pour le jeu elle est telle que, quand bien même sa vie en dépend, il atteint la jouissance (et Laurence Olivier aussi en l’interprétant) en cherchant à résoudre les énigmes posées par Milo. Ajouter à cela un scénario diaboliquement intelligent, une mise en scène élégante et fluide qui fait oublier qu’on est en plein théâtre et on a le film parfait, que j’ai vu une bonne quinzaine de fois au cinéma, que j’avais enregistré lors d’un passage à la télévision sur une cassette vidéo et qu’Arlette, grâce à son appareil magique qui permet de copier le VHS sur DVD, m’a permis de pouvoir conserver car le film n’est jamais sorti dans le commerce (question de droits ?).
Et bénie soit aussi Lucile pour m’avoir un jour offert, au seul vu de son titre, le livre de Tanguy Viel Cinéma sans se douter qu’il était consacré au film de ma vie et à la passion qu’il m’inspire.
(Et je retrouve dans mon journal 2008 -26 février- ces quelques lignes : « Le Limier, de Joseph L. Mankiewicz. Scénario diabolique, mise en scène brillantissime -un des chocs cinématographiques de ma vie- et Laurence Olivier qui se délecte : joueur, mesquin, sournois, méprisant. Grandiose. Le plus grand acteur du monde.
Je n’ai pas vu ni ne verrai la version Branagh)
• Journal intimedu « splendide quadragénaire » (aujourd’hui sexagénaire mais tout aussi superbe, n’en doutons pas un seul instant) Nanni Moretti.
Quel plaisir de le voir rouler dans les rues de Rome, invectiver le journaliste qui a dit du bien d’un film qu’il a détesté, proclamer haut et fort son admiration pour Jennifer Beals et pour Pasolini.
Quel bonheur de le voir imiter Silvana Mangano dansant le mambo et partir dans les îles éoliennes avec un ami soudainement devenu accro aux séries américaines (ah ! cette scène où l’ami impatient l’envoie demander à de lointains touristes américains ce que deviennent ses personnages préférés dans des épisodes encore inédits en Italie, et qu’il lui hurle la réponse prosaïque par-dessus le majestueux paysage strombolien qui les sépare !). Et cet humour pour décrire les remèdes fantaisistes que les médecins lui ordonnent pour calmer son prurit. Enfin, quel bel hymne à la vie que le plan final !
• Le Bal des vampires, évidemment. Grâces soit rendues à Roman Polanski, c’est par lui que j’ai eu la révélation soudaine…
(À l’âge de 20 ans, quand même… c’était en 1968, au mois de juin, mes parents m’avaient ramenée de Dijon à Troyes depuis plusieurs semaines, pendant qu’on trouvait encore de l’essence et non, je n’ai en rien participé aux mouvements sociaux)
… du rôle du réalisateur : dans la scène où Alfred tente d’échapper à Herbert en courant tout autour d’une galerie pour revenir à son point de départ où l’attend tranquillement le vampire, il fallait bien que quelqu’un ait pensé tout ça avant, non ?
Le Bal des Vampires : film dont je peux réciter par cœur, et en VO s’il vous plaît, le début et la fin (« That night, penetrating deep into the heart of Transylvania, profesor Abronsius was unaware… » Et je jure que je n’ai pas revu le film pour écrire ces mots et que j’aurais pu continuer jusqu’au bout).
Et c’est depuis que nous l’avons vu (soit presque cinquante ans) que mon amie Simone (elle m’accompagnait, rue Émile Zola à Troyes, au cinéma Le Paris, disparu depuis, devenu une boutique de fringues) et moi, de nos jours encore, nous donnons du « très chère » en souvenir de la scène où Herbert demande à Alfred, dans la version française qui est celle dans laquelle nous avons découvert le film, « Alors très cher, vous êtes plus à l’aise ? », quand la VO y va d’un sobre « and now, feeling better ? »
J’aime aussi beaucoup Le Locataire.
• La Croisière du Navigator de Buster Keaton.
Bien sûr, il y a aussi Les Fiancées en folie et son avalanche de rochers auquel il échappe par des prodiges d’agilité. Mais c’est avec le Navigator que je l’ai découvert à Dijon quand j’étais étudiante, j’y étais allée un peu par devoir, c’est un classique, et était ressortie totalement conquise. Il faut dire que la salle était d’une réceptivité comme j’en ai rarement vue, les rires fusaient de partout et quand, en scaphandre, il plonge pour effectuer des réparations à la coque du bateau en posant à côté de lui un panneau « attention travaux », je pleurais autant d’hilarité que d’émotion. De la poésie pure.
Concernant Buster Keaton, je regrette de n’avoir pas mentionné la merveilleuse musique de Claude Bolling qui dans les années 1960 accompagnait Le Navigator, Les Fiancées en folie et Steamboat Bill Junior et que je n’ai jamais réentendue depuis dans aucune reprise de ces films. J’ai juste un 45 tours avec deux courts extraits du dernier, et que je ne peux même pas réécouter parce que mon tourne-disque ne fonctionne plus…)
• Le Salon de musique de Satyajit Ray qui filme la fin d’un monde : appréciant le raffinement et la beauté, son héros ruiné doit céder la place aux nouveaux riches et leur vulgarité (dans un style très différent, Luchino Visconti faisait le même constat dans Le Guépard).
Et aussi, bien sûr, le beau portrait de femme qu’est Charulata.
• De La Joyeuse divorcée, L’Entreprenant M. Petrov, En suivant la flotte, Swing time, Top hat, Amanda, lequel choisir parmi ces Fred Astaire/Ginger Rogers aux scénarios un peu faiblards (en tout cas, toujours sur le même schéma il a le coup de foudre pour elle elle le repousse il la séduit en la faisant danser ils roucoulent mais quelque chose vient se mettre en travers et à la fin après un ultime rebondissement tout s’arrange) mais aux séquences dansées fabuleuses (aérien monsieur Astaire) filmées en plans larges (pas de saucissonnage sur les différentes parties du corps, tout est dans la continuité qui seule permet d’apprécier la fluidité des pas), aux chansons signées Gershwin, Irving Berlin ou Cole Porter et aux seconds rôles épatants (mon faible pour Edward Everett Horton qui joue les idiots à merveille).
Sans oublier Tous en scène de Minnelli et son fabuleux Girl hunt ballet où Cyd Charisse, robe rouge fendue et longs gants noirs, donne des frissons en vampant Fred Astaire, pour une fois ce n’est pas lui que je regarde, c’est sa partenaire.
• Plumes de cheval avec les Marx Brothers.
Je n’ai pas tout de suite accroché au film : qu’est-ce que c’est que ce recteur d’université qui monte sur les tables et débite des fadaises ? Et le déclic, à la fin, pendant le match de football : oui c’est absurde, mais c’est bon !
C’était la période bénite de la Paramount qui nous a aussi offert Monnaie de singe (ah ! Harpo imitant Maurice Chevalier !) et La Soupe au canard mis en scène par le grand Léo McCarey (passant à la MGM, les frères se sont dilués dans le soap, trop d’amoureux transis auxquels ils viennent en aide, un contresens total. Encore, si l’amoureux avait été Zeppo ! Mais il s’était débiné le traitre, il faut dire qu’il n’était pas très déjanté).
• Le Verre de bière fatal, génial condensé du mauvais esprit marque de fabrique de WC Fields qui envoie allégrement valser toutes les sacro-saintes valeurs américaines et en particulier celle de la famille.
Il faut le voir
Chanter la balade de son fils Chester (lequel, parti à la ville, boit le fatal verre de bière du titre et, sous l’empire de l’alcool, vole la recette de l’Armée du Salut) en s’accompagnant, avec ses moufles, d’une sorte de balalaïka.
Sortir dans la tempête de neige (« It ain’t a fit night out for man or beast ») en recevant au visage un seau de confettis lancée par un technicien caché derrière le décor.
Couper un pain en deux parts inégales et les comparer afin d’être bien sûr de donner la plus petite à sa femme.
Accueillir à bras ouverts Chester sorti de prison, le faire asseoir et lui servir la soupe (jeu d’assiettes musicales autour de la table, la mère tend à son fils sa propre assiette encore pleine, laquelle est promptement interceptée par Fields qui met la sienne, bien entamée, sur celle posée devant Chester qui passe à sa mère l’assiette vide du dessous).
Enfin il faut voir les vieux parents, après avoir pleuré d’émotion en apprenant que Chester est revenu pour toujours vivre à la ferme avec eux, après lui avoir fait moult salamalecs avant d’aller au lit…
(Good night pa ! good night Chester ! Good night ma ! Good night Chester ! Sleep well Chester ! Thank you pa ! Sleep well Chester ! Thank you ma ! et j’en passe ; et depuis nos années d’étudiantes à Dijon Simone et moi ne manquons jamais de nous souhaiter bonne nuit par une succession de good night pa good night ma good night Chester suivie d’un petit rire complice, comprend qui peut)
… l’accuser de revenir vivre à leurs crochets quand il avoue ne pas avoir conservé l’argent du vol avant de le jeter dehors sans ménagement, en pyjama dans la neige.
(J’aurai la joie de retrouver ce même mauvais esprit chez Dino Risi :
« Et les parents de frapper leurs rejetons avec leurs poings et une canne et, tandis que ces
derniers s’enfuient pour échapper aux coups, de leur lancer tout ce qui leur tombe sous la main)
la fin de ses Pauvres millionnairess’apparente -en un peu moins hard, on est à Rome, il fait chaud et la mamma finira sans doute, en rouspétant ronchonnant tempêtant, à accueillir son fils et toute sa smala- à celle du Verre de bière fatal :
Piazza Navona. Renato Salvatori, sa femme, sa sœur et le mari de sa sœur, débarquent avec leur mobilier. Retrouvailles chaleureuses. On se jette dans les bras l’un de l’autre :
-Ma maman chérie !
-Mon fils adoré !
-On partira plus. On est au chômage, on reste à la maison ! Et nos femmes sont enceintes !
-Sans travail et avec des enfants !
Et les parents de frapper leurs rejetons avec leurs poings et une canne et, tandis
que ces derniers s’enfuient pour échapper aux coups, de leur lancer tout ce qui leur tombe sous la main)
(Que j’ai mis encore plus de temps à apprécier que Plumes de cheval. Les deux films passaient en programme double à Dijon, d’abord Fields, ensuite les Marx. Et comme je voulais à tout prix revoir ces derniers, j’étais obligée de « me taper » la Riche affaire à chaque fois, et ce fut une excellente chose car, après avoir tempêté fulminé pesté à n’en plus finir, j’ai fini par l’aimer et pas qu’un peu !)
… avec la scène où un importun vient déranger Fields, qui essaie vainement de trouver le sommeil sur son balcon, en lui demandant s’il connaît un certain Carl La Fong, L majuscule petit a, F majuscule petit o petit n petit g.
No I don’t know Carl La Fong, capital L small a, capital F small o small n small g. And if I did know Carl La Fong, I wouldn’t admit it !)
• Les Sept samouraïs d’Akira Kurosawa, avec son alternance de scènes d’action et de moments contemplatifs.
Et aussi Dersou Ouzala…
• Le Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu. On a rarement montré avec autant de sensibilité combien sont gênants les vieux parents.
• Et Le Boucher de Claude Chabrol (« Capri petite île » et « Un petit couteau peut-être ? ») dans lequel Jean Yanne offre à Stéphane Audran « Un petit bouquet de gigot » et meurt dans un baiser (« Mademoiselle Hélène, embrassez-moi »).
Je n’avais jamais osé aller voir une œuvre de Béla Tarr : réputation d’austérité et longueur de ses films.
Le Tango de Satan : 7 h 15 en noir et blanc…
(« Son style : des plans qui s’étirent, un pessimisme ambiant et le noir et blanc. » Je recours à la couleur si j’ai besoin de vous montrer quelque chose avec la couleur. En revanche, si je n’éprouve pas la nécessité de vous montrer une image en vert, en rouge ou en bleu, dans ce cas-là je trouve bien préférable le noir et blanc. Justement, je peux jouer avec les nuances de blanc et de noir, et votre œil en tant que spectateur va toujours être attiré, rechercher le point le plus clair sur l’écran. Et c’est fantastique comme on peut jouer avec tout le nuancier, toute l’échelle des gris. Et puis j’ai cette audace, je peux le dire, de laisser une bonne partie de l’écran complètement obscurcie, noircie, comme ça. C’est ça que j’aime faire[1] » »)
… et trois séances. Ma foi, si je m’ennuie, je peux toujours en rester à la première partie. C’est d’ailleurs ce que préconise le réalisateur : « J’aime faire des scènes d’ouverture longues. C’est comme cela que je peux présenter le personnage principal et que je vous présente le style. C’est vous qui décidez de rester ou partir. C’est comme un pacte entre vous et moi » dans une vidéo[2] que je trouve sur internet.
La scène d’ouverture. Les personnages ? Des vaches que l’on suit pendant 7 minutes 30 au fil de leur déplacement en un lent panoramique suivi d’un travelling latéral le long des murs décrépis des bâtiments de la ferme collective (mais comment s’est-il arrangé pour que les vaches suivent le trajet voulu sans, apparemment, le concours d’un seul être humain ?).
Quand tout cela est fini, on se retrouve dans un intérieur, devant une fenêtre, attendant en plan fixe que le jour se lève. Puis on découvre un couple qui sort du lit, la femme qui se lave le sexe accroupie au-dessus d’une bassine posée sur le sol, et des pièces moches et mal tenues.
Les gens sont habillés sans soin, les tricots ont des trous par lesquels la laine s’effiloche, il suffirait de tirer sur un fil pour que tout se défasse.
Dehors, il ne cesse de pleuvoir. Les sols des cours et des chemins : des bourbiers dans lesquels on patauge et on glisse.
Une longue séquence du premier volet se déroule chez un docteur alcoolique et acariâtre qui passe la plupart de son temps assis derrière son bureau avec vue directe sur les WC (dont la porte est en permanence ouverte) et, par la fenêtre, sur les va-et-vient de ses voisins dont il épie les moindres faits et gestes, les notant scrupuleusement dans un carnet (un par personne) assortis de commentaires. Béla Tarr ne nous épargne rien de ces minables occupations.
Ayant terminé sa bonbonne d’alcool, il se trouve dans l’obligation de sortir, sous la flotte et dans la nuit, pour refaire ses provisions. La caméra le suit dans son périple au cours duquel il est abordé par une gamine dont il se débarrasse brutalement et qui le fait glisser dans la boue et chuter lourdement. Poursuivant son périple, il s’écroule finalement au bord d’une route où un camionneur le ramasse.
La deuxième partie se concentre autour d’une gamine qui maltraite un chat (longue séquence insoutenable, on déteste cette sale fillette), finissant par l’empoisonner…
(Et on espère seulement que c’est pour de faux, que c’est juste du somnifère ajouté dans sa gamelle que boit le chat vu qu’il s’ « endort » en direct)
… et qui, à la suite d’agressions verbales…
(Sa mère, un voisin voleur. On devine que ces méchancetés font partie de son quotidien et le « je suis plus forte que toi » qu’elle lance au chat pendant qu’elle le brutalise prend tout son sens)
… s’en va dans la nuit la pluie la boue, le chat tout raide sous le bras et la mort aux rats dans la poche, s’approche du troquet, regarde par la fenêtre…
(Dans la première partie, c’est elle que nous avions vue observer les danseurs du dehors puis importuner le médecin sans en connaître les raisons. A présent nous voyons derrière la vitre depuis l’intérieur son petit visage halluciné que, chacun trop absorbé par soi-même, personne ne remarque, et l’accostage du médecin prend une tout autre dimension)
… les villageois réunis, et ça boit et ça danse, ça s’agite plutôt, ça gesticule dans tous les sens pendant 10 minutes et 27 secondes…
(« Il fait aussi des plans séquences sa marque de fabrique. « D’abord le plan-séquence nous parle du temps. C’est une histoire de rythme. Le plan-séquence développe une tension particulière. Lorsqu’on tourne un plan-séquence, tout le monde doit travailler ensemble. Les acteurs doivent être dedans. Ils n’ont pas droit à l’erreur parce que la caméra tourne »[3] »)
… de tension hypnotique, au son d’un accordéon déchaîné des pieds tapent le sol, des bras poussent des mains tirent, les corps possédés roulent, se heurtent, se bousculent. Le spectateur, lui, est tétanisé.
Et la gamine quitte le village, marche sous la pluie par un chemin boueux (long travelling arrière sur elle et son regard fixe), s’assied parmi les ruines d’un bâtiment, sort la mort aux rats de sa poche, en avale une grande poignée et s’allonge, le cadavre du chat toujours serré contre elle. Et le spectateur est pris de détresse, sa gorge se noue, les larmes lui montent aux yeux.
La troisième partie débute par le discours très sensé dans lequel un revenant, de retour après avoir purgé une peine de prison, rend les villageois et leur laisser-aller responsables de la mort de la fillette. Il propose à ceux qui désirent se libérer de le suivre et, après s’être fait remettre leurs économies afin de préparer leur nouvelle vie, leur donne rendez-vous dans une maison isolée…
(Cortège de marcheurs et de charrettes tirées à bras, filmé en longs travellings arrière, avant, latéraux et qu’on suit jusqu’à leur arrivée sans qu’on se lasse un seul instant.)
Mais nul eldorado n’attend les candidats au changement : le revenant et son compère ont été enrôlés par la police et les emplois proposés sont, sans qu’ils s’en doutent, ceux d’indics.
Et le film se clôt sur le docteur qui, revenu chez lui, cloue des planches à ses fenêtres et, dans l’obscurité totale, prononce les mots qu’on entend en voix off au tout début.
Cercle vicieux. Désespoir dont jamais on ne sort.
Les travellings : un autre, magnifique et nocturne, suit les recruteurs le long d’une rue déserte envahie par une armée de papiers et journaux qui, poussés par un vent furieux, accompagnent leur marche, s’accrochent à leurs jambes, roulent au rythme de leurs pas, comme dans un rêve ou un cauchemar.
Outre ces mouvements de caméra, Béla Tarr fait aussi un très bon usage des panoramiques enveloppants qui emprisonnent les personnages à 360° : dans la maison abandonnée, les villageois endormis en cercle ; dans leur bureau, les policiers chargés d’analyser le rapport du recruteur sur les villageois. Tous pris au piège.
Sans oublier l’importance donnée aux sons : outre les bruits que font la pluie, le vent, les papiers, ceux d’une cloche, d’un verre qu’on tape sur un comptoir, du meuglement des vaches, d’une musique (de Mihály Víg) qui prend aux tripes.
Désespérance. Et pourtant, quand s’inscrit le mot FIN, je voudrais tant que ça continue.