Tito et les oiseaux de Gustavo Steinberg, Gabriel Bitar, André Catoto Dias, avec Denise Fraga, Mateus Solano, Matheus Nachtergaele, Titre original : Tito e os Pássaros, Brésil, sorti en France le 3 avril 2019, 1h 13min, Animation
Tito et les oiseaux est un long métrage d’animation (oui, oui… Encore !) sorti en 2019, présenté à Annecy. Si, comme beaucoup de dessins animés, il est passé assez inaperçu, le contexte un an plus tard pourrait/aurait pu lui redonner une visibilité tant il semble actuel.
C’est d’ailleurs comme ça que je l’ai découvert par une proche me conseillant » Tu verras, ça fait réfléchir » avec un sourire conspirationniste complice assez glaçant.
Et en effet, le film fait réfléchir…
Mais à quoi ? Je pense qu’il mérite de s’arrêter quelques secondes pour y voir plus clair car en fonction de son propre point de vue sur le/la covid, le spectateur peut y voir des choses très différentes.
Tito est un jeune garçon de dix ans dont le père, scientifique un peu loufoque (c’est rien de le dire), le laisse à la garde de sa mère suite à un accident lors de ses recherches. Elle, est fascinée voire médusée par la télévision et son nouveau présentateur qui propage sur les ondes des idées obscures (pour ne pas dire obscurantistes) pour vendre des villes idylliques surprotégées, sans criminalité ni oiseaux. À l’image, cette diffusion obscure se fait par de larges et rapides coups de pinceau qui viennent rapidement recouvrir l’image de couleurs radioactives et sombres dont l’effet fonctionne particulièrement bien.
L’horizon s’obscurcit encore davantage quand une terrible épidémie se répand sur le pays. Les rues sont désinfectées, les écoles fermées, les chaînes de télévision sont en boucle pour diffuser les informations glaçantes de l’évolution de la pandémie, un couvre-feu est instauré, les gens se cloîtrent chez eux, les malades sont placés en quarantaine dans des mouroirs…
Alors, difficile de ne pas penser, image par image à l’année écoulée, aux premières images de Chine où les agents de décontamination aux étanches combinaisons étaient filmés en train de désinfecter les rues. Aux « bonnes vacances » de mes élèves quand on leur a annoncé la fermeture des écoles à cause de la pandémie. Aux annonces quotidiennes pour suivre l’évolution chiffrée de l’épidémie.
Et un an après, ce nouveau confinement… Alors on se dit en effet, comment en est-on arrivé là ?
Et pourtant…
Et pourtant, nous n’en sommes pas arrivés à ce point de rupture du film justement. Peut-être parce que ce coronavirus n’est pas irrémédiable, que les malades peuvent dans la majorité des cas être soignés, que seuls de très rares patients ont été isolés et abandonnés. Nous sommes donc très loin du film comme du sublime livre de José Saramago : L’aveuglement.
La peur n’a pas complètement hystérisé la population, au contraire. Difficile donc de donner crédit à un éventuel message qui serait donné par le film. Sur le sujet de l’épidémie, du moins.
Mais est-ce vraiment son sujet ?
Ce serait à la fois anachronique et simpliste que de penser que Tito et les oiseaux parlent de pandémie. Ou du moins de la pandémie que nous vivons. Et pour aller encore plus loin, le message que semble délivrer à première vue par le film : nos libertés sont mises à mal par la peur de l’épidémie, est un énorme contre sens du film.
Le vrai sujet du film, c’est la peur. C’est l’un des premiers dialogues du film qui l’annonce :
Quand j’étais petit, mon père m’a dit que le pire fléau du monde c’était la peur. Elle ne se transmet ni par l’air, ni en buvant dans le même verre.
La peur se transmet par les idées.
Pas une peur de l’épidémie.
Une épidémie de peur.
En effet, la pandémie qui touche les personnages dans ce film, est une peur tétanisante qui se propage. Et c’est là où le film prend tout son sens… Les gens sont littéralement paralysés par leurs peurs. Et notamment la peur des autres. Comment devient-elle virale ? Par la télévision avec ses chaînes d’information en continue, par les réseaux sociaux, par cette parole simpliste dite et redite jusqu’à ce qu’elle s’infiltre partout. Le film traite aussi des fausses informations et de l’instrumentation de la défiance face à la science. Finalement, le vrai sujet du film, c’est la montée du populisme.
Et s’en souvenir alors que ce film a été réalisé au Brésil en plein essor du Bolsonarisme est particulièrement porteur, car le président brésilien, comme celui des États-Unis au début de la crise a eu la réaction inverse de celle présentée par le film. S’en est fascinant. Ils ont déployé l’arsenal classique de fake news et de décrédibilisation scientifique, non pas pour répandre la peur, dont l’objet est ici fondé et légitime, mais au contraire, l’ironiser. Parce que cette peur-là, contrairement à la haine, n’a rien à faire gagner aux populistes, ni financièrement ni politiquement, contrairement à la peur des uns ou des autres, contrairement à la haine des uns contre les autres.
Tito et les oiseaux est un très beau film pour jeune et moins jeune public, qui fait réfléchir, non pas sur la perte de nos libertés personnelles en tant de pandémie bien réelle, mais sur la peur virale et médiatisée des autres qui pousse à un repli identitaire et à une perte des piliers du vivre ensemble tels que la solidarité ou la tolérance.
Rien n’est plus beau que d’être ensemble, même si pour l’instant, certaines distances sont nécessaires pour se protéger les uns et les autres.