
Une Brève histoire du film.
La Petite Dernière, seul film d’une réalisatrice française récompensé à Cannes en 2025 est toute une histoire, ça commence en 2020, Julie Billie une productrice de film féministe (50/50), elle se donne pour mission « de permettre d’ouvrir les voix des femmes cinéastes , issues de la diversité, jeunes, aux regards singuliers – et de leur offrir les moyens nécessaires pour que leur voix soit la plus libre possible ».
Elle vient de lire « La petite Dernière » roman éponyme de Fatima Daas … Elle cherche quelqu’un qui serait capable de scénariser et réaliser un tel livre. Ce n’est pas si facile : écriture fragmentaire, non chronologique.
Elle pense à Hafsia Herzi, qu’elle ne connaît pas mais qui l’a séduite par sa créativité, son talent lors de son premier long métrage « tu mérites un amour »… Elle lui téléphone, Hafsia est en train de tourner Bonne Mère, elles font connaissance. Hafsia lit le livre, elle aime cette histoire et se met au travail.
Si vous avez lu ce roman, vous avez remarqué que souvent les paragraphes commencent par des variations autour du prénom Fatima :
« Je m’appelle Fatima, je porte le nom d’un personnage symbolique en Islam, je porte un nom auquel il faut rendre honneur, un nom qu’il ne faut pas salir comme on dit chez moi, Fatima est la plus jeune des filles du prophète Mohammed ». « Je porte bien mon nom si je ne le salis pas »
« Je m’appelle Fatima Daas, je porte le nom d’une clichoise qui voyage de l’autre côté du périph pour poursuivre ses études »
« Fatima signifie petite chamelle. »
Ce mélange d’ affirmation et de doute de soi, cette question de l’identité en somme, va être différemment traduite par Hafsia. Voici ce qu’elle en dit « J’ai d’abord évacué tout le volet de l’enfance qui est très présent dans le livre en me disant qu’on comprendrait l’enfance qu’elle a eue en voyant la famille. J’ai tout rassemblé sur un an de sa vie et j’ai trié en prenant ce qui m’inspirait dans le roman : un personnage de jeune femme lesbienne, musulmane, en contradiction avec sa foi, qui a des désirs, qui se cherche, un personnage qui se sent mal intérieurement parce qu’elle se sent différente, car elle sait qu’elle est attirée par les femmes depuis toujours. Mais il y a la société… Elle s’en veut aussi par rapport à sa famille et par rapport à sa religion ».
Parallelement, il faut trouver des fonds, or le sujet du livre n’inspire pas les financeurs, Julie dit : « la sexualité et la religion sont deux sujets tabous en soi, donc en les cumulant, on savait qu’on cumulait aussi les obstacles ». Et puis cela ne risquait-t-il pas d’être un sujet de niche, un sujet LGBT ? Elle trouve des financeurs en Allemagne et auprès de programmes européens puis la CNC.
Fatima c’est une origine, une religion, une banlieue du 93, comme bagage pour la route. Autant le roman insiste sur les rapports au péché, autant le scénario, ouvre sur la question du désir, de la difficile acceptation de soi et de la transgression de l’interdit. Fatima Daas l’écrivaine et ravie cette lecture que donne le scénario à son œuvre. (Cf belle interview dans Médiapart)
Fallait-il encore trouver l’actrice pour incarner Fatima. Et ça a pris deux ans et demi. C’est Audrey Gini qui avait assuré le casting de « Bonne mère » qui en a été chargée. Un jour de juin, quartier de l’hôtel de ville, lors d’une fête des fiertés, elle aperçoit une grande jeune fille, c’est Nadia Melitti.
Elle lui propose le casting, elles se revoient pour des photos…
– Peux-tu me refaire voir cette fille avec des nattes qui ressemble à Cléopâtre ? demande Hafsia. Nadia, son regard, c’est elle. Hafsia et Nadia vont se rencontrer, l’une et l’autre parlent peu mais elles se font confiance. Elles le sentent.
Nadia n’a jamais joué au cinéma. Elle est d’origine algérienne, elle a 23 ans, elle grandit à la cité Gagarine de Romainville (Seine-Saint-Denis) où elle se passionne pour le football. C’était une future professionnelle de foot, malheureusement, elle s’est cassée la maléole, et ne pourra pas l’être. Elle étudie pour devenir professeur d’éducation physique. Pour le film elle sera Fatima, une clichoise (clichy-sous-bois 93).
C’est autour d’elle que va s’articuler le film. Il n’y a pas de foot dans le roman de Fatima Daas, il y en aura dans le film. Ensuite vous connaissez l’histoire. Cannes, les marches, le prix d’interprétation féminine. La gloire. La suite… son entraineur de foot à la fac nous la dit : « On la voit le vendredi sur les marches au milieu des stars et le mardi elle était avec nous sur le terrain, c’était insensé. Elle est restée les deux jours parce qu’elle savait que c’était important pour nous.»

Fatima Daas, Hafsia Herzi, Nadia Melitti, Park Jin-Min
Les rôles secondaires offrent de beaux personnages tels : l’infirmière Ji-Na (Park Jin-Min) cet amour qui surgit. Ou encore Amina Ben Mohamed, policière municipale à Vitry-sur-Seine, dans la vraie vie, elle joue avec tendresse le rôle de la mère de Fatima.
Hafsia Herzi actrice, tout comme Fatima ou Nadia, originaire d’afrique du nord, venues de leurs banlieues lointaines sont des transfuges de classe et le film montre également une transfuge qui quitte à la fois le monde des cités et l’orientation sexuelle attendue.
Avec la petite dernière, qui atteint désormais les 330 000 entrées, Hafsia Herzi sort du cinéma confidentiel pour se compter parmi les réalisateurs reconnus, et elle le fait en transformant un sujet prétendu « de niche LGBT », en un film universel, de ceux qui font progresser la compréhension des humains entre eux, dans leur diversités et leurs différences. Un film donc qui à son niveau fait progresser la civilisation, il n’y en a pas tant que ça.
Georges