
Vu l’ultime film de Laurent Cantet réalisé par Robin Campillo. Avant de parler du film, je souhaiterais m’arrêter sur ce point, Laurent Cantet, cet homme si simple, ce grand réalisateur est tombé malade puis gravement malade. Robin Campillo l’a soutenu dans son projet, ils ont travaillé de concert, et puis Laurent Cantet est mort en avril… et c’est Robin Campillo qui a finalement réalisé Enzo…Pour les détails de leur collaboration qui est aussi celui de leur amitié, je vous invite à vous reporter au journal « Lille la nuit » d’où je tire cette citation de Robin Campillo : « Je ne suis pas sûr de faire le film que toi, tu aurais fait. » Et c’est vrai : je ne sais même pas ce que ça veut dire, faire « un film à la manière de Laurent Cantet », ni même ce que cela signifie faire un film à « ma manière ». Mais on peut se douter que pas un instant cette question ne l’a quitté.
Enzo, c’est la première fois que je vois un tel sujet au cinéma. Vous le connaissez : Enzo, 16 ans, est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C’est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu’Enzo va entrevoir un nouvel horizon.
Je songe à Annie Ernaux à cette question qui la tarabuste, celle de la honte des origines, à son insécurité face aux codes des classes aisées, bref je pense à toutes ces histoires transclasses dans leur ensemble, un peu douloureuses et surtout à sens unique, racontée longtemps après depuis un appartement chic. D’ailleurs, pour ceux des classes aisées, curieusement, on préfère un autre terme que transclasse, celui de déclassement.
Là nous sommes devant un cas de déclassement potentiel. Le sociologue Pierre Bourdieu aurait aimé ce film, il le traduit d’une certaine manière. En effet, « la distinction » y apparaît dès les premières images, lorsque le chef de chantier reconduit Enzo chez lui pour expliquer à ses parents qu’il n’est pas un apprenti appliqué.. Mais chez qui arrive-t-il ? Chez un couple de bourgeois au capital social et culturel supérieurs. Et ce sont des gens accueillants, attentifs, mais tout de même un peu intimidants pour un ouvrier du bâtiment. Et la tonalité de l’entretien est à la fois courtoise, empruntée et dérisoire, presque absurde tant il est patent que les parents, s’ils laissent Enzo faire son choix, savent, ils sont à la bonne place pour le savoir, que le choix de Enzo ne sera pas celui de devenir maçon.
Mais Enzo s’entête, et si sur le chantier il se fait charrier un peu, il ne s’en fait pas moins des amis, par exemple ces deux ukrainiens… Et là, je ne vous en dis guère davantage, disons que les fils de la vie professionnelle, celui de l’habitus social, et celui des amours forment une jolie tresse.
Georges