Autour du film…
Avec Marmaille, nous avons été parmi les premiers spectateurs du premier long métrage de ce jeune réalisateur, en même temps ceux du premier film long métrage réunionnais. Un film qui a eu quelques difficultés à trouver ses producteurs entre ceux qui n’acceptaient pas que le film soit tourné à la Réunion et ceux qui le refusaient en créole. Et puis il y a eu Pierre Forette, Thierry Wong, Baptiste Deville… qui eux ont dit oui. Et au total avec un budget de 3,4 millions d’euros, un réalisateur peut travailler… et il le fera avec une équipe de tournage à 90% locale.
C’est l’histoire de deux jeunes, Audrey 18 ans mère célibataire et Thomas 15 ans B.Boy, (breakdance) fichus vertement à la porte de chez leur mère et qui doivent affronter l’adversité affective et matérielle qui en résulte.
Le casting est pour beaucoup dans la qualité du film, il est vrai que la Directrice de casting était Christel Baras, elle a un C.V impressionnant : Portrait de la jeune fille en feu, Emilia Perez, Ama Gloria, Chanson douce etc… C’est ainsi qu’elle a choisi d’abord Maxime Calicharane pour interpréter Thomas ce B.Boy en souffrance. Qu’en dit-elle ?
« J’ai commencé à faire du casting sauvage dans la rue, dans les associations de quartier et les battles de danse. J’ai trouvé Maxime Calicharane en le filmant discrètement quand il était sur scène pour une battle. Ce qui m’a marqué dans ces images, ce ne sont pas les moments où il était en train de danser mais ceux où il était en attente face à son adversaire. Il avait en lui cette énergie folle de l’impatience qui correspondait à la rage du personnage de Thomas. »
La soeur de Thomas c’est Audrey, le réalisateur en dit ceci : « Nous avons trouvé Brillana Domitile Clain par hasard. C’est sa professeure de français qui avait entendu parler du casting et lui a conseillé de le passer. Brillana est venue sans trop y croire trois heures avant que Christel ne reprenne la route pour l’aéroport. Quand Christel m’a envoyé ses essais, j’ai vu quelqu’un possédant une intelligence de jeu rare et en mesure d’emporter un texte complètement ailleurs. C’était elle et personne d’autre ».
Coquet Gregory Lucilly dans son propos ! La professeur de Français ? j’ai lu dans le journal.re, (journal réunionnais) ce professeur n’était autre que la mère de Maxime ! Et là encore bon choix, Audrey est une jeune fille dynamique : « je suis basketteuse (une championne si j’ai bien compris) depuis l’âge de 13 ans » dit-elle, ça collait très bien.
Le réalisateur a obtenu une monteuse talentueuse Jennifer Augé (La Famille Bélier, Petit Paysan…). Elle a su capter le dynamisme du récit de Grégory pour l’adapter au montage et protéger l’histoire.
Au total, voici une histoire qui nous raconte bien des choses sur la Réunion. Nous en voyons ses beaux paysages, nous approchons la situation sociale et économique du plus grand nombre, et en fouillant un peu, nous découvrons que l’abandon de certains enfants adolescents sur cette île dont un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté existe bel et bien, que les violences conjugales sont elles aussi courantes, c’est hélas le deuxième département sur ce sujet. Et encore, qu’une femme sur cinq élève seule ses enfants.
Mais l’abandon est également un sujet qui dépasse largement la Réunion. Il faut voir ce film comme un miroir de la société réunionnaise, abordant des thématiques universelles.
Marmaille nous montre ces jeunes se battre et se débattre face à cette adversité, avec volonté et, on le serait à moins, avec parfois colère et violence. Le scénario comme la vie même est complexe et les récits s’entremêlent, Audrey est une jeune mère célibataire, aimante, solide, accrocheuse et stable, elle est le centre de gravité de cette famille d’infortune.
Nous verrons également réapparaître le père (le géniteur en fait !) « chic type » (Vincent Vermignon) qui par la force des choses essaie d’être à la hauteur après avoir, pendant bien des années , abandonné sa femme pour une autre et tout de même acquitté une pension alimentaire pour Audrey et Thomas qu’il ne connaissait pas. Et cet homme après sa défaillance, patiemment essaie de retisser le lien.
Quant à Thomas, c’est un garçon en proie a une souffrance et à une violence intérieure qu’il ne contient pas toujours, me rappelant discrètement Steve dans Mommy de Xavier Dolan. Violence le plus souvent sublimée, (mais le plus souvent seulement), il danse, c’est un B.boy, un danseur de Breakdance, et donc il va de battle en battle avec une « gnaque » incroyable. Mon petit fils m’en a expliqué les figures et leurs noms, c’est un monde très codé : Top Rock, Spin Down, Six Step, Freeze , traks, frog ! (1). La breakdance est un exutoire, une joute symbolique, donc un combat, hautement sublimé comme le sont par exemple les joutes musicales. (Le Docteur Freud remarquait que tout se substitue à la violence réelle, constitue un progrès dans la civilisation).
J’ai lu les observations suivantes que je vous livre pour tenter de les nuancer :
« Il est regrettable d’ailleurs que cette dernière pâtisse d’une conception « genrée » de la parentalité. Le scénario la catalogue comme défaillante et agressive. Elle est celle qui mérite « deux baffes », dixit Marie-Anna, la tante d’Audrey et de Thomas, parce qu’elle laisse ses enfants livrés à eux-mêmes.
« une « bonne mère » est celle qui est présente inconditionnellement alors qu’un « bon père » peut choisir ses moments et même disparaitre pendant des années… «
il me semble qu’ici cette conception « genrée » de la critique trouve ses propres limites en ne coïncidant pas toujours avec toutes formes de réalités. Ce que nous dit Marmaille est documenté par le réalisateur. Il a enquêté scrupuleusement auprès d’assistantes sociales, de juges, de policiers, d’éducateurs qui en ont souligné la fréquence. Quant au cas qu’il nous présente, il n’est pas que fiction.
On pourra trouver des défauts à ce film, comme on en trouve dans tous ces premiers longs métrages où le réalisateur veut trop en dire, cependant, on en voit surtout les qualités : son sujet est rare, il dégage une réelle énergie, les rôles sont tenus avec délicatesse et profondeur, et le réalisateur sait finir son film, ce qui n’est pas si fréquent lors d’un premier film. Et puis la Réunion tout de même ! et avec de beaux cadrages sur une bande musicale dans le style mayola d’Audrey Ismaël.
Georges
(1) le magazine Milan : En musique, un break est une partie d’un morceau pendant laquelle tous les instruments s’arrêtent de jouer, sauf les percussions. C’est sur ces « break » que les gens dansent, pour évacuer leur colère et surmonter leurs conditions de vie difficiles. Ils se défient dans des « battles » et s’affrontent, à tour de rôle, à coups de mouvements spectaculaires. Ils tournent au sol sur une main, font courir leurs jambes autour de leur tête, se relèvent d’un bond puis se figent dans une pause stylée.