A l’intérieur du film….
Ce premier long métrage de Grégory Lucilly nous transporte à la Réunion avec pour toile de fond de hautes montagnes, une végétation luxuriante, des eaux transparentes ….Mais arrêtons là la carte postale exotique car Marmaille, qui en créole réunionnais signifie enfant, nous plonge dans la misère sociale et les difficultés économiques d’une famille ‘ordinaire’ au parcours malheureusement trop souvent vu : mère élevant seule ses deux ‘marmailles’ , Thomas, 15/16 ans, et Audrey, 17/18 ans, remarquablement interprétés par des jeunes gens repérés soit par casting sauvage (c’est le cas de Maxime Calicharane, ou par vrai casting, pour Brillana Domitile Clain), un père que Thomas et Audrey n’ont pas vu depuis tellement longtemps qu’ils sont étrangers l’un à l’autre, d’autant plus que ce père s’est installé avec une nouvelle compagne dont il a une enfant et subvient aux besoins de la famille qui compte un autre adolescent, fils de la nouvelle compagne.
Thomas et Audrey se retrouvent donc à la rue car leur mère, toujours hors champ et dont on ne découvrira le visage que dans la toute dernière partie du film, les met dehors avec fracas et sans autre forme de procès dans une scène d’ouverture rapide où les injonctions fusent et les portes claquent : elle n’en peut plus ni des errements de son fils, vraie tête brûlée, ni de sa fille, jeune mère célibataire, ces deux-là ont sans doute usé sa patience maternelle, si tant est qu’elle en eût vraiment… Il ne leur reste plus que le placement en famille d’accueil, chacun séparé, sauf que, grâce à leur supplique auprès de l’assistante sociale, cette dernière parvient à convaincre leur père de les prendre sous son toit. Le décor est ainsi vite planté, et le ton donné.
Les retrouvailles avec le père sont plutôt fraîches, et on le comprend aisément, la parole ne se fait pas facilement, les rancœurs font surface, le ton monte souvent, difficile de rétablir ou plutôt d’établir des liens qui n’ont jamais eu le temps d’exister.
Thomas porte en lui une rage inextinguible que seul le breakdance parvient à canaliser : c’est son exutoire, ce qui lui permet d’extérioriser sa hargne, mais c’est aussi ce qui lui permet de rêver et d’envisager un avenir meilleur puisqu’il veut gagner un concours de breakdance.
L’odyssée de Thomas et Audrey nous montre ces deux jeunes, trop tôt brisés, essayant de se reconstruire : Audrey, solide face à l’adversité déploie une volonté de fer en se trouvant un travail, un logement et se bat contre l’incapacité de son jeune compagnon à s’assumer en père responsable ; Thomas lui passe par la case maison pour jeune délinquant, doit apprendre à se plier à des règles, et parvient à gagner la confiance de son éducateur référent malgré quelques ‘pétages de plombs’ …
Ce premier film est un vrai bonheur malgré le sujet grave qui y est traité, à savoir l’abandon d’enfants et les répercussions qui s’en suivent. Vivre en se sachant non désiré, et de surcroît abandonné, en étant privé d’amour maternel et paternel, voilà ce que Grégory Lucilly nous montre, sans misérabilisme mais avec une force, une énergie, un rythme de tous les instants. Ces deux jeunes qui essaient de se reconstruire sont sans cesse en mouvement. Il n’y a pas de temps mort dans ce film, mais une dynamique qui est le fruit de la volonté et de la détermination de ces deux-là. Et c’est ce qui est bouleversant dans ce premier film d’une force incroyable, à la fois violent et délicat, où les personnages peuvent évoluer entre froideur et distance, bienveillance et compréhension. Grégory Lucilly refuse la facilité du pathos, mais il filme les moments douloureux avec une sobriété efficace, ces moments d’appel au secours (Thomas envoyant des SMS suppliants à sa mère mais qui restent sans réponse ; Audrey appelant son père au secours lorsque son amoureux violent veut la frapper), les regards échangés, les bras qui étreignent suffisent à faire sens. Tout sonne juste dans ce film: les jeunes interprètes jouent sans surjouer, ils sont eux-mêmes, c’est du moins ce que l’on ressent, ils ont la grâce naturelle de leur jeunesse, ils nous touchent, nous émeuvent, nous font sourire aussi ; ils sont pleins d’énergie et de vie, de force et de détermination ; ils ne veulent pas subir ou se faire écraser, ils luttent pour avoir leur place dans ce monde difficile, et, dans le dernier plan du film, leur sourire est un rayon d’espoir.
Chantal