Un simple accident- Jafar Panahi 

  

    En sortant d’une projection de ce film avec plusieurs amis tous membres des Cramés, je n’ai entendu que des avis défavorables à son égard.  Pourtant, tout en avouant que ce n’était pas un grand film, j’ai trouvé que c’était un bon film, un film nuancé sur un sujet important que j’avais regardé avec plaisir.  Je voudrais expliquer pourquoi.

    Le sujet du film est très sérieux : une dénonciation de la torture subie par les citoyens ordinaires d’Iran dans les prisons des mollahs, traitement dont Jafar Panahi lui-même a été victime.  Mais le cinéaste a trouvé le moyen de traiter ce thème difficile et lourd avec une légèreté, une fantaisie, voire un humour qui le font passer.  Il y a un rassemblement fortuit de personnages disparates — un garagiste, un couple de jeunes mariés, la photographe qu’ils ont engagée, l’ex de celle-ci — qui n’ont en commun que le fait d’avoir tous été victimes du même bourreau, Eghbal, appelé « la Guibole ».  Le garagiste croit avoir reconnu celui-ci au son de sa prothèse de jambe sur les pavés et l’a emprisonné dans une boîte à outils dans son fourgon.  Dans ce véhicule on accompagne cette compagnie  hétéroclite dans une équipée rocambolesque à travers la ville (Teheran?) et le désert environnant qui n’est pas sans rappeler « La chevauchée fantastique » (« Stagecoach ») de John Ford.  Ayant eu les yeux bandés en prison, le garagiste et ses complices ont des doutes sur l’identité de leur prisonnier qui les font hésiter.  Il y a une grande tension tout au long du film, car nous partageons ces doutes et craignons un malheur, le sacrifice d’un innocent à la colère des victimes, un autre.  Sur ce fond sombre, il y a pourtant plusieurs scènes plutôt comiques, lorsque les divers personnages s’échauffent à tour de rôle et perdent la boule avant d’être modérés par les autres.   

La scène qui m’a fait penser que l’humour que j’y voyais était peut-être voulu, c’est celle où le policier sort son appareil pour accepter le paiement par carte bancaire d’un pot de vin.  En contrepoint avec ces scènes, il y a des explosions de rage qui témoignent de la violence de la torture dont les personnages ont été victimes et des séquelles qu’ils portent encore.  Décents et très humains, ils sont tiraillés entre leur soif de vengeance et le désir plusieurs fois répété de « ne pas devenir comme eux [leurs bourreaux] ».   Une référence à Godot, dans un paysage désolé avec son arbre chétif qui est celui de la pièce, souligne le dilemme qu’ils partagent avec Vladimir et Estragon : « Qu’est ce qu’on fait maintenant ? » 

Finalement ils se contentent de gueuler leur rage, de faire avouer leur bourreau et de lui donner pendant une journée une petite idée de tout ce qu’ils ont subi entre ses mains.   Entre-temps, ils ne restent pas sourds aux cris de détresse d’une petite fille, amenant la  femme du bourreau à l’hôpital pour qu’elle y accouche, ce qui montre que leurs souffrances n’ont pas eu raison de leur humanité.  Quant au fond sérieux, tout en ouvrant une interrogation sur les limites que doit prendre la vengeance, le film pose aussi la question de savoir comment un brave père de famille peut devenir un atroce bourreau.  Car on a l’impression à la fin d’une véritable prise de conscience de la part de la Guibole, dont le cri répété « Je regrette » semble finir par être sincère.  La photographe dit à un moment donné « Ce n’est pas lui, c’est la structure » (i.e. le système, le régime), avant de l’engueuler violemment à la fin, le traitant plusieurs fois de « merde ».  L’un n’empêche pas l’autre.   Avec un retour chez le garagiste, le film se termine sur une note ambigüe.  Le petit berceau qu’on voit  porter est-il destiné au fils nouveau-né du bourreau, dont le garagiste serait devenu un ami de la famille ?  Le clop clop de la prothèse qu’on entend tout à la fin est-ce dans la tête de garagiste ou est-ce le bourreau lui-même qui serait à l’étage ?  En tout cas, le drame a été évité, le cinéaste et ses personnage ont pu crier leur colère sans devenir « comme eux ». 

Don 

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