« Je n’arrive pas à faire les pompes ! » dit l’apprenti, le gadjo (sans majuscule…). Mais la « pompe », celle qui nous fait reconnaître la musique dite « jazz manouche » est un enchaînement « rythmique » d’accords. Par exemple Am, Dm, E7… Enrichis de 9éme éventuellement. C’est à dire un enchaînement rigoureusement tonal… Avec sa cadence* parfaite et son tempérament égal…enchaînement appartenant en propre à la musique des gadjos… la musique tonale, des gadjos donc, ceux qui ne jouent pas avec le cœur puisqu’ils utilisent l’écrit en musique… dit-on dans le film de Tony Gatlif …
Le maître Django Reinhardt, a fondé avec le « gadjo » violoniste Stéphane Grappelli (un autre maître) le Quintette du Hot Club de France. Une formation strictement jazz (swing**), c’est à dire strictement consacrée à la musique tonale, harmonique, définition même de notre musique occidentale depuis le XVIIIème siècle. Une musique dont parmi les maîtres, on peut citer, sans en faire le tour, Mozart, Chopin (maître avec les autres en improvisation, en conformité avec la tradition occidentale) Berlioz etc.
L’apport dans cette formation, de Django Reinhardt, en plus de sa virtuosité et de son immense talent d’improvisateur, fut d’introduire systématiquement…. les pompes pardi !
Des accords « tonaux » (pléonasme ici), en tempérament égal, sur une guitare avec des frettes (occidentale donc). Bref, une musique de gadjo… qui ne vient pas du cœur… Dit-on.
Qu’est-ce qu’un Oud ? Un instrument dont la vocation est de réaliser des lignes mélodiques. Comme le violon, même si avec quatre cordes on peut faire sonner des « accords », c’est bien « un instrument mélodique ». De plus, comme le violon, il n’a pas de frette. Pourquoi ? Parce que son champ d’expression dépasse, et de loin, les échelles tonales et le tempérament égal ! Les « modes » dont il est le porteur, sont multiples et surtout expriment des « humeurs » (modes en arabe !) très variées. Bien loin de notre mode mineur, toujours semblable à lui-même quel que soit le ton, (du type évoqué plus haut Am, Dm etc.) bien loin de la musique « occidentale ».
Le Oud est, partant, inapte à faire des pompes ! Il était pourtant essentiel pour Tony Gatlif de contraindre le Oud d’Abdellatif Chaarani de jouer une musique occidentale, pour déguiser le jazz manouche en une « musique-non-occidentale-compatible » … Joli alibi, joli mensonge ! Mais pourquoi ?
L’objectif est ici de brocarder la musique des gadjos, qui ne vient pas du cœur… Rendez-vous compte, ils pratiquent la lecture en musique ! C’est d’un racisme assez basique que l’on parle. Le monde Rom serait bien plus authentique que celui des gadjos. On y connaît les plantes et leurs vertus (ma grand-mère n’y connaissait rien…). On y est plus libre et plus malin. On s’étonne même du fait que parfois une vieille dame « non rom » refuse de se faire voler (« elle est maligne la vieille » entend-on dans le film) Ici, le poncif, les manouches sont des voleurs ne choque pas ! Peut-être trouve-t-on ça normal…
La musique (plutôt mal traitée, avec des séquences bien pauvres et souvent mal jouées, indignes du jazz manouche) est ainsi prise en otage, pour véhiculer des évidences qui n’en sont pas. La musique, souvent « mal-entendue » à travers cet usage néfaste, abuse et manipule les spectatrices et spectateurs. Spectatrices qui seront, par ailleurs peut-être un peu moins dupes de ce discours assez grossièrement raciste, devant le traitement à double langage, au fond très sournois, qui est ici réservé aux femmes…
Swing, femme, homme, musique non gadjo… A quoi joue-t-on ?
Christian Chandellier
* Il ne s’agit pas ici bien sûr de cette étrange cadence dont on nous parle avec insistance dans le film. Qui serait tout simplement le maintien du tempo… L’inverse d’un rythme donc… « swingué » peut-être.
**Le Swing est un style de jazz, caractéristique notamment du courant du « middle jazz ». Emblématique des années 30.