Blackbird, blackberry (2)

Film géorgien de Elene Naveriani

Ça commence par le bouillonnement des eaux du Rioni.
On est au cœur d’un village de Géorgie où il ne se passe rien.
Pour Ethero les jours jusque-là se suivaient et se ressemblaient. Se lever, se coucher, dans l’appartement vide rempli de l’absence de ses père et frère morts, ses persécuteurs qui continuent à venir régulièrement lui rendre visite, à s’asseoir à la table et exiger qu’elle les serve, comme avant l’accident.
Selon les convenances leurs photos sont accrochées au mur à côté de celle de sa mère, femme magnifique, jeune pour toujours, celle qui lui a donné la vie en échange de sa mort, il y a presque cinquante ans. Les photos de son père et de son frère, elles les tournent à l’envers en arrivant le soir ou dès qu’une voisine vient fouiner dans sa vie, et les retournent à l’endroit en partant le matin tant la vue de leurs visages lui est insupportable. La nuit, seule la photo de sa mère la regarde.
Ça commence par le bruit de l’eau et le chant d’un merle dont l’envol soudain surprend Ethero en pleine gourmandise, dégustant une de ces petites baies noires mûries au bord du chemin qui longe la falaise. Le jus de la mûre lui coule dans la gorge quand elle perd pied, glisse, glisse … mais se rattrape, se cramponne, hisse son grand corps lourd, remonte.
Ethero est écorchée mais vivante, à l’image de sa vie.
Grâce au merle, ce jour-là elle a la chance de se voir morte là, en bas, 20 mètres plus bas, couchée contre la terre. Cette vision -partagée avec nous- agit, en silence, comme un électrochoc qui va donner le sens du reste de sa vie.
De retour dans son commerce, une épicerie/droguerie, elle commence par s’autoriser enfin à goûter la peau de Mourmane, le livreur, à s’enivrer de son odeur. A 48 ans, Ethéro découvre l’amour physique.


Elene Naveriani sait montrer l’attraction fusionnelle de ces deux corps fatigués qui dans l’amour se délestent du poids des ans et s’émerveillent comme tous les amoureux, de tous les âges.
Leur lit de carton dans l’arrière-boutique devient le plus beau lit du monde par la magie du plaisir partagé qu’ils retrouveront avec le même bonheur, ensuite, dans d’autres lieux, à l’abri des regards, dans une clairière, une chambre d’hôtel, ailleurs, là et ici aussi, encore …
Ethero a enfin accepté d’exister et de ressentir. Sur elle, les sarcasmes des commères ses voisines ne font plus d’effet. Le sortilège est rompu.
C’est le grain de folie de ces deux personnages qui finit par compléter la saveur de ce film. Ethero devient ce qu’elle est, une personne unique, sensible et forte, douce et aimante, pudique et tendre. Comme Mourmane, prêt à lui décrocher la lune dans un poème.

Un vrai conte de fées … euh, sauf qu’un certain nombre de critères sont un peu chamboulés : ils ne sont pas jeunes, ne se marieront pas (Mourmane l’est déjà), ne vivront pas ensemble, ils n’auront pas beaucoup d’enfants (Mourmane en a déjà) …

On reprend
Un vrai conte, le sien : Ethero a décidé de rester libre, elle ne se mariera jamais, elle est désormais capable de vivre heureuse et elle aura (peut-être) un enfant. Toute seule.
Sortie du chemin qu’on avait tracé pour elle, elle n’a pas peur de tomber. La photo de sa mère sera désormais retournée à l’envers, elle aussi, et le restera, dans le tiroir, avec celles de son père et de son frère. Et voilà !

Blackbird, Blackberry troisième long métrage de Elene Naveriani est un hymne à la vie, une belle histoire d’amour, avec Eka Chavleishvili, magnifique comédienne, déjà rencontrée en Neli dans Wet Sand (non distribué en France mais vu aux Ciné Rencontres de Prades 2022) deuxième long métrage, inoubliable, de cette jeune réalisatrice qui s’impose comme véritable auteur qui dit : «J’adore les comédies romantiques, et je voulais jouer avec les codes du genre. Et quand j’ai lu le roman de Tamta Melashvili « Blackbird, blackbird, blackberry », je me suis dit qu’il fallait que je traduise le personnage d’Etéri dans le langage du cinéma, car il est très proche de ce que je cherche, à savoir quelque chose de physique, mais aussi d’assez théorique : la manière dont l’histoire, le temps, s’impriment dans le corps »

De ce livre est née Ethero et un film magnifique

Marie-No

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