Les Herbes Sèches-Nury Bilge Ceylan

Quel film que ces  – Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan.

Quel plaisir de cinéma …. de spectateur.

Ce film, dont tous les tiroirs ne peuvent s’ouvrir tant les thèmes sont nombreux, ou les questions sans réponses sont légions et dont on ressort heureux et fier de l’avoir vu.

Difficile en quelques mots de qualifier, décrypter, suggérer ce que ces 3h17 (qui par ailleurs passent rapidement), dans ce bel objet de cinéma. 

En voici, quelques bribes…

On commence par un paysage de neige, qui rappelle certains dessins chez Miyazaki. 

Le petit point noir que l’on apperçoit tout d’abord, se déplace et s’approche vers nous pour devenir un homme et l’on devine qu’il sera le personnage que nous devrons suivre tout le long du film.

On le suit de si près qu’il nous bouscule profondément quand il se révèle peu à peu, et que notre panel d’émotions fait le yoyo. Sympathique, pathétique, désagréable, touchant tour à tour.

On le devine mauvais, faible, face à Sevim, l’enfant femme dans cette parade qu’on ne peut qualifier d’amoureuse même si le doute s’impose réguliérement.

Les compagnons de route de notre personnage Samet, vont longtemps m’accompagner.

L’ami de circonstance puisque colocataire imposé, le véto du village tel un parrain mafieux, cet individu un peu paumé qui passe avant de disparaître… toute un galerie d’individus si véridiques dans leurs attentes, propos qu’on pourrait se croire au sein d’un documentaire sur la Turquie.

Et Nuray la sage, l’obstinée, la vivante, qui dépose ces envies, ses attentes et ses espoirs auprès des deux garçons. Enseignants tous deux, par choix ou pour échapper à une vie de berger tel que raconté par Kenan. 

De la belle Nuray viendra la lumière qui illumine les dernières scènes du film, des sentiments, des chagrins. Mais pas que …

Les scènes parlées s’écoutent religieusement, si belles et puissantes. 

Peu de musique mais elle semble inutile tant les sons sont amplifiés comme cette neige qui crépite en tombant ou qui crisse sous les pieds, ou encore l’eau de la source qui s’écoule tout doucement. Avec tous ces sons qui nous invitent, nous sommes là en présence, nous vivons et partageons le quotidien de tous ces individus.

Puis, pour nous ramener à la fiction, le réalisateur nous propose un pause entracte en nous montrant l’envers du décor puisque subitement, nous nous retrouvons accompagner Samet dans un nouveau décor avant un moment important du film.

Il est difficile de saisir ce saut dans la réalité …. Quel est le message ? Que faut-il comprendre ?

– Un court entracte dans ce long film, une façon de nous ramener à la fiction dans ce film très documenté ou encore – allez !  pourquoi pas, dans cette longue marche à travers les plateaux, l’acte sexuel représenté ou du moins fantasmé par notre personnage tel le tunnel chez Hitchcock.

Il y a tant à dire même si je sais qu’au fil des jours mes vérités seront autres.

On passe le film à induire…. Les sentiments des uns, des autres, les regards et tout ce qui lie les scènes pour créer ce formidable film.

Les herbes sèches –  ne nous est pas livré avec sa vérité et libre à nous de créer notre œuvre, notre film avec nos pensées, nos filtres et c’est là pour moi  toute la force de ce film.

Faire mille œuvres en une seule, nous laisser créateur. Quelle générosité !

Sylvie Cauchy

TAR-TODD FIELD (2)

Il est difficile d’éprouver de la sympathie pour le personnage principal mais l’empathie est là dès le début du film.

Dés les premières moments, notamment chez les magnifiques scénes chez le tailleur, on découvre cette femme qui se pare en homme, se masque tel un chevalier que l’on prépare pour un tournoi.

Sa gestuelle avant toute intervention impressionne par sa force. Ces gestes des mains comme pour effacer l’invisible.

Tout est contrôlé chez elle, rien n’est laissé au hasard. Elle se montre masculine dans tous ses choix. De son appartement avec ses murs de béton brut jusqu’à ses tenues, dans ses rapports humains ou elle s’affiche « mâle » jusqu’à adopter les comportements de prédateurs rencontrés chez certains hommes.

Deux moments seulement la ramenent à son état de femme.

 Lorsqu’elle devient mère louve à l’école de sa fille ou en trois mots, elle installe la terreur chez une petite fille harceleuse (trois mots puissants qui ne sont pas ceux d’une femme ) puis lors de son retour dans la chambre de son enfance ou au détour d’une porte d’armoire qui s’ouvre, on découvre quelques boîtes colorées et fleuries telles qu’en possèdent nombre de petites filles.

On devine que là est né ce personnage hybride et redoutable ou l’art passera avant toute chose. Ou elle s’effacera pour naître autre.

La descente est rapide et sans concessions. Elle se battra jusqu’au bout pour résister face à la curée.

On pourra dire qu’elle l’a bien cherché mais on sort de ce film avec le sentiment d’avoir croisé un être humain dans toute sa complexité entre forces et faiblesses.

La fin, clin d’œil au masque du début, est terrible de cruauté.

Sylvie C