L’homme d’argile d’Anaïs Tellenne


Il était une fois une jeune réalisatrice rêvant puis réalisant son premier long métrage.
Il était une fois deux comédiens un peu étranges et sensibles se réunissant autour de ce projet dessiné pour eux.
Il était une fois une belle demeure un mystérieuse se prêtant à tous les fantasmes en et hors de ses murs.
Il était une fois une cornemuse, langage à elle seule, qui la nuit résonne formidablement en partage avec la chouette ou le hibou.
La réalisatrice l’a souvent répété, elle s’est nourrit depuis toute petite, de la lecture des contes lus le soir par ses parents.
Elle dit également que le quotidien ne l’intéresse pas : « sinon je ferais des documentaires » nous dit-elle.
Aussi, dès le joli générique, nous embarquons pour – la belle histoire ….
Le livre d’image s’ouvre sur une première scène digne de Raboliot ou les taupes subissent un sort bien peu enviable. Le personnage est en gros plan, il est figé dans l’attente d’une explosion, ses immenses mains saisissantes, posée sur les oreilles. Entre homme et rocher, la représentation physique de l’ogre est là. On comprend très vite que l’ogre est doux comme un agneau et que ses émotions sont belles quelles qu’elles soient.
L’histoire, à l’image de notre héros, de ce coin de campagne, est belle et simple. Les pages défilent sous nos yeux, on s’installe confortablement dans notre fauteuil pour vivre pleinement ce qui nous est conté.
Notre personnage, muni d’un bandeau, ne voit que d’un œil (l’image du cyclope avec toute sa puissance s’impose alors à nous). L’homme des bois paisible en apparence, voit débarquer, un soir d’orage la propriétaire du lieu qu’il occupe avec sa mère âgée, tous deux salariés et gardiens de la grande maison inoccupée depuis longtemps. On devine qu’ils appartiennent au lieu.
La femme, avare de mots, lointaine, ne va pas bien, elle ordonne, crie au téléphone, s’enferme dans la grande maison pour la nuit. Raphaël notre personnage masculin, la retrouve le lendemain, gavée de médicaments. Il la sauve, appelle le médecin puis prend soin d’elle.
Une fois relevée, elle lui reprend les clés de la maison, elle a besoin de calme lui dit-elle. Elle apparait de temps en temps, observant Raphaël quand lui-même la regarde du coin de l’œil. L’observation dure tant que notre héros n’y tenant plus, décide une nuit de rentrer en catimini pour découvrir ce qu’elle fait, ce qu’il se passe sans lui à l’intérieur des lieux.
Au détour d’une porte, dans le grand salon bleu, il se découvre peint, dessiné, croqué sur tous les supports en place. Les murs, les objets sont recouverts de son image. Son visage sculpté nous apparait dans sa matière brute. Que se passe-t-il ? On devine que l’effet miroir le saisit, le questionne.
La femme, Garance, artiste parisienne, dite la dame bleue, a trouvé sa muse (ou son muse… cela se dit-il ?) et l’a reproduit tel que ressenti, fascinée par ce grand corps massif tel un golem, grand corps à lui seul une architecture.
Elle le lui dit : « Ce n’est pas vous vraiment, c’est ce que vous m’inspirez. Vous êtes un paysage…. Quand je vous regarde, j’ai l’impression de me promener »
La muse devient donc modèle, se prête au jeu, pose. Il se met à nu, physiquement et bien plus quand Garance lui enlève son bandeau et que l’on assiste, très émus à l’homme qui se livre entièrement dans ses larmes, dans toutes ses émotions.
Rafael alimente également Garance en argile qu’il va chercher sous terre dans les bois. Et ainsi, nous découvrons le kaolin sortant de terre telle une source miraculeuse. Une des plus belles scènes du film ou l’on voir Raphael attraper l’argile avec une main et se ganter très délicatement de la belle matière. Comme un avant-goût de ce qui surviendra plus tard dans le film. Le tout dans une lumière douce, très douce.
La scène (ou la page suivante tant l’histoire nous est joliment raconté) nous le fait suivre bâton sur les épaules portant deux lourds seaux emplis de la matière pour les déposer devant la porte fermée de la sculptrice. Il devient alors homme de charge, montagne de muscles.
Au fil du film, Raphael se transforme, s’observe davantage, sous l’œil inquiet de sa maman qui avec maladresse certes mais beaucoup de tendresse le repositionne, lui rappelle sa juste place. Son amie également, la factrice que l’on sent un peu amoureuse et attentive et qui l’embarque régulièrement dans des petits jeux érotiques très drôles et touchants. Qu’ils sont drôles ces seconds rôles qui apportent au film une fantaisie, une légèreté.
Raphael s’ouvre au monde, songe à une prothèse pour son œil malade. Comme pour mieux voir ce qui l’entoure au-delà de son univers que l’on devine jusqu’ présent limité, contraint. On le sent tour à tour amoureux, jaloux, heureux, léger … il nous touche. Jusqu’à cette scène ou pour séduire sa belle, que seule la statue semble intéresser et qui organise son départ, il devient statue d’argile. Vibrante, mouvante, vivante.
Les caresses de la femme sont celles de l’artiste modelant la matière, celles de Raphael sont enveloppantes comme pour mieux la garder près de lui.
Au petit matin, Garance s’en est allé et il reste seul maitre des lieux.
Deux destins se présentent à nous alors. Notre Golem, devenu de chair, plus présent, qui nous apparait devant la maison fermée dans toute sa haute taille, bien ancré dans sa verticalité, calme et regardant devant lui.
Et le destin de la statue, lors de l’exposition, nommé le Rêveur. Installé au calme également, seul et tranquille. Disponible au regard des passants attentifs et invisibles par les autres.
De Garance, on n’en saura rien. La vie passe …une parenthèse se ferme.
On reprend peu à peu conscience à la fin du film.
Heureux de ce moment nous ramenant à l’enfance, prompts à nous laisser embarquer par l’histoire d’une jolie fée qui débarque un jour dans un coin de forêt pour offrir au rêveur sa belle aventure, l’ouvrant à l’amour et à la transformation. Dans une rencontre improbable qui transfigure et bouleverse. Notre héros certainement, mais nous également.


Quel beau moment de cinéma, de rêve et comme il est bon de se laisser ainsi prendre par la main dans ce joli voyage onirique. J’attends maintenant avec impatience les œuvres à venir d’Anaïs Tellenne.

Sylvie C

Le Grand Chariot – Philippe Garrel (2)


Philippe Garrel l’a dit : « je réalise que représenter sa famille est un plaisir habituellement réservé aux peintres. Mes enfants étaient âgés de 22, 30 et 38 ans, il fallait que je trouve une raison pour qu’ils soient réunis à ces âges. »
Le – Grand Chariot c’est donc l’histoire racontée d’une famille et troupe de marionnettes mais également l’histoire d’une famille d’artistes puisque Philipe Garrel le réalisateur fait tourner ses trois enfants et sa famille de cœur.
Le – Grand chariot est le nom de la compagnie de marionnettes, peut être finalement le personnage principal du dernier film de Philippe Garrel.

C’est également le nom joliment peint sur le castelet ou se passe toutes les intrigues et histoires pour le plaisir des spectateurs, petits et grands.
Mais c’est tout autant l’histoire d’une maison, maison poumon ou chaque génération vit et respire marionnettes. Jusqu’à perdre le souffle quand la maison fait des siennes un jour d’orage.
Ce sont trois générations qui nous sont présentées dans cette maison.
La grand-mère d’une merveilleuse écoute, s’émeut, lance ses coups de gueule l’aiguille à la main et fabrique, répare, consolide les marionnettes.
Le père, sorte de patriarche qui représente la passion, le savoir, la transmission, les décisions. Dans la maison, on le suit, on l’écoute, on l’aime et le respecte. Il est le boss.
Puis les trois enfants joués si naturellement par les enfants du réalisateur. Louis le fils aîné qui perpétue mais se questionne, Martha la fidèle, et Léna la rebelle.
La grand-mère veuve, le père seul également, les trois enfants adultes, vivent, parlent, travaillent ensemble dans la grande maison de banlieue. On rit beaucoup, on se taquine. L’amour sous toutes ses formes est bien là…
Le temps semble s’être figé dans ce lieu. On devine qu’ils vivent parmi les meubles des grands-parents, les murs ont 50 ou 60 ans. C’est ainsi que la vue d’un interrupteur plus contemporain nous ramène à notre époque. On est avec eux dans la maison… On écoute, à table ou au pied d’un lit. On est accueillis, en privilégiés.
Un invité, Pieter, passe régulièrement pour dépanner puis devient membre actif de la troupe. On peut s’interroger sur la place de Pieter dans le film et des moments entre lui, Hélène ou sa nouvelle compagne. Sortes de parenthèses que je ressens personnellement moins justes, plus jouées… pour comprendre finalement que Pieter représente la précarité du métier jusqu’à la pauvreté. Dans sa quête des cachets, il se pose un moment près de cette famille ou il se sent bien, comme il le dit : « dans ma propre famille, ce n’est pas pareil » Puis il les quitte pour se consacrer à son art véritable qu’est la peinture pour malheureusement se perdre, couler et voir son rêve s’effondrer.
Pieter nous permet également de saisir l’amour, la bienveillance qui anime tous les membres de cette famille. Ils sont présents pour les autres, ils assistent, écoutent, aident, allant jusqu’à manifester dans la rue pour Léna quand c’est nécessaire. L’entraide est le ciment de cette troupe familiale, ce qui les fait vibrer dans leur métier et leurs rencontres.
On comprend vite toutefois que derrière ce joli portait de famille, la réalité n’est pas simple. Pour la famille et son avenir mais également pour le devenir des troupes de marionnettes dans le futur, est-ce un art terminé ? les traditions là encore se perdent-elles ? Peu à peu dans la tête de Louis notamment, les questionnements se bousculent.
Il faut attendre que le père décède, victime d’un malaise tel Molière en pleine représentation, pour que la voix du fils s’exprime clairement auprès des membres de la famille au fur et à mesure que la grand-mère s’épuise, s’efface puis disparaît à son tour.
Les enfants restent seuls, un peu perdus. Tout est à continuer ou à redessiner.
Pas question pour Martha de lâcher, elle veut perpétuer, rester fidèle pour finalement reprendre les rênes quand Louis décide que quitter le navire pour vivre son rêve de comédien et sa rencontre avec Hélène et son bébé. Léna la plus jeune se pose en voix de la raison, elle comprend ce qui est en cours, elle ressent que l’avenir n’est plus dans les marionnettes. Qu’il va falloir changer, bouger, se réinventer ensemble ou séparément.
Toutefois, elle reste près de Martha, l’assiste, écrit un nouveau spectacle mais l’évidence s’impose à elles, ça ne fonctionne pas ou plus.
C’est donc dame nature qui va douloureusement permettre de passer à d’autres réalisations pour les deux sœurs. Un soir de violent orage, un arbre tombe sur le castelet et le détruit. Martha l’avait rêvé, telle une prémonition, son cauchemar est là et elles se retrouvent toutes deux au milieu des débris tentant de sauver l’insauvable.
Voici donc venu le temps de la réinvention. Chacun partira dans sa direction propre, pour se retrouver, on le constate, autour des amis dans le besoin, des rencontres familiales.
À travers le destin de cette famille, on pressent la fin d’un monde.


Toutefois pour eux, je me mets à espérer que cela va bien se passer. Ils sont joliment remplis par leur histoire, leur famille et ce grand amour qu’ils portent aux autres.
Maintenant, de retour dans le réel, que faut-il en craindre pour nos marionnettistes ?
Les enfants, public ciblé, ont-ils changé, se sont-ils éloignés de cette discipline très ancienne ? Les parents transmetteurs se sont-ils détournés ou ont-ils oublié ? Il suffit pourtant de s’asseoir devant le castelet, au milieu du public de grands et petits pour ressentir que ce n’est pas le cas. Ils interagissent, crient, applaudissent et l’adulte que nous sommes devenus, pressent alors cette petite chose de sa propre enfance affleurer et jaillir dans les applaudissements et les rires. La joie est là !
La fin d’un monde peut être, mais le public est toujours là, prompt à s’émerveiller devant les spectacles proposés, quels qu’ils soient, y compris le cinéma qui vivra peut-être un jour ses derniers instants. La tristesse me gagne en écrivant ces derniers mots… Profitons !

Sylvie Cauchy






Le ravissement- Iris Kaltenbäck

Le ravissement c’est d’abord l’histoire d’une grande amitié.
Lydia l’une des protagonistes pensent d’ailleurs qu’elles sont reliées par un long fil invisible. Ainsi elles se partagent une seule dose de bonheur pour deux. Cette Pensée est essentielle pour bien saisir l’enjeu du film.
Et c’est bien tout le problème de cette histoire d’amitié certes mais pas que… Histoires d’amour, de familles, de bébés, de mensonges, de manques…
Le film dès le début nous fait rencontrer Lydia que l’on suit à travers Paris et qui rejoint son amoureux pour aller fêter ensemble l’anniversaire de Salomé.
Mais le garçon souhaite rompre, ça ne fonctionne pas. Il faut réfléchir… Lydia se braque et part seule à la fête.
Nous rencontrons alors Salomé, nous les voyons s’amuser toutes deux, faire les folles puis se retrouver à l’écart des autres où va se vivre un moment qui fera peu à peu basculer l’histoire vers autre chose. Le test de grossesse positif de Salomé et ou l’on découvre le premier mensonge de Lydia qui chargé de lire le résultat l’annonce tout d’abord négatif avant évidemment de se rétracter. Que se passe-t-il chez la jeune femme à ce moment précis ? Cette petite ombre qui passe, imperceptible…
Lydia, sage-femme de profession, sera présente pour accompagner la maman tout au long de la grossesse. Très présente jusqu’à l’accouchement, moment intense car tout n’est pas facile dans cette naissance. Le bébé tarde, la maman est épuisée, le papa présent et impuissant. Lydia gère, Lydia dirige sous le regard de plus en plus inquiet de ses collègues. Lydia veut donner naissance à ce bébé jusqu’à lui donner vie une fois l’enfant sorti avec ce massage éprouvant ou nos propres cœurs s’arrête de battre tant l’inquiétude est présente. Puis le bébé crie et tout retombe. Peurs, incompréhensions des collègues, notre inquiétude sur le sort de la petite fille.
Petite fille évidemment… Les voici trois maintenant à se partager la dose de bonheur.
Ce sera Lydia qui trouvera le prénom du bébé. Edmée – celle qui est aimée. Ainsi elle lui donne vie et identité, telle une maman.
En parallèle, Lydia croise un soir Milos, conducteur de bus.
Milos un solitaire, comme Lydia. Deux esseulés se racontant, passant une nuit ensemble, se quittant car Milos explique à Lydia, qui s’accroche, que c’est terminé, qu’il n’envisage pas autre chose.
C’est un nouveau rejet pour la jeune femme si seule et cherchant l’amour et l’attention. Elle vacille mais sa peine est invisible aux yeux de tous.
Nous retrouvons Salomé, jeune maman, fatiguée, le baby blues la guette… Mais Lydia est là pour aider, s’occuper du bébé, le promener. Elle est si seule, de l’autre bord, celle hors famille, hors cadrage. Comme on pressent sa tristesse, sa solitude quand elle est chargée de prendre la photo des parents et grand-mère autour du bébé, dans la chambre de l’accouchée. Une nouvelle ombre…
Pour laisser la jeune maman se reposer, l’amie emmène le bébé, le promène, l’exhibe à la vue de tous.
Jusqu’à devenir enfin visible dans cet ascenseur quand cette femme attendrie la regarde, la félicite pour son bébé, les yeux brillants pleins de ravissement. Ainsi elle devient celle qui fera basculer l’histoire. En effet, Milos venu rendre visite à son père malade assiste à la scène et prend le relais. « C’est ta fille ? « Lui demande-t-il.
Alors Lydia s’autorise à répondre oui, à lui annoncer ensuite que la petite est sa fille. Rien de prémédité, les circonstances, le besoin d’amour toujours et tout devient possible.
La préméditation vient ensuite. Lydia s’enlise, déraille, s’organise… Milos voit sa fille le mercredi, jour ou Lydia prend le bébé pour soulager Salomé qui peine à reprendre pied.
Lydia s’empêtre dans le mensonge. De plus en plus gros. Jusqu’à cette scène où elle est présentée bien malgré elle à la famille de Milos. Famille si gentille, si heureuse de la rencontrer avec la petite. Pour nous spectateurs le malaise est présent. On a peur pour elle, on craint la chute…
La chute arrive avec, au retour chez les jeunes parents l’annonce d’un départ rapide de la famille pour Bruxelles. Plus rien ne va !
Lydia persiste. Elle a droit à sa part de bonheur elle aussi. Lydia rejetée à nouveau.
Et c’est là que tout bascule.
L’escalade n’est plus enrayable. Jusqu’à cette scène à l’hôtel ou l’on ne peut que souffrir avec elle. Certes on la condamne pour ses actes mais il est difficile de ne pas ressentir une grande empathie pour cette femme broyée par son manque d’amour.
Elle paiera… Et sa vie sera peut-être meilleure. La fin du film laisse ouvert le champ des possibles.
Ce bel ouvrage de cinéma nous laisse avec mille questions. Qu’est-ce que la maternité ? Faut-il mettre un enfant au monde pour naître parents ? Jusqu’où une grande solitude peut-elle nous mener ? Qu’est ce qui va soudainement faire basculer une vie ? Des questions sur l’illusion, le mensonge…
Le film est très fort et puissant par la façon dont il nous malmène avec une grande intelligence et une parfaite maitrise. Iris Kaltenbach et ses comédiens sont si justes, si réels que l’on pourrait se croire dans une docu fiction de grande qualité.
Les scènes à la maternité sont réelles et l’on ne peut en douter. Hafsia Herzi qui joue Lydia dans sa grande simplicité de jeu arrive à nous permettre de ressentir la tempête émotionnelle qui l’anime. Tout cela de façon subtile, avec un jeu très fin et efficace.
L’une des belles idées du film également est la voix off (celle de Milos) qui raconte les faits après le procès apprend – on très vite.
J’écris plusieurs semaines après avoir vu le film et il est encore très présent en moi. Bousculée, je le suis encore des semaines après et j’aime ce que ce film a laissé en moi.
Ces questions en suspens, ces doutes, le plaisir d’avoir vu un bon et beau film d’une réalisatrice qui risque de nous bousculer encore.
La joie et le plaisir de m’être laissé embarquer toutes émotions dehors et un nouveau film à ajouter à mes films de l’année.


Sylvie Cauchy

L’arbre aux papillons d’or- Pham Thien An

Après avoir vu – L’arbre aux papillons d’or, je m’interroge sur mon attente de spectatrice.

Je ne m’en cache pas, je ne l’ai pas apprécié ce film. Je ne me suis pas senti à l’aise dans cet univers.

J’y ai vu quelques images qui restent en mémoire, j’y ai entendu de multiples sons, une bande originale belle et variée mais tout cela vécu dans un profond inconfort auquel je réfléchis depuis.

J’ai cloisonné d’instinct le film en deux parties. La première faite de bruit et d’agitation. Même si le personnage principal semble un jeune homme très calme, tout ce qui l’entoure est très sonore. Sonore au point que l’on discerne très distinctement des conversations (plusieurs, le vent très fort, les bruits de la ville…) le tout au même niveau m’a-t-il semblé, au point d’en ressentir un réel malaise.

Même le passage à la campagne reste très bruyant. Bruit de moteur, conversations, oiseaux, tout cela également très présent, trop présent à mes oreilles.

Puis une scène semble mettre fin à cette cacophonie. Une scène ou le coq servant d’appât chante et ainsi attire les autres coqs sauvages. Seuls résonnent leurs cris qui semblent de plus en plus proches, une sorte de pression monte presque effrayante, on attend l’attaque. Qui ne manque pas d’arriver d’ailleurs… Ensuite l’écoute devient plus agréable, on s’apaise.

Il y a évidemment des jolies scènes dans l’Arbre aux papillons d’or.

J’ai beaucoup aimé celle des quatre mains, celle de l’enfant et de son oncle qui tapissent le sol après avoir enterré l’oiseau, petit compagnon venu de la ville avec l’oncle et son neveu pour enterrer une maman pour l’un et une belle-sœur pour l’autre.

Les paysages sont naturellement beaux mais on ne sent jamais le besoin chez le réalisateur de les sublimer. Ils sont là, tout simplement faisant partie du décor et me laissent insensible. Je l’ai vécu avec beaucoup de frustration.

La relation entre l’homme et l’enfant, sans gestes tendres en apparence, ou si peu, semble malgré tout, forte et importante pour les deux. Tout semble se mettre vite en place entre eux. Pas de larmes, des questions parfois sans réponses pour le petit. Toutefois une confiance s’installe très naturellement. L’oncle est à l’écoute de son neveu. Peut-être la relation est-elle déjà ancienne ? On ne sait pas.

La quête du père de l’enfant, disparu depuis longtemps, devient également quête spirituelle entre religion et nature, les deux s’imbriquant pour notre héros.

La religion, est-elle ce que recherche Thiên dans son chemin de vie à ce moment de son existence ? Ou bien l’amour quand il retrouve une jeune femme aimée plus jeune, qui ne l’a pas attendu et qui a choisi d’entrer dans les ordres. Non par dépit mais par envie, elle l’avait d’ailleurs prévenu qu’elle ne l’attendrait pas. Elle se rappelle à lui dans une scène repensée quand il se rend sur les lieux de cet échange.

D’ailleurs, la question de la religion s’invite dès le début du film, dans la conversation entre les trois amis autour d’un verre. La question est posée autour de son importance et de la place à lui donner. L’un la pense importante, l’autre la rejette, et Thiên interrogé reste dans l’interrogation à ce moment précis.

Nous n’aurons jamais la réponse puisque survient l’accident tout près d’eux. Le choc ! Rien n’est édulcoré. La collision entre les deux motos est violente, mortelle. On n’assiste pas à l’accident mais l’image qui s’impose, quand telles les personnes qui accourent, nous découvrons l’après, cru et terrible. Deux véhicules que l’on distingue à peine et un petit enfant allongé, immobile au milieu de ces monceaux de tôles.

Voici l’entrée en scène du neveu, petit garçon de 5 ans.

Dans plusieurs scènes, l’approche de la caméra, la superposition de cadre est très intéressante et inédite pour moi, tel la fenêtre ou l’on voit Thiên de dos qui écoute les paroles de l’ancien, le vieux vietnamien qui raconte la guerre, sa guerre, montre ses souvenirs au personnage principal qui écoute patiemment et semble-t-il avec intérêt. L’ancien qui fait le choix maintenant de s’occuper des morts du village et d’ailleurs rencontré lors de la cérémonie pour la maman du petit garçon.

Ce n’est pas un travelling tel qu’on a l’habitude de les voir, cela se fait de façon séquentielle, comme des sauts de puce vers l’objectif qui est dans le cas présent, le visage de l’ancien. Il est invisible tout d’abord, seulement matérialisé par sa voix et les mots qui l’accompagnent.

L’ancien est catholique lui aussi, il fait partie de la communauté du village, et l’on remarque chez lui vierges et croix de toutes sortes au milieu des photos de soldats, de famille. Toute une vie défile doucement et très lentement devant notre regard. On devine qu’il vient alimenter la quête de Thiên.

La lenteur est toujours très présente dans ce film… Même lorsque le personnage circule à moto pour se rendre dans le village de sa famille et qu’on le suit de dos. Peut-être pour différencier la vie citadine de la campagne… Peut être…

Une dernière scène très belle clôture le film, scène dans laquelle notre quêteur semble avoir trouvé quelque chose… Peut-être la fin du voyage ? En s’allongeant dans le lit de la rivière, il devient ici élément de la nature, il se mêle à ce qui l’entoure tout naturellement.

Ni minéral, ni végétal mais autre et tellement, m’a-t-il semblé, à sa juste place.

À la relecture de mes mots, je me dis que malgré le sentiment d’être passé à côté du film, je peux, après quelques jours, y trouver des pistes, des idées, des ressentis. De quoi nourrir mes réflexions.

Qu’aurais-je aimé trouver pour apprécier ce film ?

– Peut-être un personnage plus marquant, attachant.

– Peut-être un peu d’humour qui manque terriblement dans ce film. Le seul moment où les spectateurs sourient ou rient et lors de la rencontre avec le samaritain qui offre de l’alcool pour la moto en panne quand il dit : « qui se promènent avec de l’essence sur une moto ? » nous avons souri en spectateur d’une autre culture mais était-ce bien l’idée du réalisateur ? Ce n’est pas certain.

– Peut-être des gestes tendres avec l’enfant qui auraient pu nous attendrir.

– Peut-être des paysages mis davantage en valeur…

Le tout nous est livré tout cru, sans fioritures, sans recherche de séduction de la part du réalisateur.

Tout ceci relève évidemment de mes propres réflexions qui n’ont pas valeur de vérité.

Il est intéressant toutefois de s’interroger sur ses motivations à voir un film et pourquoi tel film ? Qu’attendons-nous spectateur ? qu’allons-nous chercher ?

Fantasmons-nous le film en partant de l’affiche, de nos connaissances, de qui nous sommes ? La curiosité nous anime t’elle ou est-ce autre chose ?

En quoi le cinéma nous nourrit-il ?

Je n’ai pas nécessairement toutes les réponses mais je continue à y réfléchir car déçue par ce film, j’étais visiblement dans une certaine attente.

Sylvie C

Les feuilles mortes d’Aki Kaurismaki

 

Fort heureusement, le réalisateur à finalement décidé de sortir de sa retraite décidée en 2017 pour nous offrir une tragi comédie digne de ses meilleurs films.

Il permet la rencontre d’Ansa et Holappa, deux laissés pour compte, deux tristes qui n’attendent plus grand-chose de leur vie malgré leur jeunesse et leur beauté. Seule leur ténacité permet le happy end car les éléments ne permettent pas de les réunir facilement.

Elle déprime, lui boit ……. et déprime.

On les découvre sur leur lieu de travail. Elle empile les rayons en supermarché, trie et jette aux ordures les invendus ou autres passés de dates, d’un geste mécanique et sans émotion apparente. On la regarde, jolie fille broyée, le corps voûté et pourtant se redressant face à la bêtise, l’injustice. Tout n’est pas éteint chez Ansa, on le devine. Elle s’émeut…..

L’arrivée d’un petit chien perdu comblera une partie du vide, faute de mieux.

Lui, vit avec ses collègues dans une baraque sans confort dans une entreprise de travaux. Il boit en silence, en cachette parfois, planque ici et là les bouteilles, et réagit à peine quand il est découvert et licencié. Il reste immobile, vaincu, résigné, l’homme de peu de mots.

Seul son ami et collègue Huotari en mal de rencontres féminines parvient à le mobiliser pour aller au Karaoké. Il suit marchant quelques pas en arrière comme un enfant qu’une mère tire par la main.

Et c’est la rencontre de ces deux êtres qui n’attendent rien mais finissent après bien des complications par recevoir.

Ils s’aiment nos amoureux. Ansa prend la main sur leur histoire à venir peut-être, donne son numéro, pose ses conditions, se redresse, se positionne.

Lui, le grand dadais, acquiesce, suit et finit par lâcher la boisson pour elle.

Dans cette histoire d’amour, la dépression rôde. Rien n’est dit, exprimé sauf en de rares moments mais tout est souligné par les images, les corps, la musique parfois. 

Les couleurs magnifient le film, tantôt passées tantôt vives. Une chemise d’un jaune éclatant, des affiches, des intérieurs, le rouge, le bleu …..les couleurs accompagnent comme pour suggérer la vie, l’espoir. Elles soulignent les scènes, leur donnent leur intensité.

Telle l’image surprenante et belle qui illustre cet état dépressif, au début du film, quand Holappa se laisse convaincre et se fait beau pour le karaoké. Un dernier coup d’œil au miroir avant de sortir. Un miroir cassé et l’on se trouve face à son reflet déformé, écartelé tel un Picasso, tel – la femme qui pleure.

Ainsi les larmes ne sortent pas mais tout les suggère.

La tristesse rôde dans ce film. Ces décors d’un autre temps, les entreprises broyeuses d’humains, cette radio qui s’allume sans cesse sur le conflit en Ukraine nous ramenant au temps présent. On en doute parfois tellement tout est suranné, certains décors, lieux semblent passés, telle une photo qui s’efface. On pourrait se croire dans les années d’après-guerre.

Il y a également du morbide dans la façon dont le personnage masculin s’abîme à force de boissons. La mort est d’ailleurs évoquée dans cet hilarant concert ou trois jeunes filles en robes de chambre chantent la mort, l’enterrement. Hilarant dans ce contraste de jeunes filles toutes pimpantes, aux joues roses, habillées de couleurs vives et leur mine affligée évoquant la dépression et la mort face au héros seul en compagnie de sa bouteille.

Et puis quelques scènes régulièrement distillées,  des petites  envolées lyriques et musicales nous montrant le ciel, les nuages, le ciel parfois bleu tendre, quelques nuages certes mais rien de menaçant. Tel un espoir qui se dessine tout doucement. On pourrait se croire chez Douglas Sirk , c’est doucement suggéré ….amené

Une des forces de ce film est que les paroles des chansons parlent en place de nos deux taiseux. Tout est dit, exprimé par les textes chantés. 

Je reviens sur le terme – hilarant – car il s’agit bien d’une comédie que ce dernier film de Kaurismaki prix du jury à Cannes. On rit souvent dans ce film, on est touché par certains dialogues franchement drôles entre Le personnage principal et son copain, ou entre les amoureux. Ansa est drôle dans ses affirmations, lui dans ses réactions.

Une comédie romantique, un beau mélo, un antidote à la déprime actuelle.

Oui, un antidote, car on sort heureux et ému de ce film avec cette belle dernière image digne d’un Chaplin. On a presque envie de l’accompagner de la si belle chanson – Smile – écrite par Chaplin.

 Le sourire oui, car Kaurismaki ce colosse, ce molosse, qui se défend d’aimer l’homme, nous montre le pouvoir de  l’amour ramène qui  l’envie, la vie.

 Kaurismaki est sorti de sa retraite pour un message d’espoir et de gratitude pour la vie et nous l’en remercions vivement.

Sylvie C

W.E ITALIEN 2023 : Vers un Avenir Radieux de Nanni Moretti

-Moi, je l’aime ce Nanni Moretti. Je l’ai aimé dans sa quarantaine juché sur son scooter et parcourant les rues de Rome, je l’ai aimé acteur avant cela mais je l’aime encore davantage en me régalant de son très réussi dernier film.

Ce film, je l’ai regardé et vu  comme une succession de séances, de sketches, passant d’une époque à l’autre, d’un moment à l’autre.

Difficile de démêler ce qui est lui et ce qui n’est pas. Même si évidemment tout est lui : l’œuvre et l’homme.

On s’y perd avec joie, on l’accueille, on découvre ses peurs et ses joies, ses emportements.

Dans ses peurs et ses difficultés,  la perte d’un certain cinéma libre, de la création, de l’indépendance (la scène avec les humanoïdes de Netflix est glaçante), la solitude (ses femmes s’en vont, s’envolent), le communisme qui l’ont sait a participé à sa construction d’homme, le sommeil difficile au point de faire appel à la chimie…..

Il raconte son communisme. Le communisme associé au cirque, comme une représentation, une illusion, les années qui passent tout en nous faisant revivre des événements graves.

Tout Nanni Moretti est présent. On reconnaît son œuvre, sa signature avec un petit quelque chose en plus quand souvent affleure la joie, la fantaisie  …. Oui il a vieilli, oui la dépression le guette mais il se tourne vers ses ressources, sa construction d’homme, d’humain pour notre plus grand bonheur.

J’ai adoré ce petit couple au cinéma avec ce garçon timide et réservé, cette fille qui attend un geste à la fin du film mais rien ne vient. Le réalisateur intervient… embrasse là, lui dit-il, avec un mélange d’agacement et de tendresse.

On les retrouve plus tard en voiture dans une scène de dispute. Elle veut plus,  il hésite, ne comprend pas … elle quitte la voiture comme une menace de départ. 

Nanni Moretti, voisin de voiture intervient, donne les mots qui sortent de la bouche de la jeune femme tel un souffleur, un Cyrano. Je suis heureuse de les retrouver plus tard en pique nique dans les collines, si heureux dansant les bras ouverts tels des derviches avec leurs deux petits garçons…. quand soudain une évidence me frappe …

Et si ce jeune couple était ses parents, ses créateurs. les petits garçons lui et son frère…. S’il se donnait vie en intervenant dans la vie future de ses parents ? Allez, faites moi naître …. j’ai tant à dire . Ce n’est peut-être pas cela qu’a voulu dire Moretti mais j’aime beaucoup l’idée.

L’émotion aussi est là, tapie dans beaucoup de scènes. Par exemple, sur le tournage de l’autre film, celui de l’émancipation pour sa compagne de vie, ou il s’invite et nous offre  une magistrale leçon sur son  regard de cinéaste, sur l’amour de son art, la justesse, l’hommage au cinéma nous prend à la gorge et on le suit, bien entendu. Quelle belle scène ….j’y ai beaucoup appris, elle me ramène à la genèse de mon amour pour le  cinéma, du beau cinéma. 

Celle des petites salles, des fiches de Monsieur Cinéma, du cinéma de minuit. Merci Monsieur Moretti de me ramener à mes fondamentaux, ma construction.

Merci aussi de nous rappeler que vieillir peut être beau si l’on a rempli sa vie, si l’on a vécu pleinement ses coups de cœur, ses emballements, si l’on s’est rempli de cinéma, de musique ou autres pour pouvoir un jour se regarder, se voir et se dire – Ok j’ai loupé ca, vécu ça mais j’ai bien vécu ! et ce n’est pas fini car l’envie est là ! 

La très belle fin du film, cette parade, ce défilé où l’on retrouve tous ceux qui l’ont accompagné durant ses décennies de cinéaste (la jeune couple est encore là ) où chacun marche le regard fixé  vers son avenir radieux, nous remplit de joie et d’optimisme.

Un film cadeau !

Sylvie

Les Herbes Sèches-Nury Bilge Ceylan

Quel film que ces  – Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan.

Quel plaisir de cinéma …. de spectateur.

Ce film, dont tous les tiroirs ne peuvent s’ouvrir tant les thèmes sont nombreux, ou les questions sans réponses sont légions et dont on ressort heureux et fier de l’avoir vu.

Difficile en quelques mots de qualifier, décrypter, suggérer ce que ces 3h17 (qui par ailleurs passent rapidement), dans ce bel objet de cinéma. 

En voici, quelques bribes…

On commence par un paysage de neige, qui rappelle certains dessins chez Miyazaki. 

Le petit point noir que l’on apperçoit tout d’abord, se déplace et s’approche vers nous pour devenir un homme et l’on devine qu’il sera le personnage que nous devrons suivre tout le long du film.

On le suit de si près qu’il nous bouscule profondément quand il se révèle peu à peu, et que notre panel d’émotions fait le yoyo. Sympathique, pathétique, désagréable, touchant tour à tour.

On le devine mauvais, faible, face à Sevim, l’enfant femme dans cette parade qu’on ne peut qualifier d’amoureuse même si le doute s’impose réguliérement.

Les compagnons de route de notre personnage Samet, vont longtemps m’accompagner.

L’ami de circonstance puisque colocataire imposé, le véto du village tel un parrain mafieux, cet individu un peu paumé qui passe avant de disparaître… toute un galerie d’individus si véridiques dans leurs attentes, propos qu’on pourrait se croire au sein d’un documentaire sur la Turquie.

Et Nuray la sage, l’obstinée, la vivante, qui dépose ces envies, ses attentes et ses espoirs auprès des deux garçons. Enseignants tous deux, par choix ou pour échapper à une vie de berger tel que raconté par Kenan. 

De la belle Nuray viendra la lumière qui illumine les dernières scènes du film, des sentiments, des chagrins. Mais pas que …

Les scènes parlées s’écoutent religieusement, si belles et puissantes. 

Peu de musique mais elle semble inutile tant les sons sont amplifiés comme cette neige qui crépite en tombant ou qui crisse sous les pieds, ou encore l’eau de la source qui s’écoule tout doucement. Avec tous ces sons qui nous invitent, nous sommes là en présence, nous vivons et partageons le quotidien de tous ces individus.

Puis, pour nous ramener à la fiction, le réalisateur nous propose un pause entracte en nous montrant l’envers du décor puisque subitement, nous nous retrouvons accompagner Samet dans un nouveau décor avant un moment important du film.

Il est difficile de saisir ce saut dans la réalité …. Quel est le message ? Que faut-il comprendre ?

– Un court entracte dans ce long film, une façon de nous ramener à la fiction dans ce film très documenté ou encore – allez !  pourquoi pas, dans cette longue marche à travers les plateaux, l’acte sexuel représenté ou du moins fantasmé par notre personnage tel le tunnel chez Hitchcock.

Il y a tant à dire même si je sais qu’au fil des jours mes vérités seront autres.

On passe le film à induire…. Les sentiments des uns, des autres, les regards et tout ce qui lie les scènes pour créer ce formidable film.

Les herbes sèches –  ne nous est pas livré avec sa vérité et libre à nous de créer notre œuvre, notre film avec nos pensées, nos filtres et c’est là pour moi  toute la force de ce film.

Faire mille œuvres en une seule, nous laisser créateur. Quelle générosité !

Sylvie Cauchy

TAR-TODD FIELD (2)

Il est difficile d’éprouver de la sympathie pour le personnage principal mais l’empathie est là dès le début du film.

Dés les premières moments, notamment chez les magnifiques scénes chez le tailleur, on découvre cette femme qui se pare en homme, se masque tel un chevalier que l’on prépare pour un tournoi.

Sa gestuelle avant toute intervention impressionne par sa force. Ces gestes des mains comme pour effacer l’invisible.

Tout est contrôlé chez elle, rien n’est laissé au hasard. Elle se montre masculine dans tous ses choix. De son appartement avec ses murs de béton brut jusqu’à ses tenues, dans ses rapports humains ou elle s’affiche « mâle » jusqu’à adopter les comportements de prédateurs rencontrés chez certains hommes.

Deux moments seulement la ramenent à son état de femme.

 Lorsqu’elle devient mère louve à l’école de sa fille ou en trois mots, elle installe la terreur chez une petite fille harceleuse (trois mots puissants qui ne sont pas ceux d’une femme ) puis lors de son retour dans la chambre de son enfance ou au détour d’une porte d’armoire qui s’ouvre, on découvre quelques boîtes colorées et fleuries telles qu’en possèdent nombre de petites filles.

On devine que là est né ce personnage hybride et redoutable ou l’art passera avant toute chose. Ou elle s’effacera pour naître autre.

La descente est rapide et sans concessions. Elle se battra jusqu’au bout pour résister face à la curée.

On pourra dire qu’elle l’a bien cherché mais on sort de ce film avec le sentiment d’avoir croisé un être humain dans toute sa complexité entre forces et faiblesses.

La fin, clin d’œil au masque du début, est terrible de cruauté.

Sylvie C