Tout ira bien-Ray Yeung

Le film commence tout en douceur avec en ouverture, cette marche silencieuse de deux femmes de dos. Elles avancent sur ce long pont pour une promenade en automne. La scène nous semble au ralenti tant les mouvements des corps sont fluides, corps qui par moment se touchent puis se séparent. Tout est calme, le paysage est beau, un peu brumeux et les couleurs automnales. Le calme nous enrobe…. On a envie de se lover dans son fauteuil.
A cette promenade, succède un matin ordinaire et l’on regarde Angie et Pat, couple de soixantenaires dans leurs rituels de début de journée. Telle une petite danse mille fois répétée. L’une place les feuilles de thé dans la théière, l’autre verse l’eau. On assiste à cette chorégraphie du quotidien longuement éprouvée. Les petits rituels défilent sous nos yeux, touchants dans leur simplicité.
Angie et Pat couple de femme depuis quarante ans, vivent harmonieusement leur histoire au sein de Honk Hong. La famille de Pat est devenue au fil du temps la famille d’Angie. Mamie Angie pour certains, tante Angie pour d’autres…. Les deux femmes sont aimées, entourées, elles sont heureuses, rien ne semble venir rompre cette vie bien installée, sereine en apparence.
Les scènes au marché nous montrent leur joie à retrouver leurs commerçants, leurs produits, leur plaisir au repas familial qui se prépare. Elles se réjouissent de ce moment à venir.


Et la famille est là … le frère de Pat et sa femme, leurs deux enfants adultes petits trentenaires, le mari de la fille et les tout petits, garçon et fille. Tout le monde semble plaisir à ce nouveau repas partagé. On joue, on rit, on taquine … une belle entente familiale.
Quelques zones d’ombre apparaissent toutefois. Une remarque d’Angie qui donne un cendrier à son beau-frère fumant sur le balcon quand il semble comme pris en faute. Le prix d’un alcool qui suscite réflexion chez la femme du frère – NOUS sommes des gens simples. Comme une timidité ou le fait de masquer une différence, un autre monde. Le visage de son mari s’assombrit …son corps se voute.
En parallèle les deux enfants du couple, semblent aimer sans frein les deux femmes qui les reçoivent. On comprend vite qu’elles ont contribué à aider financièrement pour leur faciliter la vie. Une petite enveloppe tendue, une boite avec le reste du repas, prévu certainement en trop grosse quantité à cet effet.
Chacun repart ou reste sur place satisfait.
Mais le soir même, Pat meurt subitement. Tout s’arrête ! La famille accourt autour d’Angie pour la soutenir.
Les premières difficultés, une fois Angie relevée, vont être de trouver le lieu ou reposera la défunte.

Pat voulait que ses cendres soient dispersées en mer. Angie le dit clairement à plusieurs reprises. Mais un nouveau personnage survient, sorte de voyant gourou qui estime que ce n’est pas le bon choix et propose un colombarium. La famille suit.
On lit l’incompréhension chez Angie qui répète et répète le souhait de Pat sans être finalement écoutée.
Les gros plans sur son visage laissent apparaitre le doute, l’incompréhension, puis une colère sourde quand elle réalise ne pas être écoutée.
Elle doit s’imposer. Comme dans cette séance lors de la cérémonie ou le voyant lui demande de se placer en arrière avec les amis. La colère devient motrice et elle s’impose finalement, ne laisse pas le choix.
Nous la retrouvons ensuite chez le notaire quand elle apprend avec la famille que sans testament, elle n’hérite d’aucun des biens de sa compagne. Tout ira au frère de Pat.
Et particulièrement leur appartement, sa maison, son lieu de vie depuis 30 ans. L’incrédulité se lit sur elle, elle n’y croit pas. La colère grandit….
Au-delà de toute démarche, c’est un combat contre elle-même qui se met en place. On peut deviner ce qui se joue mentalement. Elle bataille contre l’injustice de la situation, peut-être une colère contre sa compagne, contre les protagonistes qui eux-mêmes peu à l’aise et remettant sans arrêt discussions et décisions à plus tard, grignotent peu à peu ses certitudes. Quelques phrases par ci, par-là, des membres de la famille lui font peu à peu comprendre que tout va changer.
Il lui faudra la lecture libératrice d’une ébauche de testament pour qu’elle prenne les décisions à venir. Notre personnage pourra alors également vivre symboliquement la dispersion des cendres remplacées par des pétales de fleurs. Entourées de ses amis, comme une nouvelle famille. Famille de cœur …


Le film se termine paisiblement sur les souvenirs d’Angie quand les deux amoureuses à la fin de la promenade ouvrant le film, s’embrassent enlacées. La boucle est ainsi joliment bouclée.
A l’évocation de ce souvenir, Angie semble avoir retrouvé la paix.
Il faut savoir que dans la langue chinoise le mot- maison et – famille est illustré par le même caractère . Pour Angie la perte est donc totale.
Le réalisateur a voulu questionner sur ce qu’est une famille, les liens du sang, les liens du cœur.
Quelle place occupe le compagnon ou compagne à qui l’ont n’accorde pas de droit ?
A Honk Hong, pas de droit au mariage pour les couples gays, qui pourrait mettre l’autre à l’abri.
Mais bien évidemment que l’histoire est universelle.
Parfois, quand la loi n’autorise pas le mariage entre gens du même sexe ou encore par méconnaissance ou désinformation de lois existantes. Nous avons tous parmi nos proches des personnes dans cette situation, homosexuels ou hétérosexuels. Seul le mariage protège aux yeux des lois établies.
Au fil du film, on ressent très vite le fossé existant entre le couple formé par Pat et Angie et la famille au sens large.
Les deux femmes ont réussi socialement, elles partagent les fruits de leurs succès. Elles ont le luxe de la générosité.
En parallèle la famille du frère est insatisfaite. Le travail est dur, les logements sont exigus, la frustration est quotidienne.
L’arrivée de cet héritage leur permet d’entrevoir un avenir peut être plus facile. Pour le frère de Pat, une nouvelle dignité.
Quitte à sacrifier celle qui dispute l’héritage, qui a travaillé au côté de Pat pour cette réussite sociale. On peut penser que les freins, les culpabilités vont s’atténuer, perdre de leurs couleurs au fil du temps, reléguant Angie à l’arrière-plan.
Il n’y a pas de « méchant » dans cette histoire. Les circonstances sont telles que chacun est face à ses décisions laissant surement un peu de lui-même.
Tout ira bien – est une histoire dramatique contée avec beaucoup de délicatesse. Le visible comme l’invisible permet à chacun de s’interroger sur sa propre place au sein de sa famille. On est nécessairement touché par l’histoire de cette famille qui se délite à la perte de l’un des membres.
Je le répète, l’histoire est universelle et résonne nécessairement et utilement.

Sylvie






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