Ce beau et rare film saoudien de Tawfik Alzaidi nous présente un court moment de vie.
Une histoire qui se détricote au fil du film et dans lequel les deux personnages principaux Norah 16 ans et Nader le nouvel instituteur n’étaient pas destinés à se croiser sauf peut être si la vie de Norah n’était pas devenue ce qu’elle est au début du récit.
Dès son arrivée, Nader se différencie des autres hommes du village. Il porte des lunettes de soleil ce qui ravit et enthousiasme les enfants du village. Il est également, avec l’épicier, le seul habillé à l’occidental mais le commerçant explique qu’il est né en Inde ce qui le positionne comme autre, dès le début du film. L’épicier est celui qui entre et qui sort du village régulièrement pour aller à la ville chercher les victuailles, tel un cordon ombilical entre l’autre monde, celui de la ville, et le village.
Notre héroïne, Norah nous apparait également différente. Elle a vécu d’autre choses (elle le pressent même si ses souvenirs sont lointains) et elle entend bien prendre sa vie en main. Elle est solide Norah, impatiente, drôle, pétillante. A l’inverse de sa tante accablée, triste et fatiguée chez qui elle vit avec son frère et sa cousine. Sa cousine est effacée et soumise, elle est son opposée. Celle qui ne s’oppose pas.
Le petit frère, lui, est celui qui va, sans le vouloir, apporter le « trouble « chez Norah et dans son entourage. On ne voit pas d’homme dans la maison mais ils sont omniprésents car ils définissent les règles, relayées par la femme et la fille de la maison.
Comment s’opposer à une vie toute tracée pour Norah ?… L’achat, avec la complicité monnayée de l’épicier de magazines.
Notre jeune fille s’évade dans la lecture, rêve beaucoup devant les photos des mannequins, leur chevelure, leur maquillage. Elle lit et relit tout ce qui la nourrit.: la mode, les conseils de beauté, la photo d’un musée.
Elle crée d’ailleurs son petit musée , bien caché, dans le couvercle de sa malle cantine. Il est touchant d’y voir des portraits, des dessins et … un peigne. Ce peigne, objet banal et pourtant émouvant quand on constate que les cheveux sont obligatoirement masqués dans le village de Norah. C’est seulement dans l’intimité de la maison qu’ils se découvrent. On voit pendre chez Norah une petite mèche plus courte, un peu coquine et indisciplinée qu’elle a du couper elle-même, certainement pour ressembler à la belle femme en photo qui la fait rêver. Comme un petit pied de nez au village qui la retient prisonnière.
Car, prisonnière, elle l’est bien. On a décidé pour elle (les hommes du village, sa tante) qu’elle devait se marier. Norah renâcle, recule la date, ne ploient pas devant l’inévitable. » Tu n’es pas facile » lui dit sa tante. » N’as-tu pas compris que ce sont eux qui prennent les décisions ». Pas encore ! jette Norah. Derrière ces deux petits mots pas, se projette ce qu’elle ne pourra pas empêcher, elle le sait. En attendant, elle rêve. C’est son unique porte de sortie.
Puis, de temps en temps, elle passe la main sur la flamme comme un besoin, l’explication viendra plus tard pour nous.
Autre particularité chez la jeune femme. Elle sait lire, dans un pays ou l’accès à l’éducation leur est interdit … on comprend pourquoi, en découvrant son histoire au fil de l’histoire. Ainsi, lorsque à l’école commence l’apprentissage de la lecture, elle aide son petit frère. Elle veut qu’il soit bon. L’enseignant leur annonce, non un devoir sur table mais un quizz. Une sorte de jeu dans lequel celui qui fera un sans-faute sera récompensé d’un cadeau.
C’est ce cadeau gagné par le garçon, un portrait de lui au crayon par son instituteur, qui va réveiller chez Norah une idée, un espoir, une ouverture.
Qui dit portrait, dit musée pour Norah… elle veut son portrait pour figurer dans un musée. Mais pas n’importe quel portrait, elle veut de la couleur.
Il est vrai que les couleurs sont rares dans son quotidien. Le village est monochrome, les intérieurs sombres. Les couleurs, c’est l’ailleurs, une autre vie qu’elle imagine en tournant et tournant les papiers glacés des magazines.
Il faut donc trouver comment procéder, convaincre l’enseignant plutôt facilement (on apprendra plus tard qu’il était venu pour cela), par l’entremise de l’épicier complaisant. Notre peintre caché derrière une étagère joue le voyeur et Norah exhibe ses yeux, son beau regard devant le crayon.
Et soudain, se réveille une créativité endormie, l’artiste renait, on devine qu’un évènement douloureux l’a mis à l’arrêt. Norah prend la pose. Elle est drôle notre héroïne dans son immobilité, sa curiosité, ses affirmations, son culot. Un lien se tisse dans ces échanges, une rencontre a lieu, les deux regards se croisent. Ainsi survient sous nos yeux de spectateurs, le plaisir retrouvé pour le peintre et l’idée possible d’un avenir pour Norah.
Mais les hommes sont là, tout autour. Les scènes du conseil de village nous montrent combien certains sont figés dans leurs traditions, nous comprenons en les écoutant qu’ils savent les changements à venir, comme l’électricité par exemple. Ils la rejettent mais sont bien conscient qu’ils n’arrêteront pas l’inévitable marche du progrès. En attendant, ils restent accrochés à leurs coutumes.
Norah qui a appris l’existence d’un grand père mis à distance par la famille, veut partir, le rencontrer.
Malheureusement, l’évasion échouera et sa vie se fera au village.
Contrairement à son portrait qui lui, vivra dans la lumière. Une petite part d’elle vivra sa vie, s’exposera telles les photos de magazine, telle que l’a rêvé Norah.
Il n’y a rien de pire que les rêves dit Norah à la fin du film … Il est des films ou l’on aimerait passer dans l’écran et consoler, aider, encourager le personnage qui nous émeut. Lui dire que tout va s’arranger …. Je suis heureuse d’avoir rencontré Norah. Cette jeune femme courage et batailleuse et peinée de la voir retomber dans cette vie morne, étouffée et triste.
Tawfik Alzaidi pose un regard empathique sur ses personnages. Il a eu le bon goût de ne pas choisir la romance entre ces deux êtres. La rencontre est artistique et réveille chez nos deux personnages ce qui dormait ou devait se révéler. Le réalisateur passionné par l’art depuis l’âge de neuf ans, exprime avoir grandi dans un environnement tourné vers la création, entouré de magazines et de cassettes audio à une époque, les années 1990, période choisie pour le film, où l’art n’était pas autorisé dans les lieux publics en Arabie saoudite et il restait cependant profondément convaincu qu’il est présent en chacun de nous.
L’œuvre est donc très personnelle et cela se ressent. Une grande simplicité, beaucoup d’humanité, un regard empathique tout ce qui fait un beau film.
Sylvie