L’homme d’argile d’Anaïs Tellenne


Il était une fois une jeune réalisatrice rêvant puis réalisant son premier long métrage.
Il était une fois deux comédiens un peu étranges et sensibles se réunissant autour de ce projet dessiné pour eux.
Il était une fois une belle demeure un mystérieuse se prêtant à tous les fantasmes en et hors de ses murs.
Il était une fois une cornemuse, langage à elle seule, qui la nuit résonne formidablement en partage avec la chouette ou le hibou.
La réalisatrice l’a souvent répété, elle s’est nourrit depuis toute petite, de la lecture des contes lus le soir par ses parents.
Elle dit également que le quotidien ne l’intéresse pas : « sinon je ferais des documentaires » nous dit-elle.
Aussi, dès le joli générique, nous embarquons pour – la belle histoire ….
Le livre d’image s’ouvre sur une première scène digne de Raboliot ou les taupes subissent un sort bien peu enviable. Le personnage est en gros plan, il est figé dans l’attente d’une explosion, ses immenses mains saisissantes, posée sur les oreilles. Entre homme et rocher, la représentation physique de l’ogre est là. On comprend très vite que l’ogre est doux comme un agneau et que ses émotions sont belles quelles qu’elles soient.
L’histoire, à l’image de notre héros, de ce coin de campagne, est belle et simple. Les pages défilent sous nos yeux, on s’installe confortablement dans notre fauteuil pour vivre pleinement ce qui nous est conté.
Notre personnage, muni d’un bandeau, ne voit que d’un œil (l’image du cyclope avec toute sa puissance s’impose alors à nous). L’homme des bois paisible en apparence, voit débarquer, un soir d’orage la propriétaire du lieu qu’il occupe avec sa mère âgée, tous deux salariés et gardiens de la grande maison inoccupée depuis longtemps. On devine qu’ils appartiennent au lieu.
La femme, avare de mots, lointaine, ne va pas bien, elle ordonne, crie au téléphone, s’enferme dans la grande maison pour la nuit. Raphaël notre personnage masculin, la retrouve le lendemain, gavée de médicaments. Il la sauve, appelle le médecin puis prend soin d’elle.
Une fois relevée, elle lui reprend les clés de la maison, elle a besoin de calme lui dit-elle. Elle apparait de temps en temps, observant Raphaël quand lui-même la regarde du coin de l’œil. L’observation dure tant que notre héros n’y tenant plus, décide une nuit de rentrer en catimini pour découvrir ce qu’elle fait, ce qu’il se passe sans lui à l’intérieur des lieux.
Au détour d’une porte, dans le grand salon bleu, il se découvre peint, dessiné, croqué sur tous les supports en place. Les murs, les objets sont recouverts de son image. Son visage sculpté nous apparait dans sa matière brute. Que se passe-t-il ? On devine que l’effet miroir le saisit, le questionne.
La femme, Garance, artiste parisienne, dite la dame bleue, a trouvé sa muse (ou son muse… cela se dit-il ?) et l’a reproduit tel que ressenti, fascinée par ce grand corps massif tel un golem, grand corps à lui seul une architecture.
Elle le lui dit : « Ce n’est pas vous vraiment, c’est ce que vous m’inspirez. Vous êtes un paysage…. Quand je vous regarde, j’ai l’impression de me promener »
La muse devient donc modèle, se prête au jeu, pose. Il se met à nu, physiquement et bien plus quand Garance lui enlève son bandeau et que l’on assiste, très émus à l’homme qui se livre entièrement dans ses larmes, dans toutes ses émotions.
Rafael alimente également Garance en argile qu’il va chercher sous terre dans les bois. Et ainsi, nous découvrons le kaolin sortant de terre telle une source miraculeuse. Une des plus belles scènes du film ou l’on voir Raphael attraper l’argile avec une main et se ganter très délicatement de la belle matière. Comme un avant-goût de ce qui surviendra plus tard dans le film. Le tout dans une lumière douce, très douce.
La scène (ou la page suivante tant l’histoire nous est joliment raconté) nous le fait suivre bâton sur les épaules portant deux lourds seaux emplis de la matière pour les déposer devant la porte fermée de la sculptrice. Il devient alors homme de charge, montagne de muscles.
Au fil du film, Raphael se transforme, s’observe davantage, sous l’œil inquiet de sa maman qui avec maladresse certes mais beaucoup de tendresse le repositionne, lui rappelle sa juste place. Son amie également, la factrice que l’on sent un peu amoureuse et attentive et qui l’embarque régulièrement dans des petits jeux érotiques très drôles et touchants. Qu’ils sont drôles ces seconds rôles qui apportent au film une fantaisie, une légèreté.
Raphael s’ouvre au monde, songe à une prothèse pour son œil malade. Comme pour mieux voir ce qui l’entoure au-delà de son univers que l’on devine jusqu’ présent limité, contraint. On le sent tour à tour amoureux, jaloux, heureux, léger … il nous touche. Jusqu’à cette scène ou pour séduire sa belle, que seule la statue semble intéresser et qui organise son départ, il devient statue d’argile. Vibrante, mouvante, vivante.
Les caresses de la femme sont celles de l’artiste modelant la matière, celles de Raphael sont enveloppantes comme pour mieux la garder près de lui.
Au petit matin, Garance s’en est allé et il reste seul maitre des lieux.
Deux destins se présentent à nous alors. Notre Golem, devenu de chair, plus présent, qui nous apparait devant la maison fermée dans toute sa haute taille, bien ancré dans sa verticalité, calme et regardant devant lui.
Et le destin de la statue, lors de l’exposition, nommé le Rêveur. Installé au calme également, seul et tranquille. Disponible au regard des passants attentifs et invisibles par les autres.
De Garance, on n’en saura rien. La vie passe …une parenthèse se ferme.
On reprend peu à peu conscience à la fin du film.
Heureux de ce moment nous ramenant à l’enfance, prompts à nous laisser embarquer par l’histoire d’une jolie fée qui débarque un jour dans un coin de forêt pour offrir au rêveur sa belle aventure, l’ouvrant à l’amour et à la transformation. Dans une rencontre improbable qui transfigure et bouleverse. Notre héros certainement, mais nous également.


Quel beau moment de cinéma, de rêve et comme il est bon de se laisser ainsi prendre par la main dans ce joli voyage onirique. J’attends maintenant avec impatience les œuvres à venir d’Anaïs Tellenne.

Sylvie C

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