« Manchester by the sea » de Kenneth Lonergan

Prix du meilleur acteur dans un drame au Golden Globes 2017 pour Casey Affleckdu 2 au 7 février 2017Soirée-débat mardi 7 à 20h30
Présenté par Marie-Annick Laperle
Film américain (vo, décembre 2016, 2h18) de Kenneth Lonergan avec Casey Affleck, Michelle Williams et Kyle Chandler

Synopsis : Manchester by the Sea nous raconte l’histoire des Chandler, une famille de la classe ouvrière, du Massachusetts. Après le décès soudain de son frère Joe (Kyle Chandler), Lee (Casey Affleck) est désigné comme le tuteur de son neveu Patrick (Lucas Hedges). Il se retrouve confronté à un passé tragique qui l’a séparé de sa femme Randi (Michelle Williams) et de la communauté où il est né et a grandi
J’ai bien pleuré, bouleversée par toute cette histoire racontée par touches, par flash-back. Tous les éléments s’ajoutent au fur et à mesure, se placent, s’ordonnent, se stabilisent. Et devant nous s’étale l’irréparable, immensément.
Tout le récit est d’une grande pudeur. Sans violon. Sans trop de violons.
A priori les personnages sont sans histoire. Lee est un jeune père de famille comblé, très amoureux de Randi, la mère de ses 3 enfants. Il vit « by the sea » et la pêche a une grande importance dans sa vie. Les sorties en mer avec son frère Joe sur le bateau, qui porte le prénom de leur mère Claudia Marie, sont des moments de pur bonheur. Son jeune neveu Patrick, Patty, est souvent de la partie et parle avec cet uncle Lee qu’il adore et vice versa. Sur le bateau, Joe et Patty sont déconnectés de leur gros problème : Elise, leur épouse et mère est « grave » alcoolique. La scène du retour de pêche est sordide mais la caméra est face aux père et fils qui entrent. Le réalisme du tableau, d’une grande brutalité pour Joe et encore plus pour Patty , nous est épargné, à nous. C’est pire. On voudrait que l’enfant soit épargné.
Mais l’irréparable n’est pas là, non, il est dans la tragédie que va provoquer involontairement Lee par son comportement pourtant « normal ». La suite d’une « fête » entre potes, bien arrosée, bien enfumée, comme d’habitude sauf que là … Il en sera anéanti, mutique à jamais, envahi par la tragédie, incapable de penser à autre chose, mort. Coupable mais déclaré innocent, il cherchera à se faire « démolir » pour payer encore et encore pour cette faute, faisant tout  pour, si possible, rester par terre, ne jamais se relever. Pour que son  corps aussi cesse de vivre.
On ne peut pas s’en relever. Il ne cherchera pas à s’en relever, ne se laissera pas distraire de sa peine, n’acceptera aucune main tendue. Quand, paradoxalement, la disparition de son frère lui ouvrira une porte sur la vie, il refusera cette renaissance et retournera à son purgatoire qu’il aménagera toutefois et entrouvrira pour Patty, au seul Patty.
Randi, elle, ne s’en remettra jamais non plus mais elle aura un enfant.

C’est un film sur l’irréparable, l’irrémédiable, l’irréversible, l’accablement, le sentiment de culpabilité . Et sur les dommages collatéraux provoqués par l’alcool((isme).

Et aussi sur la famille, l’amour fraternel, sur l’amour .
Lee et Randi s’aimaient, s’aiment et s’aimeront toujours.

Un beau mélo

(souligné d’Albinoni, de cet adagio beaucoup, beaucoup entendu ici dans les années 70 … qui enfonce inutilement le clou. Un peu dérangeant)

Marie-Noël

 

 

« Baccalauréat » de Cristian Mungiu (3)

Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2016

Présenté par Georges Joniaux
Film roumain (décembre 2016, 2h08) de Cristian Mungiu avec Adrian Titieni, Maria Drăguș et Lia Bugnar

Jusque là, il a tenu bon, Roméo. Il est resté fidèle aux règles morales qu’ils s’étaient fixées lui et son épouse Magda quand ils sont revenus en Roumanie après Ceausescu, avec, alors, la volonté, la certitude de reconstruire, de faire coller la réalité avec ce qu’ils avaient espéré. Mais le terrain était resté miné et il fallait juste apprendre les nouveaux codes . Faire avec . Fonctionner quand même tout en restant intègres par fidélité à une éthique devenue dérisoire, décidés à ne pas marcher dans les combines.
Roméo est médecin, il travaille dans un hôpital. Il est intéressé par ce qu’il fait, rencontre les patients, fait aussi des rencontres. Il a équilibré sa vie, tant bien que mal.
Magda, elle, est bibliothécaire. Il y a bibliothécaire et bibliothécaire. Pour elle c’est la version isolée avec des vieux livres dans le sens livres usagés, tous plus moches les uns que les autres, rangés sur des étagères minables dans un local minable, en sous-sol, avec éclairage artificiel, sans ouverture sur l’extérieur. Sans combines alors sans espoir de trouver mieux. De quoi devenir neurasthénique et c’est bien ce que Magda semble être devenue au fil des jours et des années.
Son Roméo va voir ailleurs. Pas sûr que ça lui fasse du mal. Ses rêves se sont envolés.
Leur amour s’est délité.
Reste leur fille, Eliza.
Eliza qui a sur le dos toutes les frustrations de ses parents, prise en sandwich entre leurs deux adorations. Elle doit et va réussir tout ce qu’ils ont raté. A commencer par partir de ce pays pourri. Elle est depuis l’enfance « condamnée » par eux, à vivre, après le baccalauréat, ailleurs et sans eux. Elle est comme téléguidée. Quand il y a LE bug, elle déraille et son père mettra alors tout en oeuvre pour la remettre sur les rails. Il fera fi de tous ses principes, prêt à tout, prêt à rentrer dans toutes les combines (sauf les enveloppes), rendre des « services » . On le comprend 5/5.
Eliza devra savoir et rentrer dans la combine pour qu’elle fonctionne. Son regard sur son père changera alors définitivement et un grand doute l’envahira : « Il y en a eu d’autres des combines comme ça ? Mes résultats brillants c’était mes résultats ou le résultat des combines de mon père ? Je suis qui, en fait ? » De quoi flipper à vie …
Mais Eliza est grande, elle a déjà vécu des situations violentes, perturbantes . Et elle est roumaine.
Lors de la dernière scène, elle raconte à son père qu’elle a pleuré à dessein, pour que l’examinateur lui laisse plus de temps, à cause de son bras cassé . Et elle lui dit  » je me suis bien débrouillée, hein ? » pour lui signifier qu’elle a compris comment ça marche.
Eliza croit qu’elle a tiré les ficelles.

Très beau film qui ne laisse pas entrevoir de changement à court terme en Roumanie …

« Une chambre en ville » de Jacques Demy

Ce film, magnifique, fût un échec cinglant à sa sortie en 1982. C’est tellement injuste.
Encore que. En y réfléchissant … Il y a un problème.

Dès les premières images, en noir et blanc nous rappelant l’époque (1955), nous sommes envoûtés. Les CRS sont en ligne, armés.
En face il y a les ouvriers, en ligne aussi, des femmes, des enfants. Le peuple, nous. Nous sommes happés et la couleur apparaît . Pour vivre cette tragédie, Jacques Demy nous offre des couleurs comme jamais !
Film magnifique mais qui pourtant ne pouvait pas, tel quel,  rencontrer le succès .
Pourquoi ? Bon Dieu, mais c’est bien sûr (1958, à la télé )  à cause de François !
Il fallait évidement Gérard Depardieu, comme le souhaitait Jacques Demy, dans le rôle de François Guilbaud ! Lui il « respire » le peuple et il en a le souffle . C’est un ouvrier métallurgiste. Pas Richard Berry. Et, sinon, tout garder pareil.
G. Depardieu aurait mis toute sa puissance et sa tendresse dans « Une chambre en ville ». Les manifs, les étreintes avec Edith/Dominique Sanda, ça aurait été autre chose !
Et on aurait pleuré, on pleurerait encore sa mort . Faute d’être attiré par Jacques Demy, un autre public aurait, pour Gérard Depardieu, poussé  la porte du cinéma et en serait ressorti 1h32 après , conquis.

Dommage, vraiment dommage.
Là on ne dit pas merci Catherine (voir article sur le site)

« Paterson » de Jim Jarmush (1)

C’est la deuxième fois que je vois le film et pareil.
Alors, il est où, mon problème ?

Bien sûr, j’ai encore pris ma douche en imperméable (en VF, pire, j’aurais eu l’impression d’avoir gardé ma doudoune, mon bonnet, mon écharpe, mes mouffles etc …)
Un poème ne doit pas nécessairement être en vers ni rimer. Il faut qu’il touche par les mots choisis et leur mise en musique. Qu’il transporte et émeuve. Alors oui, peut-être que je suis hermétique à Ron Padgett . Et les prunes dans le frigo de Williams Carlos Williams ! c’est une blague ?
Voilà le problème : je pense à Monsieur Jourdain …

Le film « sinon » me plait pourtant assez. Les images des réveils blottis sont très belles, Les obsessions graphiques et les cupcakes de Laura nous attendrissent et nous amusent . Autant que ses remarques enamourées sur l’odeur de bière quand il rentre du pub et toujours là le lendemain matin et qu’elle hume avec délice (!)
Ces deux amoureux veulent faire de leur vie un poème.

Un peu raplapla, le poème
Réveil à 6h10.
6h30 c’est déjà un événement
Il prend son linge bien plié au carré sur sa chaise, mange ses céréales en forme d’anneaux, prend sa lunchbox et part conduire son car après avoir écrit quelques lignes bien fines, bien droites sur son petit carnet avec son petit crayon et après avoir écouté Donny chez qui la simple question « ça va ? » déclenche une énumération de tous les problèmes auxquels tout habitant « non poète » de Paterson ou d’ailleurs est, un jour, tristement confronté.
Les journées de Paterson à Paterson, New Jersey, sont bien monotones .

Quelques autres événements à signaler cependant :
la panne de car (oh, honey was it dangerous ?)
la maîtrise du « forcené » dans le bar (oh, honey you’re an heroe !)
le carnet déchiqueté (I don’t like you, Marwin)

Et, dimanche, le japonais poète (hon, hon) qui lui offre un carnet, comme une bouée de sauvetage pour continuer à garder la tête bien en dehors des réalités . Le format du carnet me pose problème : il ne va pas rentrer dans la poche de sa cote de travail, ni dans sa lunchbox .

Et quand revient Monday … Stop ! Je t’aime bien Paterson à Paterson, New Jersey mais je n’en reprends pas pour une semaine .

Marie-Noel

« Lola » de Jacques Demy

CYCLE JACQUES DEMY Lola – Une chambre en ville – Peau d’âne
Présenté par Marie-Noël Vilain
Film français (1961, 1h30) de Jacques Demy avec Anouk Aimée, Marc Michel, Jacques Harden, Alan Scott et Corinne Marchand

Scénario et dialogues de Jacques Demy, musique de Michel Legrand, photo de Raoul Coutard et paroles de la chanson « C’est moi Lola » d’Agnès Varda

Synopsis : Lola, danseuse de cabaret, élève un garçon dont le père, Michel, est parti depuis sept ans. Elle l’attend, elle chante, danse, et aime éventuellement les marins qui passent. Roland Cassard, un ami d’enfance retrouvé par hasard, devient très amoureux d’elle. Mais elle attend Michel…

Un des plus beaux films au monde.

Lola nous transporte d’un coup dans le pays si singulier de Jacques Demy. Si on se laisse emporter, la magie opère .

Quand je pense à ce film, j’ai toujours une hésitation : les textes sont chantés ? Non. Je sais bien que non.
Pourtant Lola est pour moi une comédie musicale .

Et, à chaque fois, je suis enchantée.

Marie-Noel

« Une vie » de Stéphane Brizé

 

Nominé à la Mostra de Venise 2016Soirée-débat mardi 17 à 20h30

Présenté par Marie-Noël Vilain
Film français (novembre 2016, 1h59) de Stéphane Brizé avec Judith Chemla, Jean-Pierre Darroussin, Yolande Moreau, Swann Arlaud,Nina Meurisse, Olivier Perrier et Clotilde Hesme
Scénario Stéphane Brizé et Florence Vignon
D’après l’oeuvre de Guy de Maupassant
Synopsis : Normandie, 1819. A peine sortie du couvent où elle a fait ses études, Jeanne Le Perthuis des Vauds, jeune femme trop protégée et encore pleine des rêves de l’enfance, se marie avec Julien de Lamare. Très vite, il se révèle pingre, brutal et volage. Les illusions de Jeanne commencent alors peu à peu à s’envoler.

 

« Je t’aime comme un pauvre enfant
Soumis au ciel quand le ciel change ;
Je veux ce que tu veux, mon ange,
Je rends les fleurs qu’on me défend. »
Extrait du poème « J’avais froid » de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

« Car souvent, quand un jour se lève triste et gris
Quand on ne voit partout que de sombres images,
Un rayon de soleil glisse entre deux nuages
Qui nous montre là-bas un petit coin d’azur »
Extrait du poème « Le Dieu créateur » de Guy de Maupassant (1850-1893)

dits par Jeanne Le Perthuis des Vauds, merveilleusement dits par Judith Chemla, choisi(e)s par Stéphane Brizé

L’histoire est triste, bien sûr.
Un tel désenchantement, tant de désillusions …

Mais ce n’est pas tant l’histoire qui m’a captivée que le film lui-même, comment Stéphane Brizé raconte cette histoire.
Les acteurs, le montage en flash back, flash forward, les ellipses , les images sur plusieurs saisons, les sons des voix mêlées de vent, de pluie, de bruissement des feuilles, le format, la musique, les costumes. Tout.
Chapeau bas !
pour savoir, en deux heures, nous faire vivre ces 27 ans .
Avec une telle délicatesse, une telle virtuosité.

Marie-Noël

NB : J’aime les personnages purs auxquels Stéphane Brizé s’intéresse pour ses films. Ses choix me rassurent.

 

 

« Le Disciple » de K. Serebrennikov

 

Présenté par Sylvie Braibant
Film russe (novembre 2016, 1h58) de Kirill Serebrennikov avec Petr Skvortsov, Viktoriya Isakova et Svetlana Bragarnik
Titre original :Uchenik
Synopsis : Veniamin, un adolescent pris d’une crise mystique, bouleverse sa mère, ses camarades et son lycée tout entier, par ses questions.
- Les filles peuvent-elles aller en bikini au cours de natation ?
- Les cours d’éducation sexuelle ont-ils leur place dans un établissement scolaire ?
- La théorie de l’évolution doit-elle être enseignée dans les cours de sciences naturelles ?
Les adultes sont vite dépassés par les certitudes d’un jeune homme qui ne jure que par les Écritures. Seule Elena, son professeur de biologie, tentera de le provoquer sur son propre terrain.

Ouille, ouille, ouille ! Comment dire le trouble que procure ce film ? Eprouvant de vivre le mal-être de Veniamin en premier lieu et celui des autres personnages, en cascade !

Veniamin sous emprise, drogué de religion, sa mère, si seule, épuisée par ses 3 boulots, dépassée par ce fils qu’elle est la seule à aimer.
Son disciple Grichka, infirme, maltraité par ses camarades et qui cherche refuge voire plus auprès de Veni. Il ne verra pas rallonger sa jambe et, pire, y laissera sa vie. Car jugé « anormal » au nom de Dieu !

L’équipe de direction de l’établissement scolaire, équipe féminine (!), se laisse très facilement convaincre d’imposer les maillots une pièce d’antan pour les filles à la piscine (ailleurs il pourra être permis de porter un monokini string mais pas une tenue trop couvrante).
Le corps des femmes est, décidément, un problème.

Seule la prof de biologie résiste au mysticisme ambiant, affronte l’antisémitisme toujours en veille rallumé à la première étincelle et s’affichant sans vergogne . Elle finit par « se clouer » sur place pour être là, debout, contre vents et marées, sans vaciller, parce que c’est sa place. C’est sa place d’aider ces « enfants », de faire de la prévention même avec les moyens du bord pour essayer de leur éviter au moins les dangers connus et contournables.
Quel courage ! On a envie de lui dire de se sauver, de sauver sa peau.
Mais, au contraire, il faut rester : si tout le monde se sauve, c’est fini.

On rit, un peu, au début, déroutés (cf la scène du mot d’excuse pour cause d’érections incontrôlables)
Mais on ne rit qu’à moitié, en alerte quant à la suite qu’on devine triste à pleurer. Même pas à pleurer, car on passe tout de suite à la stupeur devant l’étendue du problème. Comment se sortir de ce bourbier ?

La mère à qui le pope pose cette question incongrue : « Etes-vous heureuse ? » répond simplement : « Bien sûr que non ». Comme une évidence. On n’est pas là pour être heureux.

J’ai été frappée par le physique des personnages : le visage de madone de la mère, la dureté du visage tourmenté de Veniamin faisant contraste avec la douceur de celui de son disciple, le corps de liane de Lidiya surmonté d’un visage aux traits aigus et au regard si dur.
Et la sérénité sur le visage d’Elena.

Ce film nous imprègne, nous subjugue, nous inquiète
Il est, pour moi, très russe sur la forme, universel sur le fond

A voir absolument.
Le réalisateur Kirill Serebrennikov, déjà reconnu, donne ici une belle leçon de cinéma.

Marie-Noel

« La mort de Louis XIV » d’Albert Serra

Le film est sublime, Jean-Pierre Léaud fascinant !
L’idée de lui confier ce rôle est géniale (comment se fait-il qu’on ne connaisse pas cet Albert Serra ?)
On sort de la projection en état de grâce et, pour un peu, on croirait en l’au-delà …

Bref, revenons sur cette terre gangrenée.
Louis XIV va mourir mais avant, on passe deux heures avec lui dans sa souffrance et sa lucidité.
D’abord, il a des affaires d’état à régler, des projets à valider. Une étincelle s’allume encore dans ses yeux quand il fait dire à Fagon, son médecin, les nudités comparées de telle et telle, quand il déguste ses biscotins trempés dans du vin d’Espagne. Diminué, dépendant mais encore dans la vie.
Puis, tout au long des journées qui s’écoulent, on le voit peu à peu devenir inerte, (presque) toujours emperruqué*, dans ce grand lit, dans les bruits familiers de la chambre : le bruissement des étoffes, des soieries, le tombé lourd des velours, la vaisselle fine qui tinte sur les plateaux d’argent, la nature qui s’immisce par la fenêtre ouverte sur les jardins d’août . On entend la musique plus loin et on imagine les courtisans et les courtisanes continuant à savourer la vie, à danser.
Le roi se meurt et on est avec lui dans cette chambre cramoisie, goûtant les clairs-obscurs, regardant les mets raffinés présentés inlassablement, obstinément au roi soleil pourtant définitivement rassasié. Les chuchotements s’installent au diapason avec ceux du roi qui finissent, eux, par s’éteindre. La vie s’en va.
Le roi n’a pas peur : l’existence de Dieu est certaine.
La jambe noircit, les mouches sont là. On voit la mort envahir ce corps devenu impotent, inutile et tellement douloureux.

Le regard fixe et pénétrant de Louis XIV nous envahit.

Jusqu’au souffle ultime, le passage de vie à trépas, instant crucial que Jean-Pierre Léaud réussit à jouer et qu’Albert Serra réussit à filmer.
21 grammes s’échappent sous nos yeux.
Prodigieux.

 

Marie-Noël

 

*emperruquer : verbe transitif qui semble ne pas exister.
créé alors pour l’occasion

 

« Dogs » de Bogdan Mirica

 

 

 

Prix Fipresci  (1) – Un Certain Regard Cannes 2016Du 8 au13 décembre 2016Soirée-débat mardi 13 à 20h30Présenté par Eliane Bideau

Film roumain (vo, septembre 2016, 1h44) de Bogdan Mirică avec Dragos Bucur, Gheorghe Visu et Vlad Ivanov

Article de Marie-Noël

D’abord l’herbe balayée à ras du sol et le plan s’élargit sur l’étang qui « glougloute » … Les lentilles d’eau s’écartent par endroits et là devant nos yeux surgit un objet non identifiable mais qu’on sait pourtant immédiatement être terrifiant.

Avec peu de moyens, voilà un début de film très réussi : on est inquiet et notre voyeurisme naturel est sollicité.
Bingo, on a mordu !
Et on va faire la connaissance des « dogs » dont Polizia la seule légitime .
Roman est petit-fils de « dog ». Il a assisté, enfant, à une scène d’une violence inouïe : son grand-père massacrant un homme à coup de hache !
Il en parle à Hogas le chef policier qui savait mais ignorait que l’enfant avait vu.
Hogas est malade au sens propre comme au sens figuré et il va utiliser ses dernières forces à essayer de sauver Roman qui tente de se sauver lui-même mais tout se passe comme si son atavisme le rattrapait.
Il veut partir une première fois mais reste.
Il démarre le 4×4 une seconde fois pour partir en laissant sa belle « fiancée » Ilinca dans ce lieu perdu au milieu de nulle part et entouré de bêtes enragées (le sanglier a été brûlé mais la rage est ailleurs). Roman rebroussera chemin non pas pour la sauver car son sort ne semble pas le concerner mais pour rentrer dans le jeu et prendre la place du chef laissée par son grand-père.
Trop tard car Samir croira les terres vendues et le massacrera.
C’est un film fort avec de bons acteurs et des scènes originales voire inédite par exemple la scène du pied coupé sorti du godillot puis de la chaussette par Hogas puis déposé (avec des gants de vaisselle) sur son assiette vaguement essuyée et observé de près, le nez dessus !
Ce pied nous accompagnera car Hogas ne s’en sépare plus, emballé dans un sac plastique, dans la glacière, avec les bières.
Quand le jeune policier, à la fin, s’apprêtant à croquer la pomme laissée par Roman dans la voiture demande naïvement à son chef s’il peut ou bien si c’est une pièce à conviction, on se marre !
On ne voit pas le sort que Samir a réservé à Ilanca et on peut tout imaginer (quand on arrive sur place avec Hogas, je m’attendais à la voir pendue à un arbre là à gauche de Samir assis sur les marches et de Roman étendu dans un bain de sang à côté du 4×4).
Les femmes n’ont pas droit de cité dans ce monde là.
Ni la police, ni Polizia
Hogas fera la peau à Samir qui mourra en riant
Le problème reste entier

Très bon film