« I am not a witch » de Rungano Nyoni

Nominé à la Quinzaine des Réalisateurs
Du 8 au 13 février 2018
Soirée débat mardi 13 février à 20h30
Film franco-anglo-zambien (vostf, décembre 2017, 1h34) de Rungano Nyoni
Avec Margaret Mulubwa, Henry B.J. Phiri et Nancy Mulilo

Distributeur : Pyramide

Présenté par Jean-Pierre Robert

Synopsis : Shula, 9 ans, est accusée de sorcellerie par les habitants de son village et envoyée dans un camp de sorcières. Entourée de femmes bienveillantes, condamnées comme elle par la superstition des hommes, la fillette se croit frappée d’un sortilège : si elle s’enfuit, elle sera maudite et se transformera en chèvre… Mais la petite Shula préfèrera-t-elle vivre prisonnière comme une sorcière ou libre comme une chèvre ? 

Rungano Nyoni à TV5 Monde *** Article de Jean-Pierre *** Dossier de presse *** Bande annonce ***Horaires
 

Jean-Pierre n’a pas manqué de signaler le côté original, curieux, inattendu, poétique et parfois drôle de ce film dramatique. Qui en effet a déjà vu quelque chose qui s’en rapproche ? « Je ne suis pas une sorcière » est un conte, celui de Shula, une petite fille venue de nulle part et désignée comme sorcière, promise à vivre comme telle, et ainsi stigmatisée, parmi elles. Du coup je vous livre une brève  et arbitraire incursion sur internet et dans mes souvenirs brumeux  autour de cette question.

Dans « médecins et sorciers »(1), Tobie Nathan et Isabelle Stengers ont écrit un essai sur cette question dont voici la 4ème de couverture : « Nous croyons savoir ce que font les guérisseurs : ils s’appuient sur les croyances (irrationnelles) des patients et agissent de manière « symbolique » ; s’ils obtiennent des résultats, c’est grâce à leur capacité d’écoute. Nous croyons aussi savoir ce qu’est la médecine moderne : une médecine très technique, rationnelle, mais trop peu à l’écoute des patients. Dans ce livre, Tobie Nathan et Isabelle Stengers montrent que cette opposition est trompeuse. Selon Tobie Nathan, les guérisseurs sont intéressants justement parce qu’ils n’écoutent pas les patients : les techniques de « divination » s’opposent à celles du « diagnostic ». En interrogeant l’invisible, en identifiant ses intentions, ceux-ci construisent de véritables stratégies thérapeutiques dont les guérisseurs africains sont des virtuoses. La médecine moderne se caractérise, elle, par son empirisme et non pas par sa rationalité. Le thème de la rationalité sert à combattre les autres techniques de soin ». 

S’il y a de bons guérisseurs il y a aussi de mauvaises sorcières (comme le souligne Marie-Annick, c’est son féminin) :

Le même Tobie Nathan, dans « L’Étranger ou le pari de l’autre »,(2) paru aux éditions Autrement, revient sur le phénomène des enfants sorciers apparu il y a moins d’une trentaine d’années. Faisant partie intégrante des sociétés africaines, la sorcellerie, qui vise aussi bien les albinos que les jumeaux, les enfants ou les handicapés, reste un élément indissociable du pouvoir ». Ça c’est pour le côté bon sorcier. Je crois me souvenir que dans un article, Tobie Nathan a ajouté que les accusations   portées aux enfants de sexe féminin d’être des sorcières apparaissait de manière nouvelle dans les familles recomposées immigrées africaines, souvent évangélistes. Ce serait un moyen, dans une situation économique donnée, de se débarrasser sans trop pêcher, des pièces rajoutées en les renvoyant dans leur pays d’origine. Il y aurait en quelque sorte un bon usage de la sorcellerie enfantine.

On voit bien que cette petite Shula est une figure du bouc émissaire, c’est une petite fille errante de 9 ans , au regard pénétrant, ce qui la désigne, dans la circonstance où elle se trouve. On attachera une importance au sexe de l’enfant. (idem Marie-Annick). La circonstance particulière, l’identification de la sorcière se produit dans une communauté pauvre, qui ne doit pas voir d’un bon œil une bouche à nourrir. La circonstance plus générale c’est aussi des institutions et leurs représentants véreux,  qui sont disposés à « accréditer » des sorcières pour des besoins divers, économico-touristiques.

Mais au fait,  qu’en est-il de la sorcellerie en Europe ?

« Des chasses aux sorciers ont eu lieu en Europe avec des hauts et des bas jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, principalement entre 1580 et 1630, faisant au total à travers les siècles un nombre considérable de victimes, qui reste cependant très difficile à estimer puisqu’on a peu de traces écrites des lynchages spontanés. Certains historiens l’évaluent entre 40 000 et 100 000. Ce qui représente en moyenne quelques individus par an, dans un pays comme la France, avec des flambées temporaires en Lorraine ou dans le Bordelais vers 1600 ».(3)

« À Bournel en France une femme accusée de sorcellerie fut brûlée par des paysans en 1826 et une autre sorcière jetée dans un four en 1856 à Camalès canton de Vic-en-Bigorre ».(4)

En 1977, (hier!) Jeanne Favret Saada  publie « les mots, la mort, les sorts ». (5) Jeanne Favret-Saada, ethnologue de culture psychanalytique, enquête sur les sorciers et les jeteurs de sort du bocage mayennais. « L’idée du sortilège s’impose quand le malheur se répète : « vache qui meurt, fausse couche, pain qui ne lève pas… Aucune interprétation raisonnable ne peut alors prétendre résoudre l’énigme de la série qui n’appelle qu’une seule question : qui a jeté le sort ? Les vecteurs des sortilèges sont les mots. La parole maléfique doit être renvoyée à l’expéditeur pour qu’il en meure ».

Proche de nous, dans la profusion des romans sur la sorcellerie certains ont aimé ceux  drôles, étranges, superbes  de Marie NDiaye (6),  «Loirétaine de naissance » par surcroît.

Tout ça pour dire que dans notre confort civilisé, la pensée magique et la sorcellerie (comme le furet qui coure de la chanson) ne sont jamais bien loin. Hier chez-nous, et curieusement aujourd’hui juste à côté de chez nous.

…Et dans la profusion des films sur la sorcellerie, demeure ce film qui comme l’a indiqué Jean-Pierre  est original,   beau, et profond. Et cette petite Shula est magnifique.

 

(1) Tobie Nathan et Isabelle Stengers « Médecins et sorciers » la découverte 2012

(2) Tobie Nathan, »l’étranger ou le pari de l’autre » Autrement 2014

(3)www. Wikipédia chasse aux sorcières

(4)www.lacauselitteraire.fr 

(5) Jeanne Favret Saada,  les mots la mort et les sorts Gallimard 1977

(6)Marie  Ndiaye, plaçons- nous dans les brumes « d’un temps de saison » par exemple, continuons par le suivant, « la sorcière » etc.

 

 

 

 

 

 

 

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