Pour Jean-Claude

Testament par Denys Arcand

Allons voir Testament réalisé par Denys Arcand, c’est un film comme on n’en fait guère. Il est interprété par Sophie Lorain (Suzanne), Rémy Girard (Jean-Michel), deux acteurs sur mesure, idéaux pour ce film qui est à la fois profond par ses thèmes et léger par son élégance, son ton et son humour.

En même temps qu’il raconte comment deux personnages qui se connaissent bien finissent par se rencontrer, elle, Suzanne qui dirige un foyer pour personnes âgées, ne faisant qu’une avec son travail, et lui Jean-Michel vieil homme, archiviste en retraite partielle de son état, songeant à l’inanité de son existence présente et… passée dans un monde qu’il pense n’être plus le sien…

Il raconte aussi la vie qui ne se laisse certainement pas si facilement enfermer dans des ruminations ou dans ce cadre d’apparence si tranquille. Dans le hall de cette belle maison, chacun peut voir un tableau représentant l’arrivée de Jacques Cartier au Canada… Tableau qui va ouvrir un débat sur l’histoire passée du Canada et sur sa contemporanéité, avec son langage, ses sujets politiques, ses codes, sa culture et… sa cancel culture.

Ce film est remarquable parce qu’il nous montre une jolie histoire humaine dans la grande et parfois « si petite » histoire sociale. il faut aller le voir, nous n’étions que deux en Salle 1 à l’Alticiné, un bien grand écran pour ce petit bijou. Il ne va pas rester longtemps encore, dépêchons-nous !

Georges

Fremont de Babak Jalali

Donya, réfugiée afghane, a 22 ans. Elle « s’en est sortie » et a « atterrie » à Fremont dans la banlieue de Frisco, elle parle anglais, elle travaille. Mais le soir Donya est seule et ne peut pas dormir.
La vie d’un ou d’une réfugiée ne s’arrête pas à la survie.
Fremont, en noir et blanc, format 4 :3, est un curieux objet cinématographique, et c’est un bonheur de se laisser mener là où on ne s’attend pas à aller.
L’héroïne est bloquée entre deux rives de sa vie, la culpabilité d’avoir quitté son pays et ses proches et la fureur de vivre qui bouillonne en elle.
Le cinéaste Babak Jalali explique: «Quand on rencontre un réfugié ou une personne déplacée, on a envie de leur demander: “Comment c’était là-bas? Qu’est-ce que tu as subi? ” Évidemment, ce sont des questions importantes. Mais on demande rarement: “Quels sont tes hobbies? Quel type de musique tu écoutes? Quelle est ton équipe de sport préférée?”»
Fremont refuse de réduire Donya à sa condition de réfugiée. «Au fond, cette Afghane de 22 ans n’est pas si différente d’une Française de 22 ans ou d’une Colombienne de 22 ans. Elle veut se sentir sereine lorsqu’elle s’endort le soir. Elle veut se réveiller le lendemain en ayant quelque chose à faire. Elle veut, avec un peu de chance, avoir de la compagnie» poursuit Babak Jalali.
Anaita Wali Zada a elle-même quitté l’Afghanistan pour les Etats-Unis quelques mois avant d’être choisie pour incarner Donya. Presque de tous les plans, l’actrice non professionnelle est fascinante.
Le film aborde les rapports entre différentes communautés d’immigrés et fait exister tous les personnages, même les plus secondaires avec toujours un zeste d’humour : le vieil homme afghan qui tient un restaurant et qui passe ses soirées à regarder un feuilleton, le psy (Gregg Turkington) qui préfère parler de son amour pour Croc-Blanc que du stress post-traumatique de Donya, Joanna, la collègue et amie de Donya. Pour Hilda Schmelling qui était la décoratrice de plateau sur son précédent film, Babak Jalali a écrit spécialement le rôle de Joanna «Pour fêter la fin de mon précédent film, on a fait une soirée karaoké. Tout le monde chantait un peu bourré, jusqu’au moment où elle s’est levée et s’est mise à chanter une chanson de Pat Benatar. Tout le monde s’est tu tellement c’était incroyable. Je ne l’ai jamais oublié et j’y ai repensé en écrivant le film.» Le fait est que sa voix est bouleversante.
Et dans le film, la chanson de Joanna provoque un déclic chez Donya qui s’autorise enfin à écouter ses rêves.
Dans la dernière partie du film, l’héroïne voit son horizon s’élargir lorsqu’elle croise la route d’un homme timide et charmant (Jeremy Allen White).
Le film est toujours en noir et blanc mais les cadres se desserrent et les décors sont plus larges, à tel point qu’on a l’impression d’avoir vu l’épilogue en couleur !
Fremont est à la fois une chronique sociale et poétique, une comédie dramatique, un récit d’apprentissage … un bonbon acidulé.

Un film émouvant, tendre et profond que je vous recommande

Marie-No

DESERTS-Faouzi Bensaïdi

Carte routière étalée sur le capot d’une voiture, deux hommes ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la direction à prendre. La carte s’envole. Ainsi le spectateur est déjà prévenu du risque qu’il a de se perdre dans l’histoire qui va être racontée.

Durant la première heure, « Déserts » tient un discours parfaitement clair, montrant deux agents de recouvrement, Hamid et Medhi, qui parcourent le sud marocain désertique pour contraindre des emprunteurs très pauvres à rembourser l’argent emprunté à un organisme de crédit. Tous les moyens , même les plus cruels, sont bons pour récupérer les créances. Pour dénoncer un système ultra libéral destructeur et les conditions de vie de villageois démunis, le réalisateur utilise le ton de la comédie dans une succession de scènes loufoques. Bien que le travail de ces deux héros soit détestable, on se prend peu à peu d’affection pour eux devant leurs maladresses et les situations ridicules qu’ils provoquent. On comprend qu’eux aussi sont les victimes d’un système qui utilise des pauvres contre des pauvres et qu’ils trimbalent une bonne dose de soucis avec eux. Emprunter pour s’offrir un mariage, pour soigner une mère malade ou cautionner le mensonge d’un fils qui doit payer grassement des passeurs qui le conduiront sans certitude à cette Europe convoitée, est un luxe qui devient source d’une misère encore plus grande. Cette première partie permet aussi de découvrir, sous le Maroc officiel où l’alcool est interdit et où la condition des femmes est soumise à des lois conservatrices, un Maroc plus souterrain où les hommes se saoulent de bières et de vodka, se livrent à la prostitution féminine ou masculine. Le réquisitoire de Faouzi Bensaïdi contre l’ultralibéralisme et l’ubérisation du travail culmine avec le discours grotesque et caricatural de la manager qui stimule sa troupe de harceleurs en faisant miroiter des salaires multipliés par quatre à ceux qui seront les meilleurs.                                                                                                                               Le discours aurait pu s’arrêter là et le film aussi.

Mais le réalisateur fait intervenir le personnage de l’évadé amoureux, injustement emprisonné par son rival. Le film bascule sans transition ni carte pour orienter le spectateur. L’homme emprisonné reprend sa liberté ; le cinéaste aussi. Plutôt que de poursuivre sa critique stérile d’un monde capitaliste, Bensaïdi nous propose, ainsi qu’ à ses deux héros de départ, de prendre la tangente et de la hauteur. Après les avoir perdus de vue, nous les retrouvons perchés sur une falaise, dans un décor sublime, regardant impuissants, leur véhicule volé par l’évadé, se perdre à l’horizon. Ne maîtrisant plus rien, les voilà à l’arrêt, contraints de lâcher prise, de s’autoriser eux aussi la liberté de laisser tomber la pression mise sur eux. Le récit, depuis le début ancré dans une réalité sociale, prend des airs de western, plonge en contemplation dans la beauté profonde du désert, flirte avec le conte philosophique, s’autorise une histoire d’amour contrarié et de vengeance. Le traitement du temps et de l’image a lui aussi basculé. Beaucoup de plans fixes, un temps qui s’étire en une longue méditation. A partir de là, le spectateur doit s’abstraire du sujet de départ et se laisser aller à ce qu’expriment les images sans chercher une logique de récit. Dans une scène superbe, le cinéaste filme l’intérieur de la maison où vit Yto, la femme mariée contre son gré à un homme qu’elle n’aime pas. Un grand mur ocré, percé d’ouvertures, donne à voir ce qui se passe en bas et en haut à l’étage. Simultanément, le spectateur voit Yto qui s’apprête à fuir avec l’homme qu’elle aime, ce dernier qui vient la chercher et les témoins qui n’osent intervenir. Plus loin, la caméra se fixe sur le visage grave de cette même femme qui a fait un choix douloureux : se libérer d’un mariage forcé et s’amputer de ses enfants. Elle dénoue le fichu qui retient sa chevelure et la laisse se déployer dans un geste d’ultime liberté. Plus loin nous retrouvons Hamid et Medhi ; à l’occasion d’un bivouac au coin du feu, ils se livrent et s’offrent la liberté de parler de leurs blessures qui sont toujours celles du cœur. Soudainement ce sont des migrants qui surgissent . Des hommes qui espèrent encore se libérer de leur misère malgré le récit plutôt décourageant du passeur. Enfin il y a ce mur percé en son milieu d’une ouverture encadrée par deux arbres. Dans ce qui nous enferme il y a toujours une ouverture, que nos deux héros finiront par franchir. Derrière, le monde n’aura pas changé mais peut-être le regarderont-ils différemment parce qu’ils auront changé.

Cette deuxième partie qui semble plutôt décousue, je la vois comme un espace de liberté et d’humanité qui se dresse contre l’inhumanité d’un système économique et social où le monde s’engouffre. Elle nous met au défi de mettre de côté nos attentes de spectateurs pour entrer dans la créativité d’un auteur, au risque de nous perdre ou de nous endormir paisiblement, comme ma voisine. Une autre vertu de ce film, certainement.

Marie-Annick          

L’Arbre aux papillons d’or-Thien An Pham (2)

On demandait à Thien comment le public vietnamien avait réagi en voyant son film, il répondit quelque chose comme : « il y a eu trois sortes de réactions, celles des amateurs de cinéma d’auteur qui l’ont bien accueilli, celle de ceux qui sont sortis en cours de projection et puis il y a les spectateurs qui ont dormi ». (rire). En effet, ce long film est aussi beau que déconcertant.

J’ai lu les critiques, souvent excellentes, nombre d’entre elles parlaient de la beauté des images, des délicats mouvements de caméra, de l’élégance de la juxtaposition des plans, des plans séquences et des panoramiques circulaires, du montage, de la rareté des cuts.

D’autres encore ont aimé son parti pris de lenteur, l’impression d’immersion qui s’en dégage. Le film met en scène la beauté du monde, la nature, les arbres, l’eau, les montagnes avec de beaux plans larges et d’autres brumeux et ressérés.

Nous avons aussi observé cette césure dans la vie de Thien à Saïgon, cette ville trépidante. Thien y partage travail et distractions, amis et masseuses, puis au cours du voyage de Thien, la campagne vietnamienne, la nature, la pauvreté ordinaire des gens qui y vivent.

Thien le jeune homme de la ville, autrefois élevé dans cette simplicité de la vie paysanne (qui ressemblerait un peu à l’angélus de Millet, travail, prière) la retrouve en compagnie de Dao, l’enfant de sa belle-sœur et la dépouille de celle-ci, morte dans un accident de moto. Ils l’accompagnent à son village pour la cérémonie d’enterrement.

Le film montre alors d’une manière quasi documentaire, les paysages, les villages, les us et coutumes, la foi catholique et ses rites au Vietnam.

Mais arrêtons-nous sur les événements de la vie de Thien, marqués par des ruptures et des pertes, pas seulement celle de la campagne pour la ville, mais ses pertes affectives humaines.

Qu’apparaît-il en effet ? Thien a perdu ses parents, rompu avec sa petite amie qui lui a préféré une congrégation, vu disparaître de l’un de ses frères… et au moment où commence le film, perdu sa belle-sœur par accident, celle-là même qui a été délaissée par son frère… Thien assure désormais la garde de Dao, le fils de sa belle-soeur qui a miraculeusement survécu à l’accident. Et c’est le début d’une prise de conscience qui prend la forme d’une quête, Thien confie Dao aux Sœurs d’une école religieuse, le temps de rechercher le frère disparu.

Cette quête en cache une autre qui s’insinue à l’occasion de rencontres et de rêves « providentiels ». Des rencontres comme en offre la vie :

Revoir puis rêver de Thao cette fiancée qu’il aimait et comprendre pourquoi elle a fait un autre choix.

Rencontrer un vieillard ancien militaire qui après avoir fait la guerre, tué et échappé à la mort consacre sa vie aux morts, confectionne leurs linceuls.

Rencontrer une vieille dame réputée un peu folle qui lui parle de l’âme, que fais-tu pour ton âme lui demande-t-elle ?

Il y a aussi cet autre rêve, comme l’inconscient aime en placer aux moments clés de la vie : revoir en rêve cette belle-sœur qu’il vient de perdre, elle lui place le bébé (Dao nourrisson) dans les bras pour aller chercher son époux qui ne devait pas tarder… mais que hélas elle ne reverra jamais.

Les paysages du film sont comme l’âme de Thien, soleil après l’ondée, brumes, immensité du monde puis petitesse, comme replié sur lui-même, comme contenu en chaque chose. Ces visions culminent à la découverte fugace d’une trouée de lumière après l’averse, d’un arbre aux papillons d’or. Thien progressivement a reconnu la disparition, la rupture, toutes choses qu’il avait tenues hors de ses pensées. Ce faisant, il a découvert la vie, il est devenu capable de percevoir ce monde sensible, d’entendre le chant des oiseaux et les bruissements du vent, lui, le magicien qui faisait apparaître disparaître cartes pour Dao conçoit enfin qu’il ne disparaîtra pas pour Dao. Qu’il se chargera de ce petit enfant.

Cette histoire en forme de quête spirituelle et existentielle, est en même temps celle de la reconnaissance des pertes de la vie et une tension inconsciente vers le mieux-être, celle où nous nous reconnaissons précaires mais conscients d’être là, et responsables pleinement.

Georges

L’arbre aux papillons d’or- Pham Thien An

Après avoir vu – L’arbre aux papillons d’or, je m’interroge sur mon attente de spectatrice.

Je ne m’en cache pas, je ne l’ai pas apprécié ce film. Je ne me suis pas senti à l’aise dans cet univers.

J’y ai vu quelques images qui restent en mémoire, j’y ai entendu de multiples sons, une bande originale belle et variée mais tout cela vécu dans un profond inconfort auquel je réfléchis depuis.

J’ai cloisonné d’instinct le film en deux parties. La première faite de bruit et d’agitation. Même si le personnage principal semble un jeune homme très calme, tout ce qui l’entoure est très sonore. Sonore au point que l’on discerne très distinctement des conversations (plusieurs, le vent très fort, les bruits de la ville…) le tout au même niveau m’a-t-il semblé, au point d’en ressentir un réel malaise.

Même le passage à la campagne reste très bruyant. Bruit de moteur, conversations, oiseaux, tout cela également très présent, trop présent à mes oreilles.

Puis une scène semble mettre fin à cette cacophonie. Une scène ou le coq servant d’appât chante et ainsi attire les autres coqs sauvages. Seuls résonnent leurs cris qui semblent de plus en plus proches, une sorte de pression monte presque effrayante, on attend l’attaque. Qui ne manque pas d’arriver d’ailleurs… Ensuite l’écoute devient plus agréable, on s’apaise.

Il y a évidemment des jolies scènes dans l’Arbre aux papillons d’or.

J’ai beaucoup aimé celle des quatre mains, celle de l’enfant et de son oncle qui tapissent le sol après avoir enterré l’oiseau, petit compagnon venu de la ville avec l’oncle et son neveu pour enterrer une maman pour l’un et une belle-sœur pour l’autre.

Les paysages sont naturellement beaux mais on ne sent jamais le besoin chez le réalisateur de les sublimer. Ils sont là, tout simplement faisant partie du décor et me laissent insensible. Je l’ai vécu avec beaucoup de frustration.

La relation entre l’homme et l’enfant, sans gestes tendres en apparence, ou si peu, semble malgré tout, forte et importante pour les deux. Tout semble se mettre vite en place entre eux. Pas de larmes, des questions parfois sans réponses pour le petit. Toutefois une confiance s’installe très naturellement. L’oncle est à l’écoute de son neveu. Peut-être la relation est-elle déjà ancienne ? On ne sait pas.

La quête du père de l’enfant, disparu depuis longtemps, devient également quête spirituelle entre religion et nature, les deux s’imbriquant pour notre héros.

La religion, est-elle ce que recherche Thiên dans son chemin de vie à ce moment de son existence ? Ou bien l’amour quand il retrouve une jeune femme aimée plus jeune, qui ne l’a pas attendu et qui a choisi d’entrer dans les ordres. Non par dépit mais par envie, elle l’avait d’ailleurs prévenu qu’elle ne l’attendrait pas. Elle se rappelle à lui dans une scène repensée quand il se rend sur les lieux de cet échange.

D’ailleurs, la question de la religion s’invite dès le début du film, dans la conversation entre les trois amis autour d’un verre. La question est posée autour de son importance et de la place à lui donner. L’un la pense importante, l’autre la rejette, et Thiên interrogé reste dans l’interrogation à ce moment précis.

Nous n’aurons jamais la réponse puisque survient l’accident tout près d’eux. Le choc ! Rien n’est édulcoré. La collision entre les deux motos est violente, mortelle. On n’assiste pas à l’accident mais l’image qui s’impose, quand telles les personnes qui accourent, nous découvrons l’après, cru et terrible. Deux véhicules que l’on distingue à peine et un petit enfant allongé, immobile au milieu de ces monceaux de tôles.

Voici l’entrée en scène du neveu, petit garçon de 5 ans.

Dans plusieurs scènes, l’approche de la caméra, la superposition de cadre est très intéressante et inédite pour moi, tel la fenêtre ou l’on voit Thiên de dos qui écoute les paroles de l’ancien, le vieux vietnamien qui raconte la guerre, sa guerre, montre ses souvenirs au personnage principal qui écoute patiemment et semble-t-il avec intérêt. L’ancien qui fait le choix maintenant de s’occuper des morts du village et d’ailleurs rencontré lors de la cérémonie pour la maman du petit garçon.

Ce n’est pas un travelling tel qu’on a l’habitude de les voir, cela se fait de façon séquentielle, comme des sauts de puce vers l’objectif qui est dans le cas présent, le visage de l’ancien. Il est invisible tout d’abord, seulement matérialisé par sa voix et les mots qui l’accompagnent.

L’ancien est catholique lui aussi, il fait partie de la communauté du village, et l’on remarque chez lui vierges et croix de toutes sortes au milieu des photos de soldats, de famille. Toute une vie défile doucement et très lentement devant notre regard. On devine qu’il vient alimenter la quête de Thiên.

La lenteur est toujours très présente dans ce film… Même lorsque le personnage circule à moto pour se rendre dans le village de sa famille et qu’on le suit de dos. Peut-être pour différencier la vie citadine de la campagne… Peut être…

Une dernière scène très belle clôture le film, scène dans laquelle notre quêteur semble avoir trouvé quelque chose… Peut-être la fin du voyage ? En s’allongeant dans le lit de la rivière, il devient ici élément de la nature, il se mêle à ce qui l’entoure tout naturellement.

Ni minéral, ni végétal mais autre et tellement, m’a-t-il semblé, à sa juste place.

À la relecture de mes mots, je me dis que malgré le sentiment d’être passé à côté du film, je peux, après quelques jours, y trouver des pistes, des idées, des ressentis. De quoi nourrir mes réflexions.

Qu’aurais-je aimé trouver pour apprécier ce film ?

– Peut-être un personnage plus marquant, attachant.

– Peut-être un peu d’humour qui manque terriblement dans ce film. Le seul moment où les spectateurs sourient ou rient et lors de la rencontre avec le samaritain qui offre de l’alcool pour la moto en panne quand il dit : « qui se promènent avec de l’essence sur une moto ? » nous avons souri en spectateur d’une autre culture mais était-ce bien l’idée du réalisateur ? Ce n’est pas certain.

– Peut-être des gestes tendres avec l’enfant qui auraient pu nous attendrir.

– Peut-être des paysages mis davantage en valeur…

Le tout nous est livré tout cru, sans fioritures, sans recherche de séduction de la part du réalisateur.

Tout ceci relève évidemment de mes propres réflexions qui n’ont pas valeur de vérité.

Il est intéressant toutefois de s’interroger sur ses motivations à voir un film et pourquoi tel film ? Qu’attendons-nous spectateur ? qu’allons-nous chercher ?

Fantasmons-nous le film en partant de l’affiche, de nos connaissances, de qui nous sommes ? La curiosité nous anime t’elle ou est-ce autre chose ?

En quoi le cinéma nous nourrit-il ?

Je n’ai pas nécessairement toutes les réponses mais je continue à y réfléchir car déçue par ce film, j’étais visiblement dans une certaine attente.

Sylvie C

Cria Cuervos de Carlos Saura

Je voudrais rajouter juste un petit mot à la discussion très intéressante et malheureusement un peu écourtée qui a suivi le visionnage de « Cria cuervos ».  J’ai été frappé d’un rapprochement possible avec un autre film réalisé une vingtaine d’années auparavant, « Jeux interdits » de René Clément.  J’y ai vu deux explorations de la manière dont les enfants peuvent gérer l’expérience de la mort.  Il y a de nombreuses ressemblances : deux petites filles orphelines des deux parents sur un arrière-fond vaguement politique ; deux prestations remarquables par des enfants qui feront par la suite une carrière honnête de comédienne adulte ; l’enterrement dans les deux cas d’un animal bien-aimé ; surtout l’importance de part et d’autre du jeu, mené de concert avec de jeunes complices, pour singer le comportement rituel des adultes ; et jusqu’à la musique, qui joue dans les deux films un rôle important.  Il y a aussi, bien entendu, de grandes différences, notamment en ce qui concerne le milieu social, mais je crois que c’est secondaire.  Je suis donc d’accord avec le monsieur qui a insisté sur l’importance de la mort dans « Cria cuervos », mais je rajouterais « la mort vue par les enfants ».
Don

(A)NNEES EN PARENTHÈSES 2020-2022-HEJER CHARF

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE

HEJER CHARF
SYLVIE BRAIBANT

Les feuilles mortes d’Aki Kaurismaki

 

Fort heureusement, le réalisateur à finalement décidé de sortir de sa retraite décidée en 2017 pour nous offrir une tragi comédie digne de ses meilleurs films.

Il permet la rencontre d’Ansa et Holappa, deux laissés pour compte, deux tristes qui n’attendent plus grand-chose de leur vie malgré leur jeunesse et leur beauté. Seule leur ténacité permet le happy end car les éléments ne permettent pas de les réunir facilement.

Elle déprime, lui boit ……. et déprime.

On les découvre sur leur lieu de travail. Elle empile les rayons en supermarché, trie et jette aux ordures les invendus ou autres passés de dates, d’un geste mécanique et sans émotion apparente. On la regarde, jolie fille broyée, le corps voûté et pourtant se redressant face à la bêtise, l’injustice. Tout n’est pas éteint chez Ansa, on le devine. Elle s’émeut…..

L’arrivée d’un petit chien perdu comblera une partie du vide, faute de mieux.

Lui, vit avec ses collègues dans une baraque sans confort dans une entreprise de travaux. Il boit en silence, en cachette parfois, planque ici et là les bouteilles, et réagit à peine quand il est découvert et licencié. Il reste immobile, vaincu, résigné, l’homme de peu de mots.

Seul son ami et collègue Huotari en mal de rencontres féminines parvient à le mobiliser pour aller au Karaoké. Il suit marchant quelques pas en arrière comme un enfant qu’une mère tire par la main.

Et c’est la rencontre de ces deux êtres qui n’attendent rien mais finissent après bien des complications par recevoir.

Ils s’aiment nos amoureux. Ansa prend la main sur leur histoire à venir peut-être, donne son numéro, pose ses conditions, se redresse, se positionne.

Lui, le grand dadais, acquiesce, suit et finit par lâcher la boisson pour elle.

Dans cette histoire d’amour, la dépression rôde. Rien n’est dit, exprimé sauf en de rares moments mais tout est souligné par les images, les corps, la musique parfois. 

Les couleurs magnifient le film, tantôt passées tantôt vives. Une chemise d’un jaune éclatant, des affiches, des intérieurs, le rouge, le bleu …..les couleurs accompagnent comme pour suggérer la vie, l’espoir. Elles soulignent les scènes, leur donnent leur intensité.

Telle l’image surprenante et belle qui illustre cet état dépressif, au début du film, quand Holappa se laisse convaincre et se fait beau pour le karaoké. Un dernier coup d’œil au miroir avant de sortir. Un miroir cassé et l’on se trouve face à son reflet déformé, écartelé tel un Picasso, tel – la femme qui pleure.

Ainsi les larmes ne sortent pas mais tout les suggère.

La tristesse rôde dans ce film. Ces décors d’un autre temps, les entreprises broyeuses d’humains, cette radio qui s’allume sans cesse sur le conflit en Ukraine nous ramenant au temps présent. On en doute parfois tellement tout est suranné, certains décors, lieux semblent passés, telle une photo qui s’efface. On pourrait se croire dans les années d’après-guerre.

Il y a également du morbide dans la façon dont le personnage masculin s’abîme à force de boissons. La mort est d’ailleurs évoquée dans cet hilarant concert ou trois jeunes filles en robes de chambre chantent la mort, l’enterrement. Hilarant dans ce contraste de jeunes filles toutes pimpantes, aux joues roses, habillées de couleurs vives et leur mine affligée évoquant la dépression et la mort face au héros seul en compagnie de sa bouteille.

Et puis quelques scènes régulièrement distillées,  des petites  envolées lyriques et musicales nous montrant le ciel, les nuages, le ciel parfois bleu tendre, quelques nuages certes mais rien de menaçant. Tel un espoir qui se dessine tout doucement. On pourrait se croire chez Douglas Sirk , c’est doucement suggéré ….amené

Une des forces de ce film est que les paroles des chansons parlent en place de nos deux taiseux. Tout est dit, exprimé par les textes chantés. 

Je reviens sur le terme – hilarant – car il s’agit bien d’une comédie que ce dernier film de Kaurismaki prix du jury à Cannes. On rit souvent dans ce film, on est touché par certains dialogues franchement drôles entre Le personnage principal et son copain, ou entre les amoureux. Ansa est drôle dans ses affirmations, lui dans ses réactions.

Une comédie romantique, un beau mélo, un antidote à la déprime actuelle.

Oui, un antidote, car on sort heureux et ému de ce film avec cette belle dernière image digne d’un Chaplin. On a presque envie de l’accompagner de la si belle chanson – Smile – écrite par Chaplin.

 Le sourire oui, car Kaurismaki ce colosse, ce molosse, qui se défend d’aimer l’homme, nous montre le pouvoir de  l’amour ramène qui  l’envie, la vie.

 Kaurismaki est sorti de sa retraite pour un message d’espoir et de gratitude pour la vie et nous l’en remercions vivement.

Sylvie C

Promenade à Cracovie de Mateusz Kudla, Anna Kokoszka-Romer

Titre original : Polanski, Horowitz, Hometown

En Angleterre le film est sorti sous le titre : The wizards from the ghetto.

Ce documentaire est sorti le 5 juillet 2023 en France mais il a été boycotté avant même d’être vu. Les exploitants de salles ayant invoqué (pour une minorité) la peur des manifestations contre Polanski, beaucoup ont préféré se réfugier derrière l’argument de la faiblesse supposée du documentaire (Polanski lui-même à un moment se retournant vers les cameramen en leur reprochant de ne pas les filmer correctement).

Ce film n’est donc sorti que dans une minorité de salles, et n’a cumulé qu’une dizaine de milliers de spectateurs depuis juillet.

Ce qui est vraiment paradoxal, dans la mesure où les institutions politiques, et éducatives insistent sur la nécessité du devoir de mémoire. Alors que les survivants de la Shoah disparaissent, la censure fait, que peu de personnes peuvent écouter les souvenirs d’enfance de deux victimes de cette période aujourd’hui octogénaires qui sont deux témoins survivants, artistes et connus mondialement.

La genèse du film :

Ce sont deux jeunes réalisateurs polonais (Mateusz Kudla et Anna Kokoszka-Romer) qui sont à l’origine du film, et non pas le cinéaste.

Polanski, toujours poursuivi depuis 1977 pour l’affaire du viol sur mineure, et donc susceptible d’être extradé de nombreux pays (alors qu’il a fait de la prison, et que la victime a pardonné et demandé l’arrêt des procédures aux Etats-unis) se trouvait à Cracovie en 2015 pour venir témoigner dans le cadre d’une demande d’extradition déposée en Pologne, et il déambulait dans les rues de Cracovie où il n’avait pas remis les pieds depuis son enfance.

Au même moment un jeune cinéaste polonais, Mateusz Kudla, qui voulait réaliser un film sur Polanski, rencontre son avocat. C’est ce dernier qui souffle l’idée d’un film reposant sur l’utilisation des décors de la ville de Cracovie et la recherche des lieux de son enfance. Il réalise ce travail avec une autre cinéaste, Anna Kokosszka-Romer.

Polanski a donné son accord à condition de pouvoir associer à ses déambulations son ami du ghetto et de toujours, Ryszard Horowitz, célèbre photographe, qui lui aussi revient pour la première fois à Cracovie.

Il ne s’agit donc pas d’une biographie, mais de recherches sur les traces de vie de deux enfants juifs, qui se trouvent à partir de 1939 (occupation d’une partie de la Pologne par les Allemands) aux prises avec la politique antisémite nazie et qui découvrent l’horreur du ghetto de Cracovie et des camps d’extermination.

Pour préparer le film et découvrir les lieux (appartements, synagogues, tombes) les deux jeunes réalisateurs enquêtent pendant deux ans et aboutissent à de vraies découvertes : les anciens appartements où Horowitz et Polanski vivaient, la campagne où Roman à vécu caché chez des paysans.

Le film raconte cette expérience horrible de la guerre et de la chasse aux juifs qui vont les marquer à vie.

La mère et la grand-mère Polanski seront assassinées à Auschwitz, le père sera déporté à Mauthausen et c’est lui qui permet au jeune Romek de s’échapper du ghetto et de survivre. Son fils ne le reverra qu’à l’âge de 10 ans (belle scène quand revenant dans l’appartement, Polanski s’assied à la place qu’il occupait après la guerre face à son père). Quant à Horowitz, sa famille a survécu grâce à Schindler mais n’a pu empêcher la déportation du petit Richard, qui montre son numéro de matricule à son ami.

Le documentaire fait aussi allusion, par le souvenir de Roman Polanski de la poursuite des pogroms après la guerre en 1945 et 1946 (il raconte qu’il a aidé une personne à se cacher dans le grenier de son appartement). La Pologne fait alors partie du bloc de l’Est, est soumise au régime communiste et à l’URSS.

Un film sur la mémoire de la Shoah, à Cracovie :

Ce documentaire montre l’indéfectible amitié qui lie les deux hommes, leur complicité et les souvenirs qui les unissent.

On voit la ville de Cracovie, en noir et blanc, photos tirées d’archives pendant la guerre, avec le quartier juif (Casimir) puis des images de la persécution des juifs après 1939, la population affamée et martyrisée.

Des images en couleur accompagnent la déambulation des deux amis, aujourd’hui dans une ville rajeunie qu’ils ne reconnaissent pas toujours mais qu’ils adoptent, en partageant un repas pris sur la place principale, une bière (qui leur est offerte) et des saucisses grillées, après avoir devisé avec des Polonais et des touristes, tout en faisant la queue (comme au temps des communistes !).

Un humour constant :

D’entrée le film est marqué par un regard joyeux sur nos deux octogénaires (au moment du tournage Polanski a 88 ans et Horowitz 83) et la scène dans le taxi qui les conduit de l’aéroport à la ville, où Polanski enlève les poils du nez de son ami est emblématique de l’humour assez permanent qui se dégage de leur rencontre.

La scène où le cinéaste décrit, face à la tombe de son père, l’enterrement de ce dernier sur le mode comique où les deux protagonistes rient aux éclats, montre aussi la rage de vie de ces deux-là et leur volonté, non pas d’oublier mais de résister et de vivre.

On a vraiment du mal à imaginer, leur âge, et toutes les épreuves qu’ils ont traversées lors de leur enfance, qu’ils racontent, alors que la caméra les montre alertes, vifs, et plein d’énergie.

En tant que juifs leur famille a été arrêtées et emprisonnées dans le ghetto, où ils étaient victimes de violences, de la faim et de la peur en permanence.

Polanski, se souvient d’un garçon, voisin, un peu plus vieux que lui, qui a été arrêté. Autre image atroce, celle d’une vieille femme, qui victime d’une marche forcée, n’en peut plus et est abattue par une balle dans le dos, dont le sang jaillit tel un geyser.

La mémoire du cinéaste qui se souvient des différents lieux de vie et d’enfermement est fabuleuse et doit pouvoir être utile aux historiens.

De même lorsqu’il retrouve le petit-fils de la famille paysanne pauvre, qui l’a caché jusqu’à la fin de la guerre. Un grand moment d’émotion, quand celle-ci le submerge alors il se tait et la caméra arrête de filmer.

Horowitz, regrette la visite de l’ancien appartement familial donnant sur la place du marché, transformé au point de pouvoir effacer les souvenirs de l’époque.

Le documentaire travaille beaucoup sur ce qu’est la mémoire, sa fidélité et sa résistance au réel retrouvé mais tellement changé.

Film traversé de profondes émotions, d’images horribles et de joyeuses déambulations, de regards inoubliables et de lieux qui témoignent d’une histoire abominable.

Mais le temps efface et transforme les lieux de mémoire, Cracovie, ville devenue le lieu du tourisme de masse (Disneyland pour le réalisateur du « Pianiste ») ne protège plus la mémoire des massacres qui nous est restituée par les corps et les paroles de deux vieillards qui rendent ce film si beau et si nécessaire.

Françoise