Les Filles vont bien- Itsaso Arana

Avec le concours des Cramés de la Bobine, les filles vont bien atteignent presque les 5000 spectateurs en France, voici un film, dans la veine de ceux de Jonas Trueba, dans lequel il ne se passe presque rien. Presque rien, sinon un instant de vie.

Le cinéma d’Itsaso Arana est dans la veine de celui de Jonas Trueba, mais plus radical encore. Pas l’ombre d’un drame, ni d’un effet comique à l’horizon. Cinq filles viennent séjourner à la campagne, dans une vieille demeure, un ancien moulin de la région de Leon. Elles y font du théâtre, l’une est Metteuse en scène, les quatre autres sont des artistes, certaines sont déjà célèbres, d’autres moins, comme dans la vraie vie.

Elles décident de filmer les répétitions et leur vie, ainsi les dialogues de répétition se mêlent à ceux de leur vie ordinaire. (Nous avions vu une amorce de cela dans Vania 42ème rue de Louis Malle). Un film où il ne se passe presque rien donc, et de plus pour aggraver la situation, les actrices sont belles. Et s’il y a une chose qu’on ne pardonne pas à la beauté, c’est de l’être sans être exploitée. Alors, si l’on peut se demander par quel miracle ce film a été distribué, on peut aussi se demander pour qui ?

Hasardons un début de réponse : Pour ceux qui ont vu les films de Trueba, ceux qui aiment les belles images, la musique de Bach par Keith Jarret, pour tous les autres qui aiment également la grâce et l’aisance de ces filles. Ce film veut transmettre le simple bonheur d’exister, d’être et de faire des choses ensemble, la sororité aussi, (comme le dit Françoise)-. Je me demande ce que Vladimir Jankelevitch, le philosophe du « je-ne-sais-quoi et du presque rien » aurait dit de ce film, sans doute des choses positives, j’en suis sûr.

Dans « les filles vont bien », il y a cette mise en abyme, où des actrices jouent des actrices qui jouent. Itsaso qui assure la Direction d’acteur en est le comble. Elle quitte la réalisation (la réalité) pour devenir une actrice qui joue la réalisatrice. Et son personnage nous donne une leçon de Direction d’acteur, elle partage, laisse vivre, favorise l’expression des émotions de ses artistes. Elle crée des conditions pour que leur travail continu de construction et d’amélioration de leur personne comme de leur personnage advienne. Elle fait en sorte que chacune mette dans son rôle le meilleur d’elle même, et ce meilleur attendu, c’est la joie. Et en effet, les filles vont bien.

En fait ce film aux allures cool, sans la moindre provocation, qui semble plat, nous montre aussi à quel point nos attentes cinématographiques sont conditionnées par le drame et la comédie, par les passions en somme. Alors oui, ce film n’a pas de succès, il ne propose rien que de montrer des jeunes qui vivent et travaillent, tout au plaisir d’être et d’être ensemble…

Georges

La Vénus d’argent de Héléna Klotz

Pour se procurer le costume, « la panoplie », qu’elle n’a pas les moyens de s’acheter, Jeanne fracasse une vitrine et en sort mutilée.
Marquée dans sa chair pour avoir voulu franchir le plafond de verre.
C’est la 1ère scène de La Vénus d’argent et une des plus iconiques.

Ce film met en avant la difficulté de passer d’un univers social à l’autre, d’en transgresser les barrières, de la possibilité de changer de monde et de s’y intégrer. Il évoque les questions du genre, des premières amours, et du consentement.
L’existence de Jeanne se divise en 2 univers. D’un côté, son univers d’origine, la caserne, sa petite chambre d’enfant, sa famille et, de l’autre côté, l’univers visé : le quartier des affaires, La Défense, l’argent, la liberté.
La Vénus d’argent reprend les codes des récits de transfuges de classe, aborde la difficulté à se faire une place quand on ne baigne pas dans le milieu.
Dans la sphère hyper-masculine de la finance, Jeanne se veut « neutre comme les chiffres », soldat non genré, « quant » (trader algorithmique) en devenir.
A travers des dialogues travaillés de façon presque documentaire, le film réussit à montrer un monde de la finance virulent et acerbe, peuplé de « killers » stylés, avec signes extérieurs de richesse très codés.
L’une des trames narratives les plus intéressantes du film réside dans la relation entre les personnages de Jeanne et Augustin, incarnés par Claire Pommet et Niels Schneider.
Niels Schneider apparaît ici en militaire égaré et incertain, déjà bien cabossé. Un personnage ambigu et marqué par ce qu’il a déjà vécu dans sa jeune vie. Droit dans ses bottes de soldat avec dans la tête une chapelle dans le désert. Augustin Saint -Augustin.
Sur ce qui s’est passé entre eux il y a quatre ans, pas de scène explicite qui ferait toute la lumière. L’important pour la réalisatrice est de montrer qu’Augustin écoute et entend Jeanne quand elle lui rapporte la souffrance qu’elle a vécue par sa faute.
L’important c’est qu’il lui en demande pardon. Héléna Klotz choisit de montrer une issue inhabituelle au cinéma quand il s’agit de violences sexuelles : la réparation.
Les décors signés Olivier Lellouche et la photo de Victor Seguin (Gagarine) contribuent à nous faire entrer dans le monde de Jeanne : sa chambre, hors du temps à la fois chambre de soldat et chambre d’enfant, avec un plafond d’étoiles, seul refuge de ses nuits sans sommeil et dont elle apprend le chemin à ses frère et sœur. Pour les « affaires », les espaces sont métalliques, open spaces à la fois possibles et abstraits, l’hôtel particulier vide, sans âme, comme inhabité, avec de rares éléments de décoration, choisis et luxueux : un crâne, un bouquet de fleurs, quelques œuvres d’art comme une sculpture de Xavier Veilhan, une forme floue devant laquelle Jeanne se tient bien droite presque comme devant un miroir à cet instant là de sa vie. Le film oscille entre lumière bleue et lumière jaune.
Dans ce film tout est soigné, les dialogues bien écrits, les scènes parsemées de détails subtils (la main d’Augustin qui attend celle de Jeanne), les acteurs adultes et enfants tous convaincants, rien n’est laissé au hasard y compris la musique, signée par le frère de la cinéaste, Ulysse Klotz.
Héléna Klotz nous offre un univers cinématographique porté par le physique, pour interroger au mieux “le genre, l’ambition féminine et la violence” selon ses propres mots.
Et en effet La Vénus d’argent est un film qui se vit par le corps, une fable organique sur la classe sociale, le genre, le pardon et la réparation.
Un beau portrait d’une jeune femme du XXIème siècle.

Marie-No

Le ravissement- Iris Kaltenbäck

Le ravissement c’est d’abord l’histoire d’une grande amitié.
Lydia l’une des protagonistes pensent d’ailleurs qu’elles sont reliées par un long fil invisible. Ainsi elles se partagent une seule dose de bonheur pour deux. Cette Pensée est essentielle pour bien saisir l’enjeu du film.
Et c’est bien tout le problème de cette histoire d’amitié certes mais pas que… Histoires d’amour, de familles, de bébés, de mensonges, de manques…
Le film dès le début nous fait rencontrer Lydia que l’on suit à travers Paris et qui rejoint son amoureux pour aller fêter ensemble l’anniversaire de Salomé.
Mais le garçon souhaite rompre, ça ne fonctionne pas. Il faut réfléchir… Lydia se braque et part seule à la fête.
Nous rencontrons alors Salomé, nous les voyons s’amuser toutes deux, faire les folles puis se retrouver à l’écart des autres où va se vivre un moment qui fera peu à peu basculer l’histoire vers autre chose. Le test de grossesse positif de Salomé et ou l’on découvre le premier mensonge de Lydia qui chargé de lire le résultat l’annonce tout d’abord négatif avant évidemment de se rétracter. Que se passe-t-il chez la jeune femme à ce moment précis ? Cette petite ombre qui passe, imperceptible…
Lydia, sage-femme de profession, sera présente pour accompagner la maman tout au long de la grossesse. Très présente jusqu’à l’accouchement, moment intense car tout n’est pas facile dans cette naissance. Le bébé tarde, la maman est épuisée, le papa présent et impuissant. Lydia gère, Lydia dirige sous le regard de plus en plus inquiet de ses collègues. Lydia veut donner naissance à ce bébé jusqu’à lui donner vie une fois l’enfant sorti avec ce massage éprouvant ou nos propres cœurs s’arrête de battre tant l’inquiétude est présente. Puis le bébé crie et tout retombe. Peurs, incompréhensions des collègues, notre inquiétude sur le sort de la petite fille.
Petite fille évidemment… Les voici trois maintenant à se partager la dose de bonheur.
Ce sera Lydia qui trouvera le prénom du bébé. Edmée – celle qui est aimée. Ainsi elle lui donne vie et identité, telle une maman.
En parallèle, Lydia croise un soir Milos, conducteur de bus.
Milos un solitaire, comme Lydia. Deux esseulés se racontant, passant une nuit ensemble, se quittant car Milos explique à Lydia, qui s’accroche, que c’est terminé, qu’il n’envisage pas autre chose.
C’est un nouveau rejet pour la jeune femme si seule et cherchant l’amour et l’attention. Elle vacille mais sa peine est invisible aux yeux de tous.
Nous retrouvons Salomé, jeune maman, fatiguée, le baby blues la guette… Mais Lydia est là pour aider, s’occuper du bébé, le promener. Elle est si seule, de l’autre bord, celle hors famille, hors cadrage. Comme on pressent sa tristesse, sa solitude quand elle est chargée de prendre la photo des parents et grand-mère autour du bébé, dans la chambre de l’accouchée. Une nouvelle ombre…
Pour laisser la jeune maman se reposer, l’amie emmène le bébé, le promène, l’exhibe à la vue de tous.
Jusqu’à devenir enfin visible dans cet ascenseur quand cette femme attendrie la regarde, la félicite pour son bébé, les yeux brillants pleins de ravissement. Ainsi elle devient celle qui fera basculer l’histoire. En effet, Milos venu rendre visite à son père malade assiste à la scène et prend le relais. « C’est ta fille ? « Lui demande-t-il.
Alors Lydia s’autorise à répondre oui, à lui annoncer ensuite que la petite est sa fille. Rien de prémédité, les circonstances, le besoin d’amour toujours et tout devient possible.
La préméditation vient ensuite. Lydia s’enlise, déraille, s’organise… Milos voit sa fille le mercredi, jour ou Lydia prend le bébé pour soulager Salomé qui peine à reprendre pied.
Lydia s’empêtre dans le mensonge. De plus en plus gros. Jusqu’à cette scène où elle est présentée bien malgré elle à la famille de Milos. Famille si gentille, si heureuse de la rencontrer avec la petite. Pour nous spectateurs le malaise est présent. On a peur pour elle, on craint la chute…
La chute arrive avec, au retour chez les jeunes parents l’annonce d’un départ rapide de la famille pour Bruxelles. Plus rien ne va !
Lydia persiste. Elle a droit à sa part de bonheur elle aussi. Lydia rejetée à nouveau.
Et c’est là que tout bascule.
L’escalade n’est plus enrayable. Jusqu’à cette scène à l’hôtel ou l’on ne peut que souffrir avec elle. Certes on la condamne pour ses actes mais il est difficile de ne pas ressentir une grande empathie pour cette femme broyée par son manque d’amour.
Elle paiera… Et sa vie sera peut-être meilleure. La fin du film laisse ouvert le champ des possibles.
Ce bel ouvrage de cinéma nous laisse avec mille questions. Qu’est-ce que la maternité ? Faut-il mettre un enfant au monde pour naître parents ? Jusqu’où une grande solitude peut-elle nous mener ? Qu’est ce qui va soudainement faire basculer une vie ? Des questions sur l’illusion, le mensonge…
Le film est très fort et puissant par la façon dont il nous malmène avec une grande intelligence et une parfaite maitrise. Iris Kaltenbach et ses comédiens sont si justes, si réels que l’on pourrait se croire dans une docu fiction de grande qualité.
Les scènes à la maternité sont réelles et l’on ne peut en douter. Hafsia Herzi qui joue Lydia dans sa grande simplicité de jeu arrive à nous permettre de ressentir la tempête émotionnelle qui l’anime. Tout cela de façon subtile, avec un jeu très fin et efficace.
L’une des belles idées du film également est la voix off (celle de Milos) qui raconte les faits après le procès apprend – on très vite.
J’écris plusieurs semaines après avoir vu le film et il est encore très présent en moi. Bousculée, je le suis encore des semaines après et j’aime ce que ce film a laissé en moi.
Ces questions en suspens, ces doutes, le plaisir d’avoir vu un bon et beau film d’une réalisatrice qui risque de nous bousculer encore.
La joie et le plaisir de m’être laissé embarquer toutes émotions dehors et un nouveau film à ajouter à mes films de l’année.


Sylvie Cauchy

Invasion Los Angeles-John Carpenter

« tu devrais mettre des lunettes ou changer de lunettes …..»

Entendu souvent dans des réunions politiques ou syndicales.

Convaincre quelqu’un « qui ne veut pas voir » ou « lui ouvrir les yeux » est un long combat, c’est pourquoi, contrairement à d’autres spectateurs j’ai apprécié ce long et beau combat de catch entre John et Frank : Frank qui ne veux pas mettre la paire de lunettes.
***
Ils se sont rencontrés sur leur lieu de travail, sur un chantier du bâtiment où ils sont manœuvres.
Frank propose à John un hébergement, dans cette ville symbole de la prospérité américaine, un abri dans un bidonville. Cette entraide, cette « solidarité prolétarienne » est immédiate, sans condition – il n’est pas anodin pour John Carpenter que l’un soit noir et l’autre blanc.
Nous imaginons facilement que Frank sait tout des injustices de cette société, il a été obligé de laisser femme et enfants à Cleveland, ville en ruine suite à la crise de la sidérurgie, mais il ne veut pas voir la réalité que pourtant il connaît, il ne veut pas être entraîné dans une lutte qu’il pense sans issue car il a la charge d’une famille.
John vient d’arriver à Los Angeles, il vient de Denver où il a travaillé pendant 10 ans avant d’être licencié, mais lui il est libre, il n’a pas charge de famille il peut prendre le risque de perdre son travail.

C’est John qui découvre que des émissions pirates de télévision appellent les gens à se révolter et qui découvre le groupe révolutionnaire à l’origine de ces émissions et qui fabrique des lunettes noires – le manifeste du parti communiste ? Le petit livre rouge?
Ces lunettes noires permettent de reconnaître les membres d’un groupe d’envahisseurs qui exploitent les travailleurs – allégorie de la lutte des classes.
Elles donnent aussi une autre vision des affiches publicitaires « Consommez » « Dormez », « Regardez la Télévision », « Obéissez »…
Après cette longue lutte John parvient à convaincre Frank de mettre ces lunettes et de l’aider à agir. Les deux hommes se rendent à une réunion clandestine de résistants tenant tête aux « envahisseurs », et apprennent que certains humains collaborent pour s’enrichir. Ils retrouvent Holly (1) jeune femme travaillant à la Télévision, et qui semble désormais gagnée à leur cause.
Mais après cela le repaire est investi par la police, qui massacre impitoyablement les rebelles – Holly serait celle qui a averti la police en plus d’être une « chienne de garde » (2)?
Traqués, Nada et Frank parviennent à la station où travaille Holly. Frank est tué par celle-ci, Nada l’élimine et parvient à détruire l’émetteur, avant d’être lui-même abattu, alors en ville, les envahisseurs apparaissent sous leur hideux visage…


John Carpenter a été « accusé d’être communiste » il fait une analyse marxiste de la société américaine mais il fait aussi une critique politique : John vient de découvrir la réalité de l’oppression capitaliste, révolté il est impatient il veut agir tout de suite, contrairement au groupe révolutionnaire clandestin qui fabrique et compte distribuer les lunettes noires, par son action il va certes démasquer les « envahisseurs » mais réduire en cendres le projet révolutionnaire.

Henri

Notes :

(1) qui m’a fait penser à la « Môme vert de gris » polar de la Série noire de Peter Cheney

(2) essai pamphlètaire de Paul Nizan

The Old Oak- Ken Loach

Le jour même où la CMP s’accordait cette loi nommée en « novlangue » immigration, intégration, asile, nous avons vu The Old Oak, de Ken Loach.

Nous sommes dans un village qui fut minier et qui n’est plus habité que par des familles pauvres et en déclassement (l’immobilier s’y effondre). Arrive en car dans ce village, des familles Syriennes fuyant la guerre et les tortures d’Al Assad. Elles sont affectées là. Pourquoi chez nous se disent des habitants ? (Ils savent bien pourquoi). Très rapidement se forme un conflit dans cette population entre les « pro- accueil », les « anti » et les « indifférents ».

Les « anti » sont le plus souvent les plus pauvres parmi les pauvres et ils voient d’un mauvais œil l’attention qu’on porte à ces Syriens tandis qu’eux sont délaissés… En fait c’est la thèse principale de Ken Loach : Le racisme des pauvres serait pour l’essentiel la peur que de plus pauvres viennent leur prendre le peu qu’ils ont, où pire encore, qu’ils soient mieux reconnus qu’eux.

Yara, une jeune syrienne qui parle parfaitement anglais, qui n’a pas froid aux yeux, exige qu’un villageois opposant violant qui avait cassé son appareil photo lors de sa sortie de l’autocar, le lui rembourse. Et c’est ainsi qu’elle fait connaissance de Ballantyne propriétaire du pub « The Old Oak ». Alors se développe une belle histoire d’amitié, puis d’intégration par le courage, la fraternité, et la convivialité.

C’est donc un film gentil, où les bons sentiments ne manquent pas, qui cherche à unir, il est bienvenu, tant la tendance xénophobe est encouragée de toutes parts et pas seulement dans cette Angleterre qui est le pays le moins accueillant d’Europe. (Précisons-le).

Pendant ce temps, en France, les spécialistes de la démographie ont eu beau montrer que le nombre d’étrangers pour 10 000 habitants n’a quasi pas varié en France depuis des décennies qu’importe les faits !

De notre côté, nous avons  eu ce jour là, le film de Ken Loach et en rentrant chez nous, cette loi de préférence nationale !

Pour Jean-Claude

Testament par Denys Arcand

Allons voir Testament réalisé par Denys Arcand, c’est un film comme on n’en fait guère. Il est interprété par Sophie Lorain (Suzanne), Rémy Girard (Jean-Michel), deux acteurs sur mesure, idéaux pour ce film qui est à la fois profond par ses thèmes et léger par son élégance, son ton et son humour.

En même temps qu’il raconte comment deux personnages qui se connaissent bien finissent par se rencontrer, elle, Suzanne qui dirige un foyer pour personnes âgées, ne faisant qu’une avec son travail, et lui Jean-Michel vieil homme, archiviste en retraite partielle de son état, songeant à l’inanité de son existence présente et… passée dans un monde qu’il pense n’être plus le sien…

Il raconte aussi la vie qui ne se laisse certainement pas si facilement enfermer dans des ruminations ou dans ce cadre d’apparence si tranquille. Dans le hall de cette belle maison, chacun peut voir un tableau représentant l’arrivée de Jacques Cartier au Canada… Tableau qui va ouvrir un débat sur l’histoire passée du Canada et sur sa contemporanéité, avec son langage, ses sujets politiques, ses codes, sa culture et… sa cancel culture.

Ce film est remarquable parce qu’il nous montre une jolie histoire humaine dans la grande et parfois « si petite » histoire sociale. il faut aller le voir, nous n’étions que deux en Salle 1 à l’Alticiné, un bien grand écran pour ce petit bijou. Il ne va pas rester longtemps encore, dépêchons-nous !

Georges

Fremont de Babak Jalali

Donya, réfugiée afghane, a 22 ans. Elle « s’en est sortie » et a « atterrie » à Fremont dans la banlieue de Frisco, elle parle anglais, elle travaille. Mais le soir Donya est seule et ne peut pas dormir.
La vie d’un ou d’une réfugiée ne s’arrête pas à la survie.
Fremont, en noir et blanc, format 4 :3, est un curieux objet cinématographique, et c’est un bonheur de se laisser mener là où on ne s’attend pas à aller.
L’héroïne est bloquée entre deux rives de sa vie, la culpabilité d’avoir quitté son pays et ses proches et la fureur de vivre qui bouillonne en elle.
Le cinéaste Babak Jalali explique: «Quand on rencontre un réfugié ou une personne déplacée, on a envie de leur demander: “Comment c’était là-bas? Qu’est-ce que tu as subi? ” Évidemment, ce sont des questions importantes. Mais on demande rarement: “Quels sont tes hobbies? Quel type de musique tu écoutes? Quelle est ton équipe de sport préférée?”»
Fremont refuse de réduire Donya à sa condition de réfugiée. «Au fond, cette Afghane de 22 ans n’est pas si différente d’une Française de 22 ans ou d’une Colombienne de 22 ans. Elle veut se sentir sereine lorsqu’elle s’endort le soir. Elle veut se réveiller le lendemain en ayant quelque chose à faire. Elle veut, avec un peu de chance, avoir de la compagnie» poursuit Babak Jalali.
Anaita Wali Zada a elle-même quitté l’Afghanistan pour les Etats-Unis quelques mois avant d’être choisie pour incarner Donya. Presque de tous les plans, l’actrice non professionnelle est fascinante.
Le film aborde les rapports entre différentes communautés d’immigrés et fait exister tous les personnages, même les plus secondaires avec toujours un zeste d’humour : le vieil homme afghan qui tient un restaurant et qui passe ses soirées à regarder un feuilleton, le psy (Gregg Turkington) qui préfère parler de son amour pour Croc-Blanc que du stress post-traumatique de Donya, Joanna, la collègue et amie de Donya. Pour Hilda Schmelling qui était la décoratrice de plateau sur son précédent film, Babak Jalali a écrit spécialement le rôle de Joanna «Pour fêter la fin de mon précédent film, on a fait une soirée karaoké. Tout le monde chantait un peu bourré, jusqu’au moment où elle s’est levée et s’est mise à chanter une chanson de Pat Benatar. Tout le monde s’est tu tellement c’était incroyable. Je ne l’ai jamais oublié et j’y ai repensé en écrivant le film.» Le fait est que sa voix est bouleversante.
Et dans le film, la chanson de Joanna provoque un déclic chez Donya qui s’autorise enfin à écouter ses rêves.
Dans la dernière partie du film, l’héroïne voit son horizon s’élargir lorsqu’elle croise la route d’un homme timide et charmant (Jeremy Allen White).
Le film est toujours en noir et blanc mais les cadres se desserrent et les décors sont plus larges, à tel point qu’on a l’impression d’avoir vu l’épilogue en couleur !
Fremont est à la fois une chronique sociale et poétique, une comédie dramatique, un récit d’apprentissage … un bonbon acidulé.

Un film émouvant, tendre et profond que je vous recommande

Marie-No

DESERTS-Faouzi Bensaïdi

Carte routière étalée sur le capot d’une voiture, deux hommes ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la direction à prendre. La carte s’envole. Ainsi le spectateur est déjà prévenu du risque qu’il a de se perdre dans l’histoire qui va être racontée.

Durant la première heure, « Déserts » tient un discours parfaitement clair, montrant deux agents de recouvrement, Hamid et Medhi, qui parcourent le sud marocain désertique pour contraindre des emprunteurs très pauvres à rembourser l’argent emprunté à un organisme de crédit. Tous les moyens , même les plus cruels, sont bons pour récupérer les créances. Pour dénoncer un système ultra libéral destructeur et les conditions de vie de villageois démunis, le réalisateur utilise le ton de la comédie dans une succession de scènes loufoques. Bien que le travail de ces deux héros soit détestable, on se prend peu à peu d’affection pour eux devant leurs maladresses et les situations ridicules qu’ils provoquent. On comprend qu’eux aussi sont les victimes d’un système qui utilise des pauvres contre des pauvres et qu’ils trimbalent une bonne dose de soucis avec eux. Emprunter pour s’offrir un mariage, pour soigner une mère malade ou cautionner le mensonge d’un fils qui doit payer grassement des passeurs qui le conduiront sans certitude à cette Europe convoitée, est un luxe qui devient source d’une misère encore plus grande. Cette première partie permet aussi de découvrir, sous le Maroc officiel où l’alcool est interdit et où la condition des femmes est soumise à des lois conservatrices, un Maroc plus souterrain où les hommes se saoulent de bières et de vodka, se livrent à la prostitution féminine ou masculine. Le réquisitoire de Faouzi Bensaïdi contre l’ultralibéralisme et l’ubérisation du travail culmine avec le discours grotesque et caricatural de la manager qui stimule sa troupe de harceleurs en faisant miroiter des salaires multipliés par quatre à ceux qui seront les meilleurs.                                                                                                                               Le discours aurait pu s’arrêter là et le film aussi.

Mais le réalisateur fait intervenir le personnage de l’évadé amoureux, injustement emprisonné par son rival. Le film bascule sans transition ni carte pour orienter le spectateur. L’homme emprisonné reprend sa liberté ; le cinéaste aussi. Plutôt que de poursuivre sa critique stérile d’un monde capitaliste, Bensaïdi nous propose, ainsi qu’ à ses deux héros de départ, de prendre la tangente et de la hauteur. Après les avoir perdus de vue, nous les retrouvons perchés sur une falaise, dans un décor sublime, regardant impuissants, leur véhicule volé par l’évadé, se perdre à l’horizon. Ne maîtrisant plus rien, les voilà à l’arrêt, contraints de lâcher prise, de s’autoriser eux aussi la liberté de laisser tomber la pression mise sur eux. Le récit, depuis le début ancré dans une réalité sociale, prend des airs de western, plonge en contemplation dans la beauté profonde du désert, flirte avec le conte philosophique, s’autorise une histoire d’amour contrarié et de vengeance. Le traitement du temps et de l’image a lui aussi basculé. Beaucoup de plans fixes, un temps qui s’étire en une longue méditation. A partir de là, le spectateur doit s’abstraire du sujet de départ et se laisser aller à ce qu’expriment les images sans chercher une logique de récit. Dans une scène superbe, le cinéaste filme l’intérieur de la maison où vit Yto, la femme mariée contre son gré à un homme qu’elle n’aime pas. Un grand mur ocré, percé d’ouvertures, donne à voir ce qui se passe en bas et en haut à l’étage. Simultanément, le spectateur voit Yto qui s’apprête à fuir avec l’homme qu’elle aime, ce dernier qui vient la chercher et les témoins qui n’osent intervenir. Plus loin, la caméra se fixe sur le visage grave de cette même femme qui a fait un choix douloureux : se libérer d’un mariage forcé et s’amputer de ses enfants. Elle dénoue le fichu qui retient sa chevelure et la laisse se déployer dans un geste d’ultime liberté. Plus loin nous retrouvons Hamid et Medhi ; à l’occasion d’un bivouac au coin du feu, ils se livrent et s’offrent la liberté de parler de leurs blessures qui sont toujours celles du cœur. Soudainement ce sont des migrants qui surgissent . Des hommes qui espèrent encore se libérer de leur misère malgré le récit plutôt décourageant du passeur. Enfin il y a ce mur percé en son milieu d’une ouverture encadrée par deux arbres. Dans ce qui nous enferme il y a toujours une ouverture, que nos deux héros finiront par franchir. Derrière, le monde n’aura pas changé mais peut-être le regarderont-ils différemment parce qu’ils auront changé.

Cette deuxième partie qui semble plutôt décousue, je la vois comme un espace de liberté et d’humanité qui se dresse contre l’inhumanité d’un système économique et social où le monde s’engouffre. Elle nous met au défi de mettre de côté nos attentes de spectateurs pour entrer dans la créativité d’un auteur, au risque de nous perdre ou de nous endormir paisiblement, comme ma voisine. Une autre vertu de ce film, certainement.

Marie-Annick